Partie I – Inconduite sexuelle

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Introduction

La profession des armes est unique à bien des égards. Aucune autre profession autoréglementée n’a le même pouvoir monopolistique sur la conduite de ses membres. Avocats, médecins, architectes, tous les professionnels réglementés sont soumis à deux, souvent trois, ordres redditionnels : les tribunaux pénaux, comme tous les autres citoyens; le code de déontologie (disciplinaire) de leur organisme professionnel, qui protège le public et surveille l’exercice de la profession dans son ensemble; et leur employeur, le cas échéant, qui a le droit, sous certaines règles, de protéger ses propres intérêts et ceux de ses employés. Dès lors, un avocat peut être congédié par son employeur, radié du barreau et emprisonné, successivement, à l’issue de procédures distinctes, indépendantes et souvent parallèles.

En revanche, dans les forces armées, toutes ces procédures sont régies à l’interne en vertu de normes pénales (droit), disciplinaires (ordre militaire) et professionnelles (emploi) des forces armées. On penserait que parce qu’une seule et même entité s’en charge nous devrions assister à des gains d’efficacité. Malheureusement, il n’en est rien. Ce constat est particulièrement évident dans le traitement que les FAC réservent à la question de l’inconduite sexuelle dans leurs rangs.

Devant cette question et les procédures interdépendantes étant, les FAC s’en acquittent par un dédale processuel dont les tenants et aboutissants sont exposés dans le présent rapport. Comme l’a dit un de nos interlocuteurs, les FAC ont mis la « charrue d’activités  » avant les bœufs conceptuels ». [traduit par nos soins] Il en résulte un amalgame entre le crime et la discipline, ce qui, à mon avis, est une erreur dès lors qu’il est question d’inconduite sexuelle grave. Pourtant, les FAC continuent de séparer les mesures disciplinaires, dites punitives, des mesures administratives, dites correctives, alors que les deux catégories sont souvent indiscernables, surtout du fait que la punition et la réhabilitation se recoupent.

Or, dans ce cas-ci, le diable n’est pas dans les détails. Chaque voie, chaque structure en silo, peut fonctionner relativement bien et fait l’objet de tentatives d’amélioration périodiques. Le cœur du problème se trouve dans la structure globale, qui engendre des méandres, dysfonctionnements et retards indus. Tout cela s’est soldé par une frustration croissante et une érosion de la confiance parmi les membres, les parties prenantes et les Canadiens en général.

D’importantes réformes peuvent quand même être mises de l’avant au sein de la structure actuelle. Je formule d’ailleurs des recommandations en ce sens. Par contre, les changements progressifs antérieurs et ceux qui se profilent en ce moment ne donneront peut-être pas le résultat optimal que produirait une vision conceptuelle plus nette dès le départ.

Aussi déficientes qu’elles aient été face aux contrevenants, les FAC ont été encore plus négligentes à l’égard de la détresse et des besoins des victimes et des survivantes, qui ont finalement dû se tourner vers une instance extérieure, les tribunaux, par la voie d’un recours collectif, pour faire reconnaître leurs droits et obtenir des mesures de redressement. Jusqu’à tout récemment, peu d’efforts avaient été déployés pour aborder leurs préoccupations et réclamations légitimes.

Les changements que je propose quant à la façon dont les FAC agissent face aux contrevenants permettront également d’autonomiser les survivantes, puisqu’elles seront moins à la merci d’une chaîne de commandement en laquelle elles ont largement perdu confiance.

Regard sur le système

Histoire des femmes dans les FAC et prévalence de l’inconduite sexuelle

L’inconduite sexuelle dans les FAC n’est pas un phénomène nouveau, et elle n’est pas unique aux forces canadiennes. Ce phénomène existe au sein de nombreuses forces armées partout dans le monde et dans l’ensemble de la société. Il ne s’agit pas d’une excuse pour la piètre situation dans laquelle se trouvent les FAC, mais cela appelle néanmoins à une compréhension des circonstances particulières au sein des FAC qui en font un « problème pernicieux »Note de fin d'ouvrage 49.

Bien qu’il constitue un problème endémique au sein des FAC depuis des décennies, l’enjeu de l’inconduite sexuelle , ses causes fondamentales et sa prévalence à tous les grades étaient largement inconnus du public jusqu’à relativement récemment.

Histoire des femmes dans les FAC en bref

La participation des femmes dans les forces canadiennes remonte à loin, celles-ci ayant d’abord été admises en 1885, lors de la rébellion du Nord-Ouest. Durant les Première et Deuxième Guerres mondiales, les femmes se sont une fois de plus engagées. Selon un article de la Revue militaire canadienne publié en 2019, plus de 2 800 femmes ont joint les rangs du Corps de santé royal canadien durant la Première Guerre mondiale, et durant les années de guerre, quelque 50 000 femmes se sont enrôlées pour servirNote de fin d'ouvrage 50. Il était interdit aux femmes d’assumer un rôle de combat et la plupart d’entre-elles travaillaient dans des domaines traditionnels où elles recevaient moins de salaire, moins d'avantages sociaux et, dans certains cas, fonctionnaient dans un système de rangs et de règles distinct. Après la guerre, les femmes ont été remerciées du service, à l'exception d’infirmières qui ont continué de soigner les anciens combattants blessésNote de fin d'ouvrage 51.

La guerre froide et la guerre de Corée ont ravivé la demande de personnel militaire féminin, mais les FAC ont fixé un plafond quant au nombre de femmes autorisées à joindre la Force régulière (F rég) et les ont circonscrites à des occupations nécessitant moins de 16 semaines de formation, ainsi qu’à une échelle salariale inférieure à celle s’appliquant aux domaines majoritairement masculinsNote de fin d'ouvrage 52.

En 1967, suite à des appels répétés pour une plus grande égalité des sexes au sein de la société canadienne, la Commission royale d’enquête sur la situation de la femme au Canada a été mise sur pied. La Commission avait pour mandat de « faire enquête et rapport sur le statut des femmes au Canada, et de présenter des recommandations quant aux mesures pouvant être adoptées par le gouvernement fédéral afin d’assurer aux femmes des chances égales à celles des hommes dans toutes les sphères de la société canadienne »Note de fin d'ouvrage 53.

La Commission a déposé son rapport en 1970. En ce qui concerne le service militaire, la Commission a noté que les femmes avaient moins de possibilités d’intégrer les FAC que les hommes, et qu’en général, on exigeait qu’elles soient plus âgées et qu’elles aient un niveau d’éducation plus élevé. Les femmes mariées n’étaient pas autorisées à intégrer les FAC, car on considérait qu’elles étaient moins libres de se déplacer pour de nouvelles affectations. Les femmes qui se mariaient après avoir intégré les forces pouvaient généralement y demeurer, mais pas si elles avaient des enfants. Les mères non mariées étaient libérées, mais pouvait avoir été autorisées à s’enrôler de nouveau dans certains casNote de fin d'ouvrage 54. Pour corriger ces inégalités, la Commission a recommandé :

  • que les femmes soient admises dans les collèges militairesNote de fin d'ouvrage 55;
  • que toutes les professions des Forces armées soient accessibles aux femmesNote de fin d'ouvrage 56;
  • que l’interdiction faite aux femmes mariées de s’engager dans les Forces armées du Canada soit suppriméeNote de fin d'ouvrage 57;
  • que la durée de l’engagement initial exigé du personnel des Forces armées du Canada soit la même pour les hommes et pour les femmesNote de fin d'ouvrage 58; et
  • qu’il soit interdit d’obliger les femmes à abandonner les Forces armées du Canada sous le seul prétexte qu’elles ont des enfantsNote de fin d'ouvrage 59.

Le gouvernement a adopté la plupart des recommandations de la Commission, mais a refusé de rendre accessibles aux femmes toutes les professions militaires sous le prétexte que, pour des raisons opérationnelles, des postes particuliers devaient uniquement être comblés par des hommesNote de fin d'ouvrage 60.

En 1978, la Loi canadienne sur les droits de la personne est entrée en vigueur, interdisant la discrimination sous le motif du sexe, sauf dans le cas d’une exigence professionnelle justifiéeNote de fin d'ouvrage 61. Un an plus tard, le gouvernement a finalement autorisé l’admission des femmes dans les collèges militaires, leur donnant ainsi accès à une éducation militaire et élargissant les possibilités s’offrant à ellesNote de fin d'ouvrage 62.

Les années 1980 ont donné lieu à davantage d’améliorations en ce qui concerne l’intégration des femmes dans les FAC, et les forces semblaient faire un réel effort pour être plus inclusives avec le lancement des essais du Programme d’emploi expérimental de femmes militaires dans des éléments et des rôles nouveaux. Ces essais se sont déroulés sur une période de cinq ans (1979–1984) et évaluaient la capacité des femmes à fonctionner dans des unités paracombattantesNote de fin d'ouvrage 63. En date de 1987, toutes les professions de l’Aviation royale canadienne (ARC) avaient été rendues accessibles aux femmes, et les FAC ont promu la première femme au grade de brigadière-généraleNote de fin d'ouvrage 64. le quatrième plus haut grade au sein de l’organisationNote de fin d'ouvrage 65.

De 1987 à 1989, en réponse aux droits à l'égalité entrés en vigueur en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés, les FAC ont mené des essais dans le cadre du Programme d’emploi des femmes dans des postes liés au combat, afin d'évaluer l'efficacité opérationnelle des unités mixtes engagées dans un combat direct.Note de fin d'ouvrage 66.

Cependant, l’intégration complète demeurait insaisissable puisque le gouvernement continuait de bannir les femmes de certaines occupations ou unités se préparant à être directement impliquées dans un combatNote de fin d'ouvrage 67. Or, des femmes de l’Équipe de la Défense se sont opposées à cette interdiction, y compris par le billet d’une plainte à la CCDP pour discrimination fondée sur le sexe, ce qui a donné lieu à une décision du TCDP en 1989 exigeant aux FAC de  :

  • intégrer pleinement les femmes à la F rég et à la Force de réserve (F rés), à l’exception des sous-marins; 
  • supprimer toutes les restrictions d’emploi et appliquer de nouvelles normes de sélection du personnel aux groupes professionnels militaires; et 
  • élaborer un plan dans l’intention d’atteindre, de façon durable, constante et systématique, l’intégration totale des femmes d’ici dix ansNote de fin d'ouvrage 68.

En 1989, les FAC ont rendu accessibles toutes les professions militaires aux femmes, à l’exception du service des sous-marinsNote de fin d'ouvrage 69. et des améliorations portant sur l’intégration des femmes se sont poursuivies durant la majeure partie de la décennie suivante. Les années 1990 ont ainsi vu le premier navire de guerre regroupant des hommes et des femmes prendre part à des exercices de l’OTAN, les premières femmes ayant servi dans les armes de combat, la première femme majore-générale, et le premier escadron de la force aérienne dirigé par une femme. De plus, en 1990, le ministre a créé un comité consultatif sur les femmes dans les FAC pour surveiller les progrès concernant l’intégration des femmes et l’équité en matière d’emploiNote de fin d'ouvrage 70.

Nombre de femmes dans les FAC

Les FAC ont finalement permis aux femmes d’accéder à tous les secteurs de l’organisation en 2001. Les femmes occupent maintenant plus de postes supérieurs dans l’organisation, une première femme ayant été promue contre-amirale en 2011, et une première femme promue lieutenante-générale en 2015Note de fin d'ouvrage 71. Depuis 1997, les FAC se sont fixé comme objectif de compter au moins 25 % de femmes parmi leurs membresNote de fin d'ouvrage 72. un objectif qui n’a toutefois pas été atteint jusqu’à présent. En 1989, quand le gouvernement a finalement autorisé les femmes à servir dans toutes les professions sauf à bord des sous-marinsNote de fin d'ouvrage 73. le nombre de femmes se situait aux environs de 10 %, selon le DGRAPMNote de fin d'ouvrage 74. Trente ans plus tard, cette proportion n’a augmenté que marginalement. En date d’octobre 2021, les femmes représentaient 17,4 % des admissions et 15,8 % des libérations, selon les données des FAC, et constituaient 16,3 % de la F rég et de la Première réserve (P rés) combinées selon le Rapport sur l’équité en matière d’emploi 2020-2021Note de fin d'ouvrage 75.

Je ne crois pas que la faible représentation des femmes dans les FAC soit attribuable à un manque d’intérêt de leur part à porter l’uniforme et à servir le Canada. Il m’apparaît évident que, malgré les lois exigeant l’égalité, l’expérience des femmes dans les FAC est tout sauf équitable. Beaucoup de femmes vivent du harcèlement et de la discrimination sur une base quotidienne. Une partie prenante a indiqué qu’ « [u]n homme peut être perçu comme stoïque et énergique tandis qu’une femme est perçue comme une garce. Plus tôt dans ma carrière, on m’a dit que j’avais trois choix : être une salope, une garce ou une gouine. » [traduit par nos soins] Ce traitement inégal des femmes, jumelé à d’autres formes de discrimination systémique et à l’inconduite sexuelle largement répandue, contribue à de faibles taux de recrutementNote de fin d'ouvrage 76 et de rétention, de même qu’à une sous-représentation à tous les gradesNote de fin d'ouvrage 77.

Début de la couverture médiatique sur l'inconduite sexuelle dans les FAC

En 1998, les Canadiens et Canadiennes ont eu droit à un premier aperçu de ce à quoi ressemblait la vie dans les FAC pour les femmes. Dans une série de trois articles, le Maclean’s a exposé l’existence de l’inconduite sexuelle dans les FAC via les expériences de 13 victimes d’agression sexuelle. Bien qu’il ne s’agissait pas d’un examen exhaustif, ces articles notaient que de tels cas pourraient refléter un problème plus vaste d’agression et de harcèlement sexuels dans les FAC. De plus, les entrevues ont révélé une mauvaise gestion systémique des cas d’agression sexuelle en soulignant que « ces enquêtes étaient superficielles, que les victimes n’étaient pas crues et que souvent, elles – et non pas les contrevenants – étaient pénalisées par les officiers supérieurs qui soit fermaient les yeux, soit tentaient activement de nuire aux enquêtes »Note de fin d'ouvrage 78. [traduit par nos soins]

Les victimes ont identifié la culture toxique et sexiste des FAC comme étant la cause première de l’inconduite sexuelle. Une culture faisant la promotion de la consommation abusive d’alcool et de l’humiliation des femmes par l’entremise de la dégradation et de la violence a créé un environnement dans lequel les femmes qui, à l’époque, représentaient 11 % des membres, n’étaient souvent rien de plus que des pions pour les prédateurs, selon Maclean’sNote de fin d'ouvrage 79.

Au printemps 2014, L’actualité et Maclean’s ont publié des articles qui révélaient que les agressions sexuelles dans les FAC étaient aussi répandues qu’en 1998, et que le nombre de cas signalés n’était que la pointe de l’icebergNote de fin d'ouvrage 80. Les auteurs ont estimé que les incidents d’agression sexuelle dans les FAC pourraient s’élever jusqu’à cinq par jourNote de fin d'ouvrage 81. Bien qu’un tel taux de cas de violence sexuelle ait pu surprendre les civils, les femmes dans les FAC s’étaient quant à elles habituées à être maltraitées et l’objet d’abus. Une partie prenante m’a dit : « Vous vous réveillez chaque jour en vous demandant si vous réussirez à passer la journée, de quel nom on vous traitera et s’ils trouveront quelque chose que vous ne pouvez pas faire. » [traduit par nos soins]

Sur la base de ces articles, il était manifeste que les obstacles au signalement des cas soulevés pour la première fois en 1998 demeuraient, révélant que la haute direction n’avait pas pris de mesures sérieuses pour y remédier. Les victimes d’inconduite sexuelle craignaient les représailles, avaient un accès insuffisant à des services de soutien appropriés, et subissaient des réponses peu satisfaisantes au niveau des enquêtes. De plus, la culture des FAC n’avait pas évolué de façon significative, et ce, même si davantage de femmes s’enrôlaient; la culture de consommation excessive d’alcool et de masculinité toxique favorisait un environnement où les collègues femmes étaient harcelées sexuellement et abusées dans le cadre de paris, de rituels et de pratiques d’affirmation de pouvoir.

Répondant à la pression publique, le gouvernement a nommé la juge Deschamps afin de mener un examen externe sur l’inconduite sexuelle dans les FACNote de fin d'ouvrage 82.

La juge Deschamps avait comme mandat de faire l’examen et de formuler des recommandations à l’égard de la définition de « l’inconduite sexuelle »; le caractère adéquat des politiques, des procédures, des programmes et de la formation relatifs à l’inconduite sexuelle et au harcèlement sexuel; les ressources affectées à la mise en œuvre des politiques, des procédures et des programmes en question; les taux de signalement et les raisons pour lesquelles des cas pourraient ne pas être signalés; ainsi que toute autre question qui pourrait s’avérer utile pour mieux prévenir les cas d’inconduite sexuelle et de harcèlement sexuelNote de fin d'ouvrage 83. Or, son mandat lui interdisait d’adresser toute question en lien avec le système de justice militaire ou criminel. Voilà qui éliminait la capacité de la juge Deschamps d’aborder deux piliers fondamentaux de l’inconduite sexuelle : la façon dont elle est enquêtée, et la façon dont les contrevenants sont punis.

Dans le cadre de son examen, la juge Deschamps a consulté plus de 700 personnes à diverses bases militaires et a entendu de nombreux témoignages en matière d’inconduite sexuelle dans les FACNote de fin d'ouvrage 84. Elle s’est aussi rendue aux collèges militaires, où les participantes ont rapporté que le harcèlement sexuel était un « passage obligé » et que l’agression sexuelle était un risque toujours présentNote de fin d'ouvrage 85.

Rapport Deschamps et mesures initiales prises par les FAC

Le 27 mars 2015, le rapport Deschamps a été publié et est venu valider plusieurs des conclusions tirées dans les articles de presse de 1998 et de 2014. En particulier, la juge Deschamps a constaté l’existence d’un climat de sexualisation dans les FAC, surtout parmi les recrues et les militaires du rang, « caractérisé par la profération fréquente de jurons ou d’expressions très humiliantes faisant référence au corps des femmes, de blagues à caractère sexuel, d’insinuations ou de commentaires discriminatoires portant sur les compétences des femmes et par des attouchements sexuels non sollicités »Note de fin d'ouvrage 86.

La juge Deschamps a aussi constaté que certains comportements et attentes d’ordre culturel au sein des FAC étaient directement liés à la prévalence de l’inconduite sexuelleNote de fin d'ouvrage 87. Bien que les FAC en tant qu’organisation aient établi des codes de conduite, elle a constaté « qu’il existe un profond fossé entre les aspirations des FAC d’incarner un éthos militaire empreint du principe de respect de la dignité de toutes les personnes, et la réalité que vivent de nombreux militaires au quotidien »Note de fin d'ouvrage 88. Malgré le fait que la juge Deschamps ait entendu moins de témoignages d’agression sexuelle, elle a noté « qu’il est clair que les incidents de harcèlement sexuel et d’agression sexuelle sont liés, et dans une certaine mesure, sont issus de normes culturelles qui tolèrent des comportements discriminatoires et du harcèlement dans l’organisation »Note de fin d'ouvrage 89.

La juge a conclu qu’il existait une sous-signalisation chronique des incidents d’inconduite et de harcèlement sexuels, situation attribuable aux craintes de représailles, d’être retiré de son unité, de ne pas être cru, d’être stigmatisé comme étant faible ou un fauteur de troubles, ainsi qu’à un manque de confidentialité. Enfin, elle a souligné que la pression exercée pour régler une plainte à l’échelon le plus bas a pour effet d’étouffer la plainte et d’intimider les victimes, ou encore mène à des sanctions peu sévères – la proverbiale « tape sur les doigts »Note de fin d'ouvrage 90. Rien de cela n’encourageait les victimes à se manifester ni ne dissuadait les auteurs des gestes reprochés.

Le rapport Deschamps a fourni une évaluation faisant autorité en ce qui concerne l’inconduite sexuelle dans les FAC. Elle a présenté 10 recommandations pour adresser ce problème.

En juillet 2015, le général Vance a été nommé CEMD. Dans son discours inaugural, il a déclaré : « Tout comportement sexuel dommageable vient miner qui nous sommes et représente une menace à notre moral, une menace à notre état de préparation opérationnelle et une menace à l’institutionNote de fin d'ouvrage 91. » [traduit par nos soins] Il a lancé l’opération HONOUR avec comme objectif « d’éradiquer les comportements sexuels dommageables et inappropriés au sein des FAC »Note de fin d'ouvrage 92. [traduit par nos soins]

De l’extérieur, il y avait une perception selon laquelle la haute direction prenaient enfin le problème de l’inconduite sexuelle au sérieux. Or, au sein des rangs, plusieurs victimes, passées et présentes, étaient considérablement plus sceptiques quant à la sincérité de la direction sur cet enjeu. Ce scepticisme s’est avéré juste lorsque l’opération HONOUR a rapidement été rebaptisée « Hop on her » [saute-lui dessus].

En avril 2016, les FAC ont commencé à recueillir des statistiques sur les signalements et les mesures d’intervention en matière d’inconduite sexuelle. Selon le deuxième rapport d’étape des FAC, couvrant la période d’avril à juin 2016, 148 incidents ont fait l’objet d’une enquêteNote de fin d'ouvrage 93. De ce nombre, 97 étaient toujours sous enquête au moment de la publication du rapport. Des 51 cas ayant fait l’objet d’une enquête, 19 ont mené à des mesures administratives sous la forme de mesures correctives, et sept ont entraîné le dépôt d’accusationsNote de fin d'ouvrage 94.

Rapport de 2016 de Statistique Canada et les prochaines étapes prises par les FAC

Afin de développer une meilleure compréhension de l’enjeu, en 2016, les FAC ont demandé à Statistique Canada de mener une enquête sur l’inconduite sexuelle. L’enquête a permis de recueillir 43 000 réponses de membres actifs des FACNote de fin d'ouvrage 95. Les résultats indiquaient que 27,3 % des femmes et 3,8 % des hommes avaient été victime d’agression sexuelle à au moins une reprise depuis qu’ils avaient joint les FAC. La moitié des femmes répondantes ont identifié l’auteur de ces gestes comme étant un supérieur. En revanche, pour les hommes, il était plus probable que l’auteur soit un pairNote de fin d'ouvrage 96. De plus, la probabilité d’être victime d’agression sexuelle était plus élevée chez les jeunes femmes membres des FAC, celles-ci étant cinq fois plus susceptibles d’être agressées sexuellement que leurs collègues masculinsNote de fin d'ouvrage 97.

Les résultats ont également révélé que 79 % des membres des FAC avaient été témoin, entendu parler ou été victime de comportements sexualisés, y compris des blagues à caractère sexuel et des comportements discriminatoires. Les femmes étaient deux fois plus susceptibles que les hommes d’en être la cible, avec 31 % des femmes identifiées comme étant la victime, , comparativement à 15 % des hommesNote de fin d'ouvrage 98.

Malgré la prévalence saisissante de l’inconduite sexuelle, il ressortait clairement des résultats du sondage que les membres des FAC avaient encore une grande confiance envers le système, 81 % des répondants croyant que l’organisation, ou à tout le moins leur unité, prendrait au sérieux des plaintes concernant un comportement sexuel inapproprié. De plus, 36 % des hommes et 51 % des femmes croyaient que les comportements sexuels inappropriés constituaient un problème au sein des FACNote de fin d'ouvrage 99.

Comme on pouvait s’y attendre, le sondage a révélé que les femmes étaient moins susceptibles de signaler une agression sexuelle à une personne en situation d’autorité par crainte de conséquences négatives (35 % pour les femmes comparativement à 14 % pour les hommes), ou en raison de préoccupations par rapport au processus de plaintes (18 % pour les femmes comparativement à 7 % pour les hommes)Note de fin d'ouvrage 100.

La plupart des membres des FAC ont indiqué être « très au courant » ou « plus ou moins au courant » avec l’opération HONOUR. Cependant, 30 % des répondants croyaient qu’elle serait inefficace ou aurait peu d’effet. Les officiers des grades les plus bas et les militaires du rang, le principal groupe parmi les victimes, étaient les plus pessimistes quant à son efficacitéNote de fin d'ouvrage 101.

Je comprends que peu de temps après, de nouvelles politiques ont été publiées et de la formation en la matière a été développée. En surface, on encourageait les victimes à se manifester, et on rappelait aux témoins qu’ils avaient aussi l’obligation de le faire. Or, la réalité au quotidien au sein des FAC contrastait de manière significative avec les politiques élaborées à Ottawa. Des parties prenantes ont signalé qu’après le lancement de l’opération HONOUR, il y a eu un changement d’attitude significatif chez leurs homologues masculins – non pas un changement vers l’acceptation, la sensibilisation ou l’altruisme, mais plutôt vers la peur, la colère et la frustration. Des parties prenantes ont aussi signalé que bien des hommes ne prenaient pas l’opération HONOUR au sérieux et racontaient leurs expériences d’avoir été Op Honoured.

En date d’avril 2016, les FAC avaient mis en place un système de suivi mensuel afin de suivre les incidents de comportements sexuels dommageables et inappropriés (CSDI), et de contribuer à l’analyse des progrès de l’opération HONOURNote de fin d'ouvrage 102. Ceci comprenait des rapports mensuels des unités sur les CSDI. D’avril 2016 à mars 2017, 504 incidents de CSDI ont été signalés par les unités, 47 d’entre eux étant des agressions sexuellesNote de fin d'ouvrage 103. La principale catégorie, et de loin avec 281 signalements, était les « comportements sexuels inappropriés », englobant le recours fréquent à du vocabulaire ou des blagues à caractère sexuel, l’affichage de matériel pornographique, l’incitation à une activité à caractère sexuel, la prise de photos sans consentement lors de relations sexuelles, et « autres ». Des femmes ont fait 75,8 % des signalements durant cette période, et 180 incidents ont mené à des mesures administratives prises par la chaîne de commandement.

D’autre part, au sein du système de justice militaire et durant cette même période, 288 infractions ont été signalées, dont 235 pour agression sexuelleNote de fin d'ouvrage 104. Bien que 267 plaintes aient ultimement été considérées comme « fondées », seulement 64 accusations ont été déposéesNote de fin d'ouvrage 105.

Recours collectifs

En 2016 et 2017, sept anciens membres des FAC ont intenté des recours collectifs contre le gouvernement du Canada alléguant du harcèlement sexuel, des agressions sexuelles, ou de la discrimination fondée sur le sexe, le genre, l’identité de genre ou l’orientation sexuelle en lien avec leur service militaire et/ou leur emploi au sein du MDN et/ou du Personnel des fonds non publicsNote de fin d'ouvrage 106. Le gouvernement du Canada a accepté une entente de règlement de 900 millions de dollars pour les recours collectifs Heyder et BeattieNote de fin d'ouvrage 107 . Je reviendrai aux recours collectifs Heyder et Beattie ci-dessous, dans la section concernant les données.

Rapports de 2018 de Statistique Canada

En mai 2018, Statistique Canada a publié des rapports sur la F rég et la P rés des FAC. Le sondage sur la F rég donnait suite à celui de 2016 et n’a trouvé aucun changement statistique significatif en ce qui concerne la prévalence des agressions sexuellesNote de fin d'ouvrage 108. Cependant, on a noté un changement démographique, les jeunes militaires du rang constituant désormais une plus grande proportion des victimes, tandis que les sous-officiers supérieurs et les femmes blanches de pleine capacité physique rapportaient un déclin au niveau de la prévalence des agressions sexuellesNote de fin d'ouvrage 109.

Du côté des contrevenants, les femmes ont signalé moins d’agressions commises par des supérieurs comparativement à 2016, 38 % des agressions sexuelles étant commises par un supérieur ou un individu d’un grade supérieurNote de fin d'ouvrage 110. Autre qu’une diminution absolue du nombre d’agressions, plusieurs facteurs pourraient expliquer cette réduction. Le sondage n’incluait pas les membres ayant quitté les FAC pour quelque raison, ce qui fait que les victimes libérées en raison d’une agression n’étaient peut-être pas saisiesNote de fin d'ouvrage 111. De plus, les femmes pourraient ne pas avoir signalé une agression commise par un supérieur, même dans le cadre d’un sondage, par crainte de représailles. Comme le précisait le rapport, cela constitue un obstacle important au signalement de tous les types d’agressions sexuelles, 37 % des femmes citant cet aspect comme raison de ne pas signalerNote de fin d'ouvrage 112.

En ce qui concerne les comportements discriminatoires et sexualisés, il existait certaines preuves démontrant que l’opération HONOUR était efficace. Selon le sondage, le nombre de membres des FAC ayant été témoin ou ayant été la cible de comportements discriminatoires ou sexualisés a diminué, passant de 80 % en 2016 à 70 % en 2018Note de fin d'ouvrage 113. Le signalement de comportements discriminatoires ou sexualisés a pour sa part augmenté légèrement, passant de 26 % en 2016 à 28 % en 2018Note de fin d'ouvrage 114.

Au sein de la P rés, les résultats étaient en majeure partie les mêmes que dans la F rég. Dans l’ensemble, 2,2 % des réservistes ont été victimes d’agression sexuelle en 2018Note de fin d'ouvrage 115. Parmi les victimes, une personne sur six a eu recours aux services de soutien des FAC et une sur 10 a eu recours à des services de soutien civilsNote de fin d'ouvrage 116. Au chapitre des comportements discriminatoires ou sexualisés, la P rés a observé une réduction de 82% en 2016 à 71% en 2018, ce qui était pratiquement identique à la F rég, qui est passée de 80 % en 2016 à 70 % en 2018Note de fin d'ouvrage 117. Les femmes étaient plus susceptibles que les hommes d’être témoin ou d’avoir fait l’objet de tels comportementsNote de fin d'ouvrage 118. et considéraient ces comportements comme étant offensantsNote de fin d'ouvrage 119.

Rapport de 2018 du bureau du vérificateur général

En septembre 2018, le BVG a complété un audit des FAC en ce a trait à la mise en œuvre des recommandations de la juge Deschamps et aux efforts déployés afin de contrer l’inconduite sexuelle. L’audit a permis de tirer les conclusions suivantes, entre autres :

  • 5.17 Nous avons constaté que l’Opération HONOUR avait sensibilisé les militaires au problème des comportements sexuels inappropriés au sein des Forces armées canadiennes. Cependant, elle a instauré une approche fragmentée à l’égard du soutien aux victimes et a aussi eu des conséquences non prévues qui ont ralenti sa progression. Certains militaires en sont venus à se demander si l’Opération réussirait à réaliser le changement positif visé.
  • 5.18 Nous avons constaté qu’après la mise en œuvre de l’Opération, le nombre de plaintes avait grimpé en flèche, passant d’environ 40 en 2015 à environ 300 en 2017. Selon les Forces, cette augmentation indiquait que les membres avaient confiance en l’efficacité de l’organisation pour mettre fin aux comportements sexuels inappropriés.
  • 5.19 Cependant, nous avons constaté que certains membres des Forces ne se sentaient toujours pas en sécurité ni soutenus. Ainsi, le « devoir de signaler » tous les comportements sexuels inappropriés a fait augmenter le nombre d’incidents signalés par un tiers, même si la victime n’était pas disposée à signaler l’incident à ce moment. De plus, la police militaire a dû mener une première enquête sur tous les incidents signalés, sans tenir compte du fait qu’une victime aurait pu vouloir régler le problème officieusement. Cela a dissuadé certaines victimes de dénoncer des incidents. De nombreuses victimes ne comprenaient pas non plus le système de plaintes ou ne lui faisait pas confiance.
  • 5.20 Selon les données recueillies par Statistique Canada lors d’un sondage mené en 2016, beaucoup d’incidents de comportement sexuel inapproprié n’étaient pas signalés au sein des Forces armées canadiennes. Vers le milieu de 2018, les Forces ont admis que les comportements sexuels inappropriés constituaient toujours un problème grave et qu’elles devaient axer les efforts sur le soutien aux victimes et solliciter des avis externes indépendantsNote de fin d'ouvrage 120.

Sondage auprès des collèges militaires

En 2019, Statistique Canada s’est attardée aux collèges militaires, reproduisant ses sondages précédents ayant porté sur la F rég et la P rés Note de fin d'ouvrage 121. Le principal point de comparaison dans le sondage était la population étudiante civile non militaire. Le sondage a déterminé que 28 % des étudiantes d’un collège militaire étaient susceptibles d’être victime d’une forme d’agression sexuelle, comparativement à 15 % des femmes dans la population étudiante généraleNote de fin d'ouvrage 122. Une femme sur sept fréquentant un collège militaire avait été agressée sexuellement au cours des 12 mois précédentsNote de fin d'ouvrage 123. En ce qui concerne les comportements sexualisés non désirés, l’enquête a déterminé que 68 % des étudiants avaient été témoin ou avaient fait l’objet de tels comportements, ce qui était comparable à la proportion dans l’ensemble des FAC en 2018Note de fin d'ouvrage 124. La plupart des comportements non désirés survenaient en présence d’autres personnes et étaient généralement commis par des collègues étudiantsNote de fin d'ouvrage 125.

Dans l’ensemble, la plupart des étudiants connaissaient les procédures en cas d’agression sexuelle et de harcèlement sexuel (85 % chez les hommes et 70 % chez les femmes), mais les femmes de la population étudiante et ceux qui ont fait l’objet de comportements sexualisés non désirés avaient des attitudes plus négatives à l’égard du soutien et des services de l’établissementNote de fin d'ouvrage 126.

Conclusion

Le rapport Deschamps de même que le travail de Statistique Canada ont révélé au grand jour la prévalence de l’inconduite sexuelle dans les FAC. Ce qui aurait pu être rejeté du revers de la main comme une série d’incidents isolés et anecdotiques est maintenant reconnu comme un problème organisationnel profondément enraciné qui requiert un réel changement de culture à l’échelle des FAC. Ces études ont permis aux universitaires et aux experts en la matière d’apporter une contribution et d’accroître les connaissances collectives sur le sujet, en plus de fournir une solide base pour l’Équipe de la Défense pour qu’elles puissent entreprendre les démarches nécessaires pour reconnaître toute l’ampleur du problème.

Histoire de l’opération HONOUR

Avant la publication du rapport Deschamps, les FAC ont mis sur pied l’EISF-IS sous l’autorité du CEMDNote de fin d'ouvrage 127. L’EISF-IS « s’est vue attribuer la tâche de servir de point de convergence pour l’élaboration et la mise en œuvre d’une stratégie détaillée et d’un plan d’action connexe visant à répondre aux recommandations de la [juge Deschamps], afin de modifier et d’améliorer les comportements […] pour tous les membres des [FAC] » Note de fin d'ouvrage 128.

En août 2015, en réponse au rapport Deschamps, le général Vance, CEMD de l’époque, a officiellement lancé l’opération HONOUR, dont la mission visait à « éliminer les comportements sexuels dommageables et inappropriés » au sein des FAC. Les objectifs préliminaires de l’opération HONOUR étaient de: comprendre les comportements dommageables; d’intervenir face aux comportements dommageables par un changement de culture; de soutenir les victimes (notamment en créant le CIIS) et de prévenir les CSDI grâce à une politique unifiéeNote de fin d'ouvrage 129.

Initialement, l’opération HONOUR comportait quatre phases :

  • Phase 1 – Lancement : Établir une stratégie et un plan d’action complets et mettre en place le CIIS.
  • Phase 2 – Préparation : Déployer et faire appliquer les mesures de discipline, la doctrine de leadership, les ordres et les politiques à travers la chaîne de commandement; l’EISF‑IS commence ses opérations.
  • Phase 3 – Déploiement : Livrer, former et faire passer le CIIS à sa pleine capacité opérationnelle.
  • Phase 4 – Maintien et stabilisation : Réabsorber les fonctions de l’EISF-IS pendant que les commandants continuent à « superviser personnellement le maintien des valeurs et l’application des mesures administratives et/ou disciplinaires » Note de fin d'ouvrage 130.

Étapes préparatoires et Phase 1 – Lancement

En juin 2015, l’EISF-IS s’est concentrée sur la mise en place du nouveau centre de responsabilisation en matière de harcèlement sexuel et d’agression sexuelle conformément à la recommandation de la juge Deschamps.

Dans le cadre de sa démarche visant à comprendre le problème, l’EISF-IS a effectué au cours de la première phase une série de visites nationales et internationales afin d’apprendre des organisations militaires alliées et des organisations civiles. Elle a notamment rendu visite aux autorités militaires compétentes des États-Unis, de l’Australie, de la France, des Pays-Bas, du Danemark et de la Suède, ainsi qu’à divers corps de police, centres d’intervention de crises et organismes d’aide aux victimes au CanadaNote de fin d'ouvrage 131.

S’appuyant sur les travaux de l’EISF-IS au cours de l’été, le CIIS est devenu opérationnel le 15 septembre 2015Note de fin d'ouvrage 132. Ce centre était indépendant de la chaîne de commandementNote de fin d'ouvrage 133 tout en soutenant à la fois cette dernière et les victimes. L’intention était que les services d’aide aux victimes augmentent avec chaque phase successive de l’Hopération HONOUR, et que le CIIS atteigne sa « capacité opérationnelle finale » en 2018.

Après le lancement du CIIS, la première phase de l’opération HONOUR a été déclarée officiellement achevée le 30 septembre 2015Note de fin d'ouvrage 134.

Phase 2 – Préparation

Au cours de la deuxième phase de l’opération HONOUR, les FAC se sont concentrées sur la sensibilisation et la mise en œuvre des activités de l’opération parmi les organisations de N1. Il s’agissait notamment d’encourager la participation à la formation et aux initiatives liées à l’opération HONOUR. Tous les commandants des N1 étaient tenus de fournir des rapports périodiques portant sur l’ensemble des activités entreprises en lien avec l’opération HONOUR et sur tous les incidents de CSDI au sein de leur organisation respective. De plus, certaines organisations de N1 se sont vu confier des responsabilités supplémentaires liées à la mise en œuvre de l’opération HONOUR. Par exemple, le VCEMD a été chargé de soutenir et de coordonner une approche intégrée pour développer le mandat, la gouvernance et le modèle opérationnel du CIIS, de fournir des ressources à l’EISF-IS et de travailler avec la JAG et le GPFC pour élaborer des protocoles de signalement pour les victimes. Le CPM a reçu l’ordre d’assumer la responsabilité de l’EISF-IS et a été chargé de cerner les besoins futurs en ressources, de développer la formation, de faciliter le soutien des aumôniers et d’élaborer une terminologie et des définitions communes. On a en outre demandé au JAG d’examiner le système de justice militaire du point de vue de l’opération HONOUR, aux côtés du GPFCNote de fin d'ouvrage 135.

Au printemps 2016, les FAC ont affirmé avoir commencé à collecter des statistiques sur les signalements et les réponses aux inconduites sexuellesNote de fin d'ouvrage 136. Il faut savoir qu’avant l’opération HONOUR, il n’existait aucune base de données centrale consacrée au suivi des incidents de ce type. Cependant, en avril 2016, le CEMD a ordonné que « toutes les organisations de niveau 1 [signalent] les incidents d’inconduite sexuelle à [l’EISF-IS] »Note de fin d'ouvrage 137. De plus, les FAC ont demandé à Statistique Canada de réaliser une enquête sur les inconduites sexuellesNote de fin d'ouvrage 138. Outre les statistiques, les FAC ont mis à jour leur politique de prévention du harcèlement, la directive et ordonnance administrative de la défense (DOAD) 5012-0Note de fin d'ouvrage 139. et le JAG s’est engagé à ce que son examen complet du système des cours martiales tienne compte de l’opération HONOURNote de fin d'ouvrage 140.

Phase 3 – Déploiement

La phase 3 a débuté le 1er juillet 2016Note de fin d'ouvrage 141. Selon les FAC, les heures d’ouverture du CIIS ont augmenté, et des formations supplémentaires ont été dispensées aux professionnels de la santé militaires. Le GPFC a mis en place une nouvelle formation sur la collecte de données et les techniques d’interrogatoire avec les victimes pour la PMNote de fin d'ouvrage 142. La PM a également ajouté 18 postes au SNEFC afin de créer une « équipe d’intervention en cas d’infraction sexuelle » composée de trois membres dans chaque bureau régional pour un soutien supplémentaire aux dossiers complexesNote de fin d'ouvrage 143.

En août 2016, le CPM a été chargé de superviser la coordination de l’opération HONOUR, appuyé par le directeur général de l’EISF-IS. Cependant, le CEMD est demeuré responsable de l’exécution globale de l’opération HONOUR, et responsable de sa réussiteNote de fin d'ouvrage 144.

Les FAC ont déterminé que deux entités étaient nécessaires pour parvenir à un changement de culture institutionnelle : un comité directeur de niveau stratégique, chargé de fournir une orientation et d'harmoniser la réponse globale à l'inconduite sexuelle dans les FAC, et un conseil consultatif composé d'experts externes en la matière, pour développer les services de soutien aux victimes, la formation, l'éducation et les politiquesNote de fin d'ouvrage 145.

Pour évaluer le succès de la mise en œuvre de l’opération HONOUR, les FAC ont prévu de mener des recherches internes et externes et de mettre à jour ses « enquêtes sur le climat des unités »Note de fin d'ouvrage 146.

La phase trois a vu la poursuite de nombreuses tâches entamées lors de la phase deux, mais avec un passage « du développement de la sensibilisation et de la compréhension du problème à la mise en œuvre d’une stratégie exhaustive de formation, d’éducation et de prévention dans l’ensemble des FAC » Note de fin d'ouvrage 147. Le matériel de formation et le matériel pédagogique a ainsi commencé à être diffusé aux paliers inférieurs de la chaîne de commandement. Les commandants ont reçu l’ordre de veiller à ce que les instructeurs soient formés de manière appropriée et que tout le personnel ayant un rôle de supervision reçoive des informations sur les formations disponiblesNote de fin d'ouvrage 148.

En plus des autres tâches liées à l’opération HONOUR, le VCEMD était responsable de soutenir le GPFC et l’EISF-IS dans la création de mécanismes de soutien aux victimes et à faciliter l’harmonisation du nouveau programme de GICP avec les initiatives du CIIS et de l’EISF-ISNote de fin d'ouvrage 149. Bien que la directive de lancement de la GICP ait été publiée pour la première fois en 2014Note de fin d'ouvrage 150. sa mise en œuvre complète n’était prévue que pour 2019Note de fin d'ouvrage 151. Des responsabilités supplémentaires ont été attribuées au CPM, notamment la coordination d’efforts entre l’EISF-IS et le CIIS à l’égard d’un nouveau groupe national d’experts sur le harcèlement sexuel au sein du CIIS, de l’élaboration d’un programme d’aide aux victimes et de la mise sur pied d’un programme national de soutien par les pairs sous la supervision des Services de bien-être et moral des Forces canadiennes (SBMFC)Note de fin d'ouvrage 152.

Les résultats de la première enquête de Statistique Canada ont été publiés en novembre 2016Note de fin d'ouvrage 153. Les résultats de l’enquête se sont révélés alarmants, la majorité des répondants ayant été témoins de comportements sexualisés, et 27,3 % des femmes et 3,8 % des hommes ayant déclaré avoir été victimes d’agression sexuelle depuis leur entrée dans les FACNote de fin d'ouvrage 154.

Le troisième rapport d’étape sur l’opération HONOUR a été publié en avril 2017. Ses auteurs ont de nouveau revendiqué un certain nombre de réalisations au cours de la période visée. Le Gp Svc S FC, le GPFC, le DPM, les SBMFC et l’aumônier général ont tous mis en place de nouvelles initiatives de soutien aux victimes. Le CIIS était prêt à offrir l’accès aux services de soutien 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Des plans étaient envisagés pour mettre en place un réseau de soutien par les pairs, un programme destiné aux victimes visant à les aider à mieux s’orienter dans le système. Il était également prévu d’introduire une « troisième option de signalement » qui permettrait de préserver des preuves cruciales sans pousser la victime à porter plainte d’abordNote de fin d'ouvrage 155. Cependant, aucun document ne m’a été fourni démontrant que cette option de signalement a bien été mise en œuvre.

Le rapport indiquait également que la JAG et le ministère de la Justice s’employaient à rédiger des règlements pour mettre en œuvre les dispositions du projet de loi C-15 relatives aux droits des victimesNote de fin d'ouvrage 156. Bien que certaines dispositions du projet de loi soient entrées en vigueur en 2013, les dispositions relatives aux droits des victimes n’avaient toujours pas été mises en œuvre quatre ans plus tard. En particulier, le projet de loi visait à « accord[er] aux victimes d’infractions d’ordre militaire des droits procéduraux précis, comme le droit de faire des déclarations à l’étape de détermination de la peine »Note de fin d'ouvrage 157.

Le CIIS a introduit un système modifié de gestion des cas, tandis que les FAC ont mis en œuvre le système de suivi et d’analyse des CSDI pour surveiller les cas d’inconduites sexuelles. Divers programmes de formation ont également été mis en place au cours de cette période. Notamment des formations ont été données au niveau des unités sur la manière de traiter les cas d’inconduites sexuelles, sur l’intervention du témoin, en plus d’un atelier sur le « respect dans les FAC » (RFAC). Une application mobile RFAC était en cours de développement et devait être déployé le 17 juin 2017Note de fin d'ouvrage 158.

Le 24 juillet 2017, le CIIS a lancé « un projet pilote d’un an de prestation de services 24 heures sur 24, sept jours sur sept [...] [afin de] permettre à tous les membres des FAC d’avoir accès à du soutien 24 heures sur 24, sept jours sur sept, qu’ils soient au pays ou déployés à l’étranger» Note de fin d'ouvrage 159. Selon le rapport annuel du CIIS 2017-20, à l’automne 2017, le sondage À vous la parole a été envoyé à 9 000 membres de la F rég et de la P Rés; parallèlement, le CIIS lançait un nouveau contenu en ligne axé sur le publicNote de fin d'ouvrage 160.

En janvier 2018, le système de suivi et d’analyse de l’opération HONOUR (SSAOPH) a été « mis sur pied à l’intention de la chaîne de commandement; il s’agit d’un système consacré à l’enregistrement et au suivi des incidents d’inconduite sexuelle ainsi qu’à l’analyse des tendances en la matière » Note de fin d'ouvrage 161. En même temps, la JAG a mis fin à la Révision globale de la cour martiale, qui devait examiner les cours martiales du point de vue de l’opération HONOUR, et a déclassé le projet de rapport en document de travailNote de fin d'ouvrage 162.

En 2018, le Conseil consultatif externe (CCE) sur l’inconduite sexuelle a été créé. Le rôle du CCE était de « fournir des conseils et des recommandations au SM et au CEMD à l’égard des activités de l’Opération HONOUR », y compris la mise en œuvre des recommandations de la juge DeschampsNote de fin d'ouvrage 163. [traduit par nos soins]

Institutionnalisation de l’opération HONOUR

Le 5 mars 2018, l’opération HONOUR est passée d’une opération limitée à une initiative institutionnelle permanente et l’approche précédente en quatre phases a été abandonnée. L’EISF-IS a été ramenée sous l’autorité du VCEMD et a acquis un statut permanent, pour ensuite devenir la DCMP-OpH. Le nouvel objectif était d’établir un cadre institutionnel dans l’ensemble des FAC afin d’opérer un changement de culture et de mesurer le rendementNote de fin d'ouvrage 164.

En mars 2018, le CIIS a également « amélioré le cadre de formation afin de spécifier la formation obligatoire que les conseillers et les conseillers principaux doivent suivre pour devenir et demeurer compétents» Note de fin d'ouvrage 165.

À l’automne 2018, le BVG a publié un rapport qui « visait à déterminer si les [FAC] avaient pris des mesures adéquates à l’encontre des comportements sexuels inappropriés afin d’intervenir auprès des victimes et de leur venir en aide, et de comprendre et de prévenir de tels comportementsNote de fin d'ouvrage 166 ». Le BVG a conclu que, bien que l’opération HONOUR en soit à sa troisième année, bon nombre des problèmes cernés dans le rapport Deschamps persistaient. En particulier, les services de soutien aux victimes étaient inégaux, difficiles d’accès et manquaient de ressources; le devoir de signaler constituait un obstacle au signalement; l’éducation et la formation relatives aux comportements sexuels inappropriés n’avaient pas réussi à adresser les causes profondes de tels comportements; et le suivi des efforts des FAC était inadéquatNote de fin d'ouvrage 167.

En février 2019, un quatrième rapport d’étape a été publié. Il était nettement plus modéré que les rapports d’étape précédents. Ce rapport faisait tout de même état de diverses mesures prises au cours des 21 mois précédents. Par exemple, le SSAOPH a atteint sa capacité opérationnelle initiale le 1er octobre 2018. Les FAC ont également affirmé avoir amélioré la réponse aux plaintes par le biais de la GICP, avoir introduit une approche plus centrée sur les victimes dans les enquêtes et les poursuites, avoir amélioré la recherche sur l’inconduite sexuelle dans les FAC, et avoir bénéficié d’une collaboration externe par le biais du CCENote de fin d'ouvrage 168.

Toutefois, le quatrième rapport d’étape reconnaissait qu’une stratégie globale de changement de culture restait à élaborer. Le rapport estimait que les domaines suivants étaient ceux où la réponse des FAC à l’inconduite sexuelle avait été « beaucoup moins fructueuse » :

  • le retard dans l’élaboration et la mise en œuvre d’une politique unifiée et mise à jour sur l’inconduite sexuelle;
  • l’incapacité à produire une orientation stratégique et un plan de campagne pour guider le changement de culture nécessaire;
  • l’absence d’un plan permettant d’évaluer le rendement, ce qui crée un accent sur les statistiques plutôt que sur les mesures du rendement;
  • l’établissement d’une structure de gouvernance optimale entre le CIIS et les FAC qui protégerait l’indépendance du CIIS tout en permettant une intégration suffisante pour répondre aux besoins institutionnels des FAC;
  • la mise en œuvre d’une capacité de suivi consolidée à l’échelle des FAC afin de brosser un portrait institutionnel complet de l’inconduite sexuelle dans les FAC;
  • l’efficacité des communications stratégiques avec les membres des FAC, et ce, afin d’éviter l’essoufflement du sujet traité et d’assurer la pertinence continue de l’opération HONOUR;
  • l’insuffisance de l’interaction avec les entités externes et parties prenantes;
  • la saisie des expériences et des leçons retenues pendant la mise en œuvre de l’opération HONOURNote de fin d'ouvrage 169.

L’attribution du comité directeur de l’opération HONOUR a été publiée le 28 juin 2019, soit environ deux ans et demi après qu’on eut déterminé que cet aspect de la structure de gouvernance était une exigenceNote de fin d'ouvrage 170. Le comité directeur était chargé par l’attribution « [d’]offrir un forum à la chaîne de commandement afin de pouvoir informer et commenter les efforts de l’opération HONOUR et de l’EISF-IS, et d’en discuter, dans le but de respecter l’intention du CEMD en ce qui a trait aux exigences immédiates ou aux objectifs à long terme, entre autres » Note de fin d'ouvrage 171. Le comité directeur s’est réuni deux fois par an afin d’assurer « une connaissance de la situation dans l’ensemble des FAC, un partage de l’information et un leadership axés sur l’élimination de l’inconduite sexuelle dans les FAC»Note de fin d'ouvrage 172. Les membres du comité directeur comprenaient des commandants adjoints de N1, certains adjudants-chefs /premiers maîtres de 1re classe, la directrice exécutive du CIIS, le médecin général, le conseiller juridique du MDN/des FAC, le GPFC, l’aumônier général, le DGGICP, le DGRAPM et la JAG. Le comité directeur était supervisé par le VCEMD et devait lui rendre des comptesNote de fin d'ouvrage 173.

En mai 2019, Statistique Canada publiait les résultats de son sondage de 2018 sur l’inconduite sexuelle dans les FACNote de fin d'ouvrage 174. Suite à cela, le mandat du CIIS a été élargi au-delà de l’offre de soutien aux membres des FAC, pour fournir des conseils d’experts et des orientations aux FAC, et surveiller le progrès des FACNote de fin d'ouvrage 175. De plus, on a noté que, malgré l’attention considérable accordée à l’opération HONOUR à Ottawa, « la faible sensibilisation aux ressources continue de poser problème. Trouver des stratégies pour simplifier le contenu et améliorer son intelligibilité devrait être une priorité. Il serait utile de travailler avec différentes communautés des FAC (selon l'optique [d'analyse comparative entre les sexes plus (ACS+)] afin de déterminer les meilleures stratégies de diffusion de l'information pour chacune d'entre elles » Note de fin d'ouvrage 176.

En juillet 2019, le nom de l’EISF-IS a été remplacé par celui de DCMP-OpH. Comme indiqué ci-dessous, ce changement de nom a été effectué en réponse aux critiques selon lesquelles les appellations de l’EISF-IS et du CIIS (CSRT-SM et SMRC en anglais) se ressemblaient trop et prêtaient à confusion. De nouveaux mandats ont également été publiés pour la DCMP-OpH et le CIIS. Le 15 juillet 2019, l’accord de mise en œuvre entre le CIIS et la DCMP-OpH a été approuvé par le VCEMDNote de fin d'ouvrage 177.

Conformément à son mandat, la DCMP-OpH « [réunissait] le personnel responsable de la planification et de la coordination au niveau stratégique qui [dirigeait] les efforts de changement institutionnel des [FAC] dans le but de traiter les dossiers d’inconduite sexuelle et de promouvoir l’accent sur la dignité et le respect de la personne »Note de fin d'ouvrage 178. Ses responsabilités comprenaient l’élaboration de politiques et d’orientations, et la mise en œuvre des conseils d’experts du CIIS, y compris la formation, ainsi que le suivi de l’application des politiques, de l’administration et de la formation en matière d’inconduite sexuelleNote de fin d'ouvrage 179.

Simultanément à l’adoption du nouveau mandat du DCMP-OpH, la version provisoire du Manuel de l’opération HONOUR a été publiée. Cette version a été rédigée en collaboration avec le CIIS, avec la consultation du CCE, et publiée sous l’autorité du CEMD. Elle comprenait un aperçu de l’opération HONOUR, de sa gouvernance et des principaux programmes et initiatives de formation. Elle présentait également aux lecteurs les concepts et définitions essentiels de l’inconduite sexuelle, du harcèlement sexuel et de « blâmer la victime ». Le manuel provisoire fournissait aussi des informations sur les services de soutien, les outils et les ressources, ainsi qu’un aperçu des mesures de prévention et des guides pour le signalement des incidents d’inconduite sexuelle et l’interventionNote de fin d'ouvrage 180.

En outre, le 25 juillet 2019, les FAC ont publié une directive autorisant les commandants à « fournir aux victimes des renseignements sur les résultats et les conclusions des examens administratifs liés à leur plainte, ainsi que sur les mesures administratives imposées par la chaîne de commandement à la personne qui leur a causé du tort »Note de fin d'ouvrage 181. Cette directive visait à combler « une lacune importante en matière d’information, relevée par les plaignants dans les cas d’inconduite sexuelle et les défenseurs des victimes », tout en respectant la Loi sur la protection des renseignements personnelsNote de fin d'ouvrage 182.

En août 2019, les FAC ont publié leur premier rapport basé sur les statistiques recueillies à partir d’outils de suivi comme le SSAOPH pendant l’opération HONOUR. Les FAC ont noté que « des travaux sont en cours pour intégrer pleinement le SSAOPH et toutes les bases de données clés liées au personnel et aux incidents d’inconduite sexuelle », y compris certaines données de la PM, le Système d’administration de la justice et de gestion de l’information (SAJGI) pour les résultats des dossiers afférents à la justice militaire, et le Système intégré d’enregistrement et de suivi des plaintes (SIESP) pour les résultats des dossiers afférents au harcèlement sexuelNote de fin d'ouvrage 183. En septembre 2019, le CEMD a émis une directive pour institutionnaliser et améliorer le SSAOPHNote de fin d'ouvrage 184.

Au moment où les FAC ont publié leur premier Rapport de suivi sur les cas d’inconduite sexuelle, le comité directeur de l’opération HONOUR s’est réuni et a discuté de la modification de la stratégie de communication de l’opération HONOUR. On a noté que les médias, en particulier, avaient du mal à faire la distinction entre les programmes des FAC, et qu’il n’y avait jamais d’objectif global dans les messagesNote de fin d'ouvrage 185. En conséquence, le comité directeur a produit un « récit stratégique » afin de fournir des informations essentielles sur l’inconduite sexuelle dans les FACNote de fin d'ouvrage 186.

En décembre 2019, le Manuel de l’opération HONOUR a été mis à jour, et le CEMD en a publié une version finale en janvier 2020Note de fin d'ouvrage 187. Cependant, malgré cette avancée, de nombreux problèmes initiaux soulignés par la juge Deschamps persistent. Par exemple, « bien que les FAC affirment avoir réalisé des progrès à l’égard de plusieurs des recommandations de [la juge] Deschamps, les victimes et les survivantes continuent de faire état de leur insatisfaction à l’égard du processus, et les membres des Forces en général ont montré des signes de fatigue, voire de résistance, par rapport à l’opération HONOUR »Note de fin d'ouvrage 188. [traduit par nos soins]

En 2020, les FAC ont publié La voie vers la dignitéNote de fin d'ouvrage 189. destinée à être la campagne et la stratégie à long terme des FAC pour susciter un changement de culture et s’attaquer définitivement à l’inconduite sexuelle. La stratégie comprend quatre parties :

  • Partie 1 : Une approche stratégique pour l’alignement culturel. Cette partie vise à cerner les éléments qui constituent et influencent la culture des FAC et à fournir un modèle d’alignement culturel applicable à un large éventail de questions.
  • Partie 2 : Cadre stratégique pour contrer l’inconduite sexuelle dans les FAC. Applique le modèle de la partie 1 et définit les objectifs et les résultats souhaités de la stratégie.
  • Partie 3 : Plan de campagne stratégique 2025 de l’opération HONOUR qui définit un plan quinquennal de mise en œuvre.
  • Partie 4 : Cadre de mesure du rendement de l’opération HONOUR, qui est un système permettant de suivre le progrès de l’opération HONOUR dans le temps.

Avec la création de la DCMP-OpH et d’autres structures de gouvernance, l’intention de la stratégie semblait être d’ancrer l’opération HONOUR à long terme. Même le CCE a noté l’évolution de l’opération HONOUR, qui est passée d’une « approche transactionnelle basée sur des incidents à une vision holistique à plus long terme visant à changer la culture des FAC. Le message clé de La voie vers la dignité est que l’Opération HONOUR ne disparaîtra jamais; il s’agit d’un état constant, il n’y a pas d’état final » Note de fin d'ouvrage 190. [traduit par nos soins]

Fin de l’opération HONOUR

L’opération HONOUR n’a toutefois pas survécu aux nouveaux signalements sur l’inconduite sexuelle qui sont apparus en 2021. Comme le résume le juge Fish :

La troisième période de la lutte des FAC contre l’inconduite sexuelle depuis 1998 a commencé le 2 février 2021, lorsque Global News a signalé l’existence d’allégations de comportement inapproprié entre un CEMD à la retraite et deux subordonnées. Trois semaines plus tard, un autre CEMD s’est retiré de ses fonctions après que plusieurs médias eurent communiqué avec le MDN pour obtenir confirmation qu’il faisait bel et bien l’objet d’une enquête pour inconduite sexuelle. Par la suite, le 31 mars 2021, le chef du personnel militaire s’est également retiré de ses fonctions, cette fois en raison d’allégations d’agression sexuelle à l’égard d’une subordonnéeNote de fin d'ouvrage 191.

Le 24 mars 2021, le lieutenant-général Eyre, CEMD par intérim à l’époque, annonce la fin de l’opération HONOUR. Selon ses paroles :

L’opération HONOUR a atteint son point culminant; nous y mettrons donc un terme, nous en conserverons les mesures fructueuses, nous apprendrons en prenant conscience de ce qui n’a pas fonctionné, et nous élaborerons un plan délibéré pour aller de l’avant. Nous harmoniserons mieux les organisations et les processus axés sur le changement culturel afin de produire de meilleurs effetsNote de fin d'ouvrage 192.

Le lieutenant-général Eyre a déclaré qu’il demeurait déterminé à tirer les leçons de l’exercice et à améliorer les processus. Dans sa lettre aux membres des FAC, il s’est engagé sur les points suivants :

  • Nous identifierons et prendrons les mesures nécessaires pour créer un milieu de travail ou les personnes se sentent en sécurité pour se manifester lorsqu’elles subissent une inconduite sexuelle.
  • Nous finaliserons et publierons notre Code d’éthique militaire professionnelle qui comprendra un nouvel accent mis sur la dynamique des pouvoirs dans notre système.
  • Nous ferons preuve de plus de rigueur et nous nous appuierons davantage sur la science lors de la sélection de nos dirigeants, en commençant par les niveaux supérieurs.
  • Nous mettrons en œuvre l’aspect des démarches réparatrices du règlement final du recours collectif Heyder-Beattie.
  • Nous devons améliorer les mécanismes pour écouter et apprendre des expériences de ceux qui ont été blessés.

Après avoir entendu de nombreux intervenants, le scepticisme qui a marqué l’opération HONOUR n’a rien d’étonnant. Le dossier documentaire montre un processus descendant, dirigé par Ottawa, marqué par des poussées d’activité sporadiques et de longues périodes d’inaction apparente. J’ai entendu de nombreuses histoires de formations annulées, peu suivies ou bâclées sur le plan de la mise en œuvre ou de l’enseignement. De nombreuses initiatives manquaient de ressources. J’ai entendu des récits sur la lassitude face à l’opération HONOUR – sans parler du surnom dont on l’a affublée, « Hop on Her » (saute-lui dessus) et le fait qu’une grande partie de l’organisation ne l’a pas prise au sérieux.

Certains de ces faits sont corroborés par les documents internes des FAC, mais les failles de l’opération HONOUR ont surtout été révélées par des rapports externes comme les enquêtes de Statistique Canada et le rapport du BVG. En particulier, le changement de ton entre les premiers rapports d’étape et le quatrième était frappant. Ce dernier faisait suite au rapport de 2018 du BVG, qui critiquait la mise en œuvre par les FAC du rapport Deschamps au cours des trois années précédentes. Jusqu’à ce moment-là, il semble que les FAC aient présumé que l’opération HONOUR n’avait été mise en œuvre dans les faits que parce qu’Ottawa l’avait imposée. Les processus d’audit interne des FAC ne semblent pas avoir été axés sur cette question, ou s’ils l’étaient, les rapports n’ont pas été lus.

Plutôt que de se concentrer sur les recommandations claires du rapport Deschamps, les dirigeants des FAC ont élaboré un plan sans indicateurs clés de rendement mesurables – inconscients de leurs propres limites, alors qu’ils tentaient de gérer et de transformer des enjeux pour lesquels ils n’avaient aucune expertise.

Chef – Conduite professionnelle et culture

À la fin mars 2021, le lieutenant-général Eyre, CEMD par intérim à l’époque, a annoncé que les FAC accueilleraient un examen externe de l’organisation et de sa culture. Tel qu’énoncé ci-dessus, il a également annoncé la fin de l’opération HONOUR et indiqué qu’un plan était en développement pour élaborer une approche « délibérée » de la culture à l’avenirNote de fin d'ouvrage 193.

Le MDN et les FAC ont ensuite émis une directive concernant la culture concluant que le simple déploiement d’une opération nommée n’était pas suffisant pour induire un changement. Ils ont plutôt annoncé la mise sur pied immédiate du groupe du CCPC au sein du quartier général de la Défense nationale (QGDN) « afin d’élaborer un plan détaillé pour harmoniser la culture et la conduite professionnelle de la défense aux valeurs fondamentales et aux principes éthiques que nous voulons respecter en tant qu’institution nationale » Note de fin d'ouvrage 194.

L’objectif du groupe du CCPC est de devenir l’unique autorité fonctionnelle pour harmoniser la culture de la Défense aux normes devant être respectées au sein de la profession des armes et de l’Équipe de la DéfenseNote de fin d'ouvrage 195. Il a été mis sur pied pour être le principal conseiller du SM et du CEMD en matière de conduite professionnelle et de culture, y compris en matière d’inconduite sexuelle et de conduite haineuse.

J’ai appris l’existence du groupe du CCPC le jour même de l’annonce de ma nomination pour mener le présent examen. Je n’avais jusqu’alors pas été informée que le groupe du CCPC, la nouvelle autorité fonctionnelle en matière de changement de culture, y compris en ce qui a trait à l’inconduite sexuelle, était en train d’être mis sur pied. Il s’agit là d’un symptôme d’un problème plus large. Par exemple, bien que très peu d’efforts ont été déployés pour mettre en œuvre certaines des recommandations relativement simples contenues dans le rapport Deschamps, de grandes initiatives ont été lancées qui auraient pu bénéficier d’une approche davantage réfléchie, globale et unifiée. Le lancement parallèle du groupe du CCPC et du présent examen a probablement créé un dédoublement d’efforts, par exemple en ce qui concerne les consultations auprès des bases et des escadres, et d’autres sources d’inefficacité.

Il ne s’agit pas là d’un commentaire sur le mandat ou le personnel affecté au groupe du CCPC. La CCPC et la VCEMD ont été en communication avec moi et disponibles tout au long de mon examen. J’ai donc tiré profit de leur perspective, leur travail et leurs efforts, et je leur en suis reconnaissante.

En général, le groupe du CCPC a concentré ses efforts dans quatre principaux domaines : le soutien aux survivantes; la justice et la reddition de compte; le changement de culture; et la consultation et la communicationNote de fin d'ouvrage 196. Selon le groupe du CCPC, ces quatre « voies du progrès » constituent son plan d’action « pour consigner et regrouper certains des efforts clés […] prévus ou en cours » qui visent à adresser les préjudices subis par les membres de l’Équipe de la Défense. J’ai reçu des mises à jour concernant ces voies tout au long de mon examen. Ces mises à jour correspondaient généralement à « l’outil de suivi des progrès » que le groupe du CCPC a mis en ligne afin de publier ses plans pour le changement actuels et futursNote de fin d'ouvrage 197.

Le travail du groupe du CCPC aborde chacune de ces « voies du progrès », bien que le groupe du CCPC ne soit pas nécessairement le responsable de chacun de ces domaines. Par exemple, en ce qui a trait au « soutien aux survivantes », le CIIS étend ses services aux employés du MDN et aux anciens membres des FAC, et travaille à accroître l’empreinte régionale du CIIS. Le groupe du CCPC soutient le CIIS dans son lancement du programme de démarches réparatrices, comme stipulé dans le règlement définitif des recours collectifs Heyder et BeattieNote de fin d'ouvrage 198.

Pour ce qui est de la « justice et de la reddition de comptes », le groupe du CCPC a effectué un examen du processus de gestion des plaintes afin de mieux comprendre le cadre actuel régissant les plaintes. En ce qui concerne le « changement de culture », le groupe du CCPC a entrepris plusieurs initiatives, incluant une révision de la formation donnée en lien avec la culture et de la conduite professionnelle par l’ELRFC.

Le groupe du CCPC a également, afin de remplir son mandat de consultation, entrepris une tournée de consultation des FAC de plusieurs mois. Il a tenu des assemblées publiques et des groupes de discussion. À chaque séance, en personne ou de façon virtuelle, l’équipe de commandement du groupe du CCPC s’est engagé dans une discussion sur les problèmes de culture de l’organisation, de la définition du succès dans la résolution de ces problèmes, des améliorations qui pourraient être apportées et de la stratégie à adopter pour s’améliorerNote de fin d'ouvrage 199.

Je comprends que le groupe du CCPC est composé de quatre directions : la politique, l’engagement et la recherche; le changement de culture; la conduite professionnelle et le développement; et la prévention et la résolution des conflits. Il y a présentement 425 postes approuvés au sein du groupe, qui ne sont pas tous pourvus. Le programme de GICP a été transféré sous la responsabilité du groupe du CCPC, comme la DCMP-OpH, ce qui mettra fin à l’opération HONOUR. Globalement, le groupe du CCPC semble disposer de ressources et d’appuis adéquats. Il prend également en charge un grand éventail de responsabilités pertinentes au présent examenNote de fin d'ouvrage 200.

Données

Dans le présent chapitre, je me penche sur la façon dont les FAC recueillent et utilisent les données ayant trait à l’inconduite sexuelle dans leurs rangs. Mon analyse de cet enjeu révèle, encore une fois, une série d’initiatives déconnectées des besoins d’ensemble de l’organisation, y compris celui de recueillir les données à la portée de ses connaissances et d’utiliser au mieux ce savoir dans le processus décisionnel. Heureusement, les FAC comme le MDN ont récemment commencé à prendre des mesures pour corriger la situation.

L’analyse de données se révélera une composante vitale pour mettre en œuvre des changements réels et durables au sein des FAC et du MDN. Sans données, les organisations sont mal équipées pour prendre des décisions éclairées en matière de politiques et pour mesurer l’impact et l’efficacité de ces décisions. Les données peuvent également être extrêmement utiles pour déterminer les causes profondes de certains événements et repérer les risques avant que ceux-ci ne se transforment en problèmes graves.

Contexte

De nombreuses organisations au sein du MDN et des FAC recueillent déjà à leurs propres fins une grande quantité d’information liée aux plaintes, accusations et cas. Cependant, cette information est décousue et passe à côté des liens avec d’autres composantes de l’Équipe de la Défense.

Idéalement, une approche plus réfléchie ferait en sorte que la somme des données de chaque organisation représente un portrait complet de l’inconduite sexuelle au sein du MDN et des FAC. Mais le modèle actuel en vase clos, axé sur la réalisation du mandat individuel de chaque organisation, rend une telle approche impossible.

À titre d’exemple, le tableau suivant donne certains chiffres sur les incidents d’inconduite sexuelle et les mesures connexes, tels que consignés par diverses organisations au sein du MDN et des FAC.

Tableau 1. Nombre d’incidents d’inconduite sexuelle et mesures connexesNote de fin d'ouvrage 201.

Organisation

Description de l’information recueillie

2020–21

2019–20

2018–19

CCPC, DGCMPNote de fin d'ouvrage 202.

Nombre d’incidents signalés à la chaîne de commandement et consignés dans le SSAOPH, renommé le système de suivi des incidents d’inconduite sexuelle (SSIIS).

444

(chiffres non publiés)

497

(chiffres non publiés)

344

(chiffres non publiés)

CIISNote de fin d'ouvrage 203

Nombre de dossiers ouverts par le CIIS.

654

649

484

DACMNote de fin d'ouvrage 204

Libérations à la suite de comportements sexuels inappropriés.

25

36

33

JAGNote de fin d'ouvrage 205

Dossiers traités en cour martiale en lien avec l’inconduite sexuelle.

(Les chiffres n’ont pas encore été déposés)

25

20

Tableau 2. Nombre d’incidents d’inconduite sexuelle et mesures connexes.Note de fin d'ouvrage 206

Organisation

Description de l’information recueillie

2020

2019

2018

GPFCNote de fin d'ouvrage 207

Nombre d’incidents à caractère sexuel par année civile.

234

334

358

DACMNote de fin d'ouvrage 208

Libérations pour contraintes à l’emploi pour raisons médicales en lien avec des comportements sexuels inappropriés (nombre de CERM ouvertes dans l’année/nombre de libérations dans l’année).

36/13

34/1

14/0

GICPNote de fin d'ouvrage 209

Nombre de plaintes pour harcèlement sexuel par année consignées dans SIESP. Les données pour 2018 sont en date de juillet 2018.

8

13

3

Statistique CanadaNote de fin d'ouvrage 210

(extérieur au MDN et aux FAC)

Nombre de membres de la F rég qui ont affirmé avoir été victime d’agression sexuelle en milieu de travail militaire ou impliquant des militaires.

s.o.

s.o.

900

Dans le contexte actuel, une question méritant d’être posée : Qu’est-ce qui se passe réellement au courant d’une année précise? Par exemple, la libération d’un membre peut survenir en raison d’incidents qui n’ont pas été commis dans la même année – tout comme on ne peut pas tenir pour acquis que la date d’un incident et la date de son signalement coïncident. Il n’y a aucun doute qu’il s’agit d’une occasion manquée. Si les FAC et le MDN travaillaient conjointement à coordonner la collecte de données des différentes organisations qui les composent, une analyse détaillée pourrait produire des résultats utiles et révélateurs.

Je ne suis pas la seule à avoir remarqué cette faiblesse au niveau des données. Au cours des sept dernières années, de nombreuses personnes ont soulevé ces problèmes et fait part de leurs inquiétudes. Cette liste inclut notamment :

  • la juge Deschamps – en 2015;
  • le VG – en 2018;
  • le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense – en 2019;
  • la directrice exécutive du CIIS – en 2020;
  • le SMA(SE) – en 2021;
  • l’Alliance de la fonction publique – en 2022.

Coordination

De toute évidence, les FAC sont bien au fait du problème.

En 2019, le MDN et les FAC ont publié la Stratégie de données du MDN et des FAC, un document qui vise à établir une vision pour les deux organisations dans laquelle « les données sont exploitées dans tous les aspects des programmes de la Défense, ce qui améliore nos capacités de défense et la prise de décision, et fournit un avantage en matière d’information lors des opérations militaires » Note de fin d'ouvrage 211. Cette stratégie ne mentionne pas explicitement les données relatives à l’inconduite sexuelle. Cependant, elle recèle une occasion d’utiliser les données pour aider à prévenir les incidents, concentrer les ressources, améliorer la culture et minimiser les risques.

De plus, le Cadre de mesure du rendement de l’opération HONOUR a défini de quelle manière le progrès vers l’alignement de la culture serait mesuré dans le temps. En utilisant ce cadre, les FAC avaient l’intention « au-delà de la mesure à court terme des expériences et des comportements autodéclarés et se pencheront sur les volets moins tangibles de la culture qui favoriseront et soutiendront les habitudes de comportement désirées à long terme »Note de fin d'ouvrage 212.

La Directive de lancement du CEMD/SM concernant la conduite professionnelle et la culture d’avril 2021 affirmait que la « capacité à comprendre l’ampleur et la gravité [des] problèmes [du MDN et des FAC] est limitée. De nombreuses bases de données recueillent et suivent les informations relatives à l’inconduite, ce qui rend l’analyse des données difficile »Note de fin d'ouvrage 213. La directive demandait au sous-ministre adjoint (Données, innovation et analytique) (SMA(DIA)) et au sous-ministre adjoint (Gestion de l’information) (SMA(GI)) de codiriger « un effort pour dresser l’inventaire des données et les systèmes de Technologie Informatique (TI) actuellement utilisés dans tout le MDN et les FAC et les consolider, afin de saisir et de gérer les dossiers liés à l’inconduite conformément à la Loi sur l’accès à l’information, la Loi sur la protection des renseignements personnels et aux dispositions sur la sécurité de l’information »Note de fin d'ouvrage 214.

À la fin du printemps 2021, le SMA(DIA) et le SMA(GI) « ont reçu le mandat de repérer les ensembles existants de données relatives à l’inconduite systémique »Note de fin d'ouvrage 215. Ils ont trouvé « 31 actifs de données uniques » actuellement en utilisation à l’échelle du MDN et des FAC qui « permettent la prestation de services, le suivi et la production de rapports sur l’inconduite systémique au sein [du MDN et des FAC] »Note de fin d'ouvrage 216. [traduit par nos soins] Le rapport propose donc des options pour améliorer la gouvernance, l’intégration et l’analyse des données. Parmi les conclusions clés de cet effort d’exploration des données, on retrouve :

  • un manque de mécanismes pour l’intégration et l’interopérabilité entre les actifs de données ayant des mandats uniques;
  • un faible niveau de qualité des données;
  • l’absence d’un système global de gouvernance pour les données relatives à la conduite (y compris l’absence de définitions normalisées des types de conduites dans l’ensemble des approches et politiques des FAC et du MDN);
  • des capacités limitées de signalement automatiséNote de fin d'ouvrage 217.

En août 2021, le SMA(DIA) a demandé du financement afin de développer les capacités et accélérer les efforts collectifs visant à améliorer le suivi, la production de rapports et l’analyse des données portant sur l’inconduite. Dans sa note de breffage, il mettait l’accent sur la faiblesse des données :

« Les systèmes de plainte, de rapport et de suivi reliés à l’inconduite sont fragmentés et complexes. Ils sont mis en œuvre pour ou à travers de multiples organisations, et les enquêtes auxquels ils font référence sont consignées et suivies à même plusieurs systèmes disparates. Nombre d’entre eux n’ont pas été conçus pour l’analyse et le rapport; le manque d’interopérabilité rend donc l’analyse agrégée difficile. Ces systèmes font également face à des défis importants en raison de lacunes en matière de gouvernance des données, de normalisation des données, et d’autres enjeux liés à la qualité de celles-ci. En résultent donc des problèmes de redondance des systèmes et des données. Le CEMD par intérim et le SM ont déterminé le manque d’intégration et de centralisation des données dans les systèmes TI, ainsi que l’accessibilité et les capacités de rapports limités de ces données, comme étant des problèmes clés qui doivent être abordées»Note de fin d'ouvrage 218. [traduit par nos soins]

Système de suivi et d’analyse de l’opération HONOUR

Lorsque j’ai demandé de quelle manière les officiers hauts gradés des FAC s’assuraient que la politique et le processus stipulés dans la DOAD 9005-1 étaient mis en œuvre, les commandants qui m’ont répondu ont mentionné leur utilisation du SSAOPHNote de fin d'ouvrage 219.

Par exemple, le SSAOPH est utilisé non seulement pour « s’assurer du respect de toutes les exigences en matière de rapports, mais également pour garantir que [l’environnement] effectue le suivi de l’application des mesures administratives/disciplinaires entreprises »Note de fin d'ouvrage 220. De plus, le SSAOPH est « le moyen principal utilisé par [l’environnement] pour surveiller la réponse à l’inconduite sexuelle et la mise en application de la DOAD 9005-1 »Note de fin d'ouvrage 221. Selon une présentation sur le SSAOPH, « aux fins de la déclaration, si les incidents ne sont pas dans le SSAOPH, ils n’existent pas »Note de fin d'ouvrage 222. [traduit par nos soins]

Avant le lancement de l’opération HONOUR en 2015, les FAC n’avaient pas de base de données centrale consacrée exclusivement à l’enregistrement de tous les cas d’inconduite sexuelleNote de fin d'ouvrage 223. Toutefois, en date du 1er avril 2016, la consigne a été donnée à tous les N1 de signaler les incidents d’inconduite sexuelle auprès de l’EISFAC-IS (renommée ensuite DCMP-OpH).

En janvier 2018, le SSAOPH est lancé afin de servir à la chaîne de commandement d’outil unique pour la consignation, le suivi et l’analyse des tendances des incidents d’inconduite sexuelsNote de fin d'ouvrage 224. Une fois qu’un incident est signalé à la chaîne de commandement, l’utilisateur du SSAOPH dispose de 48 heures pour l’enregistrer dans le SSAOPHNote de fin d'ouvrage 225.

Bien que le SSAOPH fût mis en place en 2018, une directive du CEMD visant à institutionnaliser et améliorer le système a été émise en septembre 2019 parce que « tous les N1 ne [connaissaient] pas à fond leurs responsabilités, et toutes les unités des FAC [n’étaient] pas au courant de la nécessité d’enregistrer et de mettre à jour les dossiers d’inconduite sexuelle dans le SSAOPH »Note de fin d'ouvrage 226.

Le 24 mars 2021, le CEMD par intérim a annoncé la fin de l’opération HONOUR. Cependant, les FAC continuent de consigner et de suivre les incidents d’inconduite sexuelle dans la base de données établie, maintenant appelée le SSIIS, et ces données continueront d’être publiées régulièrementNote de fin d'ouvrage 227. On a également tenté d’étendre l’OPHTAS aux employés civils du MDN, bien que cela n’ait jamais été finalisé.Note de fin d'ouvrage 228. C’était malheureux, car c’était une occasion ratée de suivre l’inconduite sexuelle dans l’ensemble de l’Équipe de la Défense.

Quatre rapports annuels de l’opération HONOUR ont été publiés afin d’offrir un résumé de ce que les FAC ont accompli jusqu’à maintenant, y compris les réussites et les aspects pour lesquels il reste du travail à faire. Ces rapports contiennent des informations telles que le nombre de signalements d’incident, les types d’inconduite sexuelle, le profil des personnes qui ont signalé un incident, le profil des lieux et circonstances, les mesures disciplinaires et les examens administratifs. Ces rapports annuels ont été publiés avant le lancement du SSAOPH.

Le premier rapport utilisant la base de données du SSAOPH, le Rapport de suivi sur les cas d’inconduite sexuelle en 2019, a été publié en août de cette année-là. Ce rapport mentionnait les tendances par date relatives aux incidents, les statistiques concernant les incidents d’inconduite sexuelle, et les mesures prises pour répondre aux incidents signalés. Il déclarait également que « des travaux [étaient] en cours pour intégrer pleinement le SSAOPH et toutes les bases de données clés liées au personnel et aux incidents d’inconduite sexuelle », par exemple « certains renseignements sur les enquêtes de la Police militaire ». De plus, le rapport affirmait que « [l]e SSAOPH sera intégré également dans d’autres systèmes, tels que le [SAJGI], pour les résultats des dossiers afférents à la justice militaire, et le [SIESP], pour les résultats des affaires de harcèlement sexuel »Note de fin d'ouvrage 229

Dans un exposé technique de mars 2022 sur la modernisation du système de justice militaire, le Cabinet du juge-avocat général (CJAG) a indiqué qu’il « travaillait en partenariat avec le SMA(GI) pour moderniser la façon dont les cas relevant du système de justice militaire sont gérés, ainsi que la manière dont les informations connexes sont recueillies et conservées »Note de fin d'ouvrage 230. Le Système de gestion de l’information et de l’administration de la justice (SGIAJ 2.0) est censé être déployé à l’hiver 2023. Bien qu’il soit déjà intégré au Guardian (le système des RH militaires), le SGIAJ 2.0 devrait également s’intégrer au Système de gestion des cas du DPM. Selon le CJAG, cet intégration vise à réduire le nombre de fois où une victime doit répéter son histoire.

Dans un rapport paru en janvier 2020, le CIIS soulignait que « l’information contenue dans le rapport [de suivi des incidents d’inconduite sexuelle de 2019] démontre son potentiel comme outil essentiel pour la prise de conscience organisationnelle, le développement de programmes et le production de rapports centralisé ». Cependant, le rapport notait également que son utilité « était limitée par un certain nombre de facteurs, y compris la conformité et l’uniformité des rapports »Note de fin d'ouvrage 231. [traduit par nos soins] Pour démontrer ce manque d’uniformité, nous avons révisé les 13 fiches de rendement que les responsables du SSAOPH ont remis aux N1 pour le deuxième trimestre de 2021. Ces fiches donnent un aperçu de la qualité et de l’exhaustivité des données contenues dans le SSAOPH. En moyenne, selon ces fiches de rendement, des informations essentielsmanquaient à l’appel dans 40 % des cas, les données sur les mesures administratives et disciplinaires se révélant les plus lacunaires.

De plus, bien que le SSAOPH ait été conçu pour être une base de données centralisée recueillant tous les cas d’inconduite sexuelle et les renseignements complets spécifiques à chacun d’entre eux, il ne consigne en fait que les incidents signalés par la chaîne de commandement ou auprès de celle-ciNote de fin d'ouvrage 232. Par conséquent, « les incidents d’inconduite sexuelle ne s’y trouvent pas tous, notamment ceux signalés à la police ou [au] GICP, ou encore ceux révélés au [CIIS] ou [au Gp Svc S FC] »Note de fin d'ouvrage 233. [traduit par nos soins]

Le Rapport de suivi sur les cas d’inconduite sexuelle en 2020 a été finalisé, mais n’a pas été diffusé publiquement. Normalement, le rapport aurait dû être prêt à publier en mars 2021, mais les conséquences de la COVID-19 et l’imminence d’une élection fédérale en ont retardé la rédaction.

Inquiétudes liées à la vie privée

J’ai pu télécharger des données provenant du système SSAOPH, mais des renseignements avaient été supprimés en raison de préoccupations concernant la divulgation de l’identité des personnes. La protection de la vie privée s’est avérée être une inquiétude fréquente tout au long de mon examen, ce qui m’amenait parfois dans une impasse. Si je comprends le besoin de protéger la vie privée, il reste néanmoins important d’atténuer les tensions entre l’utilisation des données à des fins d’analyse et de prise de décision d’une part, et les inquiétudes liées à la vie privée d’autre part.

Dans le même ordre d’idée, le SMA(DIA) a souligné que le SSAOPH « interdit clairement l’utilisation de ses informations "à toute fin autre que l’enregistrement, le suivi et la mise à jour des incidents d’inconduite sexuelle" »Note de fin d'ouvrage 234. Une telle restriction d’utilisation est malheureuse puisque le fort volume d’informations recueillies par le système offre la possibilité d’analyser les tendances et d’appuyer la prise de décisions par des données probantes. Cela signifie « qu’il est possible pour le SSAOPH de tirer profit d’autres sources de données, mais qu’il n’est pas possible pour d’autres systèmes de faire de même avec les données du SSAOPH »Note de fin d'ouvrage 235. Bien que le SSAOPH soit « bel et bien connecté au système d’administration du personnel militaire Guardian »Note de fin d'ouvrage 236 afin d’insérer « automatiquement les numéros de service lorsque les cas sont créés […], il n’a pas été possible pour le CIIS d’obtenir un accès direct aux données du SSAOPH pour des raisons légales, y compris la Loi sur la protection des renseignements personnels, l’Évaluation des facteurs relatifs à la vie privée effectuée pour le SSAOPH, et le besoin de connaître requis pour accéder au système »Note de fin d'ouvrage 237. Le CIIS « a déposé à maintes occasions une requête formelle pour obtenir un accès direct au SSAOPH, mais en vain »Note de fin d'ouvrage 238. Comme solution de rechange, « le CIIS travaille actuellement avec les FAC pour recevoir des rapports qui lui permettraient d’exercer autant que possible son mandat, et ce, tout en continuant d’œuvrer pour obtenir un accès direct »Note de fin d'ouvrage 239. [traduit par nos soins]

Le SMA(DIA) a reconnu le besoin de trouver un équilibre convenable et a affirmé que « l’amélioration de la connaissance de la situation organisationnelle dans l’ensemble du spectre de la conduite demande des rôles et responsabilités clairement définis qui priorisent la nature délicate des renseignements, tout en permettant à ceux-ci d’être harmonisés efficacement afin d’appuyer des prises de décisions stratégiques à l’échelle de l’organisation ». J’encourage les FAC et le MDN à continuer d’explorer des façons « de rendre les données liées à la conduite professionnelle aussi libres et accessibles que possible, y compris au public canadien »Note de fin d'ouvrage 240 et aux chercheurs. [traduit par nos soins]

Par ailleurs, nous avons été informés qu’au moins une base effectuait le suivi de ses propres cas d’inconduite sexuelle en plus d’entrer des données dans le SSAOPH, car elle croit que son système est plus efficace que ce dernier. On nous a également rapporté que beaucoup de temps était consacré à l’ajout d’informations dans le SSAOPH en raison de la création de nouveaux champs et/ou du besoin pour les utilisateurs de modifier les données déjà enregistrées, afin de se conformer aux changements effectués dans le système. Cette situation a au moins deux conséquences : le problème pratique de la duplication dans la saisie des données et le manque de confiance envers le système. Elle nous pousse également à nous demander combien de bases de données secondaires sont maintenues à l’heure actuelle.

Il convient également de mentionner certaines autres lacunes dont on m’a fait part durant mon examen. Premièrement, mentionnons que le SSAOPH peut recueillir jusqu’à 250 éléments d’information par incident. Certaines de ces informations pourraient servir à l’analyse de données, mais aucun effort ne semble avoir été fait en ce sens. Par exemple, on a porté à mon attention que le champ permettant d’entrer la date de fin du service obligatoire du membre pourrait être utile à cette fin. En effet, la date pourrait servir à tester l’hypothèse que les membres sont plus portés à signaler un incident lorsque leur date de libération approche.

Deuxièmement, on nous a mentionné que certaines informations pourraient être omises de la base de données en raison de l’incertitude/la peur/la résistance ressentie par les membres lorsqu’on leur demande de fournir cette information.

Troisièmement, il existe un risque que les informations contenues dans la base de données ne soient pas fiables, car certains membres pourraient choisir de ne pas dévoiler toutes les informations pertinentes. Ils pourraient ainsi taire l’identité de certaines des personnes impliquées dans l’incident, par exemple.

Quatrièmement, il n’est pas possible d’inclure de l’information sur les civils, ce qui signifie que les victimes répétées ne peuvent pas être identifiées pour atténuer les risques. Et les délinquants qui quittent les FAC, mais qui entrent au service du MDN en tant qu’anciens combattants, ne peuvent pas faire l’objet d’un suivi s’ils récidivent. L’absence d’un système consolidé de suivi des incidents au sein de l’Équipe de la Défense est donc problématique.

En résumé, le SSAOPH présente plusieurs lacunes qui doivent être comblées.

Globalement, le travail en cours pour recueillir des données liées à l’inconduite sexuelle est ambitieux, mais certainement pas impossible. Une grande quantité d’informations provenant de différentes organisations doit être rationalisée et intégrée. Ces efforts se verront ultimement récompenser par un système de collecte de données d’une valeur inestimable pour appuyer le savoir organisationnel et la prise de décisions. Un tel système révolutionnera la compréhension du problème de l’inconduite sexuelle au sein des FAC.

Je peux seulement répéter les recommandations faites par le passé, à savoir que la collecte de données devrait avoir pour objectif d’appuyer la prise de décisions basées sur des données probantes, et non seulement de comptabiliser des événements ou de démontrer une volonté d’agir.

Entente de règlement définitif – recours collectifs Heyder et Beattie

Les FAC et le MDN ont reconnu « les répercussions négatives qu’ont eues les inconduites sexuelles et la discrimination sur les membres de l’Équipe de la Défense »Note de fin d'ouvrage 241. En juillet 2019, les parties impliquées dans les recours collectifs Heyder et Beattie sont parvenues à un règlement définitif qui fut approuvé par la Cour fédérale le 25 novembre 2019. Dans le cadre de ce règlement, le MDN et les FAC vont « compenser les membres des Forces armées canadiennes qui ont été victimes d’une inconduite sexuelle ». En mars 2020, les membres du groupe ont commencé à soumettre leur demande de compensation financièreNote de fin d'ouvrage 242.

À l’expiration de la date limite pour soumettre une réclamation, soit en novembre 2021, l’administrateur des recours collectifs avait reçu 19 516 réclamations pour inconduite sexuelle selon les données reçues du conseiller juridique du MDN/des FC. Les parties demanderesses ont signalé 4709 incidents d’inconduite sexuelle ayant eu lieu entre 2000 et 2010Note de fin d'ouvrage 243. Selon les données du Service canadien des poursuites militaires, 106 cas d’inconduite sexuelle ont été portés en cour martiale au cours de cette périodeNote de fin d'ouvrage 244. Entre 2010 et 2020, les parties demanderesses ont fait état de 7714 incidents d’inconduite sexuelleNote de fin d'ouvrage 245 mais seulement 140 cas ont été portés en cour martialeNote de fin d'ouvrage 246.

En ventilant le nombre total de réclamations par type, 14 123 réclamations ont été présentées par des membres des FAC. Même si les employés actuels ou anciens du MDN et le personnel des fonds non publics étaient également admissibles à présenter une réclamation et à recevoir une indemnisation, seulement 847 demandes ont été présentées par des employés du MDN, et seulement 142 demandes ont été présentées par le personnel des fonds non publics.Note de fin d'ouvrage 247.

Bien que plusieurs facteurs puissent expliquer cette disparité, tels qu’une résolution à l’amiable ou un incident trop peu sévère pour mériter la cour martiale, il est clair que la structure des recours collectifs a permis aux victimes d’inconduite sexuelle d’obtenir une forme de réparationNote de fin d'ouvrage 248.

Une variété de renseignements a été recueillie dans le cadre du recours collectif. Cependant, lors de l’élaboration de l’entente de règlement définitif, des inquiétudes sur le plan de la protection de la vie privée semblent avoir empêché tout effort pour s’assurer que les informations recueillies lors du processus de réclamation puissent être utilisées à des fins de recherche. On n’a pas voulu compromettre d’aucune façon les impératifs en matière de vie privée et de confidentialité. Voilà qui est extrêmement malheureux.

Si nous avions pu jeter un œil sur cette information, nous aurions pu en tirer une vision plus complète de l’historique de l’inconduite sexuelle au sein des FAC jusqu’en 2019. Par exemple, j’ai demandé à obtenir des données telles que le grade des demanderesses, celui des auteurs présumés des actes et les types d’allégations. J’ai également cherché à savoir si les incidents avaient été signalés précédemment ou non. Bien qu’il soit possible de fournir des données agrégées sans compromettre l’identité des personnes concernées, je n’ai malheureusement pas réussi à obtenir autre chose que des statistiques d’ensemble sur les réclamations. On m’a d’ailleurs informée qu’il était impossible de retourner dans la base de données contenant les réclamations pour en extraire des renseignements additionnels.

Regard sur les contrevenants

Définitions de l’inconduite sexuelle et du harcèlement sexuel

Les membres des FAC sont soumis à plus de règles et d’interdictions concernant leur conduite sexuelle que la plupart des Canadiens. La conduite (et l’inconduite) sexuelle est actuellement réglementée par les FAC de plusieurs manières :

  • En vertu de la Loi sur la défense nationale (LDN) : Toutes les infractions criminelles d’ordre sexuel prévues par le Code criminel sont adoptées par renvoi dans la LDNNote de fin d'ouvrage 249.
  • En vertu du Code de discipline militaire : Le Code de discipline militaire élargit la liste des activités interdites liées à la conduite sexuelle pour lesquelles les membres des FAC peuvent être sanctionnés.
  • En vertu de la DOAD 9005-1, Intervention sur l’inconduite sexuelle : La DOAD 9005-1 définit et interdit l’« inconduite sexuelle » de manière large. La politique vise toute inconduite sexuelle, qu’il s’agisse d’infractions au sens du Code criminel ou de harcèlement sexuel, de la visualisation ou de l’affichage de matériel sexuellement explicite en milieu de travail, de blagues, de remarques, d’avances ou d’abus verbal à caractère sexuelNote de fin d'ouvrage 250.
  • En vertu de la DOAD 5012-0, Prévention et résolution du harcèlement : Le harcèlement sexuel est également interdit par la politique générale des FAC en matière de harcèlementNote de fin d'ouvrage 251.
  • En vertu de la DOAD 5019-1, Relations personnelles et fraternisation : La fraternisation (c.-à-d. les relations avec une personne appartenant à une force ennemie, ou un civil dans certaines circonstances), de même que les relations personnelles entre deux membres des FAC sont également réglementéesNote de fin d'ouvrage 252.

Certains de ces documents comportent des définitions, d’autres des interdictions. Certains comprennent les deux. Ils peuvent s’appliquer différemment selon l’environnement et les circonstances, mais il ne fait aucun doute qu’ils se recoupent largement.

Je pense qu’il est nécessaire de prendre des mesures correctives pour rendre le large éventail de comportements interdits dans les FAC qui relèvent actuellement de l’inconduite sexuelle cohérent, clair et accessible. Pour y parvenir, nous devons d’abord bien comprendre la manière dont la terminologie est actuellement interprétée au sein des FAC.

Infractions sexuelles prévues au Code criminel sous le régime de la LDN

Toutes les infractions prévues par le Code criminel, y compris les infractions sexuelles, sont incorporées dans le système de justice militaire par le biais de l’article 130 de la LDN, qui prévoit :

  1. (1) Un acte ou une omission
    • survenu au Canada et punissable sous le régime [...] du Code criminel ou de toute autre loi fédérale
    • survenu à l’étranger mais qui serait punissable, au Canada, sous le régime [...] du Code criminel ou de toute autre loi fédérale, constitue une infraction à la présente section et quiconque en est déclaré coupable encourt la peine prévue au paragraphe (2)Note de fin d'ouvrage 253.

C’est grâce à cette disposition que les infractions au Code criminel commises par des membres des FAC peuvent faire l’objet de poursuites en vertu de la LDN. Les militaires peuvent, bien sûr, continuer à être accusés devant des tribunaux pénaux civils. En fait, un petit nombre d’infractions peuvent être sanctionnées uniquement par ces tribunaux parce qu’elles sont exclues du régime de la justice militaire si commises au Canada. Il s’agit notamment du meurtre, de l’homicide involontaire et de diverses infractions liées à l’enlèvement d’enfantsNote de fin d'ouvrage 254. Le juge en chef Brian Dickson a suggéré que cette exclusion s’expliquait « probablement parce que le Parlement a jugé qu'elles ont dans la société des répercussions qui transcendent l'intérêt des Forces canadiennes pour ce qui est du maintien de la discipline » Note de fin d'ouvrage 255.

Text de la Loi sur la Défense nationale
  • Description longue de la figure sur la Loi de la Défense nationale

    Restrictions relatives à certaines infractions

    • Limitation de la compétence des tribunaux militaires
      1. Les tribunaux militaires n'ont pas compétence pour juger l'une des infractions suivantes commises au Canada :
        1. meurtre;
        2. homicide involontaire coupable;
        3. agression sexuelle;
        4. agression sexuelle à main armée ou assortie de menaces à tiers ou avec infliction de lésions corporelles;
        5. agression sexuelle grave;
        6. infractions visées aux articles 280 à 283 du Code criminel. S.R., ch. N-4, art. 60; 1980-81-82-83, ch. 125, art. 32, 1984, ch. 40, art. 79.

Historiquement, les agressions sexuelles étaient exclues de la compétence militaire si commises au Canada. Dans sa version initiale, la LDN prévoyait ce qui suit :

La situation a changé en 1998, lorsque les FAC se sont vu accorder pour la première fois une compétence concurrente en matière d’infractions sexuelles. Dans le projet de loi C-25, Loi modifiant la Loi sur la défense nationale et d’autres lois en conséquence (projet de loi C-25)Note de fin d'ouvrage 256. la nouvelle compétence s’étendait à la fois aux enquêtes et aux poursuites. Auparavant, les infractions sexuelles étaient soumises à la compétence exclusive des tribunaux pénaux civils lorsque l’infraction avait lieu au CanadaNote de fin d'ouvrage 257. c’était le cas pour les meurtres, les homicides involontaires et les diverses infractions d’enlèvement d’enfantsNote de fin d'ouvrage 258.

Ce changement a eu lieu dans le sillage de la Commission d’enquête sur le déploiement des Forces canadiennes en Somalie (Commission d'enquête sur la Somalie)Note de fin d'ouvrage 259. du Rapport Dickson INote de fin d'ouvrage 260.et des reportages publiés à la même époque dans Maclean’s sur les viols et les agressions sexuelles dans les FACNote de fin d'ouvrage 261. Bien qu’aucun des rapports externes produits à ce moment-là ne recommandait expressément d’accorder aux FAC la compétence en matière d’infractions sexuelles, cette mesure a été jugée nécessaire par le gouvernement.

Selon l’ancien ministre, Art Eggleton, l’objectif des réformes était d’améliorer le moral, la cohésion de l’unité, ainsi que la rapidité comme la fermeté de la réponse aux agressions sexuelles, le tout au nom d’une meilleure efficacité militaire. Comme il l’a dit au Sénat lors de l’adoption du projet de loi :

  • Nous nous occupons déjà des affaires d’agressions sexuelles commises à l’extérieur du Canada, mais nous estimons que nous devrions en faire autant pour les cas qui ont lieu au Canada. Ce genre d’affaires est très mauvais pour le moral et la cohésion de nos unités militaires et peut menacer l’efficacité de nos opérations, ce qui pose énormément de risques. Nos soldats risquent leur vie et s’exposent au danger, bien souvent, dans de nombreux théâtres d’opérations. Il est très important que le moral et la cohésion soient au plus haut. Il nous faut un système de justice militaire équitable, mais rapide.
  • Quand des hommes et des femmes travaillent ensemble, ils doivent se faire confiance. C’est essentiel parce que, quand leur vie est en jeu, chacun pourrait sauver la vie de l’autre. Nous ne pouvons pas tolérer que des infractions sexuelles aient lieu. À bien des égards, il se pourrait bien que les sanctions soient plus sévères quand nous en serons responsables. Il faut qu’elles soient plus sévères pour assurer la cohésion de l’unitéNote de fin d'ouvrage 262.

Le CJAG m’a aussi fourni divers documents de travail issus de cette période.Note de fin d'ouvrage 263. Ceux-ci réitéraient les préoccupations suivantes, bien qu’aucune base factuelle n’ait été présentée pour ces conclusions :

  • L’impossibilité de juger les agressions sexuelles représente un handicap sérieux à la capacité des FC de rendre rapidement justice et de maintenir la discipline... Cette incapacité mine la possibilité pour le système de s’assurer que les hommes et les femmes soient traités de façon égale. De plus, les cas d'agression sexuelle que les FC considèrent importants ne reçoivent pas toujours la même priorité dans les tribunaux civils.Note de fin d'ouvrage 264.[traduit par nos soins]

Il a également été suggéré que, puisque les FAC engageaient des poursuites pour des agressions sexuelles à l’extérieur du Canada, « la symétrie juridictionnelle exige une compétence équivalente à l’extérieur et à l’intérieur du Canada, sans interdiction inflexible de la compétence sur les infractions au Code criminel »Note de fin d'ouvrage 265. [traduit par nos soins]

Voilà qui semble être l’entièreté des motifs expliquant pourquoi on accorde au système de justice militaire une compétence concurrente en matière d’infractions sexuelles en vertu du Code criminel. Comme discuté plus loin dans la section consacrée à la justice militaire, je suis d’avis que la compétence concurrente n’a pas permis d’atteindre les objectifs souhaités.

Infractions d’ordre militaire en vertu du Code de discipline militaire

Comme il a été mentionné plus haut, les infractions sexuelles prévues par le Code criminel constituent à la fois un crime en droit canadien et une infraction au Code de discipline militaire. Lorsqu’elle est instruite par la justice militaire, une telle conduite peut faire l’objet d’accusations à la fois en vertu de l’article 130 de la LDN, et comme indiqué ci-dessous.

Les formes d’inconduite sexuelle décrites dans la DOAD 9005-1 qui ne constituent pas une infraction en vertu du Code criminel, comme le visionnement de matériel sexuellement explicite en milieu de travail, peuvent faire l’objet d’une poursuite pour une infraction d’ordre militaire, en vertu du Code de discipline militaire. Toutefois, la conduite fautive doit être caractérisée comme une violation de l’une des nombreuses infractions potentielles d’ordre militaire contenues dans la LDN. Selon le CJAG, en fonction de la nature spécifique de l’inconduite sexuelle présumée, il existe cinq principales infractions d’ordre militaire en vertu de la LDN qui peuvent s’appliquer, et qui sont généralement utilisées pour fonder une accusation. Ce sont :

  1. l’article 92 : Conduite scandaleuse de la part d’officiers;
  2. l’article 93 : Cruauté ou conduite déshonorante;
  3. l’article 95 : Mauvais traitements à subalternes;
  4. l’article 97 : Ivresse; et 
  5. l’article 129 : Conduite préjudiciable au bon ordre et à la disciplineNote de fin d'ouvrage 266.

Pour qu’une accusation puisse être déposée en vertu de l’article 129, le comportement sous-jacent doit être interdit, par exemple par un règlement, une directive ou une ordonnance. C’est à ce moment que les définitions internes des FAC concernant la conduite sexuelle informent le dépôt d’accusations en vertu des dispositions susmentionnées. Un militaire qui commet une infraction au Code criminel peut également faire l’objet d’une poursuite en vertu de l’un des articles précités. En effet, il n’est pas rare de déposer des accusations à la fois en vertu de l’un des articles énumérés ci-dessus, et de l’article 130 de la LDN.

Le système de justice militaire est actuellement en mutation en attendant la mise en œuvre complète du projet de loi C-77. Je reviendrai sur ce point dans la section traitant du système de justice militaire.

Inconduite sexuelle

La définition de l’inconduite sexuelle employée par les FAC a évolué au fil du temps, notamment à la suite du rapport Deschamps. Auparavant, l’inconduite sexuelle était définie en vertu de la DOAD 5019-5, Inconduite sexuelle et troubles sexuels. La version de 2008 de cette politique comprenait les définitions suivantes :

  • inconduite sexuelle (sexual misconduct)
  • Inconduite à caractère sexuel consiste en un ou plusieurs actes: qui sont soit de nature sexuelle, soit posés dans l’intention de commettre un ou plusieurs gestes de nature sexuelle; qui constituent une infraction en vertu du Code criminel ou du Code de discipline militaire (CDM).
  • Nota – Sont assimilés à l’inconduite sexuelle l’agression sexuelle, l’exhibitionnisme, le voyeurisme et les actes reliés à la pornographie juvénile.
  • trouble sexuel (sexual disorder)
  • Trouble sexuel désigne tout trouble mental à caractère sexuel décrit dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux de l’American Psychiatric Association.

Cette définition a ensuite été reprise par renvoi dans d’autres Directives et ordonnances administratives de la défense (DOAD) et politiques des FAC, comme la DOAD 5019-2, Examen administratifNote de fin d'ouvrage 267.

Le harcèlement, y compris le harcèlement sexuel, était défini à l’époque dans une politique distincte, la DOAD 5012-0, Prévention et résolution du harcèlement, comme suit :

  • [T]out comportement inopportun et injurieux, d’une personne envers une ou d’autres personnes en milieu de travail, et dont l’auteur savait ou aurait raisonnablement dû savoir qu’un tel comportement pouvait offenser ou causer préjudiceNote de fin d'ouvrage 268.

Le milieu de travail était défini à l’époque dans la DOAD 5012-0, comme suit :

Milieu de travail désigne l’aire de travail et l’environnement de travail dans son ensemble où s’exercent des fonctions et d’autres activités associées au travail dans le cadre duquel des relations de travail sont en jeuNote de fin d'ouvrage 269.

Recommandations de la juge Deschamps concernant les définitions

La juge Deschamps s’est montrée très critique à l’égard de ces définitions de l’inconduite et du harcèlement sexuels :

  • [l]es définitions de harcèlement sexuel et d’inconduite sexuelle figurant dans les DOAD ne formulent pas clairement la norme de comportement qui protège le mieux la dignité et la sécurité des militaires. Par exemple, des participants ont mentionné que les cas extrêmes de harcèlement sexuel ou d’inconduite sexuelle étaient faciles à reconnaître, mais que, dans des cas de comportements moins manifestes ou moins graves, mais tout de même offensants, il était difficile de déterminer si les définitions pertinentes s’appliquaient. Les personnes interviewées ont également indiqué qu’il était parfois difficile de faire la différence entre harcèlement sexuel et inconduite sexuelle. […] Les militaires ont également indiqué qu’ils trouvaient que les politiques étaient compliquées et qu’elles étaient inefficaces au vu de la nature systémique du harcèlement sexuelNote de fin d'ouvrage 270.

En conséquence, la juge Deschamps a émis les recommandations suivantes aux FAC :

  • Élaborer une définition simple et large du harcèlement sexuel qui englobe toutes les dimensions des relations entre les militaires au sein des FAC.
  • Élaborer une définition du terme relation personnelle préjudiciable qui traite précisément des relations entre personnes de différents grades et qui comporte une présomption de relation personnelle préjudiciable applicable lorsque les personnes en cause détiennent des grades différents, à moins qu’elles aient divulgué la relation de manière adéquate.
  • Définir l’agression sexuelle dans la politique comme un attouchement de nature sexuelle, intentionnel non consensuel.
  • Fournir du soutien sur l’exigence du consentement, spécifiquement sur l’impact de certains facteurs sur le consentement véritable, comme l’intoxication, la différence de grade et la chaîne de commandementNote de fin d'ouvrage 271.

Il s’agissait là d’une recommandation relativement simple. Pourtant, malgré un délai de

plus de cinq ans qui s’est écoulé entre la publication du rapport Deschamps et de la DOAD 9005-1, des éléments clés de cette recommandation n’ont pas été suffisamment adressés, et certains ne l’ont pas été du tout.

Du rapport Deschamps à la DOAD 9005-1

Le 30 avril 2015, peu après la publication du rapport Deschamps, l’EISF-IS a publié un plan d’action pour lutter contre les comportements sexuels inappropriésNote de fin d'ouvrage 272. Dans ce plan, l’EISF-IS a accepté en principe la recommandation de la juge Deschamps et a déclaré qu’elle « coordonnera[it] une révision approfondie des définitions destinée à simplifier la terminologie connexe, quand cela [serait] possible, et cherchera[it] à clarifier la question complexe du consentement ».

Le 14 août 2015, le CEMD de l’époque, le général Vance, a fourni une définition d’un CSDI dans l’ordre d’opération déclenchant l’opération HONOUR :

  • [...] les actions perpétuant les stéréotypes et les préjugés qui déprécient les militaires en raison de leur sexe, de leur sexualité ou de leur orientation sexuelle; le langage ou les blagues inacceptables; l’accès à du matériel de nature sexuelle ainsi que la distribution ou la publication de tel matériel en milieu de travail; les remarques offensantes à caractère sexuel; l’exploitation des relations de pouvoir aux fins d’activité sexuelle; les demandes de nature sexuelle inopportunes ou la violence verbale de nature sexuelle; la publication d’images intimes d’une personne sans son consentement, le voyeurisme, les actions indécentes, les contacts sexuels, l’exploitation sexuelle et les agressions sexuellesNote de fin d'ouvrage 273.

Après le lancement de cet ordre, les FAC ont publié trois rapports d’étape successifs sur la lutte contre les comportements sexuels inappropriés, chacun abordant la question des définitions :

  • Le 1er février 2016, dans le Premier rapport d’étape des Forces armées canadiennes sur la lutte contre les comportements sexuels inappropriés : Ce rapport soulignait que l’absence de progrès relatif à l’élaboration d’une définition de l’inconduite sexuelle était très préoccupante, étant donné sa nature fondamentale. En conséquence, les FAC se sont engagées à « effectu[er] un examen plus complet des définitions et des terminologies associées aux comportements sexuels dommageables et inappropriés » au cours du trimestre suivantNote de fin d'ouvrage 274.
  • Le 30 août 2016, dans le Second rapport d’étape des Forces armées canadiennes sur la lutte contre les comportements sexuels inappropriés : Ce rapport indiquait que les FAC avaient complété l’élaboration d’une terminologie commune relative aux CSDI, et qu’une directive du CEMD contenant une terminologie, des définitions et un lexique communs relatifs aux CSDI serait diffusée dans les semaines suivantesNote de fin d'ouvrage 275.
  • Le 28 avril 2017, dans le Troisième rapport d’étape des Forces armées canadiennes sur la lutte contre les comportements sexuels inappropriés : Ce rapport indiquait que la recommandation de la juge Deschamps concernant les définitions était « en cours de mise en œuvre » Note de fin d'ouvrage 276.

Le 27 juillet 2018, la DOAD 5019-5, Inconduite sexuelle et troubles sexuels, a été modifiéeNote de fin d'ouvrage 277. Toutefois, les définitions des troubles sexuels et de l’inconduite sexuelle sont demeurées les mêmes que dans les versions précédentes.

Dans le rapport de 2018 du BVG, on constate que peu de progrès ont été réalisés pour répondre aux préoccupations soulevées par la juge Deschamps :

  • La définition de « comportement sexuel inapproprié » donnée par l’Opération HONOUR était très large : elle englobait à peu près tout, de la blague à l’agression sexuelle. C’est donc dire que les militaires sentaient qu’il était de leur devoir de signaler tous les types d’incidents. Cela a alourdi le fardeau administratif de la chaîne de commandement qui devait gérer les plaintes.
  • […]
  • Les Forces n’ont pas non plus défini une politique unique pour communiquer clairement aux membres les définitions et les règles relatives aux comportements sexuels inappropriés, et pour leur indiquer le comportement que les Forces attendaient d’euxNote de fin d'ouvrage 278.

En mars 2019, les FAC ont présenté au CCE du CIIS un projet de message général des Forces canadiennes (CANFORGEN) contenant une définition de l’inconduite sexuelle. Toutefois, comme le BVG, le CCE avait des réserves sur la clarté et la cohérence de la définition proposée, faisant ainsi écho aux problèmes initiaux cernés dans le rapport Deschamps, et a donc émis ses réserves en détailNote de fin d'ouvrage 279.

En avril 2019, les FAC ont publié un CANFORGEN mettant à jour la définition de l’inconduite sexuelleNote de fin d'ouvrage 280. Le tout a également été codifié dans une mise à jour de la DOAD 5019-5 publiée un jour plus tôtNote de fin d'ouvrage 281. Cette définition était essentiellement la même que celle finalement adoptée dans la DOAD 9005-1, comme indiqué ci-dessous.

En mai 2019, le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense a fait une recommandation en vue de réviser et de modifier les DOAD applicables : « Elles devraient être modifiées pour que certaines définitions, comme celle du harcèlement, de l’inconduite sexuelle et des relations personnelles préjudiciables, soient revues, et pour que les notions de consentement, d’environnement de travail hostile, de traumas sexuels militaires et d’obligation de signaler soient abordées » Note de fin d'ouvrage 282.

Un peu plus tard, en juillet 2019, le CEMD a publié une édition provisoire du Manuel de l’opération HONOUR. Le manuelétait un document d’orientation, qui n’a pas la même force qu’une DOAD, un CANFORGEN ou une autre ordonnance ou un règlement. Il reprenait la définition de l’inconduite sexuelle de la DOAD 5019-5 mise à jour, mais en y ajoutant également des définitions du harcèlement sexuel et de l’agression sexuelleNote de fin d'ouvrage 283. En général, il est contre-productif de diffuser des documents secondaires non contraignants qui introduisent des éléments nouveaux ou différents dans la définition. Ceci ne fait qu’accroître la confusion autour de l’inconduite sexuelle, sans certitude quant au document qui contient la définition contraignante ou faisant autorité.

En octobre 2020, les FAC publiaient La voie vers la dignitéNote de fin d'ouvrage 284. Sans fournir de définition précise, ce document soulignait l’approche de tolérance zéro des FAC en matière d’inconduite sexuelle, et répétait la nécessité de définitions claires et d’une approche unifiée, comme indiqué dans le rapport Deschamps.

Le 18 novembre 2020, à la suite de consultations menées tout au long des années 2019 et 2020, les FAC ont remplacé la DOAD 5019-5 par ce qui est la politique actuelle, la DOAD 9005-1, Intervention sur l’inconduite sexuelle,sans toutefois abroger le Manuel de l’opération HONOUR ni la répétition qu’il fait des définitions antérieures.

DOAD 9005-1, Intervention sur l’inconduite sexuelle

Publiée le 18 novembre 2020, la DOAD 9005-1, Intervention sur l’inconduite sexuelle, constitue la réponse des FAC à la recommandation de la juge Deschamps concernant les définitions, que j’aborde ci-dessous. Cette recommandation définit l’inconduite sexuelle de manière large, comme suit :

  • Inconduite sexuelle (Sexual Misconduct)
  • Comportement à caractère sexuel qui cause ou pourrait causer des préjudices à d’autres personnes, et dont la personne savait ou aurait dû raisonnablement savoir qu’un tel comportement pourrait être préjudiciable, y compris :
    • des actes ou des mots qui dévalorisent les autres en fonction de leur sexe, de leur sexualité, de leur orientation sexuelle, ou de leur identité ou expression de genre;
    • des blagues à caractère sexuel, des commentaires sexuels, des avances à caractère sexuel ou de l’abus verbal à caractère sexuel en milieu de travail;
    • du harcèlement à caractère sexuel, incluant des rites d’initiation à caractère sexuel;
    • visualiser, accéder, distribuer ou afficher du matériel sexuellement explicite en milieu de travail; et 
    • toute infraction au Code criminel à caractère sexuel, y compris :
      • article 162 (voyeurisme, c.-à-d. subrepticement observer ou enregistrer une personne dans un lieu où la personne expose ou pourrait exposer, ses organes génitaux ou sa région anale ou ses seins, ou se livrer à une activité sexuelle explicite, ou la distribution d’un tel enregistrement);
      • article 162.1 (publication, etc. non consensuelle d’une image intime, c.-à-d. publier, distribuer, transmettre, vendre ou rendre accessible une image intime d’une autre personne sans son consentement, tel qu’un enregistrement visuel d’une personne où celle-ci figure nue, exposant ses organes génitaux, sa région anale ou ses seins, ou se livrant à une activité sexuelle explicite); et 
      • article 271 (agression sexuelle, c.-à-d. s’engager dans tout genre d’activité sexuelle avec une autre personne sans son consentement) […].
  • Nota – Les brefs résumés des articles 162, 162.1 et 271 du Code criminel sont fournis ci-dessus uniquement pour faciliter la compréhension des lecteurs. Les articles originaux du Code criminel devraient être consultés pour connaître les éléments et les autres dispositions relatives à ces infractionsNote de fin d'ouvrage 285.

La DOAD 9005-1 fournit également la définition suivante de « milieu de travail » :

  • milieu de travail (Workplace)
  • Tout lieu ou environnement de travail où s’exercent des fonctions et autres activités professionnelles et où des relations de travail entrent en jeu, notamment :
    • pendant un déplacement;
    • dans le cadre d’une conférence où la présence est sanctionnée par le MDN ou les FAC;
    • dans le cadre d’activités d’instruction ou de formation sanctionnées par le MDN ou les FAC, dans le cadre de séances d’information; ou
    • dans le cadre d’activités sanctionnées par le MDN ou les FAC, y compris des activités sociales. (Banque de terminologie de la défense, fiche numéro 43176)
  • Nota – Le milieu de travail pour les militaires peut comprendre les navires, les aéronefs, les véhicules, les bureaux, les salles de classe, les garnisons, les hangars, les mess, les salles à manger, les quartiers d’habitation, les gymnases, les clubs situés sur la base, les forums en ligne et les activités sanctionnées comme les rassemblements des fêtes et les fêtes de cours. Les militaires ne se contentent pas de servir dans les FAC, mais travaillent, socialisent et vivent souvent au sein des structures institutionnelles et sociales établies par les FACNote de fin d'ouvrage 286.

Ces définitions générales englobent ce que les FAC appellent « le spectre de l’inconduite sexuelle » sans faire de distinction entre ce qui constitue un crime, une forme de harcèlement et d’autres activités interdites.

Figure 2. Spectre d'inconduite sexuelle.

Figure 2 : Spectre d'inconduite sexuelle

Source : Résolution des conflits en milieu de travail et des cas d’inconduite et de harcèlement

  • Longue description de la figure 2. Spectre d'inconduite sexuelle

    Spectre d'inconduite sexuelle

    Environnement sain

    • Dignité et respect pour tous
    • Ordre et discipline
    • Principes éthiques les plus rigoureux
    • Responsabilisation
    • Environnement sécuritaire et rassurante

    Environnement toxiqueNote de bas de page 1

    Les comportements et les actions suivants vont d'inacceptable à criminel, et ne sont pas dans un ordre spécifique :

    • Blagues ou propos sexualisés
    • Affichage de matériel sexuellement explicite
    • Insinuations à caractère sexuel
    • Attention sexuelle non désirée
    • Pressions pour obtenir des rapports sexuels
    • Commentaires sexistes ou dégradants à caractère sexuel
    • Discrimination sexuelle
    • Inconduite sexuelle en ligne
    • Utilisation inappropriée des médias sociaux
    • Message texte/courriel/image sexuellement explicite et non sollicité
    • Relations professionnelles inappropriées
    • Partage d’images privées sans consentement
    • Outrage à la pudeur
    • Pornographie juvénile
    • Harcèlement criminel, traque, menaces
    • Exploitation sexuelle
    • Contacts sexuels
    • Voyeurisme
    • Harcèlement sexuel
    • Agression sexuelle

Enfin, la DOAD 9005-1 traite en partie des « relations personnelles préjudiciables », une question connexe qui relève davantage de la DOAD 5019-1, et qui est abordée plus en détail ci-dessous.

Ce bref historique de la DOAD 9005-1 actuelle révèle une combinaison de longues périodes d’inertie suivies d’initiatives qui ont largement négligé les conseils externes pourtant quasi unanimes fournis aux FAC à l’appui de la recommandation de la juge Deschamps. Une partie de ces conseils prônait des définitions et des processus appropriés et distincts pour adresser le harcèlement sexuel, ainsi que la fraternisation et les relations personnelles préjudiciables.

Je suis d’accord avec l’approche de la juge Deschamps, ainsi qu’avec les critiques plus récentes de la définition de « l’inconduite sexuelle » employée comme expression généraleNote de fin d'ouvrage 287. La définition large qu’en donne la DOAD 9005-1 n’est pas utile. S’il n’y a rien de mal en soi à employer « inconduite sexuelle » dans une conversation, en tant que terme définissant une infraction disciplinaire et servant de base à une politique, il manque de cohérence et de clarté. Je propose donc que les FAC abolissent la définition de « l’inconduite sexuelle » et se concentrent plutôt sur l’agression sexuelle, le harcèlement sexuel, les relations personnelles et la fraternisation. C’était la recommandation de la juge Deschamps, et pour toutes les raisons exposées ci-dessus et ci-dessous, il n’y a aucune raison de s’en écarter.

Recommandation no 1

La définition officielle de « l’inconduite sexuelle » contenue dans la DOAD 9005-1 et d’autres politiques devrait être abolie.

Agression sexuelle

En ce qui concerne les infractions sexuelles, les FAC devraient d’abord aligner leurs définitions sur le libellé du Code criminel, tel qu’interprété par la Cour suprême du CanadaNote de fin d'ouvrage 288. Il n’y a aucun intérêt à inclure l’agression sexuelle comme faisant partie de « l’inconduite sexuelle », une expression générale qui ne fait que semer la confusion.

Recommandation no 2

L’agression sexuelle devrait faire l’objet d’une définition autonome dans la section des définitions des politiques des FAC concernées, avec le libellé suivant :

  • agression sexuelle (Sexual Assault) : Attouchement de nature sexuelle intentionnel non consensuel.

Les politiques devraient enfin faire référence au Code criminel comme étant la loi applicable en matière d’agressions sexuelles.

Harcèlement sexuel

L’état actuel de la loi concernant le harcèlement sexuel dans les FAC a une histoire semblable à celle de l’inconduite sexuelle, et souffre de lacunes similaires. Elle ne reflète pas adéquatement les recommandations externes répétées au fil des ans et devrait être harmonisée avec le droit fédéral actuel.

En plus d’être mentionné dans la DOAD 9005-1, le harcèlement sexuel est également couvert par la politique des FAC sur le harcèlement. La procédure à suivre pour les plaintes de harcèlement est indiquée dans la DOAD 5012-0, Prévention et résolution du harcèlement et dans les Instructions sur la prévention et la résolution du harcèlement. La DOAD 5012-0 définit le harcèlement comme suit :

  • Comportement inopportun qui offense une autre personne en milieu de travail, y compris pendant un événement ou dans tout autre endroit associé au travail, et dont l’auteur savait ou aurait raisonnablement dû savoir qu’un tel comportement pouvait offenser ou causer préjudice. Il comprend tout acte, propos ou exhibition qui diminue, rabaisse, humilie ou embarrasse une personne, ou tout acte d’intimidation ou de menace. Il comprend également le harcèlement au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne (c.-à-d. en raison de la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’identité ou l’expression sexuelle, l’état civil, la situation de famille, les caractéristiques génétiques, la déficience ou l’état de personne graciée). Le harcèlement désigne normalement une série d’incidents, même s’il peut s’agir d’un seul incident grave qui a un impact durable sur la personne. Le harcèlement qui est sans rapport avec des motifs énoncés dans la Loi canadienne sur les droits de la personne doit viser une personne ou un groupe dont l’auteur du harcèlement sait que la personne harcelée fait partieNote de fin d'ouvrage 289.

La juge Deschamps a traité en profondeur de la question du harcèlement sexuel et a donné des directives claires quant à la voie à suivre. Elle a souligné que les six critères nécessaires pour conclure au harcèlement « réduisent considérablement la portée des comportements interdits, faisant ainsi en sorte que la définition couvre beaucoup moins de cas que bon nombre de lois provinciales sur les droits de la personne et que le droit du travail » Note de fin d'ouvrage 290. Des parties prenantes m’ont fait part de plaintes similaires.

Elle ajoute que « la définition du harcèlement sexuel que présentent les FAC est plus restreinte et plus complexe que celle de la Cour suprême du Canada »Note de fin d'ouvrage 291.

Selon la juge :

    [La définition] ne permet pas de sanctionner une variété de comportements importuns et ne permet pas d’effectuer la réforme organisationnelle qui s’impose… De même, l’exigence voulant que le comportement ait lieu dans un milieu de travail est trop restrictive. […] La restriction du harcèlement sexuel aux incidents qui surviennent en milieu de travail est artificielle compte tenu de la nature particulière des FAC en tant qu’« institution totalitaire ». Contrairement à ce qui se passe dans le cadre d’un emploi civil, les militaires ne font pas que travailler pour les FAC; ils travaillent, socialisent et souvent vivent au sein des structures institutionnelles et sociales établies par les forces arméesNote de fin d'ouvrage 292.

Elle a donc fait la recommandation suivante :

    […] la REE [responsable de l’examen externe] est d’avis que l’expression harcèlement sexuel doit être définie clairement dans la politique pertinente de manière à préciser qu’il s’agit d’un comportement différent et distinct des autres types de harcèlement liés au milieu de travail. […] Les FAC doivent supprimer de la définition les expressions envers une personne et en milieu de travail. La politique doit définir comme harcèlement tout comportement sexuel « importun », plutôt que toute conduite inopportune ou offensante. La définition doit protéger les individus contre les conséquences négatives sur le milieu de travail et contre un environnement hostile. La politique doit également préciser qu’elle s’applique à tous les moyens de communication, y compris les outils en ligne et les médias sociauxNote de fin d'ouvrage 293.

Parallèlement, dans son rapport de mai 2019, le Comité permanent du Sénat sur la sécurité nationale et la défense a déclaré ce qui suit :

  • En outre, toute la série des DOAD pertinentes (5012-0, 5019-1, 5019-5 et 9005-1) devrait être révisée en fonction des plus récentes dispositions législatives fédérales sur le harcèlement et la violence qui se produisent dans le cadre de l’emploi [...] De plus, les politiques et les directives devraient clairement indiquer que les plaignants ont la possibilité de saisir la justice à l’extérieur du système militaire, s’ils le souhaitent.
  • Plus précisément, la DOAD 5012-0 devrait être redéfinie pour couvrir le harcèlement pouvant se produire à l’extérieur du milieu de travail pour les membres des FAC, compte tenu de la nature des organisations militaires, qui sont des « institutions totalitaires » où les militaires vivent, travaillent, s’entraînent et socialisent les uns avec les autres. La DOAD 5012-0 devrait également englober :
    • le harcèlement sexuel au moyen de divers types de médias sociaux; et 
    • des exemples de comportement qui, sans être exhaustifs, aideront à comprendre ce qui constitue un harcèlement sexuel interdit, notamment :
      • la tenue de propos dénigrants faisant référence à des parties du corps;
      • les invitations ou demandes importunes de nature sexuelle;
      • les attouchements ou tapotements non nécessaires;
      • les regards lubriques jetés sur le corps d’une personne;
      • les insinuations ou railleries importunes et réitérées au sujet du corps, de l’apparence ou de l’orientation sexuelle d’une personne;
      • les propos suggestifs ou d’autres formes d’agression verbale de nature sexuelle; ou
      • l’affichage de propos ou d’images dégradants ou offensants de nature sexuelleNote de fin d'ouvrage 6.

Depuis le rapport Deschamps, la DOAD 5012-0 a été modifiée à deux reprises, d’abord en 2017, puis en 2020. Il est important de noter qu’avant le 1er janvier 2021, la DOAD 5012-0 s’appliquait à la fois aux militaires des FAC et aux employés du MDN. En conséquence, la définition du harcèlement devait respecter la Politique sur la prévention et le règlement du harcèlement en milieu de travail du Secrétariat du Conseil du Trésor. Toutefois, depuis le 1er janvier 2021, le MDN est assujetti au Règlement sur la prévention du harcèlement et de la violence dans le lieu de travail Note de fin d'ouvrage 295.en vertu de la partie II du Code canadien du travail Note de fin d'ouvrage 296.t a donc adopté la définition du harcèlement et de la violence précisée dans le Code :

  • Tout acte, comportement ou propos, notamment de nature sexuelle, qui pourrait vraisemblablement offenser ou humilier un employé ou lui causer toute autre blessure ou maladie, physique ou psychologique, y compris tout acte, comportement ou propos réglementaireNote de fin d'ouvrage 297.

Le harcèlement peut également faire l’objet d’une plainte pour atteinte aux droits de la personne auprès du TCDP, auquel cas un test objectif en trois parties est appliqué pour déterminer si la conduite faisant l’objet de la plainte constitue du harcèlement :

  • […] pour qu’une allégation de harcèlement sexuel soit fondée, les éléments suivants doivent être établis :
    1. Les actes qui constituent le fondement de la plainte doivent être importuns, ou devraient être jugés importuns par une personne raisonnable;
    2. La conduite doit être de nature sexuelle;
    3. Normalement, le harcèlement sexuel exige un degré de persistance ou de répétition, mais, dans certaines circonstances, un seul incident peut être suffisamment grave pour créer un milieu de travail hostileNote de fin d'ouvrage 298.[…].

À ce jour, les membres des FAC demeurent assujettis à la définition du harcèlement sexuel en vertu de la DOAD 5012-0 et de la DOAD 9005-1. Prises dans leur totalité, les deux définitions énoncées dans ces politiques sont en deçà de la recommandation de la juge Deschamps, un constat soulevé par le Comité permanent du Sénat dans son rapport de 2019. De plus, ni l’une ni l’autre ne sont conformes aux définitions du Code canadien du travail ni à la jurisprudence du TCDP.

Plutôt que de répéter en détail les appels que d’autres ont lancés, je recommande que les FAC adoptent simplement la définition du harcèlement du Code canadien du travail, qui inclut le harcèlement sexuel, conformément à ce que font le MDN et le reste de la fonction publique fédérale.

Je couvrirai plus en détail l’interprétation de cette définition dans la section portant sur les plaintes.

Recommandation no 3

Les politiques pertinentes des FAC devraient adopter la définition du harcèlement du Code canadien du travail.

Relations personnelles et fraternisation

Il s’agit du dernier domaine dans lequel les FAC réglementent la conduite sexuelle. C’est là que l’on s’écarte de ce à quoi la plupart des Canadiens non militaires sont soumis, même au travail. En outre, il existe une confusion considérable tant dans la nature exacte des interdictions que dans l’application de ce que de nombreux militaires appellent simplement « frat » (en anglais).

La DOAD 5019-1, Relations personnelles et fraternisation, publiée initialement en décembre 2004 et modifiée en dernier lieu en juillet 2014, fournit les définitions suivantes :

  • Fraternisation : Toute relation entre un militaire et une personne appartenant à une force ennemie ou belligérante ou entre un militaire et une personne habitant dans la région d’un théâtre d’opérations où sont déployés des militaires.
  • Relation personnelle : Une relation affective, romantique, sexuelle ou familiale, y compris le mariage, l’union de fait et l’union civile, entre deux militaires ou un militaire et un employé ou un entrepreneur du MDN ou un militaire d’une force alliée.
  • Relations personnelles préjudiciables : Quand une relation personnelle nuit à la sécurité, à la cohésion, à la discipline ou au moral d’une unité, elle est considérée comme préjudiciableNote de fin d'ouvrage 299.

La notion de relations personnelles préjudiciables est également résumée dans la DOAD 9005-1 :

  • Une « relation personnelle préjudiciable » s’entend d’une relation personnelle qui nuit à la sécurité, à la cohésion, à la discipline ou au moral d’une unité. Conformément à la DOAD 5019-1, Relations personnelles et fraternisation, des mesures administratives doivent être prises pour séparer les militaires qui sont dans une relation personnelle préjudiciable. Des restrictions peuvent également être imposées en ce qui concerne les fonctions ou les affectations des militaires engagés dans une relation personnelle, si les circonstances peuvent entraîner une relation entre un instructeur et un stagiaire qui pourrait affecter la sécurité, le moral, la cohésion et la discipline d’une unité, ou une relation personnelle entre un supérieur et un subordonné ou entre gradés dans la même chaîne de commandement direct, quand les grades ou pouvoirs sont différentsNote de fin d'ouvrage 300.

Les commandants d’unité ou d’opération disposent d’un pouvoir discrétionnaire considérable dans l’application de ces dispositions.

Dans le cas de la fraternisation (relations avec un non-allié), celle-ci n’est pas interdite en tant que telle, mais peut être restreinte ou interdite par des dispositions sur le théâtre d’opérations. La DOAD 5019-1 prévoit :

  • La fraternisation peut nuire à l’efficacité opérationnelle d’une unité, en raison des risques qu’elle peut parfois poser à la sécurité, au moral, à la cohésion et à la discipline. Les commandants de force opérationnelle doivent diffuser des ordres et des directives sur la fraternisation qui conviennent à la situation dans leur zone d’opérationsNote de fin d'ouvrage 301.

Aucune directive n’est toutefois fournie pour les situations où le commandant de la force opérationnelle est la personne impliquée dans la fraternisation.

De même, les relations personnelles ne sont pas interdites en tant que telles. En fait, au fil des ans, de nombreux militaires se sont mariés ou ont tissé des relations à long terme. Plusieurs ont des enfants ou des frères et sœurs qui sont aussi membres des FAC. Les militaires qui entretiennent une relation personnelle doivent cependant éviter toute conduite qui pourrait être jugée non professionnelle dans un contexte militaire. Ainsi, un militaire en uniforme qui se trouve avec une autre personne en public ne doit pas :

  1. lui tenir la main;
  2. l’embrasser, sauf pour la saluer et lui dire au revoir; ou
  3. la caresser ou la tenir tendrement dans ses brasNote de fin d'ouvrage 302.

Malheureusement, les orientations sur ce qui constitue une relation personnelle « préjudiciable » sont moins claires. En ce qui concerne les déséquilibres de pouvoir, la DOAD 5019-1 stipule que dans le but de protéger les militaires qui sont dans une situation de vulnérabilité et pour assurer un traitement équitable, on peut imposer certaines restrictions en ce qui concerne les fonctions ou les affectations des militaires engagés dans une relation personnelle, lorsque les circonstances pourraient donner lieu à une relation instructeur et stagiaire ou à une relation personnelle dans la même chaîne de commandement directe, quand les grades ou pouvoirs sont différentsNote de fin d'ouvrage 303. Mais, encore une fois, on n’interdit pas ces types de relations en tant que telles.

La DOAD 5019-1 ne fournit pas non plus une liste exhaustive des types de restrictions qui peuvent être imposées. Cependant, elle prévoit qu’un militaire dans une relation personnelle ne doit pas, quel que soit son grade ou ses fonctions, intervenir dans la vie professionnelle de l’autre personne notamment dans :

  1. les évaluations du rendement et les rapports avec l’autorité, y compris les vérifications et les évaluations de l’instruction;
  2. les affectations, mutations et affectations temporaires;
  3. l’instruction individuelle et l’éducation;
  4. les fonctions et horaires de travail;
  5. les documents et dossiers;
  6. les procédures de grief;
  7. les procédures de libérationNote de fin d'ouvrage 304.

Les militaires doivent aviser leur chaîne de commandement de toute relation personnelle qui pourrait « nuire aux objectifs » de la DOAD 5019-1, lesquels sont :

  1. la prévention de l’érosion de l’autorité légitime;
  2. le maintien de l’efficacité opérationnelle;
  3. la protection des militaires et autres personnes vulnérables;
  4. le maintien de normes générales de conduite professionnelle et éthique;
  5. la suppression des effets qui nuisent à l’efficacité opérationnelle de l’unitéNote de fin d'ouvrage 305.

Je trouve cela problématique. Les militaires engagés dans une relation personnelle peuvent en effet ne pas être en mesure de déterminer si leur relation pourrait avoir « un effet négatif sur la sécurité, la cohésion, la discipline ou le moral d’une unité », ou pourrait autrement « nuire » à l’un ou à tous les objectifs énoncés ci-dessus. De plus, bien qu’il soit utile de signaler que les relations instructeur et stagiaire et les relations entre superviseur et subordonné directes ou indirectes pourraient nécessiter une attention particulière, on en revient toujours au problème fondamental selon lequel les personnes impliquées dans la relation ne sont peut-être pas les mieux placées pour évaluer si la relation est préjudiciable, et doit donc être divulguée.

Le problème n’est pas seulement théorique. Des membres des FAC ont été poursuivis à la fois lors de procès sommaires et en cour martiale pour avoir omis de divulguer une relation jugée « préjudiciable ». L’exemple le plus médiatisé est sans doute l’affaire en cour martiale du commandant Nord MensahNote de fin d'ouvrage 306. Le commandant Mensah a plaidé coupable d’une accusation en vertu de l’article 129 de la LDN (conduite préjudiciable au bon ordre et à la discipline) pour avoir omis de signaler une relation avec une officière subordonnée. À l’époque, le commandant Mensah était le commandant de l’officière qui le percevait comme un mentor et il était responsable de la rédaction de ses rapports d’appréciation du personnel.

Au niveau du procès sommaire, 35 tels procès ont eu lieu depuis 2015 concernant la fraternisation ou les relations personnelles préjudiciables, selon les données du CJAG Une série de sanctions, dont des avertissements, des réprimandes et des amendes, ont été imposées aux personnes reconnues coupables de ne pas avoir signalé une relation personnelle préjudiciableNote de fin d'ouvrage 307.

Outre les poursuites pour non-divulgation d’une relation, lorsqu’un commandant considère qu’une relation personnelle est « préjudiciable », les militaires concernés peuvent subir des conséquences supplémentaires. Conformément à la DOAD 5019-1, « on doit prendre des mesures administratives pour éloigner les militaires qui sont engagés dans une relation personnelle préjudiciableNote de fin d'ouvrage 308 ». De plus, « si une relation personnelle préjudiciable ne peut être modifiée à l’intérieur de l’unité ou de la sous-unité des militaires qui entretiennent une relation entre superviseur et subordonné, ils doivent être séparés au moyen d’une affectation temporaire, d’une affectation, d’une autre attribution de tâches ou d’une autre mesureNote de fin d'ouvrage 309 ». Bien que l’objectif ne soit pas de punir ou de stigmatiserNote de fin d'ouvrage 310. il existe évidemment un risque que de telles mesures aient un impact disproportionné sur les militaires de grade inférieur, y compris en affectant leur progression de carrière.

Malgré la recommandation claire de la juge Deschamps « [d’]élaborer une définition du terme relation personnelle préjudiciable qui traite précisément des relations entre personnes de différents grades et qui comporte une présomption de relation personnelle préjudiciable applicable lorsque les personnes en cause détiennent des grades différents, à moins qu’elles aient divulgué la relation de manière adéquate », aucun changement n’a été apporté à la DOAD 5019-1.

Lors de sa comparution devant le Comité permanent de la condition féminine (FEWO) le 25 mars 2021, la juge Deschamps a abordé la confusion persistante entourant les relations intimes dans les FAC :

  • Mon deuxième point porte sur le manque de clarté des politiques et procédures relatives aux relations intimes. Je crois savoir que l’actuel chef d’état-major de la défense par intérim a mentionné cet aspect. À ce sujet, je me réfère à la section 6.2 de mon rapport, où j’ai indiqué que les politiques devaient être précisées afin de traiter plus explicitement des inégalités de pouvoir, notamment en créant une présomption administrative selon laquelle les relations personnelles constituent des relations personnelles préjudiciables à moins d’avoir fait l’objet d’une divulgation adéquate.
  • À ma connaissance, la politique sur les relations personnelles – la DOAD 5019-1 – n’a pas été modifiée.
  • Le texte de cette politique est source de confusion. En raison de la structure organisationnelle des Forces armées canadiennes, il y a un risque inhérent d’abus de pouvoir. C’est ce à quoi ma recommandation concernant la présomption de relations préjudiciables voulait remédier. Je ne peux que noter qu’il semble y avoir eu un manque de volonté de changement, en 2015. J’espère que le message est clair maintenantNote de fin d'ouvrage 311.

Dans le rapport annuel 2016–17 du CIIS, les relations personnelles préjudiciables faisaient partie de la définition du comportement sexuel inapproprié. Il ressort également de mes discussions avec les parties prenantes que les concepts de fraternisation ou « frat » et de relations personnelles préjudiciables sont encore mal compris. Les définitions actuelles contribuent donc à la confusion qui entoure le concept d’« inconduite sexuelle. » La fraternisation et les relations personnelles préjudiciables sont traitées distinctement de l’inconduite sexuelle dans les politiques des FAC, mais font partie du même spectre ailleursNote de fin d'ouvrage 312.

L’inaction suite aux directives pourtant claires et convaincantes données par la juge Deschamps en ce qui concerne les relations personnelles entre les membres des FAC est déplorable. Le cadre réglementaire existant ne permet pas de saisir l’aspect le plus problématique de ce domaine, à savoir l’abus de pouvoir potentiel qui peut survenir lorsque les relations dans une telle hiérarchie de contrôle ne sont pas adéquatement divulguées.

La situation actuelle enfreint également le principe de légalité qui exige clarté et certitude dans la formulation de la conduite interdite. Les circonstances dans lesquelles les membres des FAC devraient informer leur chaîne de commandement qu’ils entretiennent une relation personnelle ne sont souvent pas à leur portée. Selon la définition actuelle, l’aspect « préjudiciable » d’une relation ne peut être établi qu’après coup, par un tiers (un commandant) qui décide qu’elle « nui[t] à la sécurité, à la cohésion, à la discipline ou au moral d’une unité »Note de fin d'ouvrage 313.

L’inertie entourant la clarification de cette question relativement simple coïncide avec l’intérêt de membres hauts gradés qui ont le plus à perdre en réglementant cette question adéquatement, et en faisant respecter la réglementation en conséquence.

La fraternisation et les relations personnelles préjudiciables dans les FAC requièrent un ensemble unique de règlements. Il existe clairement de bonnes raisons de réglementer les relations intimes sur un théâtre d’opérations. Il existe également des raisons tout aussi valables de réglementer avec clarté une situation inévitable – soit que les membres des FAC auront des relations amoureuses et sexuelles entre eux ou avec des civils du MDN. Il s’agit là d’une certitude qui ne pose pas de problème en soi. Toutefois, la situation doit être gérée correctement, non seulement dans le meilleur intérêt des FAC, mais afin de protéger ses membres les plus vulnérables.

Étant donné la nature des FAC comme institution hautement hiérarchisée, le risque de répercussions résultants des relations personnelles au sein d’une même unité ou d’un même milieu de travail est exacerbé comparativement à de nombreux autres milieux de travail. De plus, compte tenu du pouvoir associé aux différences de grades, du nombre proportionnellement plus faible de femmes, de leur concentration dans les grades inférieurs, et du long historique de discrimination et d’inconduite sexuelle dans les FAC, une protection supplémentaire est clairement nécessaire. Une présomption réfutable devrait être formulée clairement selon laquelle, une relation intime impliquant des membres de grades différents n’est pas consensuelle à moins d’être adéquatement divulguée, et toute conséquence négative de la non-divulgation devrait être appliquée principalement au membre de grade supérieur.

C’est ce que la juge Deschamps a recommandé. À ce que je peux voir, rien n’a été fait pour adresser cette recommandation. Si les dirigeants des FAC ne sont pas d’accord, qu’ils le disent.

Recommandation no 4

La définition actuelle d’une relation personnelle doit être maintenue :

  • Une relation personnelle est : Une relation affective, romantique, sexuelle ou familiale, y compris le mariage, l’union de fait et l’union civile, entre deux militaires ou un militaire et un employé ou un entrepreneur du MDN ou un militaire d’une force alliée.

Le concept de « relation personnelle préjudiciable » devrait quant à lui être aboli. Tout membre des FAC ayant une relation personnelle avec un autre membre devrait en informer sa chaîne de commandement.

Les commandants devraient disposer de lignes directrices adéquates sur la manière de gérer les situations portées à leur attention. Selon le cas, ils pourraient décider de ne rien faire, d’accommoder la relation grâce à des mesures déjà disponibles ou, si nécessaire, de faire en sorte que les membres aient peu d’interactions professionnelles entre eux. Il existe, bien entendu, toute une série de mesures intermédiaires qui pourraient être appropriées pour protéger les meilleurs intérêts de l’organisation, des personnes impliquées et des autres parties prenantes.

Si une relation personnelle non divulguée est mise au jour entre des membres de grades différents, ou dans une situation où il existe autrement un déséquilibre de pouvoir, il devrait y avoir une présomption réfutable que la relation n’était pas consensuelle. Toute conséquence négative devrait alors viser principalement le membre le plus haut gradé ou autrement en position de pouvoir.

Consentement

Voilà qui m’amène à la question du consentement.

La juge Deschamps a recommandé que les FAC fournissent « du soutien sur l’exigence du consentement, spécifiquement sur l’impact de certains facteurs sur le consentement véritable, comme l’intoxication], la différence de grade et la chaîne de commandement » Note de fin d'ouvrage 314.

Ce volet de sa recommandation a été adressée dans la DOAD 9005-1, qui fournit l’interprétation suivante du consentement :

  • Le terme "consentement" s’entend de l’accord volontaire, continu et positif de se livrer à l’activité sexuelle en question. La soumission ou la passivité ne constitue pas un consentement au sens de la loi. Aux fins de l’application du Code criminel, aucun consentement n’est obtenu si :
    1. l’accusé incite la victime à l’activité par abus de confiance, de pouvoir ou d’autorité;
    2. la victime est inconsciente;
    3. la victime est incapable de consentir à l’activité pour toute autre raison que celle d’être inconsciente, y compris en raison d’une intoxication;
    4. la victime se soumet ou ne résiste pas en raison de l’emploi de la force ou de menaces d’emploi de la force ou en raison d’une fraude;
    5. la victime manifeste, par ses paroles ou son comportement, un désaccord à l’activité;
    6. la victime, après avoir consenti à l’activité sexuelle, manifeste par ses paroles ou son comportement, un désaccord à la poursuite de celle-ci; ou
    7. l’accord est manifesté par des paroles ou par le comportement d’une personne autre que la victime.
  • Nota – Le résumé du terme « consentement » ci-dessus est fourni uniquement pour faciliter la compréhension des lecteurs. Les articles originaux du Code criminel et les principes applicables de la common law devraient être consultés directement, le cas échéantNote de fin d'ouvrage 315.

Je crois que cette définition répond adéquatement à la recommandation de la juge Deschamps, ainsi qu’aux recommandations faites par le CCE. J’ajoute simplement que dans le cadre d’une relation personnelle, cette définition doit être adaptée, car dans ce cas, elle doit couvrir la relation entière, pas seulement les activités sexuelles.

Conclusion

Il n’est pas difficile de comprendre pourquoi il existe encore de la confusion à l’égard des politiques des FAC sur l’inconduite sexuelle. La multiplicité des « nouvelles » définitions, éparpillées dans de multiples documents de politique, a sans doute contribué aux interprétations confuses actuelles. De plus, l’insistance des FAC d’employer un concept général d’« inconduite sexuelle », plutôt que de recourir à des définitions claires et distinctes comme l’a recommandé la juge Deschamps, ne fait qu’ajouter à la confusion (en plus de faire l’amalgame entre toutes les inconduites sexuelles, reléguant ainsi une conduite aussi grave qu’une agression sexuelle au même niveau que des questions moins graves comme les blagues sexualisées).

De nombreuses parties prenantes – y compris des victimes et des personnes chargées de l’administration des enquêtes, des plaintes et des griefs – m’ont dit que cette confusion entraîne des problèmes. Elle vient brouiller les cartes quant à la manière de naviguer dans le système, en particulier lorsque la conduite peut relever de plusieurs catégories, et empêche la mise en place de voies de recours claires et prévisibles. Je discuterai de ces questions plus loin, dans les sections portant sur la justice militaire, les plaintes, l’aide aux victimes et le CIIS.

Justice militaire

En vertu du mandat qui m’a été confié, je dois examiner « les politiques, procédures et pratiques en place dans le système de justice militaire pour répondre aux allégations de harcèlement et d’inconduite sexuelle » et formuler des recommandations au sujet de « tout élément du système de justice militaire qui pourrait nuire au signalement des cas de harcèlement ou d’inconduite sexuelle ou à la façon d’y réagir »Note de fin d'ouvrage 316.

Le 18 mars 2022, deux jours avant la date prévue pour la remise de mon rapport provisoire à la ministre, j’ai reçu pour la première fois une copie des résultats de la consultation sur la Déclaration des droits des victimes, qui portait sur les expériences récentes des membres des FAC face au système de justice militaireNote de fin d'ouvrage 317. Les conclusions du rapport sur la consultation, daté de janvier 2022, font largement écho à ce que j’ai entendu de la part de nombreuses parties prenantes au cours de mon examen, et c’est ce que j’expose ci-dessous.

Compétence en matière d’infractions sexuelles

Comme mentionné plus haut, les FAC se sont vu accorder pour la première fois une compétence en matière d’infractions sexuelles en 1998. Auparavant, les agressions sexuelles, y compris les agressions sexuelles graves et les agressions sexuelles armées ainsi que certaines infractions d’enlèvement d’enfants, étaient soumises à la compétence exclusive des tribunaux civils de juridiction criminelle lorsqu’elles avaient lieu au Canada. Après l’adoption du projet de loi C-25, le système militaire a obtenu une compétence concurrente, non exclusive, relativement à ces infractions. Comme expliqué précédemment, cette décision était motivée par le désir d’améliorer l’efficacité, la discipline et le moral des FACNote de fin d'ouvrage 318.

Aujourd’hui, non seulement cet objectif n’a pas été atteint, mais le traitement de l’inconduite sexuelle par la justice militaire a érodé la confiance et le moral au sein de l’organisation. Cet échec systémique résulte de la combinaison de nombreux facteurs qui sont entrés en jeu au fil du temps et dans différentes parties de l’organisation.

Les changements en matière de compétence se sont produits parallèlement à des réformes progressives visant à améliorer l’indépendance du système de justice militaireNote de fin d'ouvrage 319. Comme l’a fait remarquer le juge Fish dans son examen récent du système de justice militaire :

  • À ses débuts, le système de justice militaire était « un modèle de discipline centré sur le commandement qui offrait de faibles garanties procédurales ». Historiquement, la chaîne de commandement a maintenu un rôle important dans le système de justice militaire. Cependant, avec le temps, les acteurs prenant part aux enquêtes et aux procédures judiciaires relatives aux infractions d’ordre militaire graves se sont vu accorder une plus grande indépendance par rapport à la chaîne de commandementNote de fin d'ouvrage 320.

Les progrès ne se sont pas toujours produits rapidement. Dans de nombreux cas, la mise en œuvre des recommandations a pris plusieurs années ou n’a pas du tout eu lieu. Par exemple, le juge Fish a fait remarquer que le juge en chef Antonio Lamer avait recommandé la création d’une cour militaire permanente en 2003. Bien que certaines modifications aient été apportées à cette recommandation, la suggestion de base n’avait toujours pas été prise en compte au moment de la publication du rapport Fish en 2021. À cet égard, le juge Fish a d’ailleurs déclaré : « Les propos du juge en chef Lamer sont aussi vrais aujourd’hui qu’ils l’étaient en 2003. » De même, les juges en chef Lamer et Patrick J. LeSage ont tous deux recommandé que l’article 129 de la LDN soit modifié afin de clarifier les éléments constitutifs d’une infraction de « conduite préjudiciable au bon ordre et à la discipline »Note de fin d'ouvrage 321. Mais là encore, aucune tentative de mise en œuvre des recommandations n’a été faite. D’autres exemples semblables abondentNote de fin d'ouvrage 322.

Il n’est sans doute pas surprenant que le rapport Fish ait constaté que de sérieuses questions se posent encore en ce qui concerne l’indépendance des acteurs de la justice militaire, qui comprennent la PM, le DPM, le directeur – Service d'avocats de la défense (DSAD) et les juges militairesNote de fin d'ouvrage 323.

Au cours de mon examen, j’ai entendu des préoccupations semblables concernant à la fois l’indépendance et la compétence du système de justice militaire en matière d’infractions sexuelles. En octobre 2021, j’ai présenté au ministre la recommandation provisoire suivante : que la recommandation no 68 du juge Fish soit mise en œuvre immédiatement et que toutes les agressions sexuelles et autres infractions criminelles de nature sexuelle en vertu du Code criminel, y compris les infractions sexuelles de nature historique, alléguées à l’encontre d’un membre des FAC, passé ou actuel, soient référées aux autorités civiles.

Pour les raisons expliquées en détail ci-dessous, je vais maintenant exposer plus en profondeur ma recommandation provisoire. Je recommande qu’à l’avenir, toutes les infractions sexuelles prévues par le Code criminel fassent l’objet d’enquêtes et de poursuites menées exclusivement par des autorités civiles et que toutes les accusations soient déposées devant des tribunaux civils.

Processus d’enquête

Enquêtes disciplinaires d’unité

La première étape d’une enquête sur une inconduite est souvent une enquête menée par l’unité. Lorsqu’une unité est informée d’allégations à l’encontre de l’un de ses membres, une enquête doit être menée pour déterminer les mesures appropriées. Les commandants sont tenus de consulter le conseiller juridique de leur unité pour déterminer le type d’enquête appropriéNote de fin d'ouvrage 324. Il peut s’agir d’une enquête disciplinaire d’unité, d’une enquête administrative ou d’une enquête pour harcèlement. En théorie, les enquêtes d’unité attendent généralement que toute enquête de police en cours soit terminée. Toutefois, il peut arriver qu’une enquête d’unité débute et révèle un comportement qui nécessite une enquête policière.

Selon l’Aide-mémoire sur les accusations :

  • Une enquête disciplinaire est menée conformément à la référence A afin de déterminer si une infraction d’ordre militaire a été commise. L’enquête devra au minimum recueillir toutes les preuves raisonnablement disponibles qui ont une incidence sur la culpabilité ou l’innocence de la personne mise en cause, et identifier les auteurs et les éléments déterminants de l’infraction qui pourraient justifier une accusationNote de fin d'ouvrage 325.

L’Aide-mémoire sur les accusations présente en termes généraux l’approche d’un commandant ou d’un enquêteur disciplinaire d’unité, depuis le dépôt de la plainte jusqu’à l’accusation. Il établit clairement que, dans certaines circonstances, une enquête disciplinaire menée par l’unité sera la première étape pour déterminer si une infraction d’ordre militaire a été commise et qu’elle ne doit pas impliquer la PM à ce stadeNote de fin d'ouvrage 326.

L’Aide-mémoire sur les accusations précise que « lorsqu’un doute existe afin de déterminer si une enquête doit être remise entre les mains de la police militaire, le conseiller juridique de l’unité ou la police militaire devrait être immédiatement consulté »Note de fin d'ouvrage 327. On m’a dit qu’en général, s’il y a le moindre signe d’inconduite sexuelle, la PM intervient. Si l’affaire est grave, elle est immédiatement transmise au SNEFC. Il n’en demeure pas moins que le déclenchement d’une enquête au niveau de l’unité crée des risques de contamination des preuves, d’incapacité à maintenir une chaîne de possession claire des preuves et d’interrogatoire inapproprié des témoins, et suscite de sérieuses préoccupations dans toute enquête criminelle.

Grand prévôt des Forces canadiennes

Le GPFC est nommé par le CEMD. En plus d’assumer ses responsabilités générales, le GPFC exerce également le commandement du Gp PM FC et supervise l’ensemble de la PM des FAC. Cela englobe les unités de la PM générale rattachées aux commandements d’armée et des forces d’opérations spéciales, le SNEFC et d’autres unités spécialisées de la PM, comme l’École de la Police militaire.

Tout candidat au poste de GPFC doit être un officier et doit avoir été membre de la PM pendant au moins dix ans. Le GPFC détient un grade au moins égal à celui de colonel; l’actuel GPFC est brigadier-général, conformément à la recommandation du juge Fish selon laquelle le GPFC devrait détenir un grade d’officier généralNote de fin d'ouvrage 328. Le GPFC est notamment responsable :

  1. des enquêtes menées par toute unité sous son commandement (y compris le SNEFC);
  2. de l’établissement des normes de sélection et de formation applicables aux candidats policiers militaires et de l’assurance du respect de ces normes;
  3. de l’établissement des normes professionnelles et de formation applicables aux policiers militaires et de l’assurance du respect de ces normes;
  4. des enquêtes relatives aux manquements à ces normes professionnelles ou au Code de déontologie de la police militaireNote de fin d'ouvrage 329.

Le Gp PM FC « fournit des services professionnels de police, de sécurité et de détention aux FAC et au MDN, et ce, à l’échelle mondiale et dans l’ensemble du spectre des opérations militaires »Note de fin d'ouvrage 330. Bref, il exerce quatre fonctions de base pour les FAC : police, sécurité, détention et soutien aux commandants d’arméeNote de fin d'ouvrage 331. Un policier militaire a les pouvoirs d’un agent de la paix à l’égard de toute personne justiciable du Code de discipline militaire et peut arrêter sans mandat une telle personne, commettant ou soupçonnée d’avoir commis une infraction militaireNote de fin d'ouvrage 332. Les officiers des FAC ne faisant pas partie de la PM ont également des pouvoirs d’arrestation sans mandat pour les infractions d’ordre militaireNote de fin d'ouvrage 333.

En dehors de certaines unités spécialisées, comme le SNEFC, on reconnaît que les policiers militaires ont un « double rôle ». Cela signifie qu’ils relèvent parfois de l’autorité de commandants qui ne sont pas de la PM lorsqu’ils exercent des fonctions militaires générales, et qu’ils relèvent seulement de la chaîne de commandement de la PM lorsqu’ils exercent des fonctions d’application de la loiNote de fin d'ouvrage 334. En particulier :

    Les policiers militaires déployés dans le cadre d’une opération doivent obéir à tous les ordres légitimes donnés par le commandant de l’opération et se conformer aux règles d’engagement (RE) applicables régissant l’usage de la force dans le but d’atteindre des objectifs militaires, comme les autres membres des FAC. Les policiers militaires ne remettent en question les ordres qui leur sont donnés que si ceux-ci soulèvent des inquiétudes quant à leur indépendance policièreNote de fin d'ouvrage 335. [traduit par nos soins]

Le GPFC relève du VCEMD, qui peut lui donner des instructions et des lignes directrices concernant ses responsabilités, ou concernant une enquête en particulierNote de fin d'ouvrage 336.

Le juge Fish s’est dit préoccupé par ces restrictions à l’indépendance du GPFC. Il a recommandé que la LDN soit modifiée de manière à ce que le GPFC soit nommé par le gouverneur en conseil (GC), plutôt que par le CEMD, et qu’il relève du ministre, plutôt que du VCEMD. Il a également recommandé que ni le ministre ni le CEMD ou le VCEMD ne soient autorisés à ordonner la conduite d’enquêtes particulièresNote de fin d'ouvrage 337.

Je conviens que ces changements sont nécessaires pour fournir des garanties formelles d’indépendance au GPFC à l’égard de la chaîne de commandement, qui relève de sa compétence en matière d’enquête.

Il ne s’agit pas d’une préoccupation purement formelle ou théorique. Les récentes allégations d’inconduite sexuelle commise par des officiers supérieurs des FAC, qui ont fait l’objet d’enquêtes menées par la PM, ont mis en évidence les problèmes de l’état actuel des choses.

Outre les questions juridiques qui compromettent l’indépendance du GPFC, un problème découle également de la petite taille du groupe des officiers généraux et des officiers supérieurs. Le GPFC, un brigadier-général, fait partie des quelque 140 officiers généraux. Parmi ce petit groupe d’officiers supérieurs, beaucoup se connaissent bien. Plusieurs sont des anciens des collèges militaires. Certains ont travaillé ensemble. D’autres ont occupé des postes de commandement ou de subordination les uns par rapport aux autres au cours de leur carrière. Par conséquent, un bon nombre d’entre eux ont tissé des liens solides de loyauté et de fraternité lorsqu’ils atteignent le grade d’officier général, tout en étant encore en concurrence les uns avec les autres pour des possibilités de promotion moins nombreuses.

Les MR sont d’avis que les officiers font bande à part et peuvent être enclins à se soutenir les uns les autres, plutôt que les personnes qui ne font pas partie des leurs, même les victimes. Par exemple, ils ont l’impression que le corps des officiers, et les officiers généraux en particulier, protégeront d’abord leurs pairs et appliqueront ensuite les règles de manière impartiale. Au cours de mon examen, j’ai entendu de nombreuses critiques de ce genre tant de la part des MR que des officiers.

Des événements récents ont mis ce problème en évidence. Un ancien CEMD aurait dit qu’il « possédait » le SNEFC et qu’il était « intouchable »Note de fin d'ouvrage 338. Que les remarques qui lui ont été attribuées soient vraies ou non, elles reflètent ce que beaucoup pensent. Cette perception n’est pas sans fondement. Le CEMD nomme le GPFC et peut donner des ordres au VCEMD, qui lui-même est habilité à donner des ordres au GPFC, et ainsi de suite dans la chaîne de commandement de la PM. L’article 18.5 de la LDN dispose ce qui suit :

  • Direction générale

    18.5 (1) Le grand prévôt exerce les fonctions visées aux alinéas 18.4a) à d) sous la direction générale du vice-chef d’état-major de la défense.

  • Lignes directrices et instructions générales

    (2) Le vice-chef d’état-major de la défense peut, par écrit, établir des lignes directrices ou donner des instructions générales concernant les fonctions visées aux alinéas 18.4a) à d). Le grand prévôt veille à les rendre accessibles au public,

  • Lignes directrices et instructions spécifiques

    (3) Le vice-chef d’état-major de la défense peut aussi, par écrit, établir des lignes directrices ou donner des instructions à l’égard d’une enquête en particulier.

Le juge Fish a recommandé que l’article 18.5(3) soit abrogé et que l’autorité de surveillance du VCEMD soit remplacée par celle du ministre. Je souscris à cette recommandation.

Le GPFC et la VCEMD m’ont assuré que des instructions concernant des enquêtes précises n’ont jamais été et ne seront jamais données. Bien qu’elle ait le pouvoir légal de le faire, la VCEMD m’a dit croire que si elle essayait d’influencer ou de diriger le GPFC dans une situation particulière, elle pourrait être accusée d’ingérence indue dans des activités policières devant la CPPMNote de fin d'ouvrage 339. L’article 250.19 de la LDN précise que « sont assimilés à l’entrave l’intimidation et l’abus d’autorité »Note de fin d'ouvrage 340. Je doute que l’exercice des pouvoirs de la VCEMD en vertu de l’article 18.5 de la LDN puisse représenter une « entrave » à une enquête de la PM, mais le simple fait que la VCEMD le pense ajoute de la crédibilité à son point de vue.

Pourtant, le GPFC semble plus préoccupé par sa relation avec ses supérieurs. Lorsqu’on lui a demandé d’enquêter sur une affaire concernant le VCEMD de l’époque, il a répondu comme suit :

  • J’ai examiné de plus près votre demande ci-dessous et j’en ai discuté avec le commandant du SNEFC. Je crains un conflit d’intérêts potentiel (réel ou perçu) dans l’examen de l’affaire présentée ci-dessous pour deux raisons principales : ma relation de « supervision générale » avec le VCEMD et, plus important encore, le fait que l’affaire/la situation ne corresponde pas au niveau de service ou d’infraction(s) criminelle(s). Pour ces raisons, et afin de préserver l’indépendance de mon bureau en ce qui concerne les questions policières, je n’enquêterai pas sur l’affaire et je recommande que les faits que vous cherchez à... soient plutôt établis par le SMA(SE)Note de fin d'ouvrage 341. [traduit par nos soins]

La première raison invoquée par le GPFC pour refuser d’enquêter est en contradiction avec son témoignage devant le FEWO, dans lequel il a assuré aux députés que son commandement enquêterait sur tout officier « peu importe son grade ou son statut »Note de fin d'ouvrage 342. Il est peut-être facile d’affirmer cela en théorie, mais je crois que, lorsqu’il a été confronté à la réalité, le GPFC a correctement reconnu le conflit d’intérêts devant lequel il se retrouvait.

Il va sans dire que des problèmes semblables, sinon pires, se poseraient si le GPFC devait enquêter sur le CEMDNote de fin d'ouvrage 343. En effet, c’est le CEMD qui le nomme et qui devrait approuver ses promotions ultérieures. Le CEMD est, bien sûr, le supérieur immédiat du VCEMD, dont relève le GPFC. Cette structure est problématique dans le meilleur des cas. Lorsque des questions délicates, comme l’inconduite sexuelle, sont soulevées, la structure est tout simplement inapplicable.

Les enquêtes internes de la PM ou du SNEFC sur l’inconduite sexuelle posent d’autres problèmes, bien que mes préoccupations à cet égard aient été écartées lorsque je les ai présentées aux membres de la PM et du SNEFC. Un de ces problèmes est la difficulté pour un policier militaire d’enquêter sur une personne dont le grade est supérieur au sien. On m’a dit que les enquêteurs peuvent choisir de ne pas porter d’uniforme pendant un entretien, de sorte que le grade ne pose pas de problème. Compte tenu de la grande déférence pour le grade dans les FAC, je ne suis pas persuadée que cette préoccupation puisse être écartée aussi facilement.

L’autre problème, connexe, survient lorsque les victimes sont interrogées par une personne dont le grade peut être supérieur au leur. Cela va au-delà du problème courant posé par le fait d’être interrogée par un homme, qui peut être suffisamment compétent ou non dans l’utilisation des techniques d’entrevue tenant compte des traumatismes. Ici encore, la différence de rang peut accroître le niveau d’intimidation et de réticence que les victimes peuvent ressentir dans un processus qui est déjà difficile.

Ces problèmes tendent à se renforcer mutuellement. L’absence officielle d’indépendance entretient l’impression que les dirigeants supérieurs des FAC contrôlent la PM – et par là même toute enquête sur l’inconduite sexuelle. En plus de la hiérarchie omniprésente, les réseaux informels de loyauté et de fraternité renforcent le potentiel, à la fois perçu et réel, d’influence indue dans le cours des enquêtes. Bien que les enquêtes de la PM relèvent de la compétence de la CPPM, qui peut examiner les plaintes d’ingérence présumée, ce type d’influence indue est souvent subtil et indétectable.

Cela a mené à l’expression d’un certain scepticisme à propos de l’intégrité des enquêtes de la PM, particulièrement en ce qui concerne celles visant des officiers supérieurs accusés de divers types d’inconduite sexuelle.

Enquêtes du SNEFC et de la PM

En théorie, la seule unité au sein des FAC qui a le pouvoir d’enquêter sur les infractions sexuelles est le SNEFCNote de fin d'ouvrage 344. Celui-ci a été créé à la suite du premier rapport Dickson, qui recommandait la création d’une nouvelle direction des enquêtes indépendante de la chaîne de commandement immédiateNote de fin d'ouvrage 345. Le SNEFC a ses bureaux à Ottawa et a remplacé l’ancienne unité d’enquête spéciale. Il est commandé par un lieutenant-colonel qui relève directement du GPFCNote de fin d'ouvrage 346. Contrairement aux membres de la PM locale, les enquêteurs du SNEFC restent toujours sous le commandement du commandant du SNEFC, quel que soit l’endroit où ils sont affectésNote de fin d'ouvrage 347.

Le SNEFC recrute ses enquêteurs dans les rangs du Gp PM FC, qui est plus vaste. Il mène une entrevue et un test d’aptitude, et les personnes sélectionnées suivent ensuite une formation de 12 à 24 mois pour devenir des enquêteurs qualifiésNote de fin d'ouvrage 348. Cependant, le SNEFC n’a aucun contrôle direct sur le processus d’embauche de la PM, qui est contrôlé par les FAC. Depuis 2015, le SNEFC a instauré des exigences supplémentaires pour la formation et les compétences de ses enquêteurs en matière d’agression sexuelle. Selon les protocoles de formation actuels, tous les enquêteurs du SNEFC reçoivent une formation sur les agressions sexuelles, qui comprend notamment une formation sur l’approche tenant compte des traumatismes parmi les cours portant sur l’acquisition des compétences de base. Cette formation a également été exigée pour tous les policiers militaires dans le cadre de la formation continue et fait maintenant partie intégrante du programme de l’École de la police militaireNote de fin d'ouvrage 349.

En outre, depuis 2016, le SNEFC dispose également d’une sous-unité spécialisée, l’équipe d’intervention en cas d’infraction sexuelle (EIIS), qui reçoit une formation supplémentaire et traite les dossiers d’agression sexuelle compliqués. Son objectif n’est pas « d’absorber toutes les enquêtes liées à des infractions sexuelles, mais de renforcer l’infrastructure existante et d’établir une solide expérience en matière d’infractions d’ordre sexuel »Note de fin d'ouvrage 350.[traduit par nos soins]. L’EIIS a été décrite comme une « équipe dans l’équipe », chargée de fournir un soutien spécialisé pour les dossiers les plus complexesNote de fin d'ouvrage 351.

Bien que les infractions sexuelles soient censées relever de la responsabilité exclusive du SNEFC, cela ne signifie pas que la PM locale n’a aucun rôle à jouer. Comme l’a fait remarquer le juge Fish dans son rapport :

  • L’organisme spécialisé en matière d’enquête de la police militaire, appelé le Service national des enquêtes des Forces canadiennes (« SNEFC »), a un droit de premier refus à l’égard des enquêtes sur les infractions graves et les infractions délicates, y compris les infractions criminelles d’ordre sexuel. Sauf dans le cas d’infractions criminelles d’ordre sexuel, le SNEFC peut toutefois déférer sa responsabilité en matière d’enquête à la police militaire locale n’appartenant pas au SNEFC (souvent désignée comme la police militaire en uniforme) lorsque le commandant du SNEFC le juge indiqué. Même si la responsabilité en matière d’enquête ne leur est pas confiée, les policiers militaires en uniforme peuvent être appelés à épauler le SNEFC dans le cadre d’enquêtesNote de fin d'ouvrage 352.

Selon les données fournies par le DPM, entre 1999-2000 et 2020-2021, la PM a participé à l’enquête de 48 cas qui ont abouti à des poursuites en cour martiale pour inconduite sexuelleNote de fin d'ouvrage 353. Dans un certain nombre de cas, notamment après le rapport Deschamps et après le lancement de l’opération HONOUR, la PM était la seule unité d’enquête citée.

Des parties prenantes, dont des policiers militaires en exercice et des victimes, m’ont également dit qu’il n’est pas rare que la PM p locale articipe activement à une enquête. La PM locale est souvent le premier point de contact lorsqu’une victime dépose une plainteNote de fin d'ouvrage 354. Selon le GPFC et le commandant du SNEFC, il est fréquent que le SNEFC fasse appel à la PM locale pour effectuer les premières démarches de collecte de preuves, notamment pour prendre la déposition de la victimeNote de fin d'ouvrage 355.

Tout cela confère un certain pouvoir discrétionnaire aux policiers militaires en uniforme aux premiers stades d’une enquête. Lorsqu’ils sont le premier point de contact, c’est à eux qu’il revient de décider si une plainte doit être acheminée au SNEFC ou si la conduite peut être caractérisée d’une autre façon et faire l’objet d’une enquête pour infraction d’ordre militaire de moindre importance. Cela fait peser un lourd fardeau sur les épaules des policiers en uniforme, qui peuvent notamment devoir interroger une personne potentiellement traumatisée et déterminer si la plainte est de nature criminelleNote de fin d'ouvrage 356.

Au cours de mon examen, plusieurs parties prenantes ont exprimé leur scepticisme quant à l’indépendance, et certaines quant à la compétence, du SNEFC et de la PM en général. Alors que l’une d’entre elles estimait que son cas avait été traité de manière appropriée, plusieurs femmes que j’ai rencontrées m’ont fait part de leurs préoccupations relatives à la manière dont leurs plaintes avaient été examinées. Ces préoccupations concernaient, entre autres, les multiples entrevues traumatisantes avec différentes personnes, les changements constants dans la liste des enquêteurs, entraînant des retards et l’impossibilité de faire avancer les enquêtes.

Parmi les parties prenantes avec qui j’ai parlé, il y avait des procureurs de la Couronne provinciaux et d’autres avocats du système civil – ayant de l’expérience dans les cas d’infractions militaires à caractère sexuel. À part l’un d’entre eux, ils étaient critiques à l’égard des enquêtes menées par le SNEFC et la PM, comparativement à la qualité des dossiers qu’ils avaient reçus des forces policières civiles. Parmi les lacunes qu’ils ont soulignées, mentionnons : une tendance à se rabattre sur les mythes du viol en incluant des éléments non pertinents dans les rapports, l’absence fréquente de suivi des questions pertinentes, des problèmes généraux de gestion des preuves et des retards inexplicables.

Ces constatations sont confirmées par les résultats de la récente consultation sur la Déclaration des droits des victimes menée par les FAC. Selon les personnes interrogées, le fait de blâmer les victimes et de ne pas les traiter avec respect est un problème à toutes les étapes du système de justice militaire, y compris à celle de l’enquêteNote de fin d'ouvrage 357.

Le retard dans les enquêtes est un autre problème qui a été soulevé dans le rapport Fish, tant pour le SNEFC que pour la PM en uniformeNote de fin d'ouvrage 358. Le juge Fish a constaté qu’une ancienne limite de 30 jours pour les enquêtes, qui avait été critiquée par le BVG, a été révoquée en 2018, et remplacée par une exigence générale indiquant que « les enquêtes doivent être menées le plus rapidement et efficacement possible »Note de fin d'ouvrage 359. En 2019, un Programme d’analyse de la police militaire (PAPM) a été créé pour effectuer le suivi de la conformité en matière d’efficacité des enquêtes. Le juge Fish a reconnu que les nouvelles mesures « en sont encore à leurs débuts » et que les données actuellement disponibles sont « insuffisantes pour déterminer si ces mesures permettront de réduire les délais dans les enquêtes à long terme »Note de fin d'ouvrage 360.

On m’a fourni des données provenant du PAPM. Celles-ci montrent que depuis 2016, pour les enquêtes sur les agressions sexuelles qui ont abouti à la recommandation d’accusations, la durée médiane se situait entre 140 et 207 jours et la moyenne entre 202 et 265 joursNote de fin d'ouvrage 361. Les enquêtes qui se sont conclues sans recommandation d’accusations ont été plus courtes, la moyenne se situant entre 45 et 138 jours et la médiane entre deux et 33 joursNote de fin d'ouvrage 362. Autrement dit, pour les dossiers où des accusations ont été recommandées, chaque année sauf une depuis 2016, les enquêtes ont pris, en moyenne, plus de cinq mois. Bien que je reconnaisse qu’il y a des particularités complexes dans les enquêtes menées dans un milieu comme les FAC, cette durée ne s’approche même pas de la norme de 30 jours recommandée par le juge en chef LeSage et en vigueur auparavant.

En plus des survivantes et des avocats, j’ai entendu des policiers militaires en service, des officiers supérieurs, dont des commandants, et d’autres personnes faisant partie des FAC et du système du MDN. Enfin, j’ai consulté une série d’observateurs indépendants, notamment des membres des forces policières civiles et des universitaires.

Il est ressorti de ces consultations que les événements récents ont fait remonter à la surface la perception d’un manque d’indépendance et les inquiétudes relatives à la compétence du SNEFC dans les enquêtes portant sur l’inconduite sexuelle. Comme je l’ai expliqué dans mon rapport provisoire présenté au ministre :

  • Bien que la confidentialité puisse être nécessaire dans les débuts d’une enquête policière, dans le climat actuel, le secret sert à alimenter la perception que les FAC sont incapables de compléter des enquêtes adéquates à l’égard de leurs membres. De plus, le fait que les enquêtes du SNEFC doivent être confidentielles, même à l’égard du leadership des FAC, provoque inévitablement de la méfiance et de l’incrédulité, et place les hauts dirigeants des FAC dans une position difficile, voire impossible. Cela a été récemment illustré par l’octroi de promotions à des officiers généraux alors qu’ils faisaient l’objet d’une enquête, provoquant une spéculation sur les motifs et la compétence du leadership des FAC. Une telle spéculation n’aurait pas lieu si, comme c’est normalement le cas, les enquêtes étaient manifestement indépendantes, menées par des services d’enquêtes externesNote de fin d'ouvrage 363.

Même si les mesures préconisées par le juge Fish amélioreraient l’indépendance formelle du GPFC à l’égard de la chaîne de commandement des FAC, je crois que lorsqu’il est question d’infractions sexuelles, cela ne suffirait pas à combler le déficit de confiance qui existe actuellement, en particulier lorsque des officiers supérieurs font l’objet d’enquêtes.

Ce déficit de confiance est un handicap pour les FAC. Loin d’améliorer « l’efficacité, la discipline et le moral », la prise en charge des enquêtes et des poursuites relatives aux infractions sexuelles a miné la confiance dans la chaîne de commandement tout en faisant peu pour éradiquer la conduite proscrite.

Examen des codes d’autorisation de clôture des dossiers

Un autre aspect du processus d’enquête qui a fait l’objet d’un examen minutieux est le classement des dossiers (c’est-à-dire la clôture de l’enquête active). Lorsqu’un incident est « clos », le dossier peut être classé comme « fondé » ou « non fondé ». Un dossier « non fondé » ne va pas plus loin. S’il est « fondé », il existe un certain nombre de codes de classement différents utilisés pour indiquer les circonstances dans lesquelles il a été clos. Des problèmes ont été relevés dans l’utilisation des codes des dossiers « non fondés », tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la PM. En 2017, le GPFC a chargé le SNEFC de mettre en place une équipe d’examen externe pour examiner toutes les enquêtes sur les agressions sexuelles codées « non fondées »Note de fin d'ouvrage 364. Cela a donné lieu au lancement du Programme d’examen des agressions sexuelles (PEAS) en 2018, dont le mandat était d’examiner les dossiers d’agression sexuelle codés « non fondés » par les enquêteursNote de fin d'ouvrage 365.

L’examen a permis de constater que le code d’autorisation « non fondé » était encore utilisé de manière inadéquate et a souligné la nécessité d’une formation tenant compte des traumatismes dans l’ensemble du corps de la PM. Il a également mis en évidence la nécessité d’une formation sur les préjugés implicites et inconscients concernant les agressions sexuelles et les autres crimes liés au genre, ainsi que d’une meilleure formation sur la crédibilitéNote de fin d'ouvrage 366. À la suite de l’examen, le commandant du SNEFC a élaboré un plan d’action qui tient compte de toutes les observations du rapport et des initiatives connexesNote de fin d'ouvrage 367. L’une des mesures mises en place à la suite de l’examen consiste à faire approuver au préalable par le commandant du SNEFC tous les codes « non fondés »Note de fin d'ouvrage 368. Cette mesure vise à éviter les utilisations abusives du code « non fondé » observées dans le passé.

Toutefois, ces mesures en sont encore à leurs débuts. Il est impossible d’évaluer l’incidence qu’elles pourraient avoir, le cas échéant, sur l’intégrité des enquêtes sur les agressions sexuelles. Bien que la proportion globale des dossiers concernés soit faible, les conclusions du PEAS confirment les préoccupations exprimées ailleurs au sujet de la capacité de la PM à traiter les enquêtes à caractère sexuel. Neanmoins, le PEAS était une exercice utile pour les FAC. C’est un modèle qui pourrait être adapté ailleurs pour examiner comment les procédures répondant à l’inconduite sexuelle sont utilisées.

Perception et réalité

Dans son examen de la justice militaire en 1997, le juge en chef Dickson a fait remarquer que dans le cadre d’un système de justice, la perception est aussi puissante que la réalité :

  • On dit souvent que la perception est la réalité. Cela est particulièrement vrai dans l‘administration de la justice car tout système de justice, qu'il soit militaire ou civil, doit sa légitimité au respect des personnes qui y sont assujetties. Lorsqu'un nombre important de personnes qui sont régies par ce système ont perdu leur respect pour l'institution, et estiment qu'il y a deux poids, deux mesures, l'on confronte un problème grave qu'i1 faut régler, sinon le système risque de s'effondrerNote de fin d'ouvrage 369.

Je souscris à ces propos. L’ampleur de l’inconduite sexuelle dans les FAC exposée dans les médias, bien documentée dans le rapport Deschamps, reconnue dans l’accord de règlement final du recours collectif Heyder-Beattie, confirmée dans des enquêtes et mise en évidence dans des affaires récentes très visibles, influe à la fois sur la réalité et la perception. Elle a jeté une ombre sur le rôle de la justice militaire dans les efforts visant à éradiquer ce type de conduite, souvent de nature criminelle. Au-delà d’un certain point, il importe peu que les membres des FAC et le grand public perçoivent le système de justice militaire comme étant inadapté pour cette tâche – que ce soit en raison d’un manque d’indépendance ou d’autre chose – ou qu’il soit réellement inadapté.

Le meurtre, l’homicide involontaire et certaines infractions contre des enfants ont toujours été en dehors du domaine de la justice militaire et réservés aux tribunaux civilsNote de fin d'ouvrage 370. Cela indique certainement que ces infractions se situent bien au-dessus des questions de discipline militaire. Je crois que c’est la même chose pour les infractions sexuelles.

En tout cas, les enquêtes et les poursuites pour les infractions sexuelles prévues au Code criminel constituent un défi de taille pour le système de justice militaire. Je crois que ce défi est maintenant insurmontable pour les FAC. Les victimes, les auteurs, les autres parties prenantes et l’institution elle-même seront mieux servis si les crimes sexuels font l’objet d’enquêtes par la police civile et de poursuites devant des tribunaux civils de juridiction criminelle. Bien que le processus civil soit loin d’être parfait, au moins on ne sous-entendra pas qu’un traitement spécial, bon pour certains, mauvais pour d’autres, est accordé aux militaires qui ont droit, comme toute autre personne au Canada, à l’égalité devant la loi.

Procédure de la cour martiale

Le système de justice militaire est actuellement en mutation. Le 21 juin 2019, le projet de loi C‑77 a été adopté. La loi modifie le système de justice militaire de plusieurs manières. Elle instaure des droits des victimes harmonisés avec ceux déjà prévus dans le système civil de justice pénale par la Charte canadienne des droits des victimes (CCDV). Elle modifie la classification des infractions, remanie le processus des procès sommaires et établit une protection supplémentaire des victimes et des témoins.

Cependant, la plupart de ces dispositions législatives ne sont pas encore en vigueur. Le juge Fish a fait remarquer dans son rapport qu’on ne lui avait donné « ni date ferme ni date cible » pour la mise en œuvre du projet de loi C-77Note de fin d'ouvrage 371. De même, on ne m’a pas présenté d’échéancier précis pour la mise en œuvre avant l'achèvement de mon rapport provisoire. À la fin du mois de mars, j'ai finalement été informé qu'il entrerait en vigueur le 20 juin 2022. En outre, on m’a dit que le libellé du projet de loi C-77 empêchait une mise en œuvre fragmentaire ou progressive et que la réflexion sur le nouveau processus d’audiences sommaires était toujours en coursNote de fin d'ouvrage 372.

Poursuites et défense en cas d’accusation d’infraction sexuelle

Le juge Fish a examiné l’indépendance et la durée du mandat du DSAD et du DPM, ainsi que des avocats de la défense et des procureurs qui travaillent sous leur direction. Il a formulé un certain nombre de recommandations, notamment que les avocats militaires affectés à l’une ou l’autre des directions y restent pendant au moins cinq ansNote de fin d'ouvrage 373. Toutes ces recommandations sont les bienvenues.

On admet généralement que les agressions sexuelles et autres infractions sexuelles graves font partie des crimes pour lesquels les poursuites sont les plus difficiles. En 2018, un groupe de travail de la Réunion des ministres fédéral, provinciaux et territoriaux (FPT) responsables de la Justice et de la Sécurité publique a déclaré ce qui suit :

  • Le droit en matière d’agression sexuelle est complexe et oblige à comprendre les mythes et les stéréotypes discriminatoires que l’on applique aux victimes d’agression sexuelle. Il est difficile pour les services de police, les services des poursuites et les services d’aide aux victimes d’avoir accès à une telle formationNote de fin d'ouvrage 374.

En fait, certains services provinciaux de poursuites judiciaires ont des compétences spécialisées en matière de violence sexuelle et familialeNote de fin d'ouvrage 375.

On s’interroge depuis longtemps sur l’expérience des avocats chargés de la poursuite et de la défense en cour martiale comparativement à celle de leurs homologues civilsNote de fin d'ouvrage 376. Aujourd’hui encore, les avis divergent à ce sujet au sein du CJAGNote de fin d'ouvrage 377. Cela peut être un problème dans le contexte des infractions sexuelles. Le système actuel au sein du CJAG ne convient pas particulièrement bien pour résoudre ce problème. Même si le JAG s’est engagé à garder pendant au moins cinq ans les avocats militaires affectés au Service d’avocats de la défense ou au Service canadien des poursuites militairesNote de fin d'ouvrage 378 – ce qui sera institutionnalisé si la recommandation du juge Fish est mise en œuvre – ce n’est pas une base très solide pour mettre en place et garder un effectif d’avocats de la défense ou de procureurs spécialisés ayant de l’expérience dans le traitement des procès complexes pour infractions sexuelles.

De plus, les FAC ont un faible volume de procès en cour martiale pour agressions sexuelles. Entre 2015 et 2018, 29 cas de cour martiale liés à une accusation d’agression sexuelle ont été signalés, selon un article du Dalhousie Law JournalNote de fin d'ouvrage 379. En comparaison, les données de Statistique Canada montrent qu’il y a eu 4 651 cas en Ontario de 2015-2016 à 2018‑2019, 1 958 cas au Québec, 1 444 cas en Colombie-Britannique, 803 cas au Manitoba et 370 cas en Nouvelle-ÉcosseNote de fin d'ouvrage 380. Même des provinces et territoires ayant une faible population, comme l’Île-du-Prince-Édouard et le Yukon ont eu 53 et 97 dossiers d’agressions sexuelles respectivementNote de fin d'ouvrage 381. Ainsi, même dans les plus petites administrations civiles du Canada, il y a une charge de travail beaucoup plus importante et donc la possibilité pour les avocats et les juges d’acquérir une expérience significative dans les procès pour agressions sexuelles et autres infractions sexuelles de nature criminelle.

Le juge Fish a reconnu que l’expérience militaire est pertinente pour la poursuite et la défense dans un contexte militaireNote de fin d'ouvrage 382. Je suis d’accord avec lui dans la mesure où les acteurs de la justice militaire, dont les avocats, sont engagés dans des procès pour des infractions militaires bien précises. Je conviens également que l’expérience militaire peut être utile pour comprendre le contexte dans lequel les infractions sexuelles ont pu être commises, comme la proximité des lieux de vie, le fonctionnement des unités et l’importance de la hiérarchie dans l’appréciation du consentement. Mais à mon avis, cela ne diffère pas fondamentalement des nombreux contextes dans lesquels les Canadiens et Canadiennes interagissent entre eux et qui doivent tous les jours être évalués et compris par les juges et les jurés dans les tribunaux du pays.

Taux de condamnation et peines infligées

Dans ce que l’on prétend être la première étude empirique sur les agressions sexuelles dans le système de justice militaire canadien, la professeure Elaine Craig fait remarquer qu’entre 2015 et 2018 :

  • Le taux de condamnation pour l’infraction d’agression sexuelle réglée par une cour martiale au Canada (que ce soit par négociation de plaidoyer ou par procès) au cours de cette période de quatre ans a été d’environ 14 %. Si l’on inclut les condamnations pour des infractions moins graves au sens du Code criminel, comme les voies de fait, le taux de condamnation au cours de cette période a été d’environ 28 %. Ces chiffres sont nettement inférieurs au taux de condamnation dans les affaires traitées par le système civil de justice pénale du Canada. Par exemple, le taux de condamnation pour les agressions sexuelles et les infractions moins graves jugées par les tribunaux civils de juridiction criminelle du Canada au cours de la même période se situait entre 42 % et 55 %Note de fin d'ouvrage 383. [traduit par nos soins]

Elle poursuit en disant :

  • Presque tous les verdicts de culpabilité en cour martiale pour inconduite sexuelle supposent des négociations de plaidoyer dans lesquelles l’accusé plaide coupable soit à l’infraction de l’article 129 de « conduite préjudiciable au bon ordre et à la discipline », soit à l’infraction de l’article 93 de « conduite déshonorante », en échange de quoi l’accusation d’agression sexuelle est retirée ou suspendueNote de fin d'ouvrage 384. [traduit par nos soins]

Cette pratique semble bien ancrée. Par exemple, dans l’affaire R c. Bankasingh (2021), l’accusé a admis avoir « caressé les seins, les fesses et le vagin » d’une soldate de 17 ans qui était alors en état d’incapacitéNote de fin d'ouvrage 385. Grâce à une négociation de plaidoyer, aucune preuve n’a été présentée pour l’accusation d’agression sexuelle et l’accusé a plaidé coupable au chef d’accusation moins grave de conduite honteuse en vertu de l’article 93 de la LDN et a été condamné à une peine d’emprisonnement de 60 jours.

La professeure Craig a conclu que, selon les données de 2015 à 2018, « le taux de condamnation pour l’infraction d’agression sexuelle par une cour martiale est nettement inférieur à celui des cours criminelles civiles du Canada »Note de fin d'ouvrage 386. [traduit par nos soins]

Le CJAG m’a fourni des données sur toutes les cours martiales concernant les infractions au Code criminel de nature sexuelle, de 1999-2000 à 2020-2021, c’est-à-dire depuis que les FAC exercent leur compétence en la matièreNote de fin d'ouvrage 387. Selon ces données, il y a eu 134 cours martiales pour agression sexuelle entre 1999-2000 et 2020-2021Note de fin d'ouvrage 388. Dans 37 cas, les accusés ont été reconnus coupables d’agression sexuelle, dans 17 cas, ils ont été reconnus coupables d’infractions moindres et incluses, et dans 47 cas, ils ont été acquittés. De plus, 35 des dossiers ont été retirés, fermés ou suspendus. Cela représente un taux de condamnation de base de 27 % pour les agressions sexuelles et de 13 % pour les infractions moindres et incluses.

Bien que cela présente une image légèrement meilleure dans le temps que pour la période plus récente examinée par la professeure Craig, avec un taux de condamnation combiné moyen de 40 % pour les agressions sexuelles et les infractions moindres et incluses, ce taux reste inférieur au taux de condamnation dans le système civil pour les agressions sexuelles et les infractions incluses fourni par Statistique Canada (entre 41 % et 46 % de 2005 à 2020, sauf en 2018-2019 où le taux a été de 39 %)Note de fin d'ouvrage 389.

La professeure Craig a également signalé que « l’une des principales justifications offertes à l’appui de l’autorisation accordée aux militaires de gérer leur propre système judiciaire parallèle est le fait que le besoin de discipline militaire nécessite la capacité d’imposer des sanctions plus strictes ». [traduit par nos soins] C’est également ce qu’a souligné le ministre de la Défense de l’époque pour justifier l’octroi initial de la compétence en 1998. Il a précisé que les peines devaient être plus sévères parce que les femmes et les hommes des FAC devaient se faire confiance pour mettre leur vie en jeuNote de fin d'ouvrage 390.

Et pourtant, comme le montre clairement la recherche de la professeure Craig, même depuis le rapport Deschamps et l’opération HONOUR, les condamnations pour agression sexuelle ont souvent donné lieu à des peines légères telles que des amendes, des rétrogradations et des réprimandesNote de fin d'ouvrage 391. Bien qu’il soit parfois difficile de comparer directement les statistiques entre le système militaire et le système civilNote de fin d'ouvrage 392. j’ai examiné les statistiques globales sur les peines infligées par le système de justice militaire. Dans les 22 années pour lesquelles des données sur les cours martiales m’ont été fournies, il y a eu 247 poursuites – si l’on considère toutes les cours martiales pour inconduite sexuelle – portant sur des agressions sexuelles et des infractions moindresNote de fin d'ouvrage 393. Bon nombre d’entre elles concernaient des infractions d’ordre militaire moindres, notamment une conduite cruelle et déshonorante (article 93 de la LDN) et une conduite préjudiciable au bon ordre et à la discipline (article 129 de la LDN). Dans ce dernier cas, une condamnation n’est considérée que comme disciplinaire et ne se traduit pas par un casier judiciaire si la peine consiste en un blâme, une réprimande, une amende n’excédant pas un mois de solde de base, ou une « peine mineure » ou en une combinaison de ces sanctionsNote de fin d'ouvrage 394.

Une autre préoccupation concernant l’article 129 de la LDN en particulier est son caractère vague. Le juge Fish a fait remarquer que, bien qu’il soit appliqué comme pouvoir résiduel, il n’est guère utilisé comme tel. Il s’agit plutôt de l’une des deux infractions d’ordre militaire les plus fréquemment jugéesNote de fin d'ouvrage 395. Dans le contexte d’infractions sexuelles, cela pose un problème, puisqu’en raison de son imprécision, presque n’importe quel comportement – y compris les actes qui constitueraient autrement une infraction sexuelle au Code criminel – peut servir de base à une accusation en vertu de cet article. Les données le confirment : cet article est régulièrement utilisé pour traiter les cas d’inconduite sexuelle, y compris les agressions sexuelles.

Sur 187 verdicts de culpabilité, 102 (55 %) ont abouti à un simple blâme ou réprimande, tandis que 20 contrevenants (11 %) ont été condamnés à une simple rétrogradation. Seulement 38 cas (20 % ou environ 1,7 par an) ont entraîné une consigne, une détention ou un emprisonnement immédiat. Le taux était plus élevé pour les cas d’agression sexuelle uniquement : 20 verdicts de culpabilité (54 %) ont abouti à une peine d’emprisonnementNote de fin d'ouvrage 396. Cependant, cela ne dit pas tout, car un certain nombre de cours martiales pour agression sexuelle ont abouti à des verdicts de culpabilité pour l’infraction moindre et incluse de voies de fait. Si l’on inclut ces cas, le taux de détention pour les agressions sexuelles tombe à 41 %. Je note également que, dans les données qui m’ont été fournies, de nombreux cas d’agression sexuelle ont été traités par voie de procès sommaire, bien qu’il soit difficile d’en déterminer le nombre exact.

Par comparaison, les données de Statistique Canada montrent qu’entre 2015 et 2020, dans l’ensemble du Canada, les peines d’emprisonnement pour agression sexuelle se situaient entre 55 % et 59 %, tandis que pour les autres infractions sexuelles, le taux était de 67 % à 70 %Note de fin d'ouvrage 397. En combinant les totaux pour les agressions sexuelles et les autres infractions sexuelles, selon Statistique Canada, on obtient un taux global de peines d’emprisonnement se situant entre 63 % et 65 %. Dans l’ensemble, le taux de peines d’emprisonnement infligées par les cours martiales est faible comparativement à celui des tribunaux civils.

Retards

Le juge Fish a souligné les retards dans le système des cours martiales comme un problème particulier. Il a indiqué que, selon le CJAG, entre 2013-2014 et 2018-2019, la durée moyenne requise pour donner suite à une accusation en cour martiale, entre le dépôt de l’accusation et la fin du procès, avait été de 384 jours. Il a également mentionné les analyses effectuées par le BVG et par les auteurs du Rapport sur la révision globale de la cour martiale qui ont fait remarquer, respectivement, qu’il avait fallu une moyenne de 17,7 mois et de 434 jours pour la tenue d’une cour martiale. Le BVG a notamment mis en évidence le fait que sur 20 procès, la durée du traitement pour neuf de ceux-ci avait dépassé 18 moisNote de fin d'ouvrage 398.

De tels retards sont particulièrement problématiques pour les membres des FAC impliqués dans une affaire d’agression sexuelle ou dans une affaire liée à une infraction sexuelle criminelle. Le stress lié au fait de faire face à des accusations criminelles est bien compris et est tout aussi intense, dans le contexte d’une carrière militaire. Les membres des FAC accusés d’agression sexuelle ont droit à la même équité et aux mêmes garanties procédurales que les autres Canadiens et Canadiennes, notamment au droit d’être jugé dans un délai raisonnable. Les victimes/survivantes d’agressions sexuelles sont souvent traumatisées par le processus de justice pénale. Ce traumatisme est souvent intensifié dans le contexte militaire. En effet, les victimes sont souvent confrontées à l’ostracisme et aux représailles, ce qui finit par nuire à leur carrière. Elles peuvent souffrir des représailles délibérées, mais aussi des effets plus subtils, mais non moins pernicieux, du stress et du traumatisme associés à des procédures pénales qui se déroulent dans une communauté relativement fermée. Lorsque la résolution d’une affaire prend plus d’un an, voire plusieurs années si l’on tient compte de l’enquête initiale, il peut y avoir des répercussions sur l’évaluation des performances de la victime, et donc sur sa carrière.

Droits des victimes

Depuis 2015, les victimes d’infractions sexuelles dans le système civil bénéficient de la CCDVNote de fin d'ouvrage 399. Bien que le projet de loi C-77 ait prévu un ensemble équivalent de protections dans le système de justice militaire dans le cadre de la DDVNote de fin d'ouvrage 400. celle-ci n’a pas encore été mise en œuvre (tout comme d’autres parties du projet de loi C-77).

Le juge Fish a fait remarquer qu’en « adoptant le projet de loi C-77 dans la foulée du rapport Deschamps, le Parlement a décidé d’accorder aux victimes les mêmes droits tant dans les instances militaires que dans les instances civiles »Note de fin d'ouvrage 401. À son avis, en ce qui concerne les infractions sexuelles criminelles, le défaut de mise en œuvre de la DDV est suffisamment grave pour justifier de retirer temporairement du système de justice militaire les enquêtes et les poursuites relatives aux infractions sexuellesNote de fin d'ouvrage 402.

La recommandation # 68 du juge Fish énonce ce qui suit :

  • La Déclaration des droits des victimes devrait entrer en vigueur dès que possible, afin d’assurer que les victimes d’infractions faisant l’objet d’une enquête ou de procédures sous le régime de la Loi sur la défense nationale aient essentiellement droit aux mêmes protections que celles offertes par la Charte canadienne des droits des victimes. D’ici à ce que la Déclaration des droits des victimes entre en vigueur, et à moins que la victime n’y consente :
    1. les enquêtes et les procédures à l’égard d’agressions sexuelles ne devraient pas être effectuées sous le régime de la Loi sur la défense nationale et devraient plutôt être renvoyées aux autorités civiles; et
    2. il devrait y avoir une forte présomption à l’encontre du fait de mener sous le régime de la Loi sur la défense nationale des enquêtes et des procédures à l’égard d’autres infractions commises contre une victime.
  • De plus, la Loi sur la défense nationale devrait être modifiée afin d’y incorporer expressément, en substance, les droits et protections offerts par le Code criminel aux victimes et aux personnes accusées d’infractions de nature sexuelle.

Je suis d’accord pour dire que le fait de ne pas avoir mis en œuvre la DDV est problématique pour les victimes d’agressions sexuelles et d’autres infractions sexuelles prévues au Code criminel.

En ce qui concerne l’obtention du consentement de la victime pour qu’une personne accusée d’agression sexuelle puisse rester dans le système militaire, la chose est, à mon avis, tout aussi problématique. À la lumière de cette recommandation, le GPFC avait élaboré une ébauche de protocole pour l’obtention du « consentement éclairé » des victimes afin de déterminer si les dossiers doivent être transférés au système de justice civileNote de fin d'ouvrage 403. Ce protocole stipulait ce qui suit :

  • Consentement éclairé
    1. Lorsque le SNEFC reçoit une plainte concernant une possible infraction criminelle d’ordre sexuel, il est extrêmement important qu’il informe la victime de ses droits et des protections qui lui sont accordées par la CCDV et le système de justice civile (SJC) ainsi que par la DDV et le système de justice militaire (SJM). Au moment de fournir ces informations à la victime, le SNEFC lui remet un exemplaire de la brochure sur les droits des victimes (réf. G).
    2. Les victimes doivent être informées qu’en attendant l’entrée en vigueur de la DDV, les protections qui leur sont accordées par le SJM ne sont pas établies par la loi comme c’est le cas dans le SJC, mais par une politique. Bien que les mécanismes de protection aient les mêmes objectifs et atteignent des résultats similaires, les protections fondées sur une politique peuvent ne pas inspirer le même degré de confiance que les droits inscrits dans la législation.
    3. Bien que la PM doive fournir aux victimes des renseignements substantiels et précis sur leurs droits, ces renseignements ne doivent pas être interprétés comme des conseils juridiques. Les victimes ont le droit de demander des conseils juridiques ou autres, au besoin, ce qui devrait être encouragé et facilité dans la mesure du possible.
    4. Par ailleurs, lorsqu’il fournit des renseignements pour établir un consentement éclairé, le SNEFC doit faire preuve de discrétion afin d’éviter d’orienter la victime vers un système ou l’autre. Il faut expliquer à la victime que le SNEFC ne peut pas lui garantir un résultat précis dans l’un ou l’autre système.
    5. Une fois que la victime a bien compris ses droits et les différences entre le SJM et le SJC, le SNEFC confirme le choix de celle-ci : souhaite-t-elle que sa plainte soit examinée par le SNEFC ou par une autorité de police civile? Le SNEFC doit s’assurer que le consentement éclairé est bien documenté. En outre, la victime doit être informée qu’elle peut retirer son consentement éclairé à tout moment.
    6. En l’absence de consentement éclairé après que l’information a été fournie et comprise, ou après avoir été informé que la victime a retiré son consentement éclairé, le SNEFC transmet le dossier à l’autorité civile appropriée. Dans ce cas, il aide la victime à entrer en contact avec l’autorité civile, s’il y a lieu, et transfère toute information ou toute preuve recueillie jusqu’alors, à la demande du nouvel organisme d’enquête. Le SNEFC crée également un dossier parallèle pour faciliter le suivi de l’affaire conformément à la politique applicable.
    7. Il importe de noter qu’en communiquant aux victimes des renseignements sur leurs droits, il convient de tenir compte de leur état d’esprit et de leur capacité à comprendre l’informationNote de fin d'ouvrage 404. [traduit par nos soins]

Ce document illustre le champ de mines auquel les victimes, les enquêteurs et les procureurs seront confrontés en essayant de mettre en œuvre de manière significative le choix d’un forum par la victime. Mis à part l’état de traumatisme dans lequel une victime peut se trouver au début d’une enquête, ou même plus tard, cet exercice est totalement irréaliste.

Sur quelle base le SNEFC pourrait-il jamais être convaincu qu’une victime a « bien compris (...) les différences entre le système de justice militaire et le système de justice civile »? De nombreux professionnels, qu’ils soient enquêteurs ou avocats, pourraient difficilement donner une image précise des différences entre les deux systèmes de façon concise et complète, et encore moins faire ressortir les différences qui sont vraiment importantes pour une « bonne compréhension ». Les retards probables dans chacun d’eux? La possibilité, ou non, d’un procès avec jury dans un tribunal civil? La composition probable d’une cour martiale? La possibilité pour l’accusé de bénéficier d’une représentation juridique gratuite dans un système, mais peut-être pas dans l’autre?

À mon avis, le fait d’exiger le consentement de la victime avant de décider de faire enquête ou d’engager des poursuites relativement à un crime dans le système de justice militaire ou dans le système de justice civile ne fait qu’imposer un fardeau irréaliste à la victime. Cela met la victime dans une situation intenable, exigeant d’elle qu’elle prenne une décision quant au système qui est susceptible de mieux fonctionner pour elle, tout en ayant une faible compréhension des facteurs en jeu. Il se peut qu’elle regrette sa décision par la suite si le procès aboutit à un acquittement et qu’elle se pose éternellement la question « et si j’avais choisi l’autre système? ». En fin de compte, je ne crois pas que l’exigence de consentement éclairé serve l’intérêt public.

Dans mon rapport provisoire, j’ai recommandé que tous les nouveaux dossiers soient transférés aux autorités civiles pour enquête et poursuites. Si cette mesure provisoire doit rester en place en attendant qu’une loi confère une compétence exclusive aux tribunaux civils, toutes les nouvelles plaintes devraient être transmises au système civil, quelle que soit la préférence exprimée par la victime. Lorsque des accusations ont déjà été portées devant des tribunaux militaires, elles devraient continuer à être traitées dans ce forum, mais aucune nouvelle accusation ne devrait y être déposée.

Incohérence concernant d’autres infractions

À l’heure actuelle, les FAC ne poursuivent pas en justice certaines infractions, mais les envoient plutôt aux autorités civiles; ce sont elles qui décident de lancer une enquête et/ou d’intenter une poursuite. Selon l’ordre du GPFC qui encadre cette situation :

  • Les infractions suivantes, si elles sont commises au Canada, seront habituellement confiées au système de justice civile, après que le conseiller juridique des FC (le juge-avocat adjoint ou le procureur militaire régional, selon le cas) aura été consulté et que le commandant du militaire accusé aura été informé :
    1. violence familiale;
    2. voies de fait contre un enfant; et
    3. conduite avec facultés affaiblies.Note de fin d'ouvrage 405.

La raison pour laquelle ces infractions sont poursuivies en justice en dehors du système de justice militaire n’est pas claire. Cependant, il convient d’examiner l’approche des FAC dans ces domaines, afin de mieux étudier les raisons pour lesquelles elles désirent que les infractions d’ordre sexuel continuent de relever de leur compétence.

Violence conjugale

Dans l’exercice de leur compétence partagée sur la plupart des infractions au Code criminel, les FAC ont développé quelques pratiques courantes. Contrairement à leur choix d’intenter elles-mêmes les poursuites en cas d’infractions d’ordre sexuel, sauf celles commises hors des bases militaires, les FAC ne sont responsables ni de l’enquête ni de la poursuite dans les cas de violence entre partenaires intimes, aussi appelée violence familiale ou violence conjugale.

La seule justification émise est qu’il « existe en principe certaines situations (par exemple, des cas présumés de violence familiale ou des poursuites pour conduite avec facultés affaiblies) où le renvoi au système judiciaire provincial est jugé plus approprié »Note de fin d'ouvrage 406.

Peu d’explications sont fournies pour justifier cette décision de déléguer aux tribunaux civils les poursuites intentées par ou contre un membre des FAC lors de cas de violence entre partenaires intimes. Cette décision est d’ailleurs difficile à concilier avec la détermination des dirigeants des FAC de s’assurer que les infractions sexuelles demeurent une compétence quasi exclusive de l’organisation. La seule explication supplémentaire qui m’a été fournie est que, tout comme dans les cas de conduite avec facultés affaiblies, les tribunaux civils possèdent une expertise spécialisée dans le domaine. Cela n’est pas faux, mais plusieurs tribunaux civils possèdent aujourd’hui une expertise spécialisée en matière d’agressions sexuelles et voient ces agressions et la violence entre partenaires intimes comme des domaines interconnectés. Au Québec, par exemple, le tribunal spécialisé en matière d’agressions sexuelles qui a récemment été mis sur pied traitera également les cas de violence entre partenaires intimesNote de fin d'ouvrage 407. En Ontario, le Manuel de poursuite de la Couronne indique que les abus sexuels peuvent, du point de vue de la poursuite, être considérés comme une forme de violence entre partenaires intimesNote de fin d'ouvrage 408.

L’agression sexuelle et la violence entre partenaires intimes sont semblables en plusieurs points et se chevauchent souvent. Ce sont des crimes fondés sur le genre principalement commis contre les femmesNote de fin d'ouvrage 409. Ces deux types de violence sont fondés sur le pouvoir, et les profils psychologiques des auteurs d’actes de violence sexuelle et de violence familiale sont étroitement liésNote de fin d'ouvrage 410. De nombreuses ressemblances ont été démontrées entre les deux groupes de contrevenants, y compris un développement similaire lors de la petite enfanceNote de fin d'ouvrage 411. La probabilité d’avoir eu un père moins présent, d’avoir subi des violences corporelles à l’enfance et d’avoir eu des parents qui imposaient des limites moins strictes était plus élevée chez les conjoints violents, qu’ils aient commis des gestes de violence sexuelle ou non, que dans le groupe de référence normativeNote de fin d'ouvrage 412. L’ordre du Groupe de la Police militaire sur la violence familiale [traduit par nos soins] actuellement en vigueur reconnaît cette réalité, souligne que la violence conjugale et familiale sont des abus de pouvoir, et mentionne l’agression sexuelle comme une infraction connexeNote de fin d'ouvrage 413.

L’expertise spécialisée développée par plusieurs tribunaux pour traiter conjointement la violence sexuelle et la violence entre partenaires intimes sera bénéfique lorsque vient le temps de traiter de ces deux enjeux en contexte militaire.

Conduite avec facultés affaiblies

Étonnamment, les FAC ont choisi de ne pas enquêter ni de poursuivre les cas de conduite avec facultés affaibliesNote de fin d'ouvrage 414. L’argument qui m’a été donné pour justifier cette pratique est que les autorités civiles possèdent de l’équipement et des processus spécialisésNote de fin d'ouvrage 415. Des « défis associés à la suspension administrative du permis de conduire à la suite d’une arrestation pour conduite avec facultés affaiblies, ce qui dépasse les limites actuelles de l’autorité conférée à la police militaire »Note de fin d'ouvrage 416. ont également été mentionnés. [traduit par nos soins] Finalement, on m’a signalé que ces infractions touchent à des enjeux juridiques pointus et spécialisés que les tribunaux civils à haut volume sont plus aptes à gérer.

Qu’elles aient été commises sur la base ou à l’extérieur de celle-ci, il me semble que ces infractions s’alignent étroitement sur les préoccupations militaires en ce qui concerne la discipline, l’utilisation de l’équipement et l’abus d’alcool. Même si l’enquête initiale pour des infractions de ce type commises à l’extérieur de la base était du ressort de la police civile ayant appréhendé les présumés contrevenants, je suppose que ces derniers pourraient être poursuivis dans le système militaire afin de braquer les projecteurs sur ces graves manques de discipline. Agir de la sorte pourrait libérer certaines ressources qui permettraient aux tribunaux civils de composer avec la légère augmentation de la charge de travail causée par le transfert au civil des infractions militaires à caractère sexuel.

Obstacles à la mise en place d’une compétence partagée

Dans mon rapport provisoire, j’ai recommandé « d’établir un processus qui facilitera le traitement des allégations d’infractions sexuelles de façon indépendante et transparente, totalement à l’extérieur des FAC ». Plus précisément, j’ai émis les recommandations suivantes :

  1. La recommandation no 68 de l’honorable Morris J. Fish devrait être mise en œuvre immédiatement. Toutes les agressions sexuelles et autres infractions criminelles de nature sexuelle en vertu du Code criminel, y compris les infractions sexuelles de nature historique, alléguées à l’encontre d’un membre des FAC, passé ou actuel (« infractions sexuelles »), devraient être référées aux autorités civiles. Par conséquent, à partir de maintenant, le grand prévôt des Forces canadiennes (GPFC) devrait transférer aux corps policiers civils toutes les allégations d’infractions sexuelles, y compris les allégations actuellement sous enquête par le SNEFC, à moins que ces enquêtes soient presque terminées. Dans tous les cas, les accusations devraient être déposées dans une instance civile.

    Corollairement, les autorités civiles devraient exercer leur compétence en matière d’enquêtes et de poursuites concernant toutes les infractions sexuelles par les membres des FAC. Si les autorités civiles refusent de procéder, le dossier devrait être remis aux FAC afin qu’elles puissent déterminer si une action disciplinaire est souhaitable en vertu de la Loi sur la défense nationale. Tout examen administratif concernant des inconduites sexuelles au sein des FAC devrait se poursuivre, pour l’instant, en parallèle, en plus ou en l’absence d’accusations criminelles.

  2. En parallèle aux transferts immédiats décrits ci-dessus, le ministre de la Défense devrait s’entretenir avec les autorités fédérales, provinciales et territoriales concernées afin de faciliter le processus de transfert et le partage d’expertise entre les autorités civiles et les FAC, et examiner les ressources qui pourraient être rendues disponibles afin de faciliter ce travail.

J’ai également recommandé que l’on m’informe mensuellement des progrès réalisés dans le déploiement de ces deux recommandations.

Le 3 novembre 2021, la ministre a accepté mes recommandations provisoires et m’a informée que le GPFC et le DPM « travaillent rapidement à l'élaboration des mécanismes et des processus qui seront nécessaires pour mettre en oeuvre vos recommandations provisoires»Note de fin d'ouvrage 417. Depuis, j’ai rencontré régulièrement la ministre ainsi que le GPFC et le DPM pour être tenue au courant des derniers développements relatifs à cette mise en œuvre.

J’ai discuté avec des représentants de la police et des procureurs de plusieurs régions du pays (mais pas de toutes), ce qui m’amène à croire que prendre en charge ce nombre relativement limité de cas ne serait pas un problème pour eux.

Les statistiques que le GPFC m’a fournies couvraient la période allant de 2016 à 2021Note de fin d'ouvrage 418.et démontraient que le volume total d’enquêtes concernant des agressions sexuelles par province se décomposait comme suit :

Tableau 3. Enquêtes concernant des agressions sexuelles par province.

Province/Territoire Cas par anNote de fin d'ouvrage *
Alberta 19
Colombie-Britannique 18
Manitoba 8
Nouveau-Brunswick 11
Nouvelle-Écosse 17
Ontario 71
Québec 22
Terre-Neuve-et-Labrador, Territoires du Nord-Ouest, Nunavut, Île-du-Prince-Édouard, Saskatchewan et Yukon (combinés). 5

À l’exception de l’Ontario, les agressions sexuelles (qui nécessitent généralement les enquêtes les plus délicates et complexes) signifieraient environ 20 enquêtes supplémentaires ou moins par an pour la plupart des provinces et territoires. Les autres infractions à caractère sexuel représentaient un nombre beaucoup plus réduit d’enquêtes, soit un total de 47 par an pour l’ensemble du Canada.

Pour ce qui est du nombre d’enquêtes ayant mené à une poursuite, sur une période de six ans, soit de 2015 à 2020, 82 cas d’infractions à caractère sexuel ont été portés en cour martiale, c’est-à-dire environ 14 cas par an pour l’ensemble des FACNote de fin d'ouvrage 419. Pour la même période, il y a eu 122 procès sommaires, ou environ 20 par anNote de fin d'ouvrage 420. En d’autres mots, la charge de travail pour les procureurs civils augmenterait d’environ 34 dossiers par an pour l’ensemble du Canada si mes recommandations provisoires étaient mises en œuvre.

Malgré cela, au cours des mois qui ont suivi, j’ai pu constater l’existence d’une résistance importante à la mise en œuvre de mes recommandations. Si certains corps policiers étaient ouverts à recevoir des cas presque immédiatement, d’autres ont refusé d’accepter tout dossier impliquant des militairesNote de fin d'ouvrage 421. À l’échelle provinciale, certaines associations de chefs de police et le commissaire de la PPO se sont joints à la liste de refusNote de fin d'ouvrage 422. Parmi ces associations, les positions les plus négatives ont été prises par l’Association des directeurs de police du Québec (ADPQ) et la British Columbia Association of Chiefs of Police (BCACP). L’ADPQ a affirmé que les corps policiers du Québec seraient dans l’incapacité de prendre en charge tout dossier impliquant les FAC sans le consentement de la ministre de la Sécurité publique du QuébecNote de fin d'ouvrage 423. La BCACP a recommandé aux corps policiers de la Colombie-Britannique de n’accepter aucun dossier provenant des FAC « tant que les enjeux juridiques et procéduraux n’auront pas été réglés »Note de fin d'ouvrage 424. [traduit par nos soins]

Le 19 janvier 2022, le BC Urban Mayors’ Caucus (BCUMC) a sauté dans l’arène en écrivant une lettre au premier ministre du Canada et à la ministre de la Défense nationale. Il affirmait que « le système de justice doit actuellement aller au-delà de ses capacités pour répondre à la demande provoquée par la lutte de première ligne contre la pandémie de COVID-19 » et que « plusieurs des détachements de la GRC et des services de police municipaux sur nos territoires doivent déjà composer avec un nombre ingérable de dossiers à traiter ». [traduit par nos soins] En guise de solution, le BCUMC proposait de créer un organisme d’enquête national indépendant qui serait tenu à l’écart des FAC ou du MDNNote de fin d'ouvrage 425. Entre-temps, le commandant du Groupe de la Police militaire de la Force aérienne a rencontré des membres du ministère de la Justice du Manitoba, Division de la Sécurité publique le 12 janvier 2022Note de fin d'ouvrage 426.

Le 18 janvier 2022, la Ontario Association of Chiefs of Police (OACP) a adressé une lettre à la solliciteure générale de l’OntarioNote de fin d'ouvrage 427. Cette lettre formulait une série de préoccupations à propos des transferts proposés. Les plus importantes étaient le manque de ressources, surtout pour les corps policiers de plus petite taille, et le déluge potentiel de cas historiques. De plus, la lettre de l’OACP mentionnait le besoin de former des enquêteurs au contexte militaire, des problèmes de partage des compétences lorsque les personnes impliquées étaient situées à différents endroits du pays, et des difficultés d’accès aux documents militaires. La lettre recommandait la création d’un groupe de travail multiservice et la rédaction d’un protocole d’entente.

Le 27 janvier 2022, la ministre a écrit aux ministres provinciaux de la Sécurité publique et de la Justice afin de leur proposer d’organiser des rencontres pour discuter de la mise en œuvre des recommandations provisoires. Le 21 avril 2022, l’OACP a écrit directement à la ministre pour réitérer ses inquiétudes et demander la création d’un groupe de travail nationalNote de fin d'ouvrage 428.

Ce ne sont pas tous les corps policiers qui ont refusé de prendre en charge des dossiers impliquant les FAC. La GRC a notamment commencé à accepter le transfert de nouveaux dossiers en provenance des FAC dès le 31 janvier 2022Note de fin d'ouvrage 429. De nombreux corps policiers municipaux et régionaux, dont ceux de Winnipeg, Thunder Bay et Nottawasaga (qui fait partie de la PPO), ont également accepté des transferts de dossiers sur une base individuelle, au cas par casNote de fin d'ouvrage 430. À la mi-février, la ministre de la Sécurité publique du Québec a écrit aux corps policiers de la province pour leur recommander d’accepter de nouveaux dossiers et des transferts de dossiers en fonction de leur capacité, ainsi que pour les aviser qu’un protocole détaillé était en processus d’élaboration. Je crois comprendre que des discussions similaires avaient lieu avec la PPO. Au moment où je rédige ce rapport, il semble que l’affaire soit en suspens en attendant la finalisation d’un protocole d’entente, de protocoles détaillés et d’accords entre le fédéral et le provincialNote de fin d'ouvrage 431.

Je souhaite souligner que, selon les lois actuelles, les corps policiers et les procureurs civils ont la pleine compétence nécessaire pour enquêter sur les infractions à caractère sexuel impliquant des militaires, y compris celles s’étant produites sur des lieux appartenant à la Défense. Je n’ai en effet pas vu quiconque affirmer que les autorités civiles n’ont pas cette compétence. Je note par ailleurs que le JAG intérimaire a récemment confirmé cette réalité devant le ParlementNote de fin d'ouvrage 432. Comme mentionné ci-dessus, les autorités civiles sont déjà responsables des cas de conduite avec facultés affaiblies et de violence familiale impliquant des militaires, ainsi que des cas d’agression sexuelle survenue hors des bases. À ma connaissance, rien de tout cela n’a fait l’objet de laborieuses négociations et de vastes protocoles d’entente. Le nombre de cas, à l’échelle nationale, est plus élevé près des bases et escadres des FAC et presque nul dans le reste du pays; il ne justifie donc en rien ce refus d’appliquer la loi. Il serait également facile, le cas échéant, de déterminer et de pallier les besoins ciblés en ressources supplémentaires.

Cela dit, les difficultés rencontrées dans la mise en œuvre de mes recommandations provisoires illustrent un problème clé qui complique le maintien d’une compétence partagée entre les FAC et les autorités civiles. Il semble que toute prolongation de ce dédoublement de la compétence n’aboutira qu’à des discussions interminables concernant la mise en place de protocoles gouvernementaux complexes et détaillés ainsi que des mécanismes tout aussi alambiqués entre les FAC et les corps policiers régionaux et municipaux. Puisque, de mon point de vue, le système civil est préférable dans ce contexte, la meilleure solution serait de donner aux tribunaux civils la compétence exclusive pour traiter tous les cas d’inconduite sexuelle couverts par le Code criminel.

Approches dans d’autres pays

Plusieurs nations alliées ont récemment fait face à des défis semblables à ceux qu’affrontent actuellement les FAC. Il est par conséquent utile d’examiner leur approche quant à la compétence militaire en matière d’infractions à caractère sexuel. J’ai reçu un document d’information sur l’approche respective des autres membres du Groupe des cinq (États-Unis, Royaume-Uni, Australie et Nouvelle-Zélande) ainsi que sur celle d’IsraëlNote de fin d'ouvrage 433. J’ai également effectué des recherches indépendantes sur le contexte militaire et législatif de ces nations et d’autres nations alliées.

Au Royaume-Uni, le viol a connu sensiblement la même progression que l’agression sexuelle au Canada du point de vue de la compétence. En effet, avant 2006, les cas de viol, tout comme ceux de meurtre et d’homicide involontaire, étaient la compétence exclusive du système de justice civile. Depuis 2006, le système de justice militaire du Royaume-Uni (appelé « Service Justice System », ou SJS) a une compétence concurrente avec les tribunaux civils sur ces cas. Le type de tribunal qui entendra la cause (civil ou militaire) est déterminé au cas par casNote de fin d'ouvrage 434. Cependant, un examen du système de justice militaire mené en 2018 et 2019 par le juge Shaun Lyons CBE, recommandait que les cas de viol et d’agression sexuelle avec pénétration ayant été perpétrés sur le territoire du Royaume-Uni soient retirés du système de justice militaire, sauf autorisation du procureur général du Royaume-UniNote de fin d'ouvrage 435.

Le juge a conclu :

  • […] de toute évidence, la prise en charge de ces cas par le SJS n’assure pas la protection de l’individu ni l’efficacité des opérations. Les membres des forces armées demeurent des citoyens et, dans ces cas graves où les tribunaux civils sont à leur disposition, devraient comparaître devant ces derniers. Il est évident que le comité spécial avait des inquiétudes quant à la confiance du public. Ces inquiétudes ne sont pas partagées. La prise en charge de ces dossiers très en vue par le SJS n’a aucunement aidé les forces armées. Le SJS a plutôt été critiqué pour cette prise en chargeNote de fin d'ouvrage 436. [traduit par nos soins]

Ces conclusions concordent largement avec la réalité canadienne. Donner aux FAC une compétence concurrente avec le système de justice civile a eu l’effet contraire de celui escompté. Ce changement n’a pas augmenté la discipline, l’efficacité ou le moral, et n’a pas généré la confiance dont le système de justice militaire a besoin, surtout pour traiter les cas très en vue qui impliquent des officiers supérieurs. Au contraire, ce partage de compétences a plutôt contribué à une érosion de la confiance du public et des membres des FAC.

En Australie et en Nouvelle-Zélande, il existe une compétence concurrente, mais seulement à certaines conditions. En Australie, le directeur des poursuites militaires doit obtenir le consentement du directeur des poursuites publiques avant d’intenter des poursuites dans des cas d’agression sexuelle grave ou de meurtre commis en Australie. En Nouvelle-Zélande, il faut obtenir l’assentiment du procureur général afin de pouvoir porter une infraction à caractère sexuel commise à l’intérieur du pays devant une cour martialeNote de fin d'ouvrage 437. Cela indique que, même dans les cas où il y a une compétence concurrente, la primauté revient au système civil.

Aux États-Unis, le système de justice militaire demeure fortement dépendant de la chaîne de commandement et diffère davantage des systèmes en vigueur au Canada et dans les autres pays du Commonwealth. Cependant, je tiens à noter que de récentes modifications ont été apportées à la loi afin de faire du harcèlement sexuel une infraction militaire et de contraindre les commandants qui reçoivent des signalements d’agression sexuelle ou de harcèlement sexuel à faire part de ceux-ci à un enquêteur indépendantNote de fin d'ouvrage 438.

J’ai également trouvé très enrichissante la référence faite par le juge Fish aux lignes directrices émises par les Nations-Unies :

  • En 2006, le rapporteur spécial de la Sous-commission de la promotion et de la protection des droits de l’homme des Nations Unies, appuyé par le Haut-commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme et la Commission internationale des juristes, a publié le Projet de principes sur l’administration de la justice par les tribunaux militaires […]. Le principe no 8 prévoit que « [l]a compétence des juridictions militaires doit être limitée aux infractions d’ordre strictement militaire commises par le personnel militaire. Les juridictions militaires peuvent juger des personnes assimilées au statut de militaire pour des infractions strictement liées à l’exercice de leur fonction assimilée ». Le rapporteur spécial était d’avis que les infractions civiles commises par le personnel militaire devraient être exclues de la compétence des juridictions militaires. La rapporteuse spéciale sur l’indépendance des juges et des avocats a exprimé une opinion analogue dans un rapport présenté lors de l’Assemblée générale des Nations Unies en 2013 : Rapport de la rapporteuse spéciale sur l’indépendance des juges et des avocats […]. Dans son rapport, la rapporteuse spéciale a laissé entendre que « [l]es infractions pénales de droit commun commises par des membres des armées doivent être jugées devant les tribunaux de droit commun, à moins que ceux-ci ne soient pas en mesure d’exercer leur compétence à cause des circonstances particulières de l’infraction (exclusivement dans le cas d’infractions commises en dehors du territoire de l’État) »Note de fin d'ouvrage 439.

Le juge Fish a également souligné que « [p]lusieurs États européens et scandinaves, y compris d’importants alliés du Canada membres de l’Organisation du Traité de l’Atlantique-Nord (OTAN), jugent toutes les infractions civiles perpétrées en temps de paix par leur personnel militaire dans leur système de justice civile, avec ou sans règles ou procédures particulières pour tenir compte du statut militaire de l’accusé »Note de fin d'ouvrage 440.

Le juge Fish a ultimement écarté l’hypothèse d’éliminer la compétence militaire sur l’ensemble des infractions civiles au Canada. Je n’exprimerai aucun point de vue sur cette conclusion. Mon examen se concentre exclusivement sur l’inconduite sexuelle. Et dans ce contexte, les discussions autour des mesures prises par les alliés du Canada pour lutter contre les infractions à caractère sexuel démontrent que la compétence militaire sur ce type d’infraction n’est pas nécessaire et n’a pas été prouvée être la méthode à privilégier.

Nécessité d’une compétence civile exclusive

Je ne peux que faire écho aux constats de la juge Deschamps. En ce qui concerne la promesse selon laquelle une compétence concurrente apporterait un système de discipline et de justice rapide et efficace, elle a conclu ce qui suit :

  • Malheureusement, les victimes d’agressions sexuelles n’ont pas profité des avantages escomptés en vertu de la nouvelle compétence. Elles critiquent la formation inadéquate de la PM, le faible soutien de la chaîne de commandement et le manque d’uniformité quant aux sanctions infligées dans les cas d’agressions sexuelles. Bien que l’on ait également critiqué les organismes civils d’application de la loi, les autorités chargées des poursuites et les tribunaux en ce qui a trait au traitement des cas d’agressions sexuelles, les membres des FAC ont la nette impression que le traitement de tels cas par les autorités militaires est source d’un plus grand préjudice pour la victime que si le dossier est traité par les autorités civilesNote de fin d'ouvrage 441.

Sept ans plus tard, je ne vois aucune amélioration significative dans les enquêtes et les poursuites pour crimes sexuels menées par le système de justice militaire. La compétence accordée en 1998 n’a pas amélioré la capacité des FAC à rendre la justice promptement et à maintenir la disciplineNote de fin d'ouvrage 442. Ce point de vue est corroboré par les résultats de la consultation sur la Déclaration des droits des victimes, qui ont révélé que :

  • Parmi les répondants ayant été victimes d’une infraction, la grande majorité a mentionné avoir rencontré des obstacles lors du signalement de l’infraction et seule une minorité a déclaré avoir eu une expérience positive avec le SJM (…) Les opinions au sujet du SJM étaient généralement négatives. Les répondants ont indiqué que de nombreux aspects permettraient d’améliorer les droits des victimes, comme favoriser la protection de la vie privée, tenir l’accusé à l’écart de la victime, et fournir des solutions rapides aux victimesNote de fin d'ouvrage 443.

En outre, de 55 % à 65 % des personnes interrogées étaient en désaccord sur le fait que les acteurs de la justice militaire prenaient des mesures positives en faveur des victimes, comme le montre la figure 3 ci-dessous :

Figure 3 : Accord avec les mesures positives prises dans l’ensemble des procédures du SJM.

Figure 3 : Accord avec les mesures positives prises dans l’ensemble des procédures du SJM.

Source : Consultation sur la Déclaration des droits des victimes : résultats des séances de consultation internes et externes, p. 17.

  • Description longue de la figure 3
    - D'accord Neutre En désaccord
    Premier signalement 18,9 % 16,1 % 65,1 %
    Enquête 20,9 % 21,9 % 57,2 %
    Avant procès 18,5 % 25,9 % 55,6 %
    Cour martiale 24 % 12 % 64 %
     

Parmi les thèmes communs dans les réponses à la consultation, on retrouvait : la peur des représailles, le manque de soutien, la honte et l’embarras, les problèmes liés au système, la protection de l’accusé et le fait que la personne responsable du traitement d’une plainte soit l’auteur de l’infractionNote de fin d'ouvrage 444. De plus, une perception largement répandue, tant parmi les personnes qui se sont identifiées comme victime d’une infraction d’ordre militaire que parmi les autres, était que le système de justice militaire ne traitait pas les victimes avec dignité et respect :

Figure 4 : Taux d’accord quant au fait que le SJM traite les victimes avec dignité et respect.

Figure 4 : Taux d’accord quant au fait que le SJM traite les victimes avec dignité et respect.
  • Description longue de la figure 4
    - D'accord Neutre En désaccord
    Pas d'infraction d'ordre militaire 32,1 % 27,1 % 40,8 %
    Infraction d'ordre militaire 12 % 21,1 % 66,8 %
     

Source : Consultation sur la Déclaration des droits des victimes : résultats des séances de consultation internes et externes, p. 25.

Les conclusions de la consultation sur la Déclaration des droits des victimes confirment ce que j’ai entendu et observé au cours de mon examen : la perte de confiance est généralisée à toutes les étapes du système de justice militaire en ce qui concerne les infractions sexuelles.

À la lumière de l’analyse qui précède, je recommande que les autorités civiles aient la compétence exclusive en ce qui concerne les infractions sexuelles au Code criminel qui sont alléguées contre des membres des FAC. La compétence concurrente qui a été conférée au système de justice militaire en 1998 devrait être révoquée.

Je ne suis pas convaincue qu’il faille maintenir l’exception d’avant 1998 pour les infractions commises à l’étranger (Programme Hors-Canada (HORSCAN)Note de fin d'ouvrage 445. Dans les données qui m’ont été fournies, je n’ai pu trouver que 41 incidents HORSCAN d’inconduite sexuelle qui ont fait l’objet de poursuites devant une cour martiale entre 1999 et 2021 (soit un peu moins de deux cas par année en moyenne)Note de fin d'ouvrage 446. Selon le juge Fish, pas une seule cour martiale n’a été tenue sur le théâtre d’opérations depuis 1998. Et la dernière cour martiale tenue à l’extérieur du Canada remonte à 2012Note de fin d'ouvrage 447. Le juge Fish a également noté des informations anecdotiques indiquant que certains commandants n’étaient pas disposés à tenir des cours martiales sur le théâtre d’opérations. Cela reflète ce que j’ai entendu des parties prenantes. Il se peut que des procès sommaires aient eu lieu sur le théâtre d’opérations, mais comme ils sont abolis par le projet de loi C-77, il n’est pas nécessaire d’examiner cette question plus en détail.

L’article 273 de la LDN prévoit déjà la compétence des tribunaux civils dans de tels cas. Cela a été reconnu en 1998 par le JAG de l’époqueNote de fin d'ouvrage 448. Bien qu’il puisse être pratique pour la PM de mener le début des enquêtes à l’étranger, elle devrait demander l’aide des forces de l’ordre civiles, comme la GRC, qui ont plus d’expertise en la matière, à la première occasion. Et comme aujourd’hui il n’y a pratiquement pas de cours martiales sur le théâtre d’opérations, les infractions devraient être jugées devant des tribunaux civils au Canada.

Pour ce qui est des infractions particulières qui devraient être exclues de la compétence des FAC, je constate que le droit pénal relatif aux infractions sexuelles a évolué depuis 1998. Le Code criminel comprend un certain nombre de nouvelles infractions, telles que la traite et l’exploitation des personnes. La liste des infractions sexuelles contre des enfants s’est également allongée. Je propose que les autorités civiles aient une compétence exclusive en ce qui concerne toutes ces infractions. Celle-ci ne se limite pas aux infractions exigeant l’enregistrement comme délinquant sexuel. En ce qui concerne les infractions commises contre des enfants, les FAC ne font pas enquête et ne mènent pas de poursuites à cet égard actuellement; il n’y a donc aucune raison pour qu’elles gardent la compétence en matière d’infractions sexuelles contre des enfantsNote de fin d'ouvrage 449. D’autres infractions, comme le voyeurisme ou l’exploitation sexuelle, soumettent la victime – qu’il s’agisse d’un membre des FAC ou d’une personne se trouvant dans un environnement militaire – aux mêmes problèmes que ceux évoqués ci-dessus.

Par conséquent, restreindre la compétence aux seules agressions sexuelles irait à l’encontre de ma recommandation. Pour ces raisons, la liste des infractions sexuelles sur lesquelles les autorités civiles exerceront une compétence exclusive doit être exhaustive.

Recommandation nº 5

Les infractions sexuelles visées par le Code criminel devraient être retirées de la compétence des FAC. Elles devraient faire l’objet de poursuites exclusivement devant les tribunaux criminels civils dans tous les cas. Lorsqu’une infraction a lieu au Canada, elle devrait faire l’objet d’une enquête par les forces de police civiles dans les plus brefs délais. Lorsque l’infraction a lieu à l’extérieur du Canada, la PM peut agir en premier lieu pour sauvegarder les preuves et commencer une enquête, mais elle doit se mettre en rapport avec les autorités civiles chargées de l’application de la loi le plus tôt possible. Les infractions sont les suivantes :

  • Infractions d’ordre sexuel énumérées à la partie V du Code criminel;
  • Infractions d’ordre sexuel énumérées à la partie VII du Code criminel, y compris mais sans s’y limiter les agressions sexuelles; et
  • Toute « infraction désignée » telle que définie aux paragraphes 490.011(1)(a), (c), (c.1), (d), (d.1) ou (e) du Code criminel, dans la mesure où elle n’est pas déjà visée ci-dessus.

En formulant cette recommandation, je répète que je n’envisage pas un type de processus de transfert permanent selon lequel une victime signalerait un crime à la PM, qui transférerait ensuite le dossier à un service de police civile. L’expérience de la recommandation provisoire a montré que cela ne peut pas fonctionner. Je m’attends à ce que les victimes soient invitées à communiquer directement avec les autorités civiles, et que ce contact soit facilité par la PM et les FAC dans la mesure du possible.

Je reconnais aussi que pour supprimer la compétence concurrente, il faudra modifier la LDN. Comme l’ont montré les expériences précédentes en la matière, la mise en œuvre des modifications apportées au système de justice militaire prendra plusieurs années. En attendant, je m’attends à ce que les FAC et les autorités civiles continuent de se conformer à ma recommandation provisoire. Les FAC devraient cesser d’enquêter et d’engager des poursuites relativement aux infractions sexuelles pour lesquelles elles ont actuellement une compétence concurrente. Les autorités civiles devraient enquêter sur ces affaires et engager des poursuites conformément à leur compétence concurrente actuelle. Cela englobe tout nouveau signalement d’anciens cas d’infractions présumées ayant eu lieu entre 1998 et aujourd’hui.

Il sera également important que les dirigeants des FAC fassent preuve de transparence en ce qui concerne les procédures pénales impliquant des membres des FAC et les mesures provisoires, ainsi que les mesures ou les sanctions qui peuvent en découler. Ces informations peuvent ensuite être utilisées dans tout processus d’examen disciplinaire ou administratif qui pourrait avoir lieu. Les commandants sont tenus, en vertu des articles 19.57 à 19.62 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC), de suivre les procédures criminelles impliquant un militaire sous leurs ordres et de transmettre tout certificat de condamnation et toute fiche au QGDN. Je comprends qu’en pratique, la PM crée un « rapport parallèle » dans de tels cas et assure la liaison entre le service de police civile et le commandantNote de fin d'ouvrage 450. Cette pratique devrait être maintenue. Je n’ai aucun doute que les FAC continueront à établir de solides relations avec les forces de police civiles locales et les procureurs au fil de l’évolution de la situation.

Droits des personnes accusées

Dans son rapport, le juge Fish dit être « fondamentalement en désaccord » en ce qui concerne l’idée que les membres des FAC accusés d’un crime devraient perdre leur droit aux services gratuits d’un avocat. Comme il le dit :

    L’accès aux services gratuits d’un avocat, peu importe le revenu, est un avantage offert aux membres des FAC en contrepartie des obligations extraordinaires qui leur sont imposées. Ces obligations extraordinaires comprennent la « responsabilité illimitée » des membres des FAC, selon laquelle ils peuvent à tout moment faire l’objet d’un ordre de s’exposer au danger dans des conditions pouvant leur coûter la vie.

    Le fait que les avocats de la défense militaires puissent faire tout ce qui est en leur pouvoir pour défendre leurs clients sans avoir à tenir compte de la « responsabilité fiscale » dans leurs décisions fait partie intégrante de l’avantage spécial que le Canada a décidé d’accorder aux membres des FAC. Ce n’est qu’avec une réticence considérable que j’entraverais cette contrepartie fondamentale. Je n’ai reçu aucun argument satisfaisant pour appuyer une telle recommandationNote de fin d'ouvrage 451.

Les commentaires du juge Fish visaient les réformes proposées pour les services d’avocats de la défense au sein des FAC. Dans la mesure où ces services continueront de s’appliquer à toutes les infractions criminelles de nature non sexuelle ou aux infractions disciplinaires qui sont jugées dans le cadre du système de justice militaire, je suis d’accord. Cependant, je suis consciente que de tels services ne seraient pas mis à la disposition des membres des FAC accusés devant des tribunaux civils.

Actuellement, lorsqu’ils sont poursuivis dans le système civil, ils ne reçoivent aucun financement spécial des FAC pour leur défense et doivent payer leur propre avocat, ou se prévaloir de l’aide juridique locale. La plupart des provinces et territoires du Canada offrent des services de représentation juridique gratuits ou à coût réduit aux résidents accusés d’un crime. Après avoir examiné les conditions d’admissibilité de base dans tout le Canada (en date du 9 mars 2022) et les échelles salariales des FAC, je crois que la plupart des membres des FAC, même ceux ayant un grade inférieur, ne seraient pas admissibles à l’aide juridique dans de nombreuses provinces.

Il est évident qu’il existe des inégalités dans les positions dans lesquelles se trouvent les membres des FAC accusés d’infractions criminelles. Par exemple, s’ils sont accusés de meurtre, ils ne bénéficient pas de l’aide juridique gratuite des FAC. Il en va de même s’ils sont accusés de conduite avec facultés affaiblies, de violence familiale ou d’agression sexuelle commise à l’extérieur de la base et qu’ils sont poursuivis devant un tribunal civil de juridiction criminelle.

Et bien entendu, jusqu’à présent, les victimes n’ont reçu aucune aide financière des FAC pour obtenir une aide juridique leur permettant de s’y retrouver dans les procédures criminelles, qu’elles soient militaires ou civiles. J’ai recommandé ailleurs dans ce rapport que les victimes soient aidées à cet égard. Les FAC voudront peut-être examiner si elles souhaitent fournir une aide financière à tous leurs membres qui font face à des accusations en dehors du système militaire, et pas seulement à ceux qui seront désormais jugés par des tribunaux civils pour des infractions sexuelles. À la lumière du raisonnement du juge Fish qui justifie l’existence d’une aide juridique gratuite à l’interne, il y a de bons arguments pour le faire. Cela serait possible grâce à des arrangements pris avec les systèmes d’aide juridique provinciaux. Par exemple, les membres des FAC pourraient être automatiquement admissibles à cette aide, et les FAC rembourseraient les dépenses engagées par les systèmes provinciaux. Je ne fais pas de recommandation à cet effet, car je laisse cette décision politique aux autorités compétentes.

Compétence disciplinaire en cas d’inconduite sexuelle

La question demeure : comment les autorités militaires doivent-elles traiter l’inconduite sexuelle, que les tribunaux civils de juridiction criminelle se soient penchés ou non sur la question? Comme dans d’autres professions, des mesures disciplinaires et administratives peuvent être imposées à un membre qui fait l’objet d’accusations criminelles, quelle que soit l’issue de la procédure criminelle. Et bien entendu, certaines conduites ne sont pas criminelles, mais restent interdites par les règles professionnelles. C’est certainement le cas dans la profession des armes, et la chaîne de commandement a intérêt à maintenir la discipline et à gérer les ressources humaines par des mesures administratives. Par exemple, si un membre des FAC était accusé de meurtre, qu’il soit acquitté ou condamné, les FAC voudraient traiter la conduite de cette personne dans le cadre de leur propre procédure. Il en va de même pour les infractions sexuelles jugées par des tribunaux civils ou pour les cas où les autorités civiles refusent d’engager des poursuites. La question de savoir s’il faut procéder de manière successive, ou parallèlement au système de justice pénale, dépend des circonstances – notamment de la mise en place éventuelle de mesures provisoires par le tribunal civil. Dans certains cas, les mesures disciplinaires seraient inutiles et feraient largement double emploi avec la procédure pénale. Les FAC auraient probablement recours à des mesures administratives, telles que celles menant à la libération des FAC.

La doctrine fondatrice des FAC fait référence à la « profession des armes »Note de fin d'ouvrage 452. Une caractéristique commune à d’autres professions réglementées, comme le droit et la médecine, est que leurs membres peuvent faire l’objet de procédures disciplinaires imposées par leurs organes directeurs, en plus d’être passibles de poursuites pénales et civiles généralesNote de fin d'ouvrage 453. Ces procédures peuvent parfois se dérouler simultanément ou consécutivement à des procédures pénales liées aux mêmes faits ou comportements. Cela ne pose pas de problème en soi si le processus évite des résultats indésirables, comme des constatations factuelles contradictoires.

Je ne vois aucune raison de traiter les FAC différemment à cet égard. L’inconduite sexuelle au sens large peut donner lieu à différents processus. Elle peut entraîner une enquête sur le lieu de travail qui aboutit à des mesures administratives correctives. Elle peut également mener à une procédure pénale. Et entre les deux, elle peut conduire à une procédure disciplinaire.

Une protection adéquate contre la double incrimination est déjà prévue à l’article 66 de la LDN :

  • 66 (1) Ne peut être jugée – ou jugée de nouveau –, pour une infraction donnée ou toute autre infraction sensiblement comparable découlant des faits qui lui ont donné lieu, la personne qui, alors qu’elle est assujettie au code de discipline militaire à l’égard de cette infraction ou susceptible d’être accusée, poursuivie et jugée pour cette infraction sous le régime de ce code, se trouve dans l’une ou l’autre des situations suivantes :
    1. elle a été acquittée de cette infraction par un tribunal civil ou militaire ou par un tribunal étranger;
    2. elle a été déclarée coupable de cette infraction par un tribunal civil ou militaire ou par un tribunal étranger et a été soit punie conformément à la sentence, soit absoute inconditionnellement ou sous condition.

Dans de nombreux cas, l’infraction jugée dans le système civil en vertu du Code criminel peut ne pas être « sensiblement comparable ». Cependant, dans d’autres cas, elle le sera.

Procès sommaires dans le système actuel

Actuellement, en attendant la mise en œuvre du projet de loi C-77, les infractions d’ordre militaire peuvent être traitées au niveau de l’unité par voie de procès sommaire. Le juge Fish a traité en détail les problèmes du système actuel.

Dans le cadre de mon mandat, j’ai demandé aux FAC de me fournir des données sur les poursuites pour inconduite sexuelle menées au moyen de procès sommaires. En réponse, on m’a fourni des données sur les procès sommaires liés à l’« inconduite sexuelle » menés par le CJAG de 1999 à 2021Note de fin d'ouvrage 454. ainsi qu’une explication des infractions d’ordre militaire prévues par la LDN qui sont le plus souvent utilisées pour traiter l’inconduite sexuelle. Comme on l’a vu plus haut, cinq infractions principales sont utilisées : conduite scandaleuse de la part d’officiers, cruauté ou conduite déshonorante, mauvais traitements à subalternes, ivresse, et conduite préjudiciable au bon ordre et à la disciplineNote de fin d'ouvrage 455.

Pour la période de 2015 à 2021, selon les données du CJAG, il y a eu 127 procès sommaires, dont 124 ont abouti à un verdict de culpabilité sur au moins un chef d’accusation. Si l’on fait une ventilation par type d’accusationNote de fin d'ouvrage 456. il y a eu environ 121 verdicts de culpabilité pour conduite préjudiciable au bon ordre et à la discipline, 7 pour mauvais traitements à subalternes, et 18 pour ivresse. Il est intéressant de noter qu’un certain nombre d’autres chefs d’accusation ont également été utilisés en plus de ceux de la liste qui m’a été remise par le CJAG. Il s’agissait notamment de désobéissance à un ordre légitime, de querelles et désordres, et d’acte d’insubordinationNote de fin d'ouvrage 457.

Ce qui ressort clairement de ces chiffres, c’est que de nombreux cas d’inconduite sexuelle sont traités comme des questions disciplinaires et réglés au niveau du procès sommaire. De nombreux cas dans l’ensemble de données concernent une inconduite mineure qui n’équivaut pas à une infraction au Code criminel, comme des commentaires ou des blagues à caractère sexuel, qu’il peut être approprié de traiter de cette façon. Cependant, certains cas portent sur une conduite plus grave, comme des allégations d’attouchements sexuels et de baisers sans consentement, qui constituent, dans les deux cas, une agression sexuelle en vertu du Code criminel. Et pourtant, 39 cas seulement ont donné lieu à une consigne au quartier ou à une détention; la plupart des cas se sont soldés par une réprimande ou un blâme, une amende, une rétrogradation ou une autre sanction mineure. L’une des critiques formulées par la professeure Craig au sujet des cours martiales semble s’appliquer iciNote de fin d'ouvrage 458 : une inconduite grave est parfois réglée par une accusation mineure (notamment par une accusation de conduite préjudiciable au bon ordre et à la discipline en vertu de l’article 129 de la LDN) et par une sanction moins sévère.

Toutefois, étant donné la recommandation que j’ai formulée plus haut, voulant que les infractions sexuelles visées par le Code criminel deviennent la responsabilité exclusive du système de justice criminelle civil, cette conduite plus grave et préoccupante devrait désormais cesser de faire l’objet de procès sommaires. Pour les inconduites de moindre importance, ou dans les cas où les procureurs civils ne poursuivent pas, les FAC pourront encore porter des accusations disciplinaires dans le cadre du système actuel si elles le jugent approprié.

Projet de loi C-77 et nouveau système d’infractions d’ordre militaire

Tel que mentionné ci-dessus, le système de justice militaire est actuellement en mutation en raison du projet de loi C-77. Tout au long de mon examen, j’ai cherché à obtenir des renseignements sur l’état d’avancement de la mise en œuvre du projet de loi C-77. Mais on m’a répondu à plusieurs reprises qu’aucune information ne pouvait être fournie, car cette question se trouvait au niveau du Cabinet et était donc confidentielle. Ce n’est qu’après la présentation de mon ébauche de rapport que des progrès ont finalement été réalisés, ce qui a permis la communication de certaines informations.

Je remarque, cependant, que le projet de loi C-77 a reçu la sanction royale le 21 juin 2019. Il entrera finalement en vigueur le 20 juin 2022, soit trois ans plus tard. L’un des principaux objectifs du projet de loi est l’instauration de la DDV dans le système de justice militaire. Par contre, la loi correspondante dans le système de justice civile est entrée en vigueur en grande partie trois mois seulement après avoir reçu la sanction royaleNote de fin d'ouvrage 459. Le retard dans la mise en œuvre du projet de loi C-77 est, malheureusement, cohérent avec les tentatives précédentes de révision de la LDN, dont le projet de loi C-15, évoqué plus haut. Le CJAG m’a remis un tableau montrant divers projets de réglementation et le temps écoulé entre l’adoption de la loi et celle des règlements d’application. À deux exceptions près, il s’est écoulé entre un et deux ans pour les projets réglementaires non liés à la LDNNote de fin d'ouvrage 460. À mon avis, il faut une plus grande affirmation de la responsabilité au niveau politique pour pousser la mise en œuvre des réformes nécessaires.

Dans sa forme actuelle, le texte du projet de loi C-77 remplace le système actuel de procès sommaires par des « audiences sommaires ». La liste actuelle des infractions d’ordre militaire prévues par la LDN sera réorganisée en « infractions » d’ordre militaire (« service offences » en anglais) (pouvant être jugées par des cours martiales et entraîner des peines plus sévères) et en « manquements » d’ordre militaire (« service infractions» en anglais) (déterminés au cours d’une audience sommaire et entraînant des peines mineures).

Le CJAG m’a fourni le résumé suivant des différences entre l’ancien système et ce que propose le projet de loi C-77Note de fin d'ouvrage 461 :

Tableau 4. Différences entre le système actuel de procès sommaire et le système proposé d’audiences sommaires.

Procès sommaire Audience sommaire

Tribunal pénal/criminel

  • Norme de preuve : hors de tout doute raisonnable
  • Les protections de la procédure pénale s’appliquent

Audience administrative

  • Norme de preuve : prépondérance des probabilités
  • Les principes administratifs et l’équité procédurale s’appliquent

Infractions d’ordre militaire, y compris les infractions au Code criminelNote de fin d'ouvrage 462

Manquements d’ordre militaire devant être créés par règlement du gouverneur en conseilNote de fin d'ouvrage 463

PunitionsNote de fin d'ouvrage 464 :

  • Détention
  • Rétrogradation
  • Réprimande
  • Amende
  • Consigne au navire ou au quartier
  • Travaux et exercices supplémentaires
  • Suppression de congé

SanctionsNote de fin d'ouvrage 465 :

  • Rétrogradation
  • Blâme
  • Réprimande
  • Privation des indemnités prévues par règlement du gouverneur en conseil et de la solde
  • Sanctions mineures prévues par règlement du gouverneur en conseil.

Possibilité de casier judiciaire

Pas de casier judiciaire

Après la remise de mon rapport provisoire, un décret a été adopté fixant au 20 juin 2022 la date d’entrée en vigueur du projet de loi C-77. J’ai également reçu du CJAG les propositions de modifications des ORFC.

À la lumière de ces documents, les infractions d’ordre militaire actuellement énumérées dans la LDN demeurent intactes et ne pourront être jugées que par une cour martiale. Le droit de choisir est abrogé. Entre-temps, le projet de règlement crée trois grandes catégories de manquements d’ordre militaire : les manquements relatifs à la propriété et à l’information, les manquements relatifs au service militaire, et les manquements relatifs aux drogues et à l’alcoolNote de fin d'ouvrage 466.

Aucun manquement précis en matière de harcèlement sexuel ou d’inconduite sexuelle n’est proposé. Toutefois, je constate que le manquement passe-partout suivant sera ajoutée à l’article 120.03(i) des ORFC :

  • Commet un manquement d’ordre militaire toute personne qui :
    1. adopte toute autre conduite qui va à l’encontre du maintien de la discipline, de l’efficacité et du moral des Forces canadiennesNote de fin d'ouvrage 467.

J’ai entendu des points de vue contradictoires de la part du CJAG concernant la possibilité d’utiliser cette disposition pour les inconduites sexuelles. Au début du mois de mars, on m’a dit que les FAC envisageaient de définir un manquement de ce type et qu’elle pourrait englober « des inconduites sexuelles de moindre importance »Note de fin d'ouvrage 468. Cela m’a été répété verbalement au début du mois d’avril 2022Note de fin d'ouvrage 469. La même semaine, toutefois, on m’a dit que cette disposition ne pouvait pas être utilisée pour régler les cas de harcèlement sexuel ou d’inconduite sexuelle puisque l’objectif de la création du régime de manquements d’ordre militaire était de traiter les comportements qui n’impliquaient pas de victimes précises, de sorte que la DDV ne devrait pas s’appliquerNote de fin d'ouvrage 470.

Il va sans dire que ce manque de clarté relativement au traitement de l’inconduite et du harcèlement sexuels dans le cadre du nouveau système me laisse perplexe.

En outre, plusieurs aspects de cette nouvelle disposition passe-partout me préoccupent. Premièrement, comme pour l’article 129 de la LDN, son libellé est extrêmement vague. Tout comme la définition de relation personnelle préjudiciable, elle enfreint le principe de légalité qui exige clarté et certitude dans la formulation des comportements interdits.

Deuxièmement, quelle que soit la raison d’être initiale des manquements punissables par procédure sommaire, il semble probable que cette disposition sera effectivement utilisée pour traiter le harcèlement sexuel et l’inconduite sexuelle ne constituant pas une infraction criminelle. Cela pourrait conduire à une situation où des inconduites sexuelles plus graves seraient qualifiées de mineures et feraient l’objet d’accusations en vertu de cette disposition. Comme nous l’avons vu plus haut, c’est ce qui se produit déjà dans le cas de l’article 129 de la LDN, tant dans les cours martiales que dans les procès sommaires. Le problème de cette utilisation de dispositions résiduelles ou passe-partout est qu’elle accorde aux autorités chargées des enquêtes et des poursuites une grande marge de manœuvre, ce qui peut entraîner la réapparition de problèmes anciens. Il sera important que l’utilisation de ces pouvoirs soit correctement surveillée et fasse l’objet de rapports après la publication du présent rapport, y compris dans le cadre du prochain examen statutaire de la justice militaire.

Troisièmement, si en fait l’intention est de porter toutes les formes d’inconduite sexuelle, telles que définies actuellement par les FAC, au niveau des procédures de cour martiale, il y aura probablement une perte regrettable de visibilité au niveau de l’unité. On m’a dit que l’objectif des audiences sommaires est de maintenir un processus disciplinaire local, public, dans l’unité, ce qui est important pour maintenir la cohésion, le moral et la discipline de l’unité. Trois ans après l’entrée en vigueur du projet de loi C-77, il est plus que regrettable que le processus de traitement des formes les moins graves d’inconduite sexuelle dans le cadre de la discipline soit toujours aussi mal conçu.

Quoi qu’il en soit, et en particulier si aucune forme d’inconduite sexuelle n’est traitée par une audience sommaire au niveau de l’unité, les FAC devraient veiller à la diffusion, en temps opportun, de l’information concernant les instances devant les cours de juridiction criminelle et les cours martiales, concernant des inconduites sexuelles, pour que l’effet de ces instances sur la discipline, le moral et l’éducation ne soit pas entièrement perdu.

Dans le nouveau système, les audiences sommaires seront non pénales et soumises à la norme de preuve civile, et non pénale. Les conclusions seront déterminées selon la prépondérance des probabilités plutôt que selon le critère du doute raisonnable. Les seules sanctions possibles seront la rétrogradation, la réprimande, la privation de solde pendant un maximum de 18 jours et des « sanctions mineures »Note de fin d'ouvrage 471. De même, la DDV ne s’appliquera pas à une infraction d’ordre militaire jugée par audience sommaireNote de fin d'ouvrage 472.

Ce qui est moins clair, c’est la façon dont le nouveau processus d’audience sommaire diffère d’un processus d’examen administratif, discuté en détail plus loin. L’examen administratif, qu’il soit effectué par l’unité ou par le DACM, est également non pénal et soumis à la norme civile de preuve, et prévoit une série de mesures correctives qui peuvent aller de l’avertissement écrit, de la mise en garde et de la surveillance jusqu’à la libération des FAC. On m’a dit que le CPM travaille sur la façon dont le processus d’examen administratif interagira et fonctionnera avec le processus d’audience sommaire, mais j’ai reçu peu de détails.

En principe, il n’y a aucun problème conceptuel à soumettre les membres des FAC à la compétence des tribunaux civils de juridiction criminelle, à la compétence disciplinaire militaire et aux processus d’examen administratif interne des FAC. Il en va de même pour de nombreux professionnels qui sont soumis au droit pénal, aux mesures réglementaires de leur organe directeur et aux mesures administratives de leur lieu de travail. Mais ces processus doivent être clairs et ne pas faire inutilement double emploi.

Mesures administratives

S’est inscrit dans le cadre du mandat qui m’a été confié un examen des politiques, procédures, programmes et pratiques du MDN et des FAC, dans l’optique de leur adéquation vis-à-vis du traitement réservé aux signalements d’inconduite sexuelle.

En effet, outre les processus disciplinaires qui peuvent être enclenchés, comme il est indiqué plus haut, les FAC peuvent réagir à un signalement d’inconduite sexuelle par des mesures administratives. Celles-ci peuvent inclure des interventions sous la forme d’une mise en garde, d’une démarche éducative ou de formation, qui sont de nature corrective plutôt que punitive, et qui visent principalement à améliorer la conduite et le rendement du membre concernéNote de fin d'ouvrage 473. Encore que, si son inconduite nuit à son maintien en service, les mesures administratives prises à son encontre peuvent se traduire par sa libération des FAC.

J’ai entendu parler à maintes reprises de la frustration que suscite la voie administrative suite à une inconduite sexuelle. Les victimes estiment en effet que la procédure est trop longue, trop opaque et trop tributaire des caprices d’un commandant, souvent le commandant de la personne mise en cause. D’autre part, on m’a rapporté que, souvent, la partie plaignante se voit écartée de l’unité, affectée à un autre poste ou déchue de perspectives de carrière à la suite d’une mesure administrative prise par un commandant face à une inconduite sexuelle.

Par ailleurs, on m’a signalé que les commandants attendaient la fin d’une enquête policière, voire la fin d’un procès criminel, pour prendre des mesures administratives à l’encontre d’une inconduite sexuelle. Cette approche attentiste, assimilée par les victimes à un manque de suivi, les amènent à douter de la sincérité du commandant quant à sa volonté de sanctionner une inconduite sexuelle. Dans la foulée, elles en arrivent à perdre confiance au point de se libérer des FAC – parfois bien avant que la personne mise en cause ne subisse une quelconque conséquence de son inconduite.

Or, dans la gestion des incidents d’inconduite sexuelle, les commandants jouent un rôle central et, comme m’ont dit certains, pourraient alors être mieux assistés dans cette tâche, notamment par des conseils juridiques. Beaucoup estiment que la libération d’un contrevenant est une décision trop centralisée, en l’occurrence « centralisée à Ottawa », et que l’évaluation de la conduite du membre par son commandant devrait avoir plus de poids dans le processus que je décris ci-dessous.

Bien entendu, une réponse vigoureuse à l’inconduite sexuelle, à tous les niveaux de commandement, est indispensable si les FAC entendent faire des progrès dans la lutte contre les comportements à caractère sexuel inadmissibles parmi leurs membres. Dans cette réponse, la part qui revient aux mesures administratives est abordée dans le présent chapitre, tout comme l’inquiétude que suscite chez moi la propension des FAC à recourir à des processus faisant inutilement double emploi.

L’inconduite sexuelle est un manquement à la conduite

Les membres des FAC sont astreints au respect des normes professionnelles de conduite et de rendementNote de fin d'ouvrage 474.

Leurs normes de conduite sont fondées sur les normes militaires établies, l’éthique et les valeurs énoncées dans les règlements, les codes de conduite, les politiques, les ordonnances, les instructions et les directives, y compris les normes de conduites énoncées dans le manuel Servir avec honneur – La profession des armes au CanadaNote de fin d'ouvrage 475. Il y a un manquement à la conduite si un membre des FAC ne répond pas à une norme de rendement établie. Les manquements à la conduite sont incompatibles avec l’efficacité du service militaire et de l’éthos militaireNote de fin d'ouvrage 476.

Les normes de rendement sont fondées sur les normes militaires établies qui s’appliquent au grade, au groupe professionnel, à l’expérience et au poste actuel du membre des FAC. Elles déterminent le niveau de rendement attendu d’un membre des FACNote de fin d'ouvrage 477. Il y a manquement au rendement lorsqu’un membre omet de satisfaire à une norme de rendement établieNote de fin d'ouvrage 478.

Il m’a été donné à entendre que les cas de harcèlement et d’inconduite sexuels sont traités comme des manquements à la conduite plutôt que des manquements au rendementNote de fin d'ouvrage 479.

Mesures administratives en cas d'inconduite sexuelle

Face à un cas d’inconduite sexuelle, la chaîne de commandement doit prendre des mesures appropriées et immédiates, que le membre des FAC ait été ou non accusé d’une infraction en vertu de la LDN ou du Code criminelNote de fin d'ouvrage 480.

Lorsqu’il reçoit un rapport d’inconduite sexuelle, le commandant doit, avant tout, s’assurer de la sécurité et du bien-être de la victimeNote de fin d'ouvrage 481 puis consulter le conseiller juridique de l’unité sur les mesures à prendreNote de fin d'ouvrage 482 tout contact avec la victimeNote de fin d'ouvrage 483. De même, avant que la police ou l’unité n’entame une enquête quelconque, le commandant peut également prendre des mesures administratives comme le fait de relever le contrevenant de ses fonctions militairesNote de fin d'ouvrage 484. Et comme l’exige la politique des FAC, toute intervention à la suite d’un incident présumé d’inconduite sexuelle devrait, si possible, refléter les préférences de la victime, notamment sa décision d’entamer ou non une procédure administrativeNote de fin d'ouvrage 485.

Mesures intérimaires

Les commandants disposent d’un certain nombre de moyens administratifs qui découlent de leurs responsabilités générales, à savoir qu’un « commandant est responsable de l’organisation et de la sécurité de sa base, son unité ou son élément, mais la répartition détaillée du travail entre lui-même et ses subordonnés est laissée substantiellement à sa discrétion »Note de fin d'ouvrage 486.

Par exemple, un commandant peut retirer un mis en cause d’un poste de supervision, changer provisoirement son lieu de travail ou ordonner que cette personne n’ait aucun contact ou aucune forme de communication, directe ou indirecte, avec la victime ou les témoins, si les deux se trouvent dans la même unité et sous l’autorité du commandantNote de fin d'ouvrage 487.

Les commandants peuvent également retirer un membre du commandement par suite d’une allégation d’inconduite sexuelleNote de fin d'ouvrage 488. Ce processus n’est régi ni par la LDN ni par les ORFCNote de fin d'ouvrage 489. En général, le commandant qui a le pouvoir de nommer un commandant a également le pouvoir de le démettre de son commandementNote de fin d'ouvrage 490 la révocation étant tributaire d’une perte de confiance en la capacité de ce membre à exercer efficacement ses fonctionsNote de fin d'ouvrage 491. Les directives applicables du CEMD stipulent ceci : « les allégations d’inconduite personnelle ou professionnelle pourrait influencer la perception d’un commandant par ses subordonnés et exiger une exclusion temporaire du commandement pendant la durée de l’enquête »Note de fin d'ouvrage 492.

Selon les directives des FAC, les révocations de commandement devraient, sauf dans les cas les plus exceptionnels, être temporaires, la décision de poursuivre cette révocation étant prise une fois que toutes les informations sont connues et que l’équité procédurale a été respectéeNote de fin d'ouvrage 493. Les décisions de révocation du commandement peuvent faire l’objet d’une révision : pour les officiers généraux, la décision de révocation sera généralement prise par leur autorité responsable des nominations et toute révision de cette décision sera menée par le Conseil des Forces armées (CFA) qui conseille le CEMDNote de fin d'ouvrage 494.

Il n’existe pas de règles permettant de déterminer la latitude à accorder à un subordonné ou le degré de tolérance de la part d’un supérieurNote de fin d'ouvrage 495. Avant de retirer un membre du commandement, un commandant doit prendre en compte un certain nombre de facteurs, notamment :

  • la gravité des allégations;
  • la « notoriété » du problème et la perception qu’en ont les FAC et le public;
  • les principes d’éthique de la Défense canadienne;
  • l’aptitude du sujet à dûment exercer ses fonctions de commandement, y compris les fonctions de leadership et disciplinaires, tout en conservant la confiance du public;
  • l’aptitude du sujet à exercer le commandement dans les circonstances actuelles et projetées;
  • le meilleur intérêt des FACNote de fin d'ouvrage 496.

Cette liste de facteurs, dont la « perception du public » et la nécessité de maintenir la « confiance du public », reflète à quelle difficulté se heurte la décision. En clair, les commandants doivent bénéficier de conseils juridiques bien fondés sur ce que signifie « l’intérêt public », qui tiennent compte du paysage culturel actuel, sachant que ce dernier évolue, tout comme la perception qu’a le public canadien des FAC et de ce qui constitue une conduite appropriée. Les commandants doivent donc être attentifs à cette évolution lorsqu’ils considèrent l’intérêt public.

Un commandant peut également relever provisoirement un militaire de ses fonctions, lorsqu’il existe des motifs raisonnables de croire que cette personne a commis une infraction en vertu de la LDN ou du Code criminel, qu’elle a été accusée ou reconnue coupable d’une telle infraction et/ou que le commandant juge « nécessaire » de l’écarter de son unitéNote de fin d'ouvrage 497. Dans ces circonstances, le militaire doit se voir accorder une possibilité raisonnable de faire valoir ses arguments avant d’être relevé, et le commandant doit tenir compte de cette réponse et motiver sa décisionNote de fin d'ouvrage 498. La relève des fonctions militaires donne lieu à une « suspension avec solde »Note de fin d'ouvrage 499.

Les directives suivantes s’appliquent en cas de retrait des fonctions militaires :

  • Retirer un militaire de ses fonctions ne devrait être considéré qu’après avoir conclu qu’aucune autre mesure administrative n’est adéquate étant donné les circonstances. Dans sa décision de retirer ou non le militaire de ses fonctions, l’autorité doit peser l’intérêt public – y compris l’efficacité opérationnelle et le moral – et les intérêts du militaire. Le commandant doit surveiller chaque cas en vue de prendre les mesures appropriées si les circonstances qui entouraient la décision de retirer un militaire de ses fonctions n’existent plusNote de fin d'ouvrage 500.

J’observe que la directive susvisée à l’intention des commandants est qu’ils ne devraient envisager le retrait des fonctions militaires « qu’après avoir conclu que d’autres mesures administratives sont inadéquates dans les circonstances ». Des directives similaires sont indiquées dans le contexte d’une révocation du commandementNote de fin d'ouvrage 501. Je suis en désaccord avec cette politique. Le retrait des fonctions militaires – ou la révocation du commandement – devrait être possible, au même titre que d’autres mesures, pour que les commandants puissent répondre à l’inconduite sexuelle de manière immédiate et provisoire.

Enquête et prochaines étapes

Lorsqu’une unité est informée d’allégations selon lesquelles l’un de ses membres a commis une inconduite sexuelle, une enquête doit être entreprise pour déterminer les mesures à prendre.

À la lumière des résultats de toute enquête, les commandants doivent déterminer s’il existe des preuves suffisantes pour justifier une mesure administrative, ce qui peut être fait notamment en cas d’inconduite sexuelle, lorsqu’il existe des preuves claires et convaincantes qui établissent, selon la prépondérance des probabilités, qu’un incident ou un manquement à la conduite a eu lieuNote de fin d'ouvrage 502.

Dans les cas où l’enquête a été menée par les autorités civiles, le dossier d’enquête ne sera pas accessible au commandant. Toutefois, si le membre des FAC est déclaré non coupable, un examen de la transcription du procès, de la décision du tribunal ou du compte rendu de la procédure peut aider à déterminer s’il y a suffisamment de preuves qu’une inconduite sexuelle s’est bien produiteNote de fin d'ouvrage 503. En outre, rien n’empêche l’unité de mener une enquête interne afin de recueillir des informations, une fois que la police civile aura terminé la sienne.

Selon les directives des FAC, un commandant doit déterminer les mesures administratives qui s’imposent, et ce, au regard d’un certain nombre de facteurs, notamment le grade du membre, son occupation militaire, son expérience et son poste, ses manquements antérieurs à la conduite, s’il en est, et son rôle de leadershipNote de fin d'ouvrage 504. Face à une inconduite sexuelle, le commandant doit également tenir compte du degré d’intrusion ou de violence de l’acte, de la peine imposée – le cas échéant –, du fait que la personne mise en cause a ignoré une demande de s’arrêter ou a omis de confirmer le consentement, des circonstances de la victime – y compris les incidences sur sa santé et son bien-être –, et de la relation du mis en cause avec la victime, y compris une quelconque position d’autorité ou de confiance, ou une différence de rangNote de fin d'ouvrage 505.

Les mesures administratives peuvent consister, entre autres, à imposer des mesures correctives (telles qu’un avertissement écrit, décrit ci-dessous), une mutation professionnelle, une affectation, une rétrogradation, une recommandation de libération émise par une autorité de mise en œuvre telle qu’un commandant, ou une libération des ForcesNote de fin d'ouvrage 506. Dans les cas graves d’inconduite sexuelle, y compris les récidives ou les inconduites cumulées, une recommandation de mise en libération peut être la seule mesure efficace que doit prendre un commandantNote de fin d'ouvrage 507.

Les mesures administratives prises suite à un incident d’inconduite sexuelle doivent être mises en œuvre après avoir demandé la consultation et l’orientation du directeur – Administration (Carrières militaires) (DACM 2). C’est-à-dire qu’un commandantNote de fin d'ouvrage 508 doit communiquer avec le DACM 2, qui se trouve au QGDN, lorsqu’il détermine qu’il y a eu inconduite sexuelle et que des mesures administratives pourraient être justifiéesNote de fin d'ouvrage 509. Toutefois, je comprends que les conseils reçus se limitent à la question de savoir si une quelconque mesure administrative doit être entreprise, et ne portent pas précisément sur la nature des mesures envisagées. Rappelons que celles-ci, y compris les mesures correctives et toute décision de libérer le contrevenant des Forces, sont soumises à la procédure de règlement des griefsNote de fin d'ouvrage 510.

Mesures correctives

Au chapitre des mesures correctives, un commandant, face à une inconduite de quelque nature que ce soit, peut user de diverses options. Celles-ci sont, par ordre d’importance croissante : première mise en garde; avertissement écrit, et mise en garde et surveillance.

Les mesures correctives sont censées faire prendre conscience au membre des FAC de sa conduite ou de son rendement déficients, l’aider à surmonter cette déficience et lui donner le temps de se corriger ou d’améliorer son rendement avec le soutien de sa chaîne de commandementNote de fin d'ouvrage 511. À la différence des mesures disciplinaires, les mesures administratives remettent en question l’aptitude d’un membre à poursuivre sa carrière militaire, la mesure administrative appropriée étant alors celle qui cible le mieux le degré d’incompatibilité entre la faute commise par le membre des FAC et son maintien au sein de l’institutionNote de fin d'ouvrage 512.

Il appartient au commandant de choisir, de mettre en œuvre et d’administrer la mesure correctiveNote de fin d'ouvrage 513. Lorsqu’il détermine si une telle mesure doit être appliquée, il doit considérer ce qui suit :

  • les conséquences potentielles si des mesures correctives ne sont pas entreprises;
  • si une autre mesure administrative serait plus appropriée;
  • si le manquement à la conduite ou au rendement pourrait être traité plus adéquatement par une mesure disciplinaire;
  • l’existence de toute contrainte à l’emploi pour raisons médicales pertinente;
  • si une incapacité divulguée était un facteur déterminant dans le manquement à la conduite ou au rendementNote de fin d'ouvrage 514.

Avant de prescrire une mesure corrective, celle qu’il juge appropriée, le commandant est censé procéder à un examen approfondi du dossier personnel du membre, notamment des incidents antérieurs d’inconduite. Comme le recommande la politique du DACM (décrite plus loin), il devrait d’abord entreprendre un examen administratif au niveau de l’unité (EANU), en particulier lorsque le cas du membre est complexeNote de fin d'ouvrage 515.

Les mesures correctives doivent être administrées en toute confidentialité. Pour la première mise en garde et les avertissements écrits, l’avis peut être donné verbalement. En revanche, s’agissant de conditions et de surveillance, il m’a été précisé qu’un Avis d’intention d’entreprendre une mise en garde et surveillance doit être émis. Pour toutes les mesures correctives, la personne mise en cause a la possibilité d’y répondreNote de fin d'ouvrage 516 et ce n’est qu’après examen attentif de sa réponse qu’une mesure corrective peut être mise en placeNote de fin d'ouvrage 517.

Chaque mesure corrective s’accompagne d’une période de suivi, le temps que le membre puisse surmonter la déficience et que le superviseur, évaluer ses progrèsNote de fin d'ouvrage 518. Dans le cas d’une première mise en garde et d’un avertissement écrit, la période de suivi varie entre un minimum de trois mois et un maximum de six mois. S’agissant de conditions et de surveillance, la période de suivi varie de six mois au minimum à douze mois au maximumNote de fin d'ouvrage 519. Lorsque ces dernières mesures sont prises à l’encontre d’une inconduite sexuelle, les formulaires connexes et un compte rendu de chaque séance de briefing sur les progrès doivent être transmis au DGCMNote de fin d'ouvrage 520.

Les mesures correctives sont censées être spécifiques, mesurables, réalisables, réalistes et opportunesNote de fin d'ouvrage 521. Elles imposent également aux commandants l’obligation de tenir des séances de briefing sur les progrès accomplis et de préparer un compte rendu écrit de chaque séance. Ces rapports doivent être versés au dossier personnel du membre, ainsi que le libellé des mesures correctives et la lettre de clôture obligatoire. Par ailleurs, les unités doivent faire le suivi de toutes les mesures correctives afin de s’assurer que des séances-bilan de progression ont lieu et que les dossiers sont officiellement classés à la fin de la période de suiviNote de fin d'ouvrage 522. Cela dit, il m’a été donné à savoir qu’il n’existe pas, au niveau de l’unité, de système de suivi centralisé des mesures correctives et du suivi.

Les mesures correctives peuvent avoir des conséquences sur la carrière. En effet, un membre des FAC qui est soumis à des conditions et à une surveillance ne peut bénéficier d’une promotion ni ne pourrait prétendre à une affectation pendant la période de surveillanceNote de fin d'ouvrage 523. De la même manière, un officier chargé des comptes rendus pourrait commenter une insuffisance dans l’évaluation du rendement, ce qui pourrait se traduire par des répercussions sur la carrière du membreNote de fin d'ouvrage 524.

D’autre part, arrivé au terme de la période de surveillance en ayant remédié à la déficience, le membre des FAC verra déposer dans son dossier personnel un résumé écrit et, si une insuffisance persiste, il fera l’objet de mesures administratives supplémentaires.

Examens administratifs

Dans les cas de manquement à la conduite, on a recours à l’examen administratif afin de déterminer quelle mesure administrative est la mieux adaptée, s’il y a lieuNote de fin d'ouvrage 525. Un tel examen n’est pas obligatoire avant la mise en place de mesures correctives, telles que la première mise en garde, l’avertissement écrit, des conditions et une surveillance, sauf que la politique du DACM invite les commandants à entreprendre une EANU dans tous les cas, surtout lorsque des conditions et surveillance sont envisagéesNote de fin d'ouvrage 526.

L’EANU a pour but d’organiser et de résumer les faits et les allégations dont fait l’objet le membre, d’analyser le cas en consultation avec les personnes-ressources compétentes (comme le conseiller juridique) et de recommander des mesures correctives. À ce titre, les EANU se rapprochent des examens administratifs menés par le DACM, sauf qu’ils sont moins formels et qu’ils sont censés obéir aux principes de l’équité procéduraleNote de fin d'ouvrage 527.

Lorsque le commandant a conclu qu’un Avis d’intention de recommander la libération est la mesure administrative qui convient, le DACM entreprend un examen administratif pour déterminer si la libération du contrevenant est, dans les circonstances, la mesure appropriéeNote de fin d'ouvrage 528. En général, pour une inconduite sexuelle marquée de comportements répétés ou flagrants, la décision quant à la mesure administrative adaptée est prise par cette autorité administrative centrale. Les victimes ne sont pas partie prenante du processus d’examen administratif, bien qu’elles se voient communiquer des informations générales sur les mesures administratives.

Les examens administratifs que mène le DACM font intervenir à la fois le membre qui fait l’analyse de l’examen et l’autorité approbatrice qui met en branle les mesures administratives à la suite de cette analyseNote de fin d'ouvrage 529 – leur niveau (soit celui de l’analyste et de l’autorité approbatrice) dépend du grade du membre dont la conduite est mise en examen. Par exemple, seul le CPM peut faire office d’autorité approbatrice des mesures administratives impliquant un officier généralNote de fin d'ouvrage 530.

Il est de la politique des FAC que les examens administratifs soient conduits dans le respect d’une procédure équitable. Cela signifie que le membre visé par un tel examen doit recevoir avis de ce dernier et se voir communiquer les documents et informations pertinents sur lesquels l’autorité approbatrice fondera sa décisionNote de fin d'ouvrage 531. Le mis en cause peut adresser des représentations écrites à l’autorité approbatrice qui doit en tenir compte avant de prendre sa décisionNote de fin d'ouvrage 532. Le membre bénéficie du soutien d’un officier désigné qui assure la liaison avec l’analyste. Le membre est ensuite informé par écrit de l’issue de l’examen administratifNote de fin d'ouvrage 533.

De 2015 à août 2021, le DACM a entrepris 290 examens administratifs en lien avec des cas d’inconduite sexuelle. De ces examens, aucun ne portait sur la conduite d’un officier supérieur ayant le grade de colonel ou de capitaine de vaisseau. Aucun ne visait un officier général. La majorité d’entre eux avaient pour cible des militaires du rang subalternes :

Tableau 5. Nombre d’examens administratifs par grade – de 2015-2016 au 31 août 2021Note de fin d'ouvrage 534

Grade de l’accusé Nombre d’EA
Officier général 0
Officier supérieur 7
Officier subalterne 47
Officier subordonné 8
Militaires du rang supérieur 41
Militaire du rang subalterne 186

Sur ces 290 examens administratifs entrepris par le DACM, 124 ont abouti à une mesure administrative autre que la libération des Forces.

Tableau 6. Nombre de mesures administratives – de 2015-2016 au 31 août 2021Note de fin d'ouvrage 535.

Mise en garde et surveillance Première mise en garde Avertissement écrit Maintien en service sans restriction de carrière
44 1 27 52

Comme le montre le tableau ci-dessus, en dernière analyse le DACM peut conclure – bien que le commandant ait recommandé la libération – que le maintien du membre sans restriction de carrière (y compris sous la forme de mesures correctives) est approprié. Je comprends que cette décision peut s’expliquer, en partie, par le fait que le DACM a conclu que les preuves sont insuffisantes pour étayer la recommandation de libération ou peut-être que d’autres recours (tels que les modes alternatifs de résolution des conflits (MARC)) conviennentNote de fin d'ouvrage 536. Je n’ai pas l’intention de spéculer sur les raisons pour lesquelles une cinquantaine des examens administratifs relatifs à l’inconduite sexuelle ont abouti au maintien du membre en service, sans restriction de carrière. Il demeure que, s’agissant des dossiers pour lesquels un commandant a recommandé la libération, recommandation écartée par le DACM ayant conclu qu’aucune mesure administrative n’était nécessaire, les FAC auraient intérêt à faire entreprendre un examen externe à l’instar du PEAS lancé par le SNEFCNote de fin d'ouvrage 537. L’objectif de cette recommandation est de prévoir une évaluation de la qualité menée de l’extérieur, pour apporter un apport externe au processus d’examen administratif en ce qui concerne l’inconduite sexuelle, afin de garantir les meilleures pratiques.

Recommandation nº 6

Le DACM devrait, au sujet des examens administratifs entrepris de 2015 à ce jour et portant sur l’inconduite sexuelle qui ont abouti au maintien du membre sans restriction de carrière, s’engager dans une évaluation d’assurance qualité menée en externe – d’une manière semblable à ce que prévoit le PEAS, une initiative du SNEFC.

Dans son rapport de 2018, le BVG, a évalué dans quelle mesure les FAC ont résolu en temps voulu et de manière cohérente les cas signalés. Il a constaté que, dans la majorité des 29 dossiers qu’il a échantillonnés et où les membres ont été soit libérés, soit maintenus en service sans mesures correctives, les décisions étaient cohérentes lorsque des facteurs tels que le grade, l’incident et la gravité étaient pris en compteNote de fin d'ouvrage 538. Cela dit, le BVG relève qu’une fois que le DACM a décidé d’une mesure corrective, il appartient au commandant du contrevenant de déterminer le type d’activités que celui-ci doit entreprendre pour satisfaire à la mesure corrective : « […] vu cette latitude accordée […], les activités imposées par les commandants, comme la rédaction d’une dissertation et des séances de formation, variaient grandement »Note de fin d'ouvrage 539.

Selon le BVG, les FAC et le CIIS élaboraient une liste d’activités indicatives pouvant satisfaire aux mesures correctives appropriées en cas d’inconduite sexuelle. Le BVG a souscrit à l’idée de lignes directrices claires afin de faciliter aux commandants la mise en œuvre cohérente des mesures correctivesNote de fin d'ouvrage 540. En guise de mise à jour à ce propos, il m’a été donné à savoir que le DACM ne fournit pas de directives sur les mesures spécifiques que le commandant peut choisir de mettre en place pendant la période de suivi d’une mesure corrective, et que le CCPC et le CIIS n’avaient rien d’autre à dire à ce chapitre.

Il y a du mérite à ce que les commandants, face à des problèmes mineurs, puissent prendre des mesures discrétionnaires au niveau de l’unité. Les commandants doivent avoir le contrôle sur leurs subordonnés et devraient agir en s’attaquant avec souplesse aux incidents mineurs d’inconduite.

Les commandants devraient bénéficier de lignes directrices sur la marche à suivre pour mettre en œuvre des mesures correctives en cas d’inconduite sexuelle. Toutefois, ces lignes directrices devraient viser à s’assurer qu’ils sont informés des dernières considérations et mesures des mieux adaptées à l’inconduite sexuelle, comme les démarches réparatrices ou d’autres nouvelles initiatives. J’encourage le CCPC de travailler en concert avec le CIIS afin d’assurer que les commandants disposent d’une orientation actualisée à cet égard.

Libération des FAC

En décidant des mesures administratives appropriées, un commandant doit choisir entre une mesure corrective ou un Avis d’intention de recommander la libération. Il ne peut pas agir dans les deux sens, les directives à ce sujet ayant même établi que si la libération est jugée la mesure la plus justifiée, il est « contradictoire et déconseillé », voire « illogique » de prescrire au membre une mesure corrective pour le même incidentNote de fin d'ouvrage 541.

De ce que je comprends, le fait de délivrer un Avis d’intention de recommander la libération est, en soi, une mesure administrative. Le contrevenant peut la contester, y répondreNote de fin d'ouvrage 542 et le commandant doit tenir compte de toutes ses objections et représentations en déterminant s’il doit, oui ou non, recommander sa libérationNote de fin d'ouvrage 543. Si le commandant détermine que la recommandation de libération ne convient plus, il peut prendre une mesure corrective (après consultation du DACM 2 dans les cas d’inconduite sexuelle)Note de fin d'ouvrage 544. S’il donne suite à la recommandation de libération, le commandant doit faire parvenir au DACM 2 toute la documentation pertinente, y compris les renseignements de l’enquête ou d’ordre médical, ainsi que le motif en vertu duquel la libération du membre est recommandéeNote de fin d'ouvrage 545.

Saisi du dossier, dont la recommandation de libération, le DACM entreprenant un examen administratif ultérieur suivant les mêmes étapes exposées ci-dessusNote de fin d'ouvrage 546. À l’issue de celui-ci, le DAMC peut, entre autres mesures, confirmer la libération du contrevenant, prendre une mesure corrective (dont l’administration relève de la responsabilité de l’unité) ou décider plutôt de le maintenir dans les Forces sans mesure corrective. Cette dernière option peut s’accompagner d’une recommandation de mutation professionnelle obligatoire ou d’une autre mesure, selon les circonstancesNote de fin d'ouvrage 547.

Il m’a été donné d’entendre des critiques quant à la manière dont le DACM dispose des recommandations de libération faites par les commandants, la perception étant que le DACM est trop indulgent et que cela sape l’autorité des commandants qui, parce qu’ils sont sur le terrain et proches des faits, des personnes et des répercussions sur le moral, devraient se voir confier la responsabilité de prendre la décision appropriée. D’un autre côté, je comprends le souci qu’a le DACM de vouloir s’assurer de la cohérence des normes appliquées dans l’ensemble des FAC. Tout compte fait, je crois que le DMCA devrait accorder beaucoup de poids à la recommandation du commandant si ce dernier détermine que le contrevenant, membre de son unité, ne devrait pas poursuivre son service.

Motifs de libération

Il y a cinq catégories de « motifs de libération » numérotées en vertu desquels un membre peut se voir libéré des FAC :

Les commandants peuvent émettre un Avis d’intention de recommander la libération en se fondant sur des motifs de la catégorie n° 1, 2 ou 5Note de fin d'ouvrage 550nbsp;:

Tableau 7. Catégories de motifs de libération.

Numéro Catégorie Motifs de libération Mention sur l’état de service
1 Inconduite 1(b) Inconduite relative au service militaire Libéré pour inconduite
1 Inconduite 1(d) Déclaration frauduleuse au moment de l’enrôlement Libéré pour inconduite
2 Service non satisfaisant 2(a) Conduite non satisfaisante Cessation du service
2 Service non satisfaisant 2(b) Rendement non satisfaisant Cessation du service
5 Service terminé 5(d) Ne peut être employé avantageusement Libéré honorablement
5 Service terminé 5(f) Inapte à continuer son service militaire Libéré honorablement

Selon le motif de libération, il peut résulter des conséquences quant à un emploi futur au sein du gouvernement fédéralNote de fin d'ouvrage 551. Fait notable, l’attribution d’un numéro doit se faire après que le motif de libération a été déterminé, afin de s’assurer que le libellé ne serve de prétexte pour stigmatiser la libération d’un membreNote de fin d'ouvrage 552.

Des 290 examens administratifs pour inconduite sexuelle menés par le DACM, de 2015 à août 2021, seulement 166 ont abouti à une libération, la moitié de ces libérations environ étant assorties d’une mention négative sur l’état de service.

Tableau 8. Examens administratifs relatifs à l’inconduite sexuelle. Nombre de membres libérés par type de libérationNote de fin d'ouvrage 553

Inconduite (Condamné à la destitution) 1(a) Inconduite (Déclaration frauduleuse au moment de l’enrôlement) 1(d)Note de fin d'ouvrage * Service non satisfaisant (Conduite non satisfaisante) 2(a) Service terminé (Ne peut être employé avantageusement) 5(d) Service terminé (Enrôlement irrégulier) 5(e)Note de fin d'ouvrage * Service terminé (Inapte à continuer son service militaire) 5(f)
3 1 80 3 1 78

Une libération en vertu du numéro 2(a) découle généralement d’une condamnation pour une ou plusieurs infractions d’ordre militaireNote de fin d'ouvrage 554 tandis qu’une libération en vertu de 5(f) intervient normalement en raison d’un manquement à la conduite Note de fin d'ouvrage 555. Cette dernière est censée s’appliquer aux membres :

  • coupables d’une conduite non satisfaisante, que ce soit sur le plan social ou professionnel, d’une manière telle qu’elle jette le discrédit sur les FAC;
  • coupables d’un schéma de comportements (p. ex., de nombreuses accusations mineures) entraînant, au vu des problèmes disciplinaires à gérer, une charge administrative excessive;
  • ayant refusé de se conformer aux règlements, mais dont les infractions ne sont pas suffisamment graves pour justifier une libération en vertu du numéro 2 (qui exige généralement une condamnation pour une infraction d’ordre militaire);
  • peu disposés à améliorer leur rendement, mais qui ont la capacité de le faireNote de fin d'ouvrage 556.

Libération pour comportement sexuel dommageable et inapproprié

Les membres des FAC se trouvant dans l’incapacité de respecter les normes d’universalité du service pour des raisons médicales ne peuvent être libérés en vertu du numéro 3, « Raisons de santé », qu’à l’issue d’un examen administratif mené par le DACM pour évaluer leur maintien en service.

Seul le CEMD a l’autorité de libérer les membres dont les contraintes à l’emploi pour raisons de santé sont attribuables à un CSDI et qui se sont fait connaître au DACM comme victimes d’un CSDI ayant entraîné ces contraintes à l’emploi. L’approbation et la direction de la libération par le CEMD sont nécessaires pour « veiller à ce que tous les militaires concernés par des CSDI aient toutes les chances de poursuivre leur service et ne soient pas désavantagés par la maladie ou la blessure pendant leur rétablissement ou pendant leur transition vers un autre groupe professionnel ou vers la vie hors des FAC »Note de fin d'ouvrage 557. Avant d’approuver une telle libération, le CEMD doit tenir compte d’un certain nombre de facteurs, notamment si le membre nécessite des soins, si toutes les enquêtes ou procédures sont terminées et si le membre s’est vu accorder suffisamment de temps pour bénéficier d’un soutien et de soins médicaux completsNote de fin d'ouvrage 558.

Préoccupations au sujet des mesures administratives visant l’inconduite sexuelle

Au cours de mon examen, il m’a été donné à entendre à plusieurs reprises des frustrations tantôt face aux sanctions administratives de l’inconduite sexuelle, tantôt face aux questions de transparence et de délai, qui contribuent toutes deux à miner la confiance dans le processus. Ces préoccupations ne sont pas nouvelles.

Transparence des mesures administratives

Dans son rapport de 2018, le BVG a observé des carences dans la manière dont les FAC communiquaient les informations aux victimes :

  • [...] du fait des dispositions de la Loi sur la protection des renseignements personnels, dans un bon nombre de cas, la chaîne de commandement n’avait pas indiqué aux victimes si des mesures administratives avaient été imposées ni les raisons à l’appui de la décision. Dans ces cas, les militaires pourraient avoir pensé qu’aucune mesure n’avait été prise. Les responsables ont admis que cela posait problème et ils ont commencé à chercher des solutions, par exemple demander à l’auteur de l’incident de présenter volontairement des excuses à la victime et de lui communiquer les résultats de l’examen administratifNote de fin d'ouvrage 559.

De manière générale, le BVG a recommandé aux FAC de mettre en place des services complets et intégrés de gestion de dossiers, dès le moment où la victime signale un incident jusqu’à la fermeture du dossier, et de s’assurer que les militaires, les intervenants et les responsables comprennent bien le processus de traitement d’une plainte, son déroulement et les dénouements possibles tant pour la victime que pour l’auteur présumé d’un incidentNote de fin d'ouvrage 560.

Dans son rapport de mai 2019, le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense a appelé à ce que le gouvernement « revoie les lois, règlements et politiques qui font que les membres actifs et les anciens membres des FAC ayant fait l’objet d’une inconduite sexuelle n’ont accès qu’à très peu d’information, voire aucune, au sujet des conclusions des examens administratifs qui ont été enclenchés par le dépôt d’une plainte à la suite d’une inconduite sexuelle »Note de fin d'ouvrage 561.

En juillet 2019, les FAC ont émis des directives voulant que les victimes d’inconduite sexuelle soient informées des mesures administratives. Ces directives venaient répondre, du moins en partie, au rapport de 2018 du BVG, en ce que les commandants peuvent maintenant « fournir aux victimes des renseignements sur les résultats et les conclusions des examens administratifs liés à leur plainte, ainsi que sur les mesures administratives imposées par la chaîne de commandement à la personne qui leur a causé du tort »Note de fin d'ouvrage 562. Parallèlement, ces directives visaient à combler la « lacune en matière d’information » que le BVG a soulignée dans son rapport de 2018. Les FAC ont qualifié l’approche adoptée de solution aux intérêts contradictoires en jeu face à la Loi sur la protection des renseignements personnels puisqu’elle « respecte les procédures régulières et l’équité pour tous et empêche la divulgation de renseignements personnels de nature très délicate, comme les évaluations médicales ou psychosociales ou les traitements »Note de fin d'ouvrage 563.

Les directives précitées ont depuis été remplacées par les mandats énoncés dans la DOAD 9005‑1, Intervention sur l’inconduite sexuelle, qui stipulent que le résultat des mesures administratives prises à l’encontre d’une inconduite sexuelle peut être communiqué à la victime et que le commandant de la victime est chargé de l’informer de sa capacité à demander cette informationNote de fin d'ouvrage 564. Notamment, les commandants se voient interdire la divulgation des mesures comportant des renseignements personnels très sensibles tels qu’une évaluation ou un traitement médical ou psychosocialNote de fin d'ouvrage 565.

Les documents d’orientation que j’ai examinés insistent sur la nécessité de « maintenir des lignes de communication bilatérales régulières et ouvertes » avec les victimes, y compris en cas de retards et en période d’inactionNote de fin d'ouvrage 566. Les commandants sont également appelés à gérer les attentes, à être « clairs et francs [avec les victimes] sur les types d’informations auxquelles elles peuvent ou non avoir accès tout au long du processus », et notamment sur les restrictions qui s’appliquent à la communication de renseignements personnels sensiblesNote de fin d'ouvrage 567.

De ce qui précède, je déduis que les commandants peuvent informer une victime du fait que l’incident d’inconduite sexuelle en cause a été réglé par voie de mesure administrative, mais qu’ils sont mis en garde contre la divulgation d’informations personnelles sensibles. Voilà qui, à mon sens, contribue sans aucun doute à une approche prudente de la communication avec la victime, puisqu’il est forcément plus facile de pécher par excès de prudence et de discrétion.

En revanche, je ne considère pas qu’il soit nécessaire de fournir à la victime plus d’informations que ce qui est prescrit aux fins des processus administratifs. Les FAC souhaiteront peut-être examiner la question de savoir s’il est possible d’imposer aux commandants des obligations supplémentaires en matière de divulgation (p. ex, en leur demandant de faire le point sur l’état d’avancement des plaintes auprès des victimes, lorsqu’une enquête a commencé ou est terminée ou encore lorsqu’un examen administratif a été entamé). Il n’en reste pas moins que les mesures administratives constituent une question de personnel concernant les FAC et le membre qui en fait l’objet. Mon propos ici, sous réserve de mes appréciations ci-dessous, a trait à la véritable nécessité de même prendre des mesures correctives, compte tenu des modifications que le projet de loi C-77 apportera au processus disciplinaire.

Délais associés aux mesures administratives

Dans son rapport de 2018, et s’agissant des examens administratifs entrepris par suite de comportements sexuels inappropriés, le BVG a souligné qu’il n’existait aucune politique obligeant le DACM à les mener dans un laps de temps donnéNote de fin d'ouvrage 568. D’après le BVG, même si certains retards étaient indépendants de la volonté du DACM, comme les délais d’obtention des transcriptions juridiques ou des dossiers médicaux, il lui fallait en moyenne un an pour prendre une décision et enclencher des mesures administrativesNote de fin d'ouvrage 569. Autant de délais et de retards qui, selon le BVG, contribuaient à faire croire à la victime que l’affaire n’était pas prise au sérieuxNote de fin d'ouvrage 570.

Dans un passé plus récent, pour les examens menés par le DACM entre 2015 et août 2021 au motif d’inconduite sexuelle, il s’est écoulé en moyenne 328 jours depuis l’ouverture du dossier d’examen administratif par le DACM jusqu’à la communication de la décision au membre :

Tableau 9. Temps écoulé entre l’ouverture du dossier d’examen administratif et la décision.Note de fin d'ouvrage 571

Temps écoulé Nombre de dossiers
Jusqu’à 3 mois 46
De 3 à 6 mois 67
De 6 à 9 mois 46
De 9 mois à 1 an 37
Plus d’un (1) an 94

Je comprends que la lenteur du processus tient à de nombreuses raisons. En témoignent effectivement des documents internes, selon lesquels les examens administratifs « peuvent être longs, en fonction de la complexité, des processus juridiques en cours et de la charge de travail au sein du DACM »Note de fin d'ouvrage 572. De plus, ces examens dépendent souvent d’informations provenant de tiers, ce qui peut retarder le processus. Il ne m’appartient pas d’évaluer les ressources dont dispose le DACM, même si je comprends que la charge de travail en son sein est importante. Toutefois, un délai d’attente de près d’un an – tant pour la plaignante que pour la personne mise en cause – avant de savoir si une mesure administrative, y compris la libération, sera prise contre une inconduite sexuelle, est très long. Corollairement, ce laps de temps sape la confiance vis-à-vis du commandant et risque de nuire grandement à l’efficacité des mesures administratives prises, effets qui se trouvent exacerbés dans un milieu où il pourrait arriver que les personnes concernées soient affectées ailleurs, hors de l’unité, avant la conclusion d’un examen administratif, de sorte qu’elles peuvent ne jamais être informées de sa résolution.

Les problèmes de délais peuvent devenir plus aigus, d’une part, dans les cas où les accusations d’inconduite sexuelle sont portées en vertu de la LDN ou du Code criminel. En effet, certaines parties prenantes (dont des commandants) m’ont confié qu’on attend parfois que l’enquête policière, voire le procès criminel, soit terminée avant de prendre des mesures administratives. Cette inertie, induite peut-être par le souci de comprendre les faits et de mener dûment enquête, rallonge immanquablement le temps nécessaire à la mise en œuvre des mesures administratives voulues.

Pourtant, comme le stipulent les documents d’orientation internes, les mesures administratives sont censées être complémentaires des mesures disciplinaires, les deux processus étant nécessaires au maintien de la cohésion de l’unité et de la discipline en son seinNote de fin d'ouvrage 573. Dès lors qu’un commandant (ou un analyste du DACM) est convaincu qu’une inconduite sexuelle a été commise par un membre, il peut et devrait prendre des mesures administratives sans devoir attendre l’issue d’autres procéduresNote de fin d'ouvrage 574. Même en cas d’acquittement du membre au tribunal ou d’abandon des accusations portées contre lui, des mesures administratives peuvent toujours être prisesNote de fin d'ouvrage 575.

Cette approche de politique fait écho au soutien que la juge Deschamps apporte à la nécessité de mesures parallèles : « même lorsqu’un dossier d’agression sexuelle est transféré aux autorités civiles, les FAC devraient effectuer leur propre évaluation afin de déterminer si des mesures administratives devraient être prises (par exemple, suspension, rétrogradation ou libération des FAC) »Note de fin d'ouvrage 576.

Il est primordial que les commandants réagissent à l’inconduite sexuelle, cette réaction étant une exigence du commandement. De ce fait, sous réserve de mes observations ci-dessous, reflet de mes craintes de voir se produire un chevauchement des fonctions et un dédoublement inutile du processus, lequel pourrait résulter des audiences sommaires qui seront mises en œuvre en vertu du projet de loi C-77, je prône le recours à des mesures administratives – soit le processus d’examen administratif mené en vue de la libération – parallèlement aux procédures disciplinaires.

À ceux qui se préoccupent du fait que de lancer une mesure administrative en même temps qu’une procédure pénale ou disciplinaire expose la personne visée par les deux procédures au risque de s’incriminer elle-même, je dirais qu’on arrive à éliminer ce risque dans les nombreux milieux professionnels où des mesures administratives doivent être mises en branle, sans qu’il soit nécessaire d’attendre l’issue de la procédure pénale.

J’encourage également le recours à des mesures administratives, le cas échéant, parallèlement aux enquêtes et aux procédures de la CCDP et du TCDP, respectivement, dont je traite ci-dessous dans la section sur les plaintes. Là encore, avec une représentation juridique appropriée, toutes les préoccupations peuvent être abordées par les autorités compétentes au cas par cas.

Audiences sommaires et mesures administratives : chevauchement

Les FAC révisent à présent leur procédure relative aux procès sommaires afin de donner suite aux modifications apportées à la LDN, en application du projet de loi C-77. Bientôt les audiences sommaires remplaceront les procès sommaires en cas d’infractions d’ordre militaireNote de fin d'ouvrage 577.

Ces audiences sommaires ne seront pas de nature pénale, puisqu’elles ont pour objet de sanctionner des manquements mineurs à la discipline qui ne donnent pas lieu à un casier judiciaire. La norme de preuve, la même que dans les cas de mesures administratives, étant la prépondérance des probabilités.

Suite à la mise en œuvre du projet de loi C-77, les FAC mettront en place un processus disciplinaire qui s’apparente au processus d’examen administratif, le manquement à la conduite en cause étant soumis à la même norme de preuve, les deux processus étant non criminels tant par leur nature que par leur issue. Bien que les deux processus puissent être déclenchés à l’égard de la même conduite, leurs objectifs sont dits différents, à savoir punitifs (le processus disciplinaire) et correctifs (le processus administratif). Il y a des différences qui s’observent aussi dans leur forme : les audiences sommaires sont publiques, contrairement aux examens administratifs, et ne donnent pas lieu au grief. Leurs issues sont également distinctes : les sanctions appliquées à la suite d’une condamnation pour un délit mineur vont de peines mineures à une rétrogradation, tandis que les mesures découlant d’un examen administratif vont d’une première mise en garde à la libération des Forces.

Comme je l’ai décrit plus haut dans la section consacrée à la justice militaire, il m’est encore inconnu quel type d’inconduite sexuelle, s’il en est, sera considéré comme une infraction mineure, ce qui fait qu’il relèvera du nouveau processus d’audience sommaire. À ce propos, les FAC m’ont fait entendre des avis divergents, soit que certains types d’inconduite sexuelle mineure pourraient être traités comme des infractions d’ordre militaire, donc soumis à la procédure d’audience sommaire, soit que la procédure d’audience sommaire ne sera pas engagée pour les inconduites sexuelles de quelque type que ce soit.

L’incertitude qui plane actuellement sur cette question me restreint dans ma capacité à agréer une restructuration qui soit aussi pleinement intégrée qu’elle est solide sur le plan conceptuel quant à la manière dont les FAC devraient traiter les cas d’inconduite sexuelle.

En revanche, il est clair que remplacer des procès sommaires avec des audiences sommaires rapproche un aspect du processus disciplinaire de l’arène administrative. Sinon, on peine à comprendre à quoi sert d’imposer aux commandants et à leur unité la double obligation de mener à la fois une procédure disciplinaire et une procédure administrative qui évaluent les mêmes faits selon les mêmes normes de preuve.

Si une inconduite sexuelle quelconque doit être traitée au niveau de l’unité à la fois par voie d’une audience sommaire et d’une mesure administrative – une question à propos de laquelle il m’a été communiqué des informations contradictoires – je recommande vivement aux FAC de songer à concilier les audiences sommaires et les examens administratifs pour n’en faire qu’un, en y ajoutant des mesures correctives et d’autres mesures administratives – à l’instar des libérations conditionnelles sous le régime du Code criminel – comme issue possible du processus d’audience sommaire.

Plaintes

Les plaintes concernant l’inconduite sexuelle sont, de manière générale, traitées par la chaîne de commandement. Cependant, les victimes se méfient de la chaîne de commandement et donc ne signalent pas l’inconduite sexuelle. On m’a parlé de cette méfiance à maintes reprises au cours de mon examen.

Comme solution, de multiples parties prenantes à l’intérieur et à l’extérieur de l’Équipe de la Défense ont recommandé que les plaignantes disposent d’autres possibilités de signalement – à l’extérieur de la chaîne de commandement. Cependant, je n’ai reçu aucun conseil quant à la structure de gouvernance d’une telle entité externe. Une entité externe ne saurait exister dans l’abstrait.

Conformément à ma recommandation selon laquelle les infractions sexuelles au sens du Code criminel doivent être renvoyées au système de justice pénale civile, je crois que les mécanismes de plaintes au sein des FAC, spécialement les plaintes particulièrement sérieuses, doivent être « civilarisés ». En ce sens, je recommande que si une plainte est déposée à l’encontre des FAC devant la CCDP, les FAC devraient permettre à la CCDP de procéder avec cette plainte pour harcèlement sexuel, ou pour discrimination fondée sur le sexe, que la partie plaignante ait ou non épuisé les mécanismes de plainte internes. La CCDP est à l’extérieur des FAC, et elle possède l’expérience et l’expertise nécessaires pour venir en aide aux victimes de harcèlement sexuel. De plus, les FAC devraient harmoniser leur politique de harcèlement avec le projet de loi 65 (voir ci-dessous), de façon similaire au MDN.

Ma recommandation selon laquelle les plaintes devraient être retirées de la chaîne de commandement ne doit pas être interprétée comme libérant la chaîne de commandement de ses responsabilités en matière d’inconduite sexuelle. La demande d’examens et d’entités externes doit être équilibrée avec de la nécessité pour les FAC d’assumer la responsabilité de la gestion des conflits de personnel et des questions de ressources humaines. En effet, la chaîne de commandement doit maintenir sa responsabilité d’assurer un milieu de travail sain et sécuritaire pour ses membres en utilisant tous les outils à sa disposition, y compris les mesures disciplinaires, pour régler les cas d’inconduite sexuelle en milieu de travail rapidement et efficacement. Rien n’empêche la chaîne de commandement de prendre toute autre mesure jugée nécessaire afin d’adresser l’inconduite sexuelle, en parallèle avec toute plainte déposée à la CCDP.

L’inconduite sexuelle est sui generis, et ne doit pas être confondue avec d’autres formes d’inconduite. L’ampleur et la gravité des inconduites sexuelles dans les FAC, ainsi que le traumatisme et la stigmatisation des victimes d’inconduite sexuelle, sont bien documentéesNote de fin d'ouvrage 578. Avec le temps, les initiatives qui découlent de mes recommandations pourront être adaptées et étendues à d’autres formes d’inconduite. Mais pour le moment, l’accent devrait être mis sur la résolution des problèmes liés à l’inconduite sexuelle, la forme de discrimination la plus répandue et la plus importante au sein des FAC aujourd’hui.

DOAD 5012-0, Prévention et résolution du harcèlement

Il existe deux principaux processus de plainte pour adresser l’inconduite sexuelle au sein des FAC. Outre le signalement en vertu de la DOAD 9005-1, Intervention sur l’inconduite sexuelle, les membres des FAC peuvent également déposer des plaintes de harcèlement sexuel en vertu de la politique générale des FAC en matière de harcèlement, énoncée dans la DOAD 5012-0, Prévention et résolution du harcèlement, et dans les Instructions sur la prévention et la résolution du harcèlementNote de fin d'ouvrage 579.

Avant l’adoption de la Loi modifiant le Code canadien du travail (harcèlement et violence), la Loi sur les relations de travail au Parlement, et la Loi no 1 d’exécution du budget de 2017Note de fin d'ouvrage 580 projet de loi C-65), le MDN et les FAC partageaient la même politique sur le harcèlement, qui « découl[aient] directement de la Politique sur la prévention et le règlement du harcèlement en milieu de travail du Secrétariat du Conseil du Trésor et elles y [étaient] conformes »Note de fin d'ouvrage 581.

Toutefois, à compter du 1er janvier 2021, « [l]e MDN et les FAC ont mis en œuvre une approche à deux volets »Note de fin d'ouvrage 582. Les incidents de harcèlement en milieu de travail où les deux parties sont des employés du MDN, ainsi que les incidents impliquant un employé du MDN et un membre des FAC, sont maintenant traités dans le cadre de la Politique provisoire sur la prévention du harcèlement et de la violence dans le lieu de travailNote de fin d'ouvrage 583 adoptée dans le cadre du projet de loi C-65. Les incidents impliquant uniquement des membres des FAC continuent d’être traités conformément à la DOAD 5012-0 et aux Instructions sur la prévention et la résolution du harcèlementNote de fin d'ouvrage 584.

Les plaintes déposées en vertu de la DOAD 5012-0 doivent être soumises à l’agent responsable (AR) ou au conseiller en matière de harcèlement (CH) de l’unité. La fonction de CH, qui est une fonction secondaire, nécessite un cours de cinq jours. Les plaintes qui sont d’abord soumises au CH doivent être transmises à l’AR sans délai. Une plainte peut également être soumise au prochain échelon dans la chaîne de commandement, si l’AR fait l’objet de la plainteNote de fin d'ouvrage 585.

L’AR est généralement un commandant ou son représentantNote de fin d'ouvrage 586. Après avoir reçu une plainte, l’AR doit procéder à une évaluation de la situation, en se basant uniquement sur les informations reçues de la partie plaignante, afin de déterminer si la plainte contient tous les éléments requis pour poursuivre, et si les allégations telles qu’elles sont énoncées, et si elles sont fondées, correspondent à la définition du harcèlementNote de fin d'ouvrage 587.

Si les critères de harcèlement ne sont pas remplis, l’AR informera les parties de sa décision. Si les critères de harcèlement sont remplis, l’AR tentera de résoudre la plainte en utilisant des MARC. Si les MARC ne sont pas appropriés ou n’aboutissent pas, l’AR s’assurera qu’une enquête administrative est entreprise et qu’une décision est rendueNote de fin d'ouvrage 588.

Les six critères suivants doivent être présents pour qu’il y ait eu harcèlement :

  • comportement inopportun d’une personne;
  • l’auteur savait ou aurait raisonnablement dû savoir qu’un tel comportement pouvait offenser ou causer un préjudice;
  • si le harcèlement n’est pas lié aux motifs de discrimination prévus par la Loi canadienne sur les droits de la personne, le comportement doit viser le plaignant;
  • le comportement doit avoir été offensant pour le plaignant;
  • le comportement peut être une série d’incidents ou un seul incident grave qui a eu un impact durable sur le plaignant;
  • le comportement doit avoir eu lieu en milieu de travailNote de fin d'ouvrage 589.

S’il est possible que la plainte soit liée à une infraction au Code criminel ou à une infraction au Code de discipline militaire, on fera appel à l’autorité compétenteNote de fin d'ouvrage 590.

Enquêtes de harcèlement

Si l’AR est « convaincu qu’il est en possession de tous les faits pertinents dont il a besoin et où les parties ont bien été entendues conformément aux principes de l’équité procédurale » , l’AR peut décider de rendre une décision sans enquêter davantageNote de fin d'ouvrage 591.

Si une enquête plus approfondie est nécessaire, un enquêteur chargé du harcèlement sera nommé pour mener l’enquête. Les Instructions sur la prévention et la résolution du harcèlement  prévoient que l’enquêteur « doit être en mesure de mener une enquête indépendante avec minutie, impartialité, discrétion et sensibilité » et « doit avoir reçu une formation en techniques d’enquête administrative ou d’enquête de harcèlement ». De plus, « [l]orsque c’est possible, l’[enquêteur] devrait détenir une classification civile ou un grade équivalant ou supérieur [aux deux parties] » . Enfin, les Instructions sur la prévention et la résolution du harcèlement conseillent fortement, si possible, la nomination d’un enquêteur « d’une autre unité pour diriger l’enquête »Note de fin d'ouvrage 592. Je comprends que les enquêtes de harcèlement sont parfois menées par un tiers civil, y compris des enquêteurs de la GICP.

L’enquêteur doit préparer un projet de rapport qui sera soumis à l’AR et aux deux parties pour commentaires. Le rapport final, qui doit contenir une conclusion sur l’existence ou non du harcèlement, est transmis à l’AR pour décisionNote de fin d'ouvrage 593.

Décision de l’agent responsable

L’AR a la responsabilité et l’autorité de prendre une décision finale sur la présence de harcèlement. Une fois satisfait de l’exhaustivité du rapport final, l’AR peut accepter, rejeter ou modifier, en tout ou en partie, les conclusions quant à la présence de harcèlement. L’AR décidera des mesures à prendre en conséquenceNote de fin d'ouvrage 594.

Harmoniser les politiques en matière de harcèlement du MDN et des FAC

Comme je l’ai indiqué ci-dessus, en réponse au projet de loi C-65, le MDN a mis en œuvre la Politique provisoire sur la prévention du harcèlement et de la violence dans le lieu de travailNote de fin d'ouvrage 595. Étant donné que les FAC ne sont pas assujetties au Code canadien du travailNote de fin d'ouvrage 596 les modifications législatives adoptées par le biais du projet de loi C-65 ne s’appliquent pas aux FAC.

Toutefois, dans un message adressé à l’Équipe de la Défense en décembre 2020, la SM et le CEMD de l’époque ont déclaré que « le [VCEMD] a été chargé d’examiner les changements qui pourraient être apportés aux politiques et programmes des FAC » , afin de « le[s] moderniser et de [les] harmoniser, dans la mesure du possible, avec le Code canadien du travail »Note de fin d'ouvrage 597. Selon des représentants du sous-ministre adjoint (Ressources humaines – Civils), SMA(RH-Civ), il y a eu des échanges sur la possibilité d’une approche unifiée de l’Équipe de la Défense en ce qui concerne la politique sur le harcèlementNote de fin d'ouvrage 98.

Je comprends que la gestion du projet de loi C-65 relève maintenant du mandat du groupe du CCPC, et que c’est la GICP, qui relève maintenant du CCPC, qui est le « responsable » des travaux visant à moderniser les politiques de harcèlement des FAC et à les harmoniser avec le Code canadien du travailNote de fin d'ouvrage 599. Selon le rapport annuel 2021 du GICP :

  • Au cours de la prochaine année, d’autres travaux seront menés par le programme de GICP et un groupe de travail des FAC aux fins suivantes : améliorer le cadre de prévention des FAC afin qu’il corresponde, dans la mesure du possible, à l’intention du Code canadien du travail; assurer une harmonisation avec d’autres cadres et programmes existants (c.-à-d. les cadres et programmes relatifs à l’inconduite sexuelle et à la conduite haineuse); accroître la sensibilisation et réorganiser la formation axée sur les rôles; fournir une trousse d’outils complète à la chaîne de commandement pour aider à la résolution des incidents.Note de fin d'ouvrage 600.

J’ai demandé une mise à jour du groupe du CCPC sur l’état d’avancement de l’harmonisation des politiques des FAC avec le projet de loi C-65. On m’a informée qu’il n’y avait pas beaucoup d’information disponible pour le moment.

Les FAC doivent accélérer leur travail afin d’harmoniser leurs politiques en matière de harcèlement avec le projet de loi C-65. Conformément à mes recommandations visant à  « civilariser » de types de procédures, je crois que les FAC devraient être assujetties aux mêmes règles, ou à des règles similaires, en matière de harcèlement que le reste de la fonction publique fédérale.

Dans le cas où la CCDP n’accepterait pas une plainte, les membres des FAC pourraient alors se tourner vers le processus actuellement disponible pour les employés du MDN en vertu du projet de loi C-65, lequel processus a une portée plus large pour prévenir le harcèlement.

Gestion intégrée des conflits et des plaintes

La GICP a un rôle à jouer dans les plaintes de harcèlement déposées par les membres des FAC.

De manière générale, la mission de la GICP est de « permettre à l’Équipe de la Défense de gérer efficacement ses conflits et ses plaintes rapidement, localement et de façon informelle et l’orienter dans le cadre de cet effort au moyen de mécanismes formels, le cas échéant »Note de fin d'ouvrage 601. Jusqu’à récemment, la GICP relevait du VCEMD. Elle relève désormais du CCPC. Elle a atteint sa pleine capacité opérationnelle le 20 juillet 2018.Note de fin d'ouvrage 602.

Le siège de la GICP se trouve à Ottawa. Toutefois, ses services de gestion des conflits et des plaintes (SGCP) sont répartis dans 16 bureaux des SGCP sur les bases et escadres à travers le Canada. Ces bureaux sont dotés de personnel militaire et civil. Tous les membres des FAC, y compris les commandants, peuvent consulter un agent ou un superviseur d’agent des SGCP pour obtenir des renseignements sur la procédure de plainte pour harcèlement. Répondre à ces demandes est la tâche principale des agents des SGCP, pour laquelle ils reçoivent davantage de formation que les CH. Les agents des SGCP font partie de la direction de prestation des services de la GICP. L’équipe de prestation de services, en plus d’offrir des conseils spécialisés, en plus de fournir les mécanismes de MARC de la GICP, offrant des services d’accompagnement, de médiation, de facilitation et de rétablissement du milieu de travail, ainsi que de la formation. Ces MARC sont accessibles aux fonctionnaires du MDN et aux membres des FACNote de fin d'ouvrage 603.

En plus des conseils et des MARC par le biais de son équipe de prestation de services, la GICP conserve également la gestion du système de règlement des griefs des FAC, y compris la surveillance et l’administration complètes de la procédure de r grief des FAC, ainsi que la communication de l’intention du CEMD en ce qui concerne la résolution des griefsNote de fin d'ouvrage 604.

La GICP répond également aux cas de discrimination en assurant l’analyse, la médiation et la résolution des plaintes relatives aux droits de la personne. Elle assure le suivi des dossiers externes aux systèmes des FAC, lesquels je comprends, inclut la CCDP et le TCDPNote de fin d'ouvrage 605. Enfin, la GICP conseille la chaîne de commandement en matière de harcèlement et de violence en milieu de travail, et est mandatée par les FAC pour enquêter sur les cas de harcèlement dans certains casNote de fin d'ouvrage 606.

Rôle de la GICP vis-à-vis le harcèlement sexuel

Selon le ministre et le CEMD de l’époque :

La GICP contribue aussi au traitement de deux recommandations faites par l’ancienne juge de la Cour suprême Marie Deschamps dans son rapport de mars 2015, soit la nécessité de simplifier le processus de plainte de harcèlement et la nécessité de mettre sur pied un meilleur système de suivi des plaintes de harcèlementNote de fin d'ouvrage 607.

Comme mentionné ci-dessus, les agents des SGCP (et leurs superviseurs) peuvent aider tous les membres des FAC, y compris la chaîne de commandement, à comprendre les politiques et les procédures relatives au harcèlement, et les conseiller sur les options qui s’offrent à eux. Cependant, les bureaux des SGCP ne sont pas des centres de signalement, et les plaintes ne sont pas déposées auprès des agents des SGCP.

La GICP n’a aucune autorité en ce qui concerne le respect du processus de résolution des plaintes. Cependant, elle peut aider un membre des FAC à s’assurer que le processus de plainte est respecté en facilitant la communication avec la chaîne de commandement. On m’a dit que dans une bonne majorité des cas, c’était efficaceNote de fin d'ouvrage 608.

En ce qui concerne la mise en place d’un meilleur système de suivi des plaintes de harcèlement, la GICP a établi le SIESP. Cependant, seules les plaintes qui sont portées à l’attention d’un agent des SGCP, ou d’un CH qui a reçu une formation sur l’utilisation du SIESP, sont consignées dans le SIESP. Entre juillet 2018 et août 2021, seuls 29 cas de harcèlement sexuel ont été consignés dans le SIESPNote de fin d'ouvrage 609 trois en 2018 (juillet à décembre), 13 en 2019, huit en 2020 et cinq en 2021 (janvier à août).

Enfin, il existe un protocole entre la GICP et le CIIS selon lequel les agents de la GICP fourniront les coordonnées du CIIS dans les cas où un comportement sexuel inapproprié est signalé et où le membre cherche à obtenir du soutien et des ressources supplémentairesNote de fin d'ouvrage 610 et les conseillers du CIIS encourageront les membres des FAC qui ont été victimes d’inconduite sexuelle à s’adresser à la GICP pour obtenir de l’aide afin de déposer une plainteNote de fin d'ouvrage 611.

Rôles conflictuels de la GICP

Dans la mesure où les plaintes portent sur des questions d’inconduite sexuelle, le travail de la GICP semble faire double emploi avec le mandat que je recommande pour le CIIS, lequel possède une plus grande expertise dans l’aide aux victimes et aux survivantes d’inconduite sexuelle. Cependant, la GICP a une présence sur les bases/escadres que le CIIS n’a pas présentement, bien qu’il travaille activement à l’établissement de bureaux régionaux. En outre, la GICP est une opération des FAC, qui est sans doute encore trop étroitement liée à la chaîne de commandement pour susciter la confiance des plaignantes en matière d’inconduite sexuelle.

La GICP fournit des services à la chaîne de commandement et aux membres des FAC, qu’ils soient plaignants ou intimés. Selon le rapport annuel 2021 de la GICP, les demandes de renseignements de la chaîne de commandement aux bureaux des SGCP représentaient « environ 50 % de toutes les demandes de renseignements »Note de fin d'ouvrage 612. Il existe un conflit d’intérêts manifeste dans les multiples fonctions de la GICP, qui consistent à conseiller à la fois la partie plaignante et l’intimé, ainsi qu’à soutenir la chaîne de commandement. La GICP ne peut pas assumer tous les rôles dans la gestion de conflits, y compris en ce qui concerne les griefs et les plaintes relatives aux droits de la personne.

Comme expliqué ci-dessous en ce qui concerne le CIIS, le soutien apporté aux victimes ne doit pas se confondre avec le soutien apporté à la chaîne de commandement et aux intimés. Cela ne peut que dissuader les victimes de demander de l’aide. En effet, comme souligné ci-dessus, dans le cas de la GICP, très peu de cas de harcèlement sexuel sont consignés dans le SIESP.

En outre, toute l’aide aux victimes devrait être accessible sous l’égide du CIIS, qui devrait être entièrement consacré aux victimes. La GICP n’est pas en mesure de fournir des conseils aux victimes d’inconduite sexuelle. Le fait de dupliquer les services de soutien qui leur sont offerts ne fait que créer de la confusion chez les victimes quant à l’endroit où elles devraient s’adresser pour obtenir de l’aide.

Enfin, de nombreuses solutions de MARC sont offertes par la GICP. Je suis d’accord avec la juge Deschamps que « les techniques du MARC ne sont généralement pas appropriées pour résoudre les plaintes de harcèlement sexuel »Note de fin d'ouvrage 613. En ce sens, les MARC ne devraient être utilisés que dans des cas appropriés, comme ce serait le cas s’ils étaient effectués sous l’expertise de la CCDP, décrite ci-dessous.

Commission canadienne des droits de la personne et Tribunal canadien des droits de la personne

Il existe déjà une structure externe, indépendante du MDN et des FAC, qui est disponible pour recevoir, enquêter et entendre les plaintes de harcèlement sexuel contre les FAC et ses membres : la CCDP et le TCDP.

Application de la Loi canadienne sur les droits de la personne aux FAC

Les FAC sont assujetties à la Loi canadienne sur les droits de la personneNote de fin d'ouvrage 614. L’article 14(1) de la LCDP stipule que le fait de harceler un individu constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite. Le harcèlement sexuel est réputé être un harcèlement fondé sur un motif de distinction illiciteNote de fin d'ouvrage 615.

La série des DOAD 5516 traite des droits de la personne dans les FAC, et précise clairement que les membres des FAC doivent se conformer à la LCDP, et qu’en cas de pratique discriminatoire, ils peuvent déposer une plainte contre les FAC.

La DOAD 5516-0, Droits de la personne prévoit :

2.4 Le MDN et les FAC doivent :

  1. promouvoir les principes de la LCDP;
  2. informer les employés du MDN et les militaires de leurs droits et obligations en vertu de la LCDP, ainsi que des comportements qui constituent des actes discriminatoires;
  3. fournir des directives et du soutien aux chefs, aux gestionnaires et aux superviseurs afin de permettre à ceux-ci de s’acquitter de leurs responsabilités relativement à la prévention d’actes discriminatoires et à la résolution de conflits;
  4. mettre en place des processus de règlement des plaintes;
  5. surveiller l’efficacité de la présente DOAD et de la DOAD 5516-1, Plaintes relatives aux droits de la personneNote de fin d'ouvrage 616.

La DOAD 5516-1, Plaintes relatives aux droits de la personne, qui traite de la procédure de plainte, prévoit ce qui suit :

  • 2.1 Toute politique ou ligne de conduite du MDN ou des FAC qui constitue un acte discriminatoire peut faire l’objet d’une plainte en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP).
  • (… )
  • 2.3 Il est interdit aux employés du MDN et aux militaires de commettre un acte discriminatoire en milieu de travail ou encore de s’ingérer ou de tenter de s’ingérer dans le processus de plaintes relatives aux droits de la personne.
  • (… )
  • 4.1  En vertu de la LCDP, toute personne peut déposer une plainte à l’endroit du MDN ou des FAC à la suite d’un acte discriminatoire allégué. Ces plaintes sont déposées auprès de la CCDP.
  • (… )
  • 5.1 Les employés du MDN et les militaires doivent se conformer à la présente DOAD. Tout employé du MDN ou militaire qui commet un acte discriminatoire en milieu de travail ou encore s’ingère ou tente de s’ingérer dans le processus de plaintes relatives aux droits de la personne est passible de mesures disciplinaires ou administratives, ou les deux. (…)Note de fin d'ouvrage 617

De plus, la définition de harcèlement de la DOAD 5012-0 stipule que « [le harcèlement] comprend également le harcèlement au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne ». La DOAD 5019-0, Manquement à la conduite et au rendement, stipule que les membres des FAC doivent « respecte[r] la dignité et la valeur de toutes les personnes en les traitant avec respect et équité en tout temps et en tout lieu, conformément à la Loi canadienne sur les droits de la personne »Note de fin d'ouvrage 618.

Procédure de plainte en vertu de la CCDP et du TCDP

La procédure de traitement des plaintes de la CCDP est simple et peut se résumer comme suit :

  1. Dépôt d’une plainte

    Pour déposer une plainte, l’individu doit remplir un formulaire de plainte qui indique le motif de discrimination allégué, une description de ce qui s’est passé et les effets négatifs que le traitement a eu sur l’individuNote de fin d'ouvrage 619.

    Dès la réception, la CCDP étudie la plainte pour déterminer si elle est recevable et si elle peut l’accepter ou non.

  2. Informer la partie mise en cause

    Si la plainte est acceptée, la CCDP en informe par écrit la partie plaignante et la partie mise en cause. La partie mise en cause sera invitée à remplir un formulaire de réponse, qui devra être envoyé à la partie plaignante et à la CCDP. La partie plaignante aura alors l’occasion de répondre à cette réponse.

  3. Médiation

    La CCDP déterminera alors si une médiation devrait être proposée, qu’elle animerait, le cas échéant.

    Si la médiation n’est pas possible, ne fonctionne pas ou est refusée par l’une des parties, le dossier sera soumis pour évaluation.

  4. Renvoi au commissaire des droits de la personne

    Un agent des droits de la personne évaluera la plainte en examinant s’il existe des preuves suffisantes pour étayer les allégations de la partie plaignante. L’agent des droits de la personne peut demander des informations à l’une ou l’autre des parties pour préparer son rapport. Les deux parties recevront une copie de ce rapport, sur lequel elles pourront formuler des commentaires.

    Le rapport, ainsi que tout commentaire formulé par les deux parties, sera remis à un commissaire, qui examinera les informations et prendra l’une des décisions suivantes :

    • rejeter la plainte;
    • envoyer la plainte en conciliation;
    • renvoyer la décision et demander plus de renseignements et une analyse plus approfondie; ou
    • référer la plainte au TCDP.

    La décision prise par le commissaire est définitiveNote de fin d'ouvrage 620.

  5. Le TCDP

    Si la plainte est référée au TCDP, le tribunal entendra la preuve et déterminera si la plainte est fondée. Si la discrimination est avérée, le TCDP déterminera une solution appropriée. L’ordonnance peut notamment :

    • mettre fin à l’acte et prendre des mesures destinées à prévenir des actes semblables (voir l’al. 53(2)a) de la LCDP);
    • accorder à la victime les droits, chances ou avantages dont l’acte l’a privée (voir l’al. 53(2)b) de la LCDP);
    • indemniser la victime des pertes de salaire entraînées par l’acte (voir l’al. 53(2)c) de la LCDP);
    • indemniser la victime des frais supplémentaires occasionnés par le recours à d’autres biens, services, installations ou moyens d’hébergement entraînés par l’acte (voir l’al. 53(2)d) de la LCDP);
    • indemniser jusqu’à concurrence de 20 000 $ la victime qui a souffert un préjudice moral (voir l’al. 53(2)e) de la LCDP);
    • accorder à la victime une indemnité maximale de 20 000 $ si l’acte était délibéré ou inconsidéré (voir le par. 53(3) de la LCDP);
    • accorder des intérêts sur l’ordonnance d’indemnité (voir le par. 53(4) de la LCDP)Note de fin d'ouvrage 621.
Du rapport Deschamps à aujourd’hui

Le rapport Deschamps indique que la CCDP, ainsi que l’Ombudsman, apportaient « peu de soutien ou d’aide aux victimes d’agression sexuelle »Note de fin d'ouvrage 622. La juge Deschamps a expliqué :

  • La CCDP est parfois citée elle aussi comme ressource externe par les FAC. Ces dernières informent les militaires qu’elles et ils sont libres de se présenter à la CCDP pour demander une réparation en relation avec une plainte de […] harcèlement sexuel. La difficulté que présente une telle voie est que la CCDP n’accepte les plaintes de militaires que si tous les recours internes des FAC ont été épuisés. Bref, une plaignante ou un plaignant doit généralement faire cheminer sa plainte jusqu’au sommet de sa chaîne de commandement et compléter le processus de redressement de grief pour que la CCDP la considère recevable. Dans les faits, les données statistiques fournies à la REE indiquent qu’aucune plainte de harcèlement – catégorie qui inclut les plaintes de harcèlement sexuel – n’a été renvoyée au Tribunal canadien des droits de la personne entre le 1er janvier 2009 et le 18 juillet 2014Note de fin d'ouvrage 623.

Les commentaires de la juge Deschamps étaient fondés sur l’alinéa 41(1)(a) de la LCDP qui prévoit ce qui suit :

  • 41 (1) Sous réserve de l’article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu’elle estime celle-ci irrecevable pour un des motifs suivants :
  • a) la victime présumée de l’acte discriminatoire devrait épuiser d’abord les recours internes ou les procédures d’appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts;

La présidente de la CCDP m’a dit qu’à son avis, la caractérisation du processus par la juge Deschamps n’était pas tout à fait exacte. Elle a expliqué que typiquement les dossiers ne procèdent pas parce que les FAC s’y opposent, sur la base de l’article 41(1)(a), et insistent pour que les procédures internes soient d’abord épuiséesNote de fin d'ouvrage 624.

Après la publication du rapport Deschamps, les membres de la CCDP ont rencontré la commandante de l’EISF-IS afin de dissiper la perception selon laquelle la CCDP n’était pas une option viable pour les membres des FAC et « d’offrir de travailler en collaboration pour s’assurer que les plaintes de harcèlement sexuel et les autres plaintes de personnes se trouvant dans des circonstances vulnérables en milieu de travail soient traitées de manière efficace et effective »Note de fin d'ouvrage 625. [traduit par nos soins]

En particulier, la CCDP a demandé aux FAC de cesser de soulever des objections sur la base de l’article 41(1)(a) de la LCDP, permettant ainsi à la CCDP d’enquêter sur la plainte et de publier un rapport sans que les membres des FAC aient à épuiser les mécanismes de plainte internes avant de faire une plainte à la CCDP. Cependant, selon la CCDP, les FAC n’étaient pas ouvertes à cette demandeNote de fin d'ouvrage 626.

Je comprends que les FAC ont souvent adopté une position ferme dans les litiges. Cela correspond à ce que j’ai entendu concernant la résistance des FAC à l’examen. Malheureusement, cela constitue un obstacle supplémentaire pour les plaignantes qui ne devraient pas avoir à faire face à une telle position de confrontationNote de fin d'ouvrage 627.

Depuis la publication du rapport Deschamps, seules 42 plaintes contre les FAC ont été déposées auprès de la CCDP alléguant une discrimination fondée sur le sexe :

Tableau 10. Plaintes contre les Forces armées canadiennes par motif de discrimination – 2015 à 2021.

Motif de distinction Nombre de plaintes
La déficience 106
Le sexe 42
La race 38
L’origine nationale/ethnique 38
La couleur 26
La situation de famille 25
L’âge 23
La religion 19
Les autres motifs (l’état matrimonial, l’orientation sexuelle, l’identité de genre, l’état de personne graciée) 24

Note : En raison des plaintes citant multiples motifs de discrimination, le nombre total de motifs sera différent du nombre total de plaintes.

Source – Données fournies par la CCDP

Ces plaintes ne sont pas nécessairement toutes liées à l’inconduite sexuelle. On peut donc en déduire que très peu de plaintes ont été déposées auprès de la CCDP contre les FAC pour harcèlement sexuel entre 2015 et 2021. Il n’est pas possible de déterminer le nombre de plaintes par pratique discriminatoire qui auraient pu contenir des éléments d’inconduite sexuelle.

Tableau 11. Plaintes contre les Forces armées canadiennes par pratique discriminatoire – 2015 à 2021.

Acte discriminatoire Nombre de plaintes
Refus de services 10
Lien avec l'emploi 176
Lignes de conduite discriminatoires 74
Harcèlement 40

Note : En raison des plaintes citant multiples motifs de discrimination, le nombre total de motifs sera différent du nombre total de plaintes.

Source – Données fournies par la CCDP

La CCDP m’a indiqué que sa plus grande préoccupation concerne les membres des FAC qui ne s’adressent pas à elle. Elle a ajouté que la crainte de représailles est très réelle pour les victimes qui déposent une plainteNote de fin d'ouvrage 628. Toutefois, je note que la LCDP protège les plaignantes contre les représailles en faisant en sorte que « [c]onstitue un acte discriminatoire le fait, pour la personne visée par une plainte déposée au titre de la partie III, ou pour celle qui agit en son nom, d’exercer ou de menacer d’exercer des représailles contre le plaignant ou la victime présumée »Note de fin d'ouvrage 629.

La CCDP est également compétente pour traiter les plaintes qui ont eu lieu à l’extérieur du Canada « alors que la victime était un citoyen canadien ou qu’elle avait été légalement admise au Canada à titre de résident permanent »Note de fin d'ouvrage 630. Cela couvrirait la plupart des membres des FACNote de fin d'ouvrage 631.

La CCDP a réitéré son intérêt à faire partie de la solution. Elle a mentionné que le CCPC avait communiqué avec elle pour obtenir des commentaires à l’automne 2021, mais qu’elle n’avait pas eu de nouvelles depuisNote de fin d'ouvrage 632.

La CCDP a insisté sur le fait qu’elle est une option pour les membres des FAC qui subissent du harcèlement sexuel et de la discrimination fondée sur le sexe. À l’appui de cette affirmation, elle m’a assurée que depuis le rapport Deschamps, elle avait simplifié son processus de traitement des plaintes. En outre, elle a expliqué qu’elle dispose d’outils pour réduire les délais. À l’heure actuelle, les plaintes déposées contre le MDN et les FAC sont traitées de façon prioritaires. Les dossiers sont également classés par ordre de priorité en fonction de la vulnérabilité de la partie plaignante.

La CCDP m’a également assurée que, si elle disposait de ressources adéquates, elle pourrait faire face à un afflux de cas provenant des FAC. Elle a ajouté que le TCDP aurait également besoin de ressources pour s’assurer que tous les cas y soient aussi traités rapidement.

À la lumière de ce qui précède, et conformément à ma recommandation de référer toutes les infractions sexuelles au sens du Code criminel au système de justice pénale civile, je recommande que les FAC permettent à la CCDP d’évaluer toute plainte de harcèlement sexuel, ou de discrimination fondée sur le sexe, que la partie plaignante ait ou non épuisé les mécanismes de plainte internes.

Dans ma section sur les définitions de l’inconduite sexuelle et du harcèlement sexuel au sein des FAC, je recommande que les FAC adoptent la définition de harcèlement du Code canadien du travail. Je comprends que cette définition a une portée plus large que la définition du harcèlement adoptée par la CCDP et le TCDP. Toutefois, je laisse à la CCDP le soin d’interpréter ces définitions de manière contextuelle, afin de saisir les caractéristiques uniques du harcèlement sexuel dans un environnement militaire tel que les FAC.

Recommandation no 7

Les FAC ne devraient pas déposer d’objections fondées sur l’article 41(1)(a) de la LCDP, et devraient permettre à la CCDP d’évaluer toute plainte pour harcèlement sexuel ou pour discrimination fondée sur le sexe, que la partie plaignante ait ou non épuisé les mécanismes de plainte internes.

La ministre devrait demander l’aide de ses collègues pour s’assurer que la CCDP et le TCDP disposent de ressources suffisantes pour évaluer les plaintes contre les FAC et les entendre en temps utile.

Frais de justice et dommages et intérêts

En plus de l’obstacle procédural identifié ci-dessus, j’ai identifié deux autres obstacles importants auxquels se heurtent les plaignantes qui souhaitent faire valoir leurs droits en vertu de la LCDP :

  • l’absence de pouvoir du TCDP d’accorder des frais de justice; et
  • le plafonnement des dommages-intérêts à 20 000 $ pour les dommages-intérêts généraux, et à 20 000 $ pour une conduite délibérée ou inconsidérée.

Actuellement, le TCDP n’a pas le pouvoir d’accorder des frais de justice. Cette question a été réglée par la Cour suprême du Canada dans son jugement Mowat de 2011Note de fin d'ouvrage 633. Par conséquent, même si une plainte est fondée, la partie plaignante est responsable de l’intégralité des frais de justice. Ces frais peuvent représenter des milliers de dollars pour les plaignantes, selon la complexité et la longueur du dossier. À titre d’exemple, la plaignante dans l’affaire Mowat a indiqué que ses frais de justice s’élevaient à plus de 196 000 $Note de fin d'ouvrage 634.

En outre, la LCDP limite à 20 000 $ l’attribution de dommages-intérêts généraux à « la victime qui a souffert un préjudice moral »Note de fin d'ouvrage 635. Un montant supplémentaire maximal de 20 000 $ peut être accordé par le TCDP lorsque le défendeur s’est livré à l’acte discriminatoire de façon « délibéré[e] ou inconsidéré[e]»Note de fin d'ouvrage 636. Le plafond des dommages-intérêts prévu par la LCDP n’a pas été modifié depuis 1998.

De plus, à part la Saskatchewan et le Manitoba, le Canada est la seule juridiction qui impose un plafond aux dommages-intérêts généraux. Contrairement au maigre montant de 20 000 $ en dommages-intérêts généraux disponibles pour les plaignantes devant le TCDP, les tribunaux de certaines provinces ont accordé des dommages-intérêts généraux de plus de 170 000 $, notamment dans des affaires d’inconduite sexuelleNote de fin d'ouvrage 637.

Ces limites dissuadent davantage les plaignantes à retenir les services d’un avocat, ou même de déposer une plainte auprès de la CCDP. Le coût d’un avocat ou la pression de procéder sans avocat sont deux fardeaux supplémentaires qu’une plaignante peut ne pas vouloir assumer. À mon avis, les obstacles décrits ci-dessus sont incompatibles avec l’objectif du régime des droits de la personne.

Dans ce contexte, je crois que le fait de permettre au TCDP d’accorder des frais de justice et d’abolir le plafond des dommages-intérêts contribuerait grandement à améliorer l’accès à la justice pour les plaignantes, y compris les membres des FAC qui ne disposent pas d’alternatives adéquates.

Recommandation no 8

La LCDP devrait être révisée afin de permettre l’octroi de frais de justice et d’augmenter le montant des dommages-intérêts qui peuvent être accordés aux parties plaignantes ayant obtenu gain de cause. Afin de faciliter la mise en œuvre de cette recommandation, le SM devrait porter cette question immédiatement à l’attention de l’autorité compétente.

Rôle de la GICP à l’égard des plaintes relatives aux droits de la personne

J’ai noté ci-dessus que la GICP joue un rôle dans les plaintes relatives aux droits de la personne. Plus précisément, le directeur des examens externes de la GICP est responsable de la gestion de tous les dossiers destinés à la CCDP; de la préparation des réponses aux plaintes relatives aux droits de la personne déposées contre les FAC; et de fournir des conseils au personnel militaire et civil de haut rang sur les questions et les plaintes relatives aux droits de la personneNote de fin d'ouvrage 638.

En outre, le directeur de prestation des services de la GICP – qui est responsable des agents des SGCP – fournit des renseignements et des conseils aux membres des FAC sur les politiques de harcèlement au sein des FAC. Les deux directeurs relèvent de la même direction générale.

Ces responsabilités opposées créent un véritable conflit d’intérêts pour la GICP, en particulier à la lumière de ma recommandation selon laquelle les plaintes de harcèlement sexuel devraient être référées à la CCDP. La GICP ne peut pas d’une part fournir des conseils à une plaignante concernant une plainte pour harcèlement sexuel, et d’autre part être chargée de répondre au nom des FAC à une plainte pour harcèlement sexuel déposée auprès de la CCDP contre les FAC. Par conséquent, à mon avis, les responsabilités du directeur des examens externes devraient être réévaluées à la lumière de ce qui précède.

Examen du processus de plainte par le groupe du CCPC et McKinsey

Les membres de l’Équipe de la Défense disposent de plusieurs procédures de plainte. Ils peuvent signaler, divulguer ou autrement déposer une plainte relative au harcèlement sexuel et à l’inconduite sexuelle, y compris pour toutes représailles, auprès de :

  • La chaîne de commandement, en vertu de la DOAD 9005-1, Intervention sur l’inconduite sexuelle;
  • La police, qu’elle soit civile ou militaire, dans les cas d’inconduite sexuelle criminelle;
  • Pour les membres des FAC, un CH ou un AR, en vertu de la DOAD 5012-0, Prévention et résolution du harcèlement;
  • Pour les employés du MDN et le personnel des fonds non publics, à leur supérieur/gestionnaire ou au destinataire désigné, en vertu de la Politique provisoire sur la prévention du harcèlement et de la violence dans le lieu de travail;
  • Pour les membres syndiqués de la fonction publique (qui comprennent les employés du MDN et le personnel des fonds non publics), leur représentant syndical;
  • Pour les membres des FAC, l’autorité initiale (AI) dans le cadre de la procédure de de griefs militaires peut également traiter des questions relatives à l’inconduite et au harcèlement sexuels; et
  • Pour les membres de l’Équipe de la Défense, l’Ombudsman et le SMA(SE) peuvent également aborder les questions relatives à l’inconduite et au harcèlement sexuels, mais pas à titre de « premier répondant ».

Je comprends que le groupe du CCPC a retenu les services d’un consultant tiers, McKinsey & Company, pour effectuer un examen de ces processus de plaintes multiples pour le MDN et les FAC. D’après ce que j’ai compris, McKinsey a proposé un possible nouveau mécanisme de traitement des plaintes afin de fournir une approche unifiée en la matière. Ce nouveau mécanisme pour les plaintes se présente sous la forme d’un « guichet unique de signalement » chargé de recevoir les divulgations et les signalements d’inconduite. Ce guichet de divulgation est conçu pour s’appliquer à l’inconduite sexuelle, au harcèlement sexuel, aux comportements haineux et aux griefs.

Dans la mesure où il s’applique à l’inconduite sexuelle, j’ai plusieurs préoccupations concernant le processus qui, d’après ce que je comprends, est en cours d’élaboration. Premièrement, et comme je l’ai exprimé ailleurs, l’inconduite sexuelle est sui generis. Elle ne doit pas être confondue avec, ou traitée de la même manière, que d’autres formes de plaintes liées au milieu de travail.

Deuxièmement, conformément à mes recommandations, les infractions sexuelles au sens du Code criminel doivent être transférées au système de justice pénale civil et on devrait offrir aux victimes de harcèlement sexuel et de discrimination fondée sur le sexe l’option de porter plainte à la CCDP. Ce qui reste de l’inconduite sexuelle doit être adressé par la chaîne de commandement, qui doit conserver la responsabilité d’assurer la discipline. Compte tenu de ce qui précède et du mandat révisé du CIIS, le système proposé par McKinsey est peu utile en ce qui concerne le harcèlement et l’inconduite sexuels.

Troisièmement, d’après ce que je comprends, le guichet unique de signalement, pour ce qui est de la réception des plaintes, serait un hybride entre le CIIS et la GICP. Encore une fois, ceci est voué à l’échec. Il est hors de question de faire entrer le CIIS dans les FAC.

Quatrièmement, le système proposé par McKinsey créerait le même conflit d’intérêts que celui qui existe actuellement au sein de la GICP et du CIIS, résultant de leur mandat de fournir des services à la fois à la chaîne de commandement et aux membres des FAC.

Enfin, il y aurait de nombreuses similitudes entre les services offerts par le guichet unique de signalement et le CIIS. Par contre, il ne me semble pas que l’on ait encore réfléchi à ce qu’il adviendrait du CIIS lorsque le guichet unique de signalement serait mis en place. À mon avis, il y aurait probablement trop de similitudes entre les deux entités pour justifier l’existence des deux.

Un examen sommaire des solutions proposées me permet de conclure qu’elles mettent l’accent sur la structure plutôt que sur la substance, que leur mise en œuvre se heurtera à des obstacles importants et qu’elles ne sont pas appropriées, telles qu’elles sont conçues actuellement, pour traiter de quelque question liée à l’inconduite sexuelle que ce soit.

Système des griefs militaires

Le système des griefs militaires est l’un des moyens dont disposent les membres des FAC pour remédier aux manquements des FAC en matière de harcèlement sexuel, d’inconduite sexuelle ou de discrimination fondée sur le sexe. Plus précisément, le système offre une voie de recours aux membres qui s’estiment lésés par une décision, un acte ou une omission quelconque dans les affaires des FAC dans le cas où aucun autre recours de réparation ne leur est offert sous le régime de la LDNNote de fin d'ouvrage 639. Le droit au grief fait l’objet d’exceptions limitées pour les décisions prises aux termes du Code de discipline militaire et émanant des cours martiales.

Griefs liés à l’inconduite sexuelle, au harcèlement sexuel et à la discrimination fondée sur le sexe

Les griefs peuvent porter sur l’inconduite sexuelle, le harcèlement sexuel et la discrimination fondée sur le sexe, et ce, de multiples manières.

Par exemple, les membres des FAC peuvent demander réparation par l’intermédiaire du système des griefs en raison des conséquences sur leur carrière ou d’autres répercussions subies du fait de la divulgation ou du dépôt d’une plainte pour inconduite ou harcèlement sexuel. Ainsi, un membre pourrait avancer que le fait de ne pas avoir été retenu pour une affectation, un poste ou un parcours de carrière donné constitue une mesure de représailles pour avoir déposé une plainte pour agression ou harcèlement sexuel. Un membre pourrait également demander un redressement pour un traitement discriminatoire subi aux mains du personnel enseignant lors d’une formation militaire, en particulier si ce traitement semble découler du fait que cette personne a fait état ou s’est plainte d’inconduite ou de harcèlement sexuel de la part d’un collègueNote de fin d'ouvrage 640.

Si un membre des FAC est victime de harcèlement – y compris de nature sexuelle – cette personne a la possibilité de déposer une plainte pour harcèlement, qui sera traitée dans le cadre d’un processus distinct du système des griefs militaires, tel que décrit ci-dessus. Toutefois, les membres pourront déposer un grief en cas d’échec de la procédure de plainte pour harcèlement, ou selon l’issue de leur plainte. Par exemple, si, en dépit des preuves d’un comportement inacceptable, aucune enquête n’est menée ou aucune mesure adéquate n’est prise pour remédier au harcèlement, une personne pourrait déposer un grief relié à cette décision au motif que les dirigeants n’ont pas pris de mesures appropriées pour traiter adéquatement la plainteNote de fin d'ouvrage 641.

Les membres accusés d’inconduite sexuelle peuvent également demander réparation pour les décisions des dirigeants ayant eu des répercussions sur leur carrière, ainsi que le caractère approprié des mesures correctives imposées. Par exemple, un membre pourrait faire l’objet d’un examen administratif lié à une inconduite sexuelle, et les FAC pourraient décider de le libérer en vertu du motif mentionné à l’alinéa 2a), « Conduite non satisfaisante ». Le membre pourrait alors contester la décision de libération, ainsi que le motif invoqué. Dans une situation où un membre est accusé au criminel en raison d’une allégation d’inconduite sexuelle, et qu’il fait l’objet d’un examen administratif avant ou après la détermination de sa culpabilité, ce membre pourrait se plaindre d’un manque d’équité procédurale dans le traitement de son dossier. Un membre peut en outre contester le bien-fondé des mesures correctives imposées, par exemple un avertissement écritNote de fin d'ouvrage 642.

Enfin, les membres peuvent déposer un grief concernant des décisions ou des politiques relevant de la discrimination fondée sur le sexe, comme le fait de se voir refuser une affectation particulière ou un poste de réserviste à temps plein de classe B en raison du sexe ou de la grossesseNote de fin d'ouvrage 643.

Procédure de grief

La LDN fournit l’assise légale du système des griefs militaires et du rôle du CEEGMNote de fin d'ouvrage 644. L’article 29(1) de la LDNconfère aux membres des FAC le droit de déposer un grief, tandis que le volume I, chapitre 7 (« Griefs ») des ORFC encadre les processus pour soumettre et trancher des griefs militaires.

L’Autorité des griefs des Forces canadiennes (AGFC) fait maintenant partie du programme de gestion intégrée des conflits et des plaintes (GICP)Note de fin d'ouvrage 645. La GICP, par l’intermédiaire de l’AGFC, est responsable de la gestion du système des griefs, ce qui comprend la supervision et l’administration du processus, ainsi que la communication de l’intention du CEMD derrière la résolution du grief. La directive DOAD 2017-1, Processus de grief militaire, décrit plus en détail le processus de grief militaire et les responsabilités de l’AGFCNote de fin d'ouvrage 646.

L’AGFC est responsable de la gestion et de l’examen périodique du processus de grief militaire, au nom du VCEMD. Elle est chargée notammentNote de fin d'ouvrage 647 :

  1. de gérer le registre national des griefs, ce qui comprend l’inscription, l’acheminement et le suivi des griefs, ainsi que la production des rapports connexes;
  2. de fournir une assistance aux personnes plaignantes et à la chaîne de commandement; et
  3. de gérer la formation pour les analystes des griefs et les militaires désignés.

La DOAD 2017-1 mentionne également que le directeur général – AGFC est responsable d’étudier et de régler des griefs en tant qu’une de plusieurs déléguées comme autorité de dernière instance (ADI) du CEMDNote de fin d'ouvrage 648. De plus, le directeur général – AGFC est chargé de préparer les dossiers de griefs que le CEMD doit examiner et déterminer lorsque le CEMD agit à titre d'autorité initiale (AI)Note de fin d'ouvrage 649. En ce qui concerne les décisions de l'ADI, je comprends que, dans la pratique, les analystes de l'AGFC effectuent l'analyse finale et produisent des ébauches de lettres de décision pour toutes les décisions de l'ADI. Les ébauches des lettres de décision sont examinés par l'un des chefs d'équipe pour les griefs d’ADI et par un conseiller juridique, au besoin, et sont transmises au directeur général – AGFC pour approbation finale et signature (pour les griefs qui relèvent de l'autorité du directeur général – AGFC), ou simplement pour approbation avant signature par une autre ADI – soit un autre délégué du CEMD ou le CEMD lui-mêmeNote de fin d'ouvrage 650. Comme mentionné ci-dessus, en ce qui concerne les plaintes pour harcèlement, je perçois un véritable conflit d’intérêts au sein de la GICP, car elle fournit également renseignements et conseils aux parties plaignantes.

Les griefs sont d’abord examinés et arbitrés par l’AI. Pour de nombreux griefs, l’AI est le commandant de l’unité de la partie plaignante. En effet, un commandant peut agir en tant qu’AI s’il a le pouvoir d’accorder le redressement demandé. Si le grief porte sur une décision, un acte ou une omission du commandant, ou si celui-ci n’a pas le pouvoir d’accorder le redressement demandé par la partie plaignante, il doit renvoyer le grief à l’officier qui est son supérieur immédiat. Dans un tel cas, les commandants peuvent demander conseil à l’AGFC pour identifier l’AI compétente. L’AI dispose d’un délai de quatre mois pour rendre une décision à la partie plaignanteNote de fin d'ouvrage 651.

Si un grief n’est pas résolu en faveur de la partie plaignante au niveau de l’AI, la personne peut choisir de le soumettre à ADI pour examen plus approfondi.

Au niveau de l’ADI, certains dossiers de griefs sont obligatoirement renvoyés au CEEGM en vertu de l’article 7.21 des ORFCNote de fin d'ouvrage 652 tandis que d’autres peuvent être renvoyés à cette instance à la discrétion de l’ADI. Les facteurs pris en compte par l’ADI lors du renvoi d’un grief au CEEGM comprennent l’avantage potentiel d’un examen externe du grief, ainsi que la capacité du CEEGM à mener une enquête indépendante et à formuler des conclusions.

Conformément à l’article 7.21 des ORFC, les griefs obligatoirement renvoyés au CEEGM comprennent ceux qui concernent la solde et les indemnités, le retour à un grade inférieur, la libération, la liberté d’expression, le harcèlement, les soins médicaux ou dentaires, ainsi que les décisions du CEMD. Le chapitre 7 des ORFC ne mentionne pas expressément si les griefs liés à l’inconduite sexuelle ou à la discrimination fondée sur le sexe doivent être renvoyés au CEEGM. Cependant, les griefs liés à l’inconduite sexuelle peuvent raisonnablement être considérés comme relevant du « harcèlement » et donc, être renvoyés au CEEGM dans la pratique. Les griefs associés à des représailles pour avoir signalé ou autrement divulgué un cas d’inconduite sexuelle ne sont pas non plus clairement pris en compte dans la description des types de griefs énumérés à l’article 7.21 des ORFC, mais constituent vraisemblablement le type de grief qui bénéficierait d’un examen par le CEEGM.

Au niveau de l’ADI, le CEEGM fait enquête et passe en revue les renseignements appropriés, afin de produire ses Conclusions et recommandations au CEMD. Le CEMD ou son délégué examine alors l’affaire et la décision du CEEGM, avant de décider définitivement de l’issue du grief. Si l’ADI est en désaccord avec la décision du CEEGM, elle doit motiver dans sa lettre de décision son refus de donner suite à une conclusion ou à une recommandation du CEEGMNote de fin d'ouvrage 653.

Ces étapes d’enquête et d’examen, toutes effectuées en série, peuvent prendre plusieurs mois, voire des années dans les cas complexes.

Retards actuels dans le traitement des griefs

Le chapitre 4 du rapport Fish donne une vue d’ensemble claire du système des griefs militaires et met en évidence une bonne part des problèmes qui l’affligent de longue date. Je n’ai pas l’intention de revenir en détail sur les lacunes du système des griefs, déjà décrites dans le rapport Fish, mais je note que ces questions ont également été soulevées par les parties prenantes au cours du présent examen. Le système des griefs militaires continue notamment de souffrir de retards excessifs, en particulier pour les cas les plus complexes.

Des efforts considérables ont bien été déployés récemment par les FAC pour réduire l’arriéré des griefs au niveau de l’AI et de l’ADI, ainsi que par le CEEGM, afin d’accélérer l’examen du Comité et la production de ses Conclusions et recommandations. Par exemple, le 1er juin 2014, on a lancé l’opération RÉSOLUTION afin « d’éliminer l’arriéré de plaintes se trouvant au niveau des AI et [rappeler] à ces derniers [sic] leur devoir de résoudre les griefs dans un délai de quatre mois »Note de fin d'ouvrage 655. Plus récemment, comme souligné dans le rapport FishNote de fin d'ouvrage 656 le CEMD a émis une directive en date du 3 mars 2021, reconnaissant les retards inacceptables dans le processus de griefs, et proposant un plan d’action pour remédier au problème. Les FAC ont ainsi déployé des efforts soutenus au cours des 17 derniers mois pour remédier aux lacunes de longue date du processus, en réduisant considérablement les arriérés et les anciens griefs, et en introduisant une version plus courte de la lettre de rapport pour certains dossiers. On comptait 232 « anciens dossiers » au niveau des ADI en février 2021. En décembre 2021, l’AGFC faisait encore état de 201 « anciens dossiers ». Parmi ceux-ci, 187 remontaient à plus de deux ans et 14, à plus de cinq ansNote de fin d'ouvrage 656.

En général, les données sur les délais de résolution des griefs demeurent alarmantes, comme en témoigne le tableau suivant (on entend par délais de résolution le nombre de jours moyens s’écoulant entre le dépôt du grief et sa résolution finaleNote de fin d'ouvrage 657  :

  • Tous les griefs résolus au niveau de l’AI (c.-à-d. résolus en faveur de la partie plaignante ou lorsque celle-ci n’a pas fait suivre son grief à l’ADI) :
    • 2021 (618 dossiers) = 282 jours
    • 2020 (561 dossiers) = 276 jours
    • 2019 (594 dossiers) = 260 jours
  • Tous les griefs résolus au niveau de l’ADI, sans conclusions et recommandations du CEEGM :
    • 2021 (52 dossiers) = 761 jours
    • 2020 (64 dossiers) = 796 jours
    • 2019 (50 dossiers) = 869 jours
  • Tous les griefs résolus au niveau de l’ADI suite aux Conclusions et recommandations du CEEGM :
    • 2021 (263 dossiers) = 967 jours (comprend une moyenne de 332 jours au niveau du CEEGM // de 635 au niveau de l’ADI)
    • 2020 (175 dossiers) = 945 jours (dont une moyenne de 258 jours au niveau du CEEGM // de 687 au niveau de l’ADI)
    • 2019 (93 dossiers) = 916 jours (les données du CEEGM pour cette période n’ont pas été suivies dans le SIESP)

Ces retards et ces lacunes sont attribuables, en partie, à « la complexité des dossiers, aux politiques désuètes des FAC, à l’augmentation importante du nombre de dossiers reçus, à la grave pénurie de personnel à laquelle sont confrontées l’ensemble des FAC et à l’obligation de moderniser les façons de faire pour suivre le rythme de la production des griefs, mais sans augmentation des ressources de l’AGFC »Note de fin d'ouvrage 658. [traduit par nos soins]

Épuisement des voies de recours sous le régime du système des griefs

Dans l’état actuel du système, la CCDP et les tribunaux ont le pouvoir discrétionnaire d’exiger que les membres des FAC épuisent tous leurs recours en vertu du processus de grief avant de pouvoir déposer une plainte auprès de la CCDP, ou une demande auprès de la Cour fédérale. L’Ombudsman constitue également une entité de dernier recours, accessible uniquement si la partie plaignante s’en est déjà remise au système de griefs ou à une autre procédure de plainte. Cette restriction vise à empêcher la multiplicité de procédures et de processus parallèles et reflète l’hypothèse selon laquelle les FAC sont les mieux placées pour remédier aux griefs en matière d’emploi.

La restriction d’accès repose sur des principes de droit administratif élaborés par les tribunauxNote de fin d'ouvrage 659. L’un des motifs discrétionnaires pour refuser le contrôle judiciaire consiste à dire qu’il existe un recours de rechange adéquat, qui n’a pas besoin d’être identique au recours offert dans le cadre du contrôle judiciaire ou au recours privilégié par la partie plaignanteNote de fin d'ouvrage 660. La Cour suprême du Canada a déclaré que « bien que les tribunaux disposent du pouvoir discrétionnaire d’entendre une demande de contrôle judiciaire avant que le processus administratif soit terminé et que les mécanismes d’appel soient épuisés, ils doivent faire preuve de retenue avant de l’exercer »Note de fin d'ouvrage 661. Cette disposition a été interprétée par la Cour fédérale comme une exigence, pour les membres des FAC, d’épuiser le processus interne de règlement des griefs avant d’introduire un recours devant la CourNote de fin d'ouvrage 662. La Cour d’appel fédérale se penchera de nouveau sur cette question au printemps 2022 dans l’affaire Fortin c. Canada (Procureur général).

Préoccupations concernant le système des griefs militaires

Problèmes systémiques

Le rapport Fish recense certains problèmes importants dans le système actuel de règlement des griefs militaires. Bon nombre des mêmes questions ont été soulevées dans le rapport Lamer en 2003, et à nouveau dans le rapport LeSage en 2011. Les mêmes problèmes majeurs ont été soulevés une fois de plus par de nombreuses parties prenantes au cours du présent examen. Il est évident que ces problèmes continuent d’affecter négativement le moral des membres des FAC, en plus d’alimenter la méfiance à l’égard du système des griefs militaires – sans oublier le cynisme quant à la capacité de la chaîne de commandement à fournir réparation de manière efficace aux membres des FAC lésés.

Le système actuel de règlement des griefs militaires est confronté aux défis suivants :

  • Des délais déraisonnables pour statuer sur de nombreux griefs. Le temps requis par l’ADI (à savoir le CEMD ou son délégué) pour décider de l’issue de nombreux griefs se révèle inacceptable dans bien des cas. Lorsqu’une décision est finalement prise, la carrière de la partie plaignante peut avoir été irrémédiablement compromise. Cette situation est d’autant plus intolérable si l’on considère que le processus bloque essentiellement l’accès aux autorités externes, telles que les tribunaux ou la CCDP.
  • La LDNne confère pas à l’ADI des pouvoirs de réparation adéquats. En effet, l’ADI n’a pas le pouvoir d’accorder une compensation financière comme réparation à un grief. En conséquence, de nombreux griefs, bien qu’admis, ne peuvent faire l’objet d’une réparation, et les parties plaignantes ne récoltent par conséquent qu’une victoire symbolique. Ce problème a également été relevé par les juges en chef Lamer et LeSage dans leurs examens indépendantsNote de fin d'ouvrage 663. Le CEMD dispose d’une certaine marge de manœuvre pour accorder des sommes à titre gracieux aux membres lésés, mais il ne peut pas dédommager pleinement une partie plaignante qui obtient gain de causeNote de fin d'ouvrage 664.
  • L’organe indépendant mis en place pour examiner les griefs militaires, à savoir le CEEGMNote de fin d'ouvrage 665 n’est en fait ni indépendant ni extérieur par rapport aux FAC, car la décision finale sur les griefs est prise par le CEMD ou son délégué. Le CEEGM n’a pas le pouvoir d’ordonner une réparation. Il se contente de produire un document exposant ses conclusions et recommandations à l’ADI, qui est ensuite libre de les accepter ou de les ignorerNote de fin d'ouvrage 666.

Je suis d’accord avec les conclusions du rapport Fish en ce qui concerne le système des griefs militaires, et j'ajoute mon souci, exprimée ci-dessus, concernant le conflit d'intérêts au sein de la GICP, étant donné qu'elle fournit des informations et des conseils à la fois aux autorités décisionnelles et à la partie plaignante.

Griefs liés à une plainte ou à une situation d’inconduite sexuelle, de harcèlement sexuel ou de discrimination fondée sur le sexe

Il n’est pas logique de classer les griefs liés à l’inconduite sexuelle dans la même catégorie que d’autres liés à l’emploi. Une telle pratique dément en effet l’importance et l’urgence persistante de répondre de manière appropriée à l’inconduite sexuelle.

Dans de nombreux cas, les victimes d’inconduite sexuelle subissent un préjudice supplémentaire du fait qu’elles doivent composer avec le statu quo, notamment en continuant à travailler pour le membre fautif, ou aux côtés de celui-ci. D’autres victimes peuvent souffrir de la gêne et de l’embarras d’être « mises à l’écart » de la situation problématique, ce qui peut, en retour, affecter négativement la progression de leur carrière. En outre, le fait de devoir signaler directement à la chaîne de commandement les cas d’inconduite sexuelle, ou les décisions prises par les FAC en rapport avec ces incidents, constitue en soi un obstacle au signalement. J’ai également entendu des parties prenantes souligner des incohérences dans la manière dont les allégations d’inconduite sexuelle sont traitées, selon l’unité concernée.

Je recommande donc que tous les griefs qui relèvent de la compétence de la CCDP soient soumis à cette dernière si la plaignante le souhaite. Parallèlement à cette recommandation, il est essentiel que les FAC ne s’opposent pas à la compétence de la Commission au motif que les voies de recours internes n’ont pas été épuisées par la partie plaignante.

Le fait de déléguer à la CCDP les questions relatives au harcèlement sexuel, à la discrimination fondée sur le sexe et aux représailles qui en découlent permettrait non seulement d’offrir une instance de recours adéquate aux plaignantes, mais aussi de libérer la procédure de règlement des griefs des FAC pour mieux pouvoir traiter la charge de travail restante.

En particulier dans les cas urgents ou extrêmes, l’autorisation du recours à un processus de réparation indépendant – et probablement plus rapide – par le biais de la CCDP aiderait aussi les victimes à se sentir moins impuissantes. Les victimes de harcèlement sexuel et de discrimination fondée sur le sexe, et celles qui subissent des représailles pour avoir porté plainte, ne doivent pas être traitées de la même manière que les membres déposant un grief moins grave, portant par exemple sur le droit à une indemnité. En permettant aux victimes d’accéder à une procédure judiciaire et à un recours en dehors de la chaîne de commandement, on pourrait inciter un plus grand nombre de personnes lésées à se manifester.

De plus, permettre l’accès à un tribunal impartial en dehors de la chaîne de commandement contribuera également à accroître la crédibilité de la réponse aux yeux de la partie plaignante, dans les cas où les plaintes sont jugées comme étant non fondées.

Le fait de permettre l’accès en temps opportun à des tribunaux spécialisés externes ou à d’autres cours de justice pourrait enfin rendre la réponse des FAC aux allégations d’inconduite sexuelle plus adéquate dans une optique de reddition de comptes, et ce, d’une manière plus conforme aux attentes des Canadiens et Canadiennes.

Recommandation nº 9

Toute plainte liée au harcèlement sexuel ou à la discrimination fondée sur le sexe, ou impliquant une allégation de représailles pour avoir signalé un tel cas de harcèlement ou de discrimination, devrait être adressée en premier lieu à la CCDP, si tel est le choix de la plaignante. Les FAC ne devraient plus s’opposer à la compétence de la CCDP au motif que les voies de recours internes, y compris son processus de grief, n’ont pas été épuisées.

Je note que les griefs ayant trait à l’inconduite sexuelle ne relèvent pas tous de la compétence de la CCDP. Par exemple, les griefs liés à des représailles pour avoir signalé une infraction au Code criminel (comme une agression sexuelle) peuvent ne pas relever de la compétence de la Commission. Par conséquent, et en ce qui concerne les griefs qui demeureraient dans le système interne des FAC, une nouvelle procédure doit être élaborée afin d’accroître la reddition de comptes, dans le but d’assurer une résolution cohérente et en temps opportun. Ces griefs devraient être traités en priorité et de manière plus efficace au niveau de l’AI et de l’ADI, afin d’éviter tout préjudice supplémentaire aux parties plaignantes.

Dans l'intérim – ou si les FAC ne sont ultimement pas disposés à accorder à la CCDP la primauté sur ces questions d’importance – la nouvelle procédure devrait également s’appliquer à tous les griefs portant sur l’inconduite sexuelle. Ces types de griefs sont uniques, et les traiter rapidement contribuera grandement à réparer – ou du moins à éviter – les répercussions néfastes qui découlent des incidents d’inconduite sexuelle.

Ainsi, une nouvelle procédure pour traiter les griefs liés à l’inconduite sexuelle devrait être mise en œuvre, du moins jusqu’à ce que les lacunes relevées dans le rapport Fish soient corrigées. Dans le cadre du mandat du VCEMD de gérer la procédure de règlement des griefs militaires, le VCEMD devrait avoir une visibilité sur tous les griefs liés à l'inconduite sexuelle, y compris ceux liés aux représailles, depuis le moment où ils sont déposés jusqu'à ce qu'ils fassent l'objet d'une décision finale. Plus précisément, le VCEMD devrait être chargé d'assurer la qualité et la rapidité du processus, en veillant à ce que ces types de dossiers de griefs soient traités diligemment et avec l'expertise appropriée.

En outre, cette procédure devrait contourner complètement la chaîne de commandement de la partie plaignante, en raison du déficit de confiance continu envers ces questions. Comme c'est le cas pour d’autres types de griefs de spécialité, l'AGFC devrait désigner un AI spécialisé approprié pour tous les griefs liés à l’inconduite sexuelle, en vertu du chapitre 7, alinéa 7.14(b) des ORFCNote de fin d'ouvrage 667 ou d’une autre disposition. S’ils ne sont pas résolus au niveau de l’AI, les griefs liés à l’inconduite sexuelle devraient être renvoyés au CEEGM, qui dispose des moyens nécessaires pour enquêter, et qui devrait être tenu de le faire de manière accélérée et prioritaire. L’ADI disposerait alors de trois mois tout au plus pour communiquer sa décision par lettre portant sur ces griefs.

L'intention de l'approche que je recommande pour les griefs liés à l'inconduite sexuelle est motivée par les considérations suivantes : veiller à ce que ces griefs soient traités de manière efficiente et efficace tant au niveau de l'AI que celui de l’ADI; veiller à ce que ces griefs soient traités par des experts en la matière qui ne font pas partie de la chaîne de commandement directe du plaignant, afin d'améliorer la cohérence et de supprimer un obstacle possible au dépôt de ces griefs ; et accroître la visibilité de ces griefs au sein de l'organisation dans son ensemble et, en particulier, parmi les hauts dirigeants.

Enfin, les FAC devraient examiner si la procédure décrite ci-dessus et ci-dessous pour les griefs liés à l'inconduite sexuelle pourrait être élargi de manière appropriée aux griefs liés à d'autres types de comportements préjudiciables.

Recommandation nº 10

Les griefs liés à l’inconduite sexuelle devraient être identifiés, classés par ordre de priorité et traités rapidement par le système des griefs militaires au niveau de l’AI et de l’ADI.

Le VCEMD, ou son délégué désigné, devrait être chargé de superviser le processus pour tout grief lié à l’inconduite sexuelle, au harcèlement sexuel ou à la discrimination fondée sur le sexe, ou impliquant une allégation de représailles pour avoir signalé ou divulgué d’une autre manière un tel cas d’inconduite, de harcèlement ou de discrimination. Pour de tels griefs, l’AGFC devrait désigner une AI ayant une expertise dans le domaine et qui est indépendante de la chaîne de commandement de la partie plaignante.

L'ORFC 7.21 devrait être modifié afin de préciser que les griefs liés à l’inconduite sexuelle, au harcèlement sexuel et à la discrimination fondée sur le sexe doivent obligatoirement être soumis au CEEGM.

Enfin, c’est le CEMD qui doit rester l’ADI, et il devrait être tenu de régler l’affaire dans les trois mois.

Regard sur les victimes

Devoir de signaler et obstacles au signalement

Le devoir qui incombe à tous les membres des FAC de signaler les incidents d’inconduite sexuelle a fait couler beaucoup d’encre aussi bien dans des études indépendantes que dans des travaux universitairesNote de fin d'ouvrage 668. Comme en témoigne l’ampleur de ce débat, la question est importante et, à mon avis, il en va de même de la façon dont elle met à nu l’approche des FAC à l’égard de nombreuses questions, une manière approche doctrinaire, descendante et souvent rigide, quelque peu inconsciente des conséquences de ce qu’on considère comme étant la chose évidente à faire.

Devoir de signaler en général

Aux termes des ORFC, tous les membres des FAC doivent « signaler aux autorités compétentes toute infraction aux lois, règlements, règles, ordres et directives pertinents qui régissent la conduite de toute personne justiciable du code de discipline militaire »Note de fin d'ouvrage 669. Dans le cas des officiers, ce devoir ne tient que lorsque l’officier en question ne peut pas traiter l’affaire de manière adéquateNote de fin d'ouvrage 670. Le devoir de signaler ne se limite pas à l’inconduite sexuelle et, selon les FAC, cette obligation existe sous une forme ou une autre depuis les années 1930Note de fin d'ouvrage 671.

Devoir de signaler relativement à l’inconduite sexuelle

En août 2015, faisant suite aux inquiétudes soulevées dans le rapport Deschamps concernant le déficit de signalement des victimes par crainte de représailles et par méfiance à l’égard des enquêtesNote de fin d'ouvrage 672 l’ordre initial du CEMD relatif à l’opération HONOUR réitérait cet aspect en rappelant aux membres des FAC qu’ils étaient déjà tenus par la réglementation de signaler les incidentsNote de fin d'ouvrage 673.

Dans le rapport de 2018 du BVG sur les comportements sexuels inappropriés, le VG a souligné que le devoir de signaler pourrait aggraver le préjudice porté aux victimes et décourager le signalement. Le VG a observé que la définition large du comportement sexuel inapproprié signifie que « les militaires sentaient qu’il était de leur devoir de signaler tous les types d’incidents. Cela a alourdi le fardeau administratif de la chaîne de commandement qui devait gérer les plaintes ». De même, constatant que le devoir de signaler « ne définissait pas clairement qui étaient les ‘autorités compétentes’ », le VG relève le fait que certains membres, notamment ceux de la chaîne de commandement, ont signalé des incidents à la PM plutôt qu’à la chaîne de commandement ou procédé au règlement des incidents au niveau hiérarchique le plus bas. Dans ce contexte, le VG a recommandé que les FAC devraient « établir des lignes directrices claires à l’intention des membres sur le règlement imposant de ‘signaler aux autorités compétentes’ tout incident lié à un comportement sexuel inapproprié. » Poursuivant sur cette lancée, le VG a recommandé que « [c]es lignes directrices devraient préciser quelles sont les ‘autorités compétentes’ pour chaque type d’incident » et qu’il « faudrait viser à concilier la nécessité de protéger la sécurité de l’organisation et la nécessité d’appuyer les victimes en leur permettant de divulguer un incident et de demander de l’aide sans qu’elles soient obligées de déclencher un processus officiel de signalement et de plainte »Note de fin d'ouvrage 674.

De la même manière, dans son rapport de mai 2019, le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense a signalé la préoccupation fait état du souci selon laquelle « [l]orsqu’une victime dépose une plainte officielle, une enquête est automatiquement déclenchée, peu importe si c’est ce que souhaite la victime ou non » et a souligné le fait que les définitions, telles que le devoir de signaler, devraient être clarifiéesNote de fin d'ouvrage 675.

En 2019, les FAC ont mis sur pied un groupe de travail chargé d’élaborer ce qui est devenu la DOAD 9005-1, Réponse aux inconduites sexuelles, et un sous-groupe a procédé à un examen approfondi de la recommandation du VG sur le devoir de signalerNote de fin d'ouvrage 676.

Avant la parution de la DOAD 9005-1, le Manuel de l’opération HONOUR, publié en juillet 2019, offrait des lignes directrices préliminaires sur le devoir de signaler. Le Manuel conseillait aux membres des FAC hésitant sur la question de savoir si un incident constituait une inconduite sexuelle de communiquer à titre confidentiel avec un conseiller du CIIS. Tout membre des FAC pouvait également se mettre en contact avec le conseiller en relations de travail de son unité ou le bureau local des SGCP « pour obtenir des renseignements sur ce qui constitue du harcèlement sexuel, des conseils sur les options qui vous sont offertes, ainsi que de l’aide pour interpréter les politiques sur le harcèlement et savoir comment déposer une plainte.»Note de fin d'ouvrage 677. Par ailleurs, le Manuel abordait la responsabilité de la chaîne de commandement à l’égard des mesures qu’elle devrait prendre lorsqu’un signalement était porté à son attention.

Les travaux du Groupe de travail sur le devoir de signaler ont abouti au libellé de la section 5 de la DOAD 9005-1 (publiée le 18 novembre 2020), qui stipule ce qui suit :

  • 5.1 En vertu de l’article 4.02, Responsabilités générales des officiers et de l’article 5.01, Responsabilités générales des militaires du rang des ORFC, tous les militaires ont le devoir de signaler à l’autorité compétente toute infraction aux lois, aux règlements, aux règles, aux ordres et aux directives pertinents qui régissent la conduite de toute personne assujettie au Code de discipline militaire.
  • 5.2 Il est prévu que tous les militaires signaleront à l’autorité compétente toute inconduite sexuelle commise par quiconque en milieu de travail ou dans un établissement de défense.
  • Signalement d’une inconduite sexuelle – Exceptions
  • 5.3 Les employés du MDN et les autres civils ne sont généralement pas tenus de signaler les incidents d’inconduite sexuelle. Cela inclut les civils qui travaillent pour le MDN, comme ceux du CIIS, des SGCP et des Services de santé des FC.
  • Nota – Certains professionnels ont l’obligation, dans certaines circonstances, de signaler conformément à leur code de conduite professionnelle et à certaines lois provinciales, par exemple, s’il existe un risque imminent de préjudice ou un risque pour les enfants.
  • 5.4 Les officiers qui peuvent traiter de manière adéquate un incident d’inconduite sexuelle ne sont pas tenus de le signalerNote de fin d'ouvrage 678.

Les résultats atteints par le groupe de travail dans la résolution des difficultés liées au devoir de signaler, qui étaient alors bien documentées, semblent toutefois modestes. La DOAD réitère les obligations réglementaires actuelles, à savoir que tous les membres des FAC sont censés signaler à l’autorité compétente toute inconduite sexuelle commise par toute personne sur le lieu de travail ou dans un établissement de défense. En d’autres termes, ce devoir général de signaler s’impose à tous les membres des FAC, qu’il s’agisse de la victime, du contrevenant, d’un témoin ou même d’une personne qui, à un moment donné, a été informée de la violation d’une règle quelconque, en l’occurrence, des règles relatives à l’inconduite sexuelle. La seule exception, en ce qui concerne les membres des FAC, vise les officiers « qui peuvent traiter de manière adéquate un incident d’inconduite sexuelle ne sont pas tenus de le signaler »Note de fin d'ouvrage 679. La DOAD donne aux officiers des lignes directrices sur les facteurs qu’ils devraient prendre en compte en prenant une telle décision.

De plus, « l’autorité compétente » comprend la PM, le SNEFC ou les services de police civils; un directeur général des FAC ou un supérieur au QGDN; un supérieur des FAC d’un directeur général au QGDN dans le cadre d’un signalement d’inconduite sexuelle concernant un directeur général ou un supérieur d’un directeur général; un commandant au sein d’un commandement ou d’une formation; un chef d’état-major des FAC ou un officier équivalent au sein d’un commandement ou d’une formation, si désigné par le commandant approprié; un commandant d’unité du quartier général d’une formation; tout autre commandant d’unité; ou encore tout autre officier qui peut traiter adéquatement l’affaireNote de fin d'ouvrage 680.

En somme, en tentant de résoudre le problème du signalement insuffisant des cas d’inconduite sexuelle au sein des FAC, les dirigeants en sont venus plutôt à resserrer, par voie d’ordonnance, le devoir de signaler. Pourtant, cette obligation a toujours existé, d’autant plus que le non-signalement de l’inconduite sexuelle ne résulte pas d’une notion quelconque selon laquelle le signalement serait facultatif, bien au contraire. Les facteurs à l’origine du déficit de signalement étaient bien étayés. Pire encore, il s’est vite avéré que cette nouvelle ordonnance non seulement n’a rien fait pour résoudre le problème du déficit, mais a plutôt engendré son propre ensemble de problèmes.

Incidences du devoir de signaler

Dans les faits, aucune poursuite ni mesure disciplinaire pour défaut de signaler

Vu que l’obligation est établie, tout défaut de signalement est punissable au titre d’une infraction d’ordre militaire. Indubitablement, cette croyance est largement répandue chez les membres de la CAF, pourtant on ne sait pas comment le fait de ne pas signaler un cas d’inconduite sexuelle pourrait faire l’objet d’une accusation d’infraction d’ordre militaire. On peut présumer qu’il pourrait l’être en vertu de l’article 129 de la LDN qui traite de « conduite préjudiciable au bon ordre et à la discipline »Note de fin d'ouvrage 681 un article très souvent invoqué, ou peut-être en vertu de l’article 92 (conduite scandaleuse de la part d’officiers), de l’article 93 (cruauté ou conduite déshonorante) ou encore de l’article 95 (mauvais traitements à subalternes). Ce n’est là toutefois que pure conjecture, car la mise en accusation varie énormément selon les circonstances de l’infraction.

Cela dit, je n’ai pu trouver pratiquement aucun précédent pour de telles mises en accusation. En effet, il est remarquable que le devoir de signaler ait pris une telle importance alors qu’il n’est presque jamais suivi d’effet en cas de manquement, ce qui met en relief la confusion entre les ordonnances et la culture, le droit et la réalité, la rhétorique et la pratique – une confusion qui s’observe également ailleurs au sein des FAC.

D’autre part, ce devoir général de signaler ne devrait pas être confondu avec les obligations spécifiques imposées aux membres des FAC et consistant à informer leurs supérieurs des affaires qui les mettent en cause, telles que le fait d’entretenir une « relation personnelle préjudiciable »Note de fin d'ouvrage 682 ou d’avoir fait l’objet d’une arrestation par les autorités civiles et/ou d’être soumis à des conditions imposées par des tribunaux civils. Le non-respect de ces obligations est passible d’une sanction au titre des infractions d’ordre militaire.

Lorsque j’ai demandé aux FAC de me fournir le nombre et les détails des cas disciplinaires pour non-signalement d’inconduite sexuelle et de harcèlement sexuel de 1999 au présent, on m’a fourni trente-sept cas, soit quatre cas de cour martiale et 33 cas de procès sommaire.

Sur ces 37 dossiers reçus de « devoir de signaler », on retrouvait trois cas de cour martiale et 11 cas de procès sommaire ayant pour motif la non-divulgation d’une relation personnelle ou d’un changement important de circonstances dans une relation personnelle. Ces cas ne sont pas pertinents puisque l’infraction de fond reprochée aux contrevenants est de « ne pas avoir signalé une relation » (ou omettre de signaler un changement important à la relation qui entraînerait un changement des prestations), et non de ne pas avoir signalé une infraction.

S’agissant des 23 cas restants, 19 semblent principalement se rapporter à l’omission de signaler une arrestation par les autorités civiles, là encore une faute disciplinaire relevant d’autres dispositions précises, puisque l’infraction était le « défaut de signaler une arrestation », et non le « défaut de signaler une infraction ».

Des accusations apparemment liées à l’omission de signaler une inconduite sexuelle ont été portées dans quatre procès sommaires (accusés en vertu de l’article 129 de la LDN). Dans deux de ces quatre procès sommaires, l’accusation était une accusation subsidiaire contre l’auteur présumé de l’inconduite sexuelle sous-jacente. Dans les deux autres cas, il semble que les membres aient été accusés d’avoir omis de prendre les mesures appropriées après avoir été témoins d’une agression. Dans trois des quatre cas, les membres ont été reconnus coupables des accusations.

À mon sens, ce faible nombre de cas a de quoi surprendre compte tenu du fait l’enquête sur toute infraction, y compris les infractions sexuelles historiques, révélerait probablement que nombre de personnes étaient bel et bien au courant des faits, mais qu’elles ont omis de les signaler aux autorités compétentes.

Le GPFC m’a dit que le manque de données sur les accusations portées ou les mesures disciplinaires imposées relativement au devoir de signaler peut s’expliquer par le fait qu’une autre accusation connexe subsume une telle conduite en vertu de la LDN, comme la négligence dans l’accomplissement de son devoirNote de fin d'ouvrage 683. Quoi qu’il en soit, personne ne m’a signalé une telle accusation, même à titre anecdotique.

Ce constat n’est pas négligeable. Dès lors que les lois ne sont pas appliquées et qu’elles sont régulièrement violées –  comme c’est manifestement le cas ici, puisque l’inconduite sexuelle est si rarement signalée malgré l’obligation légale de le faire –  la règle de droit se trouve sapée plutôt que renforcée, le respect de la loi étant perçu comme une obligation facultative et l’application comme relevant du pouvoir discrétionnaire. Tel n’est pas le message qu’un système fondé sur la discipline se doit de faire passer. Pourtant, il est évident que l’application rigoureuse de la loi n’a jamais été comprise comme un choix possible, sinon elle aurait effectivement été mise en application.

Obstacles au signalement

En 2015, la juge Deschamps a rapporté que « [l]es FAC ont jusqu’à maintenant omis de reconnaître l’ampleur et la prédominance du problème des comportements sexuels inappropriés » et a cité le « très faible nombre de plaintes qui sont déposées chaque année » comme étant l’une des raisons possibles de cette méconnaissance. Au cours de son examen, elle a entendu dire que les « normes culturelles » ainsi que les « préoccupations concernant les conséquences sur la carrière des plaignants, la perte de confidentialité, le manque de respect de la vie privée, la crainte d’accusations connexes et un doute profond concernant la capacité de la chaîne de commandement de réagir de façon adéquate et avec la sensibilité nécessaire » étaient au nombre des raisons derrière le « très grave déficit de signalement »Note de fin d'ouvrage 684.

La réponse des FAC, en insistant à nouveau sur le devoir de signaler les cas d’inconduite sexuelle, semble se fonder sur l’idée selon laquelle la prévalence de l’inconduite tient principalement à la méconnaissance du phénomène par les autorités, d’où leur impuissance à y faire face de manière efficace. Dès lors, la solution consistait à faire porter aux membres du CAF la charge d’alerter les autorités afin qu’elles puissent traiter le problème.

Cette approche passe totalement à côté de la plaque. Il est tout à fait clair que le déficit de signalement ne peut être corrigé par la simple réaffirmation d’une obligation existante – aussi coercitive soit-elle – puisque les causes du déficit découlent principalement de la crainte anticipée des nombreuses conséquences négatives résultant du signalement. L’obligation de signaler, en tant qu’outil d’information de la chaîne de commandement, a été complètement inefficace. Le fait d’en faire une obligation formelle n’atténue en rien ces conséquences négatives; il en ajoute simplement une autre : la crainte de sanctions en cas de non‑signalement.

À mon avis, les ORFC passent également à côté du problème en abordant la question de la crainte de représailles découlant d’un signalement. Rappelons que l’article 19.15 interdit à tout membre des FAC de prendre ou de menacer de prendre des mesures administratives ou disciplinaires « contre une personne qui, agissant de bonne foi, a signalé aux autorités compétentes toute infraction aux lois, règlements, règles, ordres et directives pertinents qui régissent la conduite de toute personne justiciable du Code de discipline militaire, a fait une divulgation d’acte répréhensible ou a collaboré à une enquête menée sur un tel signalement ou sur une telle divulgation »Note de fin d'ouvrage 685.

C’est donc dire que si une mesure administrative ou disciplinaire était engagée à l’encontre d’une personne ayant signalé une infraction de bonne foi, cette mesure se solderait très probablement par un échec. Les représailles exercées sous forme de déni d’opportunités, d’ostracisme et de diverses punitions officieuses infligées par les pairs à la personne perçue comme un « mouchard » sont les véritables conséquences du signalement.

En effet, la dénonciation d’amis, de collègues, de pairs ou de supérieurs, quel que soit le milieu, est semée d’embûches. Au sein des FAC, les conséquences redoutées sont bien documentées et, au cours de cet examen, m’ont été répétées à diverses reprises. L’extrait suivant, tiré d’un article paru en juillet 2021 dans le magazine Maclean’s, saisit bien la dure réalité de la culture générale de l’organisation

  • Il y a environ dix ans, Colten Skibinsky participait à un cours de formation aux côtés de 50 ou 60 soldats. Il relate que leur instructeur leur a demandé de s’asseoir en cercle et de fermer les yeux, et qu’ensuite, il a raconté une histoire.
  • Il s’agissait d’une cellule de tireurs d’élite en Afghanistan qui traquait les combattants d’Al-Qaïda en compagnie des troupes américaines. En 2002, l’un des Canadiens avait battu un record de combat en abattant un homme à 2 430 mètres de distance. Mais la gloire que revêt un tel exploit fut anéantie par des allégations selon lesquelles deux tireurs d’élite auraient coupé un doigt du cadavre d’un ennemi. Toutefois, aucune accusation n’a été portée.
  • L’instructeur a demandé aux soldats de lever la main s’ils pensaient que le pair qui avait signalé l’incident présumé avait bien agi, raconte Skibinsky. Lorsqu’il a ouvert les yeux, il dit s’être rendu compte qu’il faisait partie des quatre ou cinq soldats qui avaient levé la main. Il soutient que l’instructeur lui a donné un coup de pied dans les côtes par-derrière, puis a déclaré : « Regardez bien autour de vous. Ce sont les rats de votre cours, et ils ne seront plus ici après la cinquième semaine »Note de fin d'ouvrage 686. [traduit par nos soins]

En d’autres termes, on s’expose à l’ostracisme et aux sanctions si l’on s’élève contre la culture du silence, d’autant plus si l’on vous voit dénoncer un « frère », rompre la « solidarité à maintenir tout prix » que l’on attend de vous ou ne pas « assurer les arrières de l’autre ». À l’inverse, je n’ai connaissance d’aucune médaille, ni récompense ni autre forme d’honneur saluant le courage que demande le signalement. Cette culture, semble-t-il, n’est pas différente dans les rangs supérieurs. En témoigne un article du Globe & Mail (mars 2021) au sujet d’un membre supérieur des FAC qui disait « avoir été rabroué pour avoir signalé un incident de nature sexuelle concernant un officier supérieur »Note de fin d'ouvrage 687. [traduit par nos soins]

Voilà qui illustre le contraste frappant entre l’obligation expresse de signalement et la désirabilité morale perçue de cette disposition; le simple fait de réitérer le devoir formel de signaler a donc peu de chances d’en faire augmenter le nombre de signalements si la culture de non-dénonciation est plus fortement appliquée que la règle de droit. Au lieu de renforcer la discipline, une telle approche ne fait l’éroder encore davantage.

En fin de compte, bien que conçue à l’appui des victimes, cette approche ne fait que rajouter à leur détresse. En fait, on m’a dit que le devoir de signaler, « lorsqu’il est scrupuleusement appliqué, constitue un deuxième déni de consentement à l’endroit de la victime »Note de fin d'ouvrage 688. [traduit par nos soins]

Au fil de mes nombreuses conversations avec les membres des FAC, pratiquement tous ont déclaré qu’ils ne signaleraient pas une affaire, quelles que soient les circonstances, malgré l’obligation qui leur incombe de le faire. Sans grande surprise, beaucoup d’entre eux ont déclaré qu’ils ne signaleraient pas un cas d’inconduite sexuelle, en particulier de nature moins grave, contre la volonté de la victime. Tous semblaient convaincus qu’ils pouvaient agir au mieux de leur jugement pour s’assurer que leur divulgation d’un incident ne finirait pas par faire plus de mal que de bien. En somme, bien que conscients de leur obligation légale, ils considéraient la question comme étant essentiellement une question de conscience. Je me souviens d’une seule personne ayant dit qu’elle signalerait toujours n’importe quelle affaire, n’importe quand, comme il se doit.

Selon le rapport de 2018 de Statistique Canada sur l’inconduite sexuelle dans les FAC, 57 % des membres de la Force régulière agressés sexuellement sur leur lieu de travail ne l’ont pas signalé à une autorité quelconque. Citant les raisons du non-signalement, le rapport indique notamment que « le comportement n’était pas assez grave (56 % des hommes et 48 % des femmes) ou qu’elles avaient réglé le problème elles-mêmes (35 % des hommes et 52 % des femmes) ».  En outre, les membres ont évoqué la « [la crainte] de conséquences négatives (27 % des femmes et 10 % des hommes), » la conviction que le signalement ne « ferait [pas] de différence (38 % des femmes et 15 % des hommes) » ou les « préoccupations au sujet du processus formel de plaintes (15% des femmes et 6 % des hommes) », entre autres raisons.  Le rapport note également que « 1 femme sur 10 (10 %) a déclaré ne pas avoir signalé le comportement parce qu’elle avait changé d’emploi, soit environ cinq fois la proportion d’hommes qui ont fourni cette raison (2 %) »Note de fin d'ouvrage 689.

Réunis à l’occasion d’une table ronde organisée en 2020 par le CIIS pour se pencher sur cette question, les participants ont émis « l'hypothèse qu'il soit possible que le survivant ou l'éventuel plaignant ne porte pas plainte par crainte que les conséquences disciplinaires disproportionnées pour l'auteur de l'infraction, et des effets possibles sur sa propre carrière et sur ses relations de travail, fassent en sorte qu'il soit perçu comme "responsables" de la sanction donnée à l'auteur de l'infraction »Note de fin d'ouvrage 690.

Les participants ont également indiqué que les membres des FAC, et les survivants en particulier, ne disposent pas de toutes les informations nécessaires sur les possibilités de signalement qui leur sont offertes à la suite d’un incident d’inconduite sexuelle. Selon l’un des experts externes appelés à contribuer au rapport, il existe quatre catégories d’obstacles au signalement, qui sont interdépendantes

  • Obstacles structurels ayant trait à la « masculinité toxique » qui valorise la domination et la conquête sexuelle des femmes et qui persiste au sein des FAC.
  • Obstacles sociaux, y compris les microagressions qui sont tolérées et à partir desquelles l'environnement de travail devient toxique, pouvant causer l'adoption de pires comportements.
  • Obstacles situationnels, soit les facteurs qui peuvent influencer le signalement, comme le fait de savoir si l’inconduite est un incident isolé, ou si une victime est ciblée de façon répétée par le même contrevenant, ou s’il y a présence de témoins ou non. Le processus de signalement lui-même peut constituer un obstacle situationnel dans la mesure où entrent en jeu les préoccupations relatives au processus de plainte ou le fait que les FAC mettent trop l’accent sur les mesures disciplinaires.
  • Obstacles individuels dont la méconnaissance des services disponibles, tels que le CIIS. Le contexte porte à croire que les victimes ne savent pas toujours où elles peuvent s’adresser pour se renseigner et se prévaloir du soutien nécessaire ou qu’elles appréhendent mal les divers types de services qui leur sont offertsNote de fin d'ouvrage 691.

Le rapport admet que « [b]ien que certains échappent manifestement au contrôle des FAC, il est important de déterminer celles que les FAC peuvent modifier »Note de fin d'ouvrage 692.

Examinant à son tour l’inconduite sexuelle au sein des FAC dans l’optique de l’éliminer, le FEWO a relevé plusieurs facteurs pouvant amener un membre des FAC à décider de ne pas signaler un cas d’inconduite sexuelle. En particulier « certaines personnes peuvent craindre des représailles [...] ou les conséquences du signalement de l’incident sur leur carrière » et le défi constitué par le fait que le «  devoir de signaler empêche les survivantes de choisir la manière d’aborder les incidents avec laquelle elles se sentent à l’aise »Note de fin d'ouvrage 693. En conséquence, le FEWO, amplifiant les observations faites dans le rapport Fish, a également réitéré sa recommandation concernant le devoir de signaler, à savoir que cette recommandation devrait être mise en œuvre par le gouvernement du CanadaNote de fin d'ouvrage 694.

Mes entretiens avec les élèves-officiers/aspirants de marine m’ont valu quelques points de vue différents. Dans l’ensemble, tout en disant comprendre le devoir de signaler quant à son importance, ils estiment que le processus est très long et fastidieux et que, même lorsque le signalement se passe bien, il est très éprouvant sur le plan émotionnel. En fait, certains sont d’avis que le processus de signalement est plus pénible que l’incident lui-même et que s’il est facile de signaler un incident à titre de témoin indépendant, il est beaucoup plus difficile de le faire lorsqu’on connaît les personnes impliquées en raison des conséquences sur les relations personnelles. Comme l’a dit l’un d’entre eux, il y a une différence entre le fait de signaler une personne qui fume un joint et dénoncer une agression sexuelle. Néanmoins, le signalement de cette dernière est jugé important dans la mesure où elle touche la vie d’un autre élève-officier, c’est-à-dire que si l’acte porte atteinte à quelqu’un, physiquement ou mentalement, alors il faut le signaler. Un autre, moins nuancé, affirme que si l’on voit quelque chose de répréhensible, il faut le signaler et qu’on ne doit pas couvrir un camarade si cela va à l’encontre de sa conscience morale.

J’ai également entendu dire que certains élèves-officiers hésitent à signaler un incident par crainte se faire « enguirlander » par les personnes à qui ils se confient ou de passer pour des « mouchards ». Par conséquent, ils sont peu enclins à se manifester et, même lorsqu’ils le font, ils ne savent souvent pas comment s’acquitter de leur devoir de signaler, notamment comment rédiger une déclaration.

On m’a parlé d’un incident où la victime s’est vue reprocher publiquement d’avoir fait un signalement, alors même qu’elle n’en était pas à l’origine. Une autre a dit qu’elle s’est faite accusée d’avoir inventé des choses. Aucune des jeunes femmes avec qui j’ai parlé ne s’est montrée très rassurée face au signalement, qu’elle en ait eu une expérience directe ou non.

Enfin, des universitaires préconisent l’abolition pure et simple de cette obligation au profit d’une approche véritablement centrée sur la victimeNote de fin d'ouvrage 695. Les travaux de recherches d’une universitaire sur les effets de la divulgation des violences sexuelles montrent que « tout élément déclencheur qui se manifeste automatiquement suite à des incidents ou à des dénonciations peut avoir un effet dissuasif sur la volonté des victimes et des survivantes de déclarer les faits, et peut également dissuader des personnes qui auraient pu autrement faire une déclaration. » Par conséquent, « les victimes et les survivants doivent s’approprier le choix et la manière de signaler les faits, ainsi que les mesures qui seront prises par la suite ». [traduit par nos soins]

Cette universitaire fait également remarquer que « des mécanismes tels que le devoir de signaler et le fait de privilégier le signalement par la voie hiérarchique ont donné aux victimes et aux survivants le sentiment de n’avoir que peu de choix ». Comme d’autres l’ont affirmé, elle estime que « le fait de proposer des alternatives, ainsi que des informations sur la manière dont ces processus alternatifs pourraient se dérouler, est essentiel pour redonner l’autonomie aux victimes et aux survivantes de la violence sexuelle »Note de fin d'ouvrage 696. [traduit par nos soins]

Mes observations s’accordent avec les constats d’autres parties alliées qui se sont penchées sur la question du signalementNote de fin d'ouvrage 697.

Incertitude à savoir qui doit signaler l’incident

Paradoxalement, la pression accrue induite par le respect du devoir de signaler les cas d’inconduite sexuelle peut avoir eu l’effet de réduire le nombre de signalements. Bien qu’elles aient actuellement l’obligation de se signaler, les victimes d’inconduite sexuelle, qui ne souhaitent peut-être pas le faire, ne savent pas au juste à qui elles peuvent se confier sans déclencher l’obligation de signalement à l’endroit de cette personne. Elles peuvent simplement finir par garder le silence et renoncer à demander de l’aide.

Cette difficulté est aggravée par la confusion généralisée quant à savoir si la confidentialité sera protégée dans les divulgations aux aumôniers et aux professionnels de la santé. Par exemple, comme le souligne le SMA(SE) dans son examen du Service de l’aumônerie royale canadienne d’août 2021 « Bien que les politiques relatives à la confidentialité et à l’obligation de signaler soient claires, notamment celles décrites dans la directive de l’aumônier général sur l’opération HONOUR, les différents messages contenus dans les diverses politiques du Ministère peuvent être incohérents et causer de la confusion chez les aumôniers »Note de fin d'ouvrage 698. Par conséquent, « les conflits entre la confidentialité et l’obligation de signaler peuvent entraîner la perception de la perte d’un ‘lieu sûr’ et de malentendus sur les responsabilités des aumôniers »Note de fin d'ouvrage 69. Le SMA(SE) a donc recommandé que le MDN et les FAC « [concilient] le conflit apparent entre le besoin de confidentialité de l’aumônier et l’obligation de signaler des FAC »Note de fin d'ouvrage 700.

La même confusion règne parmi les professionnels de la santé des FAC étant donné qu’aucune exception générale ne les dispense de l’obligation de signalement. Peut-être en existe-t-il une, mais plus étroite « Les actions ou les mesures qui comportent des renseignements personnels hautement sensibles tels que des évaluations ou des traitements médicaux ou psychosociaux ne doivent pas être divulguées »Note de fin d'ouvrage 701.

Un professionnel de la santé m’a dit que certains collègues « offrent un traitement médical » afin de ne pas avoir à faire de signalement, encore que « d’autres ne prennent pas le même chemin », deux approches qui traduisent à la fois le désir de confidentialité et la confusion qui entoure la garantie en la matière. [traduit par nos soins]

Vu la confusion dans laquelle se trouvent les aumôniers et les professionnels de la santé, il n’est pas surprenant que les victimes ne sachent pas si une aide confidentielle peut leur être apportée. Elles peuvent hésiter encore plus à se confier à leurs amis et à leurs pairs, sachant que ces derniers doivent signaler l’incident une fois qu’ils en ont eu connaissance, ce qui signifie que les victimes ne peuvent pas compter sur eux pour garder le silence.

Actuellement, le Groupe de travail sur le devoir de signaler envisage d’autoriser des exemptions en la matière, notamment à l’intention des personnes suivantes :

  • les professionnels des services de santé sous réglementation provinciale, dans le cadre de la prestation de soins;
  • les aumôniers, dans le cadre de soins pastoraux;
  • les victimes d’inconduite interpersonnelle;
  • le personnel affecté à d’autres programmes d’aide, de soins ou de soutien, actuels ou futurs (probablement sous une catégorie générale, qui sera précisée dans la politique, plutôt qu’une énumération des programmes visés dans le règlement)Note de fin d'ouvrage 702. [traduit par nos soins]

Cette approche ne contribue en rien à mieux sensibiliser la chaîne de commandement aux incidents d’inconduite sexuelle, puisque la plupart des personnes susceptibles de les connaître sont exclues de l’obligation. En revanche, elle expose la victime à la divulgation forcée et involontaire d’un témoin ou d’un collègue, ce qui entraîne toutes les conséquences négatives qu’elle redoute. Le Groupe de travail, prenant acte du problème, « analyse la possibilité de formuler des recommandations sur l’exercice du pouvoir discrétionnaire relatif au [devoir de signaler], en particulier à l’égard des chaînes de commandement, des témoins [et] des personnes faisant l’objet de confidences »Note de fin d'ouvrage 703. [traduit par nos soins]

Nombreux appels au changement

Malgré les recommandations, directives et efforts déployés, il demeure un large consensus sur le fait que le devoir de signaler nuit aux victimes d’infractions sexuelles qui ne sont ni prêtes ni désireuses de porter plainte. Devant les failles que présente le devoir de signaler, plusieurs recommandations ont, au fil des ans, vu le jour.

Dans le cadre du sondage « À vous la parole », mené à l’hiver 2019 et portant sur le CIIS, les répondants ont indiqué :

  • Il ne devrait y avoir aucune obligation pour les membres en uniforme qui sont de simples témoins ou des tierces parties de divulguer ou de signaler des renseignements sur la victime lorsque la victime demande expressément à la personne de ne rien faire afin qu’elles puissent traiter la situation à leur guise. [...] Un membre des FAC ayant fait l’objet de confidence devrait se tourner vers l’aumônier, les lignes d’assistance, voire le CIIS si nécessaire, plutôt qu’à la chaîne de commandement comme il est exigé. En effet, le devoir de signaler peut nuire encore plus à la victime qui se sent alors trahie. Rappelons que les victimes n’ont pas toutes été bien traitées dans le passé par la chaîne de commandement. Le processus dans son ensemble devrait être à l’initiative de la victime et nos membres devraient être formés pour y contribuer en apportant leur soutien de cette façonNote de fin d'ouvrage 704.
    [traduit par nos soins]

Dans son mémoire au FEWO, Survivor Perspectives Consulting Group (SPCG) a écrit ceci

  • En ce qui touche le soutien aux survivants, nous pouvons confirmer qu’à l’heure actuelle, le soutien mené par des survivants n’est pas appliqué uniformément à la suite d’incidents de harcèlement sexuel et d’agression sexuelle. Même si cela ne s’est pas produit dans chaque cas, de nombreux survivants ont été sérieusement traumatisés lorsque les personnes dont ils relèvent, ou les personnes qui ont été informées
  • de l’incident ne considéraient pas les besoins et les désirs du survivant comme une priorité. Les Forces armées canadiennes ont commencé à explorer cette question en réexaminant le Devoir de signaler et en envisageant de le remplacer par le Devoir d’intervenir, mais à SPCG, nous croyons que nous devons insister sur le fait que les besoins et les désirs de chaque survivant doivent être respectés dans chaque cas, peu
  • importe ce que la chaîne de commandement et/ou des professionnels de la santé jugent préférable. Seuls les survivants savent ce qui convient le mieux pour eux, et il faut respecter ce point; les besoins du survivant doivent avoir la priorité sur ceux des Forces armées canadiennesNote de fin d'ouvrage 705.

Dans son rapport, le juge Fish a constaté ce qui suit : « Selon la majorité des experts, fonctionnaires, victimes et membres des FAC que j’ai consultés dans le cadre de mon examen,… le devoir des membres des FAC de signaler tous les incidents d’inconduite sexuelle est l’un des domaines dont la réforme est d’importance critique »Note de fin d'ouvrage 706. Le juge a donc recommandé à ce qu’une disposition soit mise en place pour exempter « les victimes, leurs confidents, ainsi que pour les professionnels de la santé et de soutien qu’ils consultent » de cette obligationNote de fin d'ouvrage 707.

Toujours selon le juge, le devoir devrait être maintenu « lorsque le défaut de signaler poserait un risque manifeste et grave de préjudice à un intérêt prépondérant, ce qui pourrait comprendre un préjudice continu ou imminent, un préjudice pour un enfant ou des préoccupations de sécurité nationale »Note de fin d'ouvrage 708. Enfin, dans le souci de voir mieux cerner ces cas exceptionnels, le juge recommandait la création d’un groupe de travail qui « devrait comprendre une autorité indépendante, ainsi que des représentants du [CIIS], d’organisations de victimes militaires et du système de justice militaire »Note de fin d'ouvrage 709. Tel que mentionné plus haut, un groupe de travail a bien été mis en place et chargé d’élaborer la DOAD 9005-1.

En juin 2021, les membres libéraux du Comité permanent de la défense nationale (NDDN) ont fait savoir que le Comité était dans une impasse, mais, soucieux de remédier à l’inconduite sexuelle au sein des FAC, m’ont adressé 24 recommandations dont l’une consistait à :

  • éliminer l’exigence actuelle, soit « le devoir de signaler ». À sa place, dans une logique centrée sur les survivantes afin de favoriser leur pouvoir agir, les FAC devraient –
    • envisager « l’obligation de réagir »;
    • étudier la possibilité du signalement anonyme des événements/lieux et des contrevenants afin de cerner les affluences ou les tendances problématiquesNote de fin d'ouvrage 71. [traduit par nos soins]

En octobre 2021, amplifiant les rapports externes précédents, le Groupe de consultation sur le soutien aux survivants (GCSS), dont le mandat découle de la convention de règlement final des recours collectifs Heyder et Beattie, a conclu que le devoir de signaler a été un « sujet de préoccupation récurrent »Note de fin d'ouvrage 711. À l’instar du rapport Fish, le GCSS a, parmi ses recommandations, préconisé qu’il faudrait « Établir une exemption explicite pour les victimes et survivants, ainsi que pour les professionnels de la santé et de l’assistance désignés qui apportent leur soutien aux victimes et survivants, de toute poursuite pour ne pas avoir signalé un acte d’inconduite sexuelle, avec des limitations pour des cas comme le risque de danger imminent, le danger pour les enfants, la sécurité nationale, etc..»Note de fin d'ouvrage 712. D’autre part, le GCSS souligne la nécessité de « Améliorer le soutien aux survivants d’acte d’inconduite sexuelle dans le système de justice militaire du Canada en leur donnant accès à d’autres options de signalement en dehors de la chaîne de commandement.»Note de fin d'ouvrage 713. Selon le GCSS, il s’agit là d’un point essentiel, car « les survivant[e]s d’inconduite sexuelle ont une autonomie limitée quant à la façon de faire leur signalement et à qui, ainsi qu’à l’autorité qui supervisera la conduite de l’enquête»Note de fin d'ouvrage 714.

Dans son rapport annuel 2020–21, le CIIS a annoncé qu’il « commencera à travailler à l’élaboration d’options juridiques adaptées aux victimes/survivants et survivantes de violence sexuelle dans les FAC et à une expansion régionale des services de soutien du CIIS »Note de fin d'ouvrage 715. Ce programme « [examinera] d’autres options de signalement » Note de fin d'ouvrage 716 en dehors de la « chaîne de commandement ou du système de justice militaire »Note de fin d'ouvrage 717 l’objectif étant de permettre aux membres des FAC de signaler les cas d’inconduite sexuelle de sorte à s’acquitter de l’obligation réglementaire en la matière tout en s’assurant de pouvoir bénéficier d’un soutien, mais sans déclencher une enquête susceptible de leur faire subir d’autres préjudices.Note de fin d'ouvrage 718

Malgré tous ces appels à l’action, seule une initiative concrète a été prise à ce jour. La question est devenue très urgente lorsque des membres supérieurs des FAC se sont engagés dans le programme de Démarches réparatrices, élaboré après l’entente de règlement définitif. En effet, l’Annexe K de l’entente prévoyait que le programme de Démarches réparatrices serait confidentiel, mais dans les limites prévues par la loi, le devoir de signaler étant l’une de ces restrictions.

Je sais que les membres du recours collectif se sont dits inquiets du fait que l’application illimitée du devoir de signaler pourrait miner l’intégrité du processus de démarches réparatrices et priver certains membres du recours de tous ses avantages. Les membres du recours collectif craignaient que le fait de faire part de leur expérience aux officiers généraux ne déclenche chez ces derniers le devoir de signaler. Vu que les ORFC ne prévoient aucune exemption à cette obligation, il a fallu mettre en place un processus provisoire, approuvé par le CEMD en janvier 2022, pour que l’obligation puisse être appliquée de façon limitée dans le contexte du programme de Démarches réparatrices.

Un tel mécanisme montre bien que les FAC sont capables de corriger rapidement un problème sauf que, selon les parties prenantes – et je partage leur avis – les solutions mises en place ne sont pas suffisantes pour répondre à leurs préoccupations. Malgré le fait que le nombre des officiers des FAC à qui une affaire d’inconduite sexuelle devra être signalée a été réduit, il est difficile d’imaginer comment ces officiers généraux sélectionnés arriveront à se convaincre qu’ils « peuvent traiter adéquatement » l’affaire. Non seulement cette appréhension laisse les membres du recours collectif exposés à l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’un officier général, mais elle place aussi ces officiers généraux dans une position très épineuse sur le plan éthique.

À mon avis, il s’agit là d’une manifestation de la vision étroite dont les FAC ont fait preuve jusqu’à présent dans leur façon d’aborder le problème. Le devoir de signaler constitue un problème en soi. Dans le contexte du programme de Démarches réparatrices, il va largement à l’encontre de l’objectif d’autonomisation des survivantes qui, à ce stade, ne souhaitent peut-être pas que d’autres mesures soient prises, mais que le leadership militaire des FAC soit mieux éclairée sur ce qui s’est passé sous leur leadership.

La solution simple aurait consisté à modifier les ORFC de sorte à y aménager une exemption au devoir de signaler. Voilà qui aurait pris du temps, je le reconnais, et n’aurait pas abouti avant janvier 2022, à temps pour le début de l’application du programme de Démarches réparatrices. Toutefois, si les FAC avaient entamé le processus de modification des ORFC en 2019, lorsque l’entente de règlement définitif fut approuvée, elles auraient eu suffisamment de temps pour prévoir une telle exemption. Mieux encore, toute cette affaire aurait dû être réglée une fois pour toutes.

Le devoir de signaler devrait être aboli

Dans la vie civile canadienne, il n’y a aucune obligation générale de signaler un crime, encore que les particuliers se voient encouragés à alerter les autorités et qu’ils le fassent généralement s’ils pensent pouvoir agir en toute sécurité, sans subir de contrecoups. De même, les directions dans les milieux de travail civils ont les mêmes obligations de maintenir un environnement de travail sain et sécuritaire et ont trouvé des moyens de remplir ces obligations sans imposer l’obligation de signaler sur leur personnel. Les victimes d’agression sexuelle, pour leur part, sont libres d’évaluer le pour et le contre. Si elles préfèrent garder le silence, elles n’ont pas à craindre d’autres punitions ni à faire face à une attention non-désirée dans le cas où d’autres personnes auraient dénoncé les faits contre leur gré.

Malgré la difficulté notoire que le devoir de signaler a engendrée, depuis qu’il existe, face à la question de l’inconduite sexuelle au sein des FAC, peu de choses ont été dites pour en justifier l’existence. On m’a dit qu’il est impératif d’imposer cette obligation aux membres des FAC pour s’assurer que les inconduites graves soient dûment portées à la connaissance des autorités compétentes et qu’elles puissent faire l’objet de mesures appropriées, ce devoir étant particulièrement pertinent dans le contexte la prévention des atteintes à la sécurité nationale et aux enfants, par exemple. Je conviens, bien sûr, que le leadership militaire doit être informée des menaces imminentes de préjudice grave et qu’elle devrait en effet être pleinement consciente de l’étendue de l’inconduite généralisée dans ses rangs, qu’il s’agisse d’inconduite sexuelle, de corruption ou de toute autre question de ce genre. Toutefois, je n’ai vu aucune preuve que la probabilité de voir ces affaires portées à l’attention de la chaîne de commandement dépende d’une obligation formelle de dénonciation ou même qu’elle soit renforcée par celle-ci.

Il est hors de la portée de mon mandat de traiter de la question du devoir de signaler au sens large, mais je ne vois aucun argument convaincant en faveur de son maintien, du moins dans sa relation à l’inconduite sexuelle. L’existence de cette disposition, même si son application semble inexistante, suscite une peur et une angoisse considérables, d’autant plus que l’objectif visé, à savoir assurer une intervention efficace de la hiérarchie en cas d’inconduite sexuelle, n’a clairement jamais été atteint.

À la manière du système civil, le signalement devrait être avant tout une affaire de conscience et de confiance, comme c’est largement le cas aujourd’hui. Toutefois, l’incertitude qui résulte d’une obligation légale non appliquée est néfaste puisqu’elle invite à spéculer sur le risque de non-conformité et envoie un message ambigu sur la vertu de la conformité.

Autant dire que les inconduites sexuelles et criminelles graves devraient relever du système pénal civil et qu’à ce titre, les mêmes règles devraient s’appliquer dans le contexte militaire lorsqu’il s’agit de signaler une infraction et de procéder à des accusations et à des poursuites. Dans la mesure où l’inconduite sexuelle constitue également une violation du Code de discipline militaire, il ressort clairement des faits que le devoir de signaler n’a pas atteint l’objectif visé et, pire encore, n’a servi qu’à terroriser et à revictimiser les personnes qu’elle était censée protéger. Il devrait donc être aboli.

Au fil du temps, lorsque l’inconduite sexuelle aura fait l’objet d’une gestion mieux adaptée au sein des FAC, les obstacles au signalement seront réduits et les victimes se montreront plus disposées à se manifester. Telle sera la meilleure façon de s’assurer que les autorités, y compris la chaîne de commandement, aient bien conscience du problème et se dotent des moyens nécessaires pour s’y attaquer dans une perspective d’avenir. Comme dans le système civil, les autorités militaires continueront d’être mises au courant des incidents de diverses sources; des victimes, des témoins et même des médias. Il va sans dire qu’on s’attendra à ce qu’ils répondent de façon appropriée, dans le respect des besoins et des désirs des victimes et, bien sûr, dans l’intérêt public. Aujourd’hui, les victimes et les survivantes qui réclament dans leur grande majorité la confidentialité et le soutien, se retrouvent confrontées à un système et à une culture qui font qu’il est toujours plus difficile de parler que de se taire. Voilà qui doit changer. Ce changement prendra du temps, et il serait illusoire de penser qu’il pourra se faire par simple décret.

En l’état actuel du droit, le devoir de signaler semble être un obstacle plutôt qu’une incitation à dénoncer les cas d’inconduite sexuelle au sein des FAC. Le 23 mars 2021, quatre mois après la publication de la DOAD 9005-1, et quelques semaines après avoir assumé les fonctions de CEMD par intérim, le lieutenant-général Eyre a été invité à témoigner devant le FEWO où il a dévoilé un nouveau concept, celui du « devoir de réagir », et a déclaré ceci

  • « L’une des difficultés, comme je l’ai dit plus tôt, tient au devoir de signaler. Cela est prévu dans la loi, mais parfois, cela constitue plutôt un obstacle pour les gens qui veulent parler. Nous devons examiner de près comment nous pouvons changer cela, par exemple en remplaçant le devoir de signaler par le devoir de réagir, et tenir entièrement compte de ce que veut la victime. Nous n’avons toujours pas trouvé de solution. Nous ne savons toujours pas comment faire pour que tout fonctionne, mais je crois que nous devons étudier cela de très près pour la suite des choses »Note de fin d'ouvrage 719.

Ce nouveau concept signale un changement de cap, à savoir que l’accent sera mis non plus sur les besoins de l’institution mais sur les souhaits de la victime et des survivantes. Cela dit, au-delà de la mention du concept lors de cette audience, je ne dispose d’aucune information supplémentaire sur la question de savoir si et comment le « devoir de réagir » sera formalisé et mis en œuvre. Toutefois, l’intérêt récent que suscite ce concept, preuve d’un changement d’orientation, devrait être entretenu puisque, de l’avis de nombreuses victimes, à quoi bon signaler l’inconduite sexuelle si rien n’est fait pour intervenir. À mesure que l’intervention gagnera en importance – et en qualité – lorsque les victimes choisissent de porter plainte, davantage de personnes emboîteront le pas. Ainsi s’opère un changement de culture, progressivement, et dans la bonne direction.

Recommandation nº 11

La section 5 de la DOAD 9005-1 devrait être supprimé et les ORFC 4.02 (visant les officiers) et 5.01 (concernant les MR) devraient être modifiés de manière à soustraire l’inconduite sexuelle à leur application. Il faut envisager l’abolition de l’obligation de signaler pour toutes les infractions en vertu du Code de discipline militaire.

Soutien des victimes et CIIS

Mon mandat exige que j’évalue les activités du CIIS, y compris son indépendance et sa structure hiérarchique, et que je formule des recommandations en vue d’améliorer ces aspects. Voilà qui permettra également d’aborder le processus du MDN et des FAC pour adresser l’une des recommandations centrales de la juge DeschampsNote de fin d'ouvrage 720.

Histoire du CIIS

Création du CIIS et évolution de son mandat

Le CIIS a été mis sur pied en 2015, en réponse à la recommandation centrale de la juge Deschamps aux FAC, à savoir de « [créer un centre indépendant de responsabilisation en matière de harcèlement sexuel et d’agression sexuelle à l’extérieur des FAC qui aura la responsabilité de recevoir les signalements de comportements sexuels inappropriés, de mener les activités de prévention, de coordonner et de surveiller la formation, de faire de la recherche, de fournir le soutien aux victimes, de faire le suivi de la responsabilisation, et d’agir comme autorité centrale pour la collecte de données »Note de fin d'ouvrage 721. Le centre devait donc remplir l’ensemble de ces sept fonctions.

Le CIIS a été mis en place rapidement après la publication du rapport Deschamps. Toutefois, son mandat initial était très différent de celui que recommandait le rapport Deschamps. En effet, en 2018, la juge Deschamps a observé :

Le centre qui a été créé ne représente même pas l’ombre du centre dont j’avais dressé les grandes lignes dans mon rapportNote de fin d'ouvrage 722.

Tant la gouvernance que le mandat du CIIS ont fait l’objet de discussions et de révisions depuis sa création en 2015, comme indiqué ci-dessous.

1. Mandat provisoire du CIIS – septembre 2015

Le CIIS a été établi sous l’autorité du SM, à l’extérieur de la chaîne de commandement. Au moment de sa création, son mandat était exclusivement axé sur les services de soutien aux victimes. Des services de counseling étaient fournis par téléphone aux militaires pendant les heures ouvrables. Des conseils et des orientations ont également été offerts à la chaîne de commandement et aux témoins d’incidents sur la manière d’adresser l’inconduite sexuelle. Le travail de sensibilisation auprès des militaires a toutefois été limitéNote de fin d'ouvrage 723.

2. Examen du CIIS par le SMA(SE) – septembre 2017

En 2017, le SMA(SE) s’est livré à un examen pour déterminer si des structures et des processus de gouvernance efficaces étaient en place pour mettre sur pied le CIIS et a examiné l’indépendance du CIIS en lien avec son mandat. L’examen a révélé que, sur les sept activités énumérées dans le rapport Deschamps, le CIIS avait reçu, à titre provisoire, le mandat de se concentrer uniquement sur le soutien confidentiel aux victimesNote de fin d'ouvrage 724.

Le SMA(SE) a observé qu’il était essentiel que le CIIS réponde aux besoins des FAC, mais aussi qu’il soit indépendant et perçu comme tel par les victimes et par les parties prenantes. Selon le SMA(SE), il y avait un risque que les militaires perçoivent la collaboration entre le CIIS et les FAC comme une limite à son indépendance, Toutefois, il n’a pas formulé de recommandations pour améliorer l’indépendance du CIIS; il a plutôt recommandé que le CIIS finalise ses documents fondamentaux et l’établissement du CCENote de fin d'ouvrage 725.

3. Charte du CIIS – octobre 2017

Le 20 octobre 2017, la charte du CIIS a été signée par la SM. Alors que l’approbation finale relevait de la SM, l’EISF-IS a révisé la charte et « a demandé des modifications et l’ajout de contenu comme les éléments des ententes de service »Note de fin d'ouvrage 726.

À l’époque, le mandat du CIIS était exclusivement axé sur les services de soutien aux victimes; les services ont donc été étendus pour inclure un accès 24/7 et l’intégration d’une équipe de liaison militaire dans le modèle de prestation de services, afin de faciliter les signalementsNote de fin d'ouvrage 727.

4. Rapport de 2018 du BVG

Dans son rapport de 2018, le BVG a formulé plusieurs recommandations visant à harmoniser le mandat du CIIS avec la recommandation initiale de la juge Deschamps.

Le BVG a observé ce qui suit :

  • Au lieu de confier au CIIS toutes les responsabilités recommandées par la juge Deschamps, les Forces l’ont uniquement chargé de fournir des services de soutien initiaux aux victimes par téléphone ou par courriel, et de les orienter vers un service approprié. La plupart des autres responsabilités ont été confiées à l’EISF-ISNote de fin d'ouvrage 728, et
  • La charte qui a remplacé le mandat provisoire du CIIS n’avait pas réussi à dissiper la confusion des membres au sujet du CIIS et de l’EISF-IS, malgré le fait qu’elle visait à clarifier les rôles et les responsabilités du CIIS.Note de fin d'ouvrage 729.

Le BVG a donc fait la recommandation suivante : « Les [FAC] devraient collaborer avec le [MDN] en vue de revoir la répartition des rôles et responsabilités entre [l’EISF-IS et le CIIS] et de préciser leurs rôles et responsabilités respectifs, afin d’améliorer leur efficience et d’éviter le dédoublement des efforts »Note de fin d'ouvrage 730. Le MDN a accepté et à dit que le CIIS « deviendra[it] la voix officielle en ce qui concerne tous les aspects liés au soutien des victimes et à la défense de leurs droits, à partir du moment où l’incident se produit jusqu’au moment où les besoins de la victime sont entièrement comblés »Note de fin d'ouvrage 731.

Le BVG a aussi fait la recommandation suivante : « Les [FAC] devraient établir une approche nationale intégrée de soutien aux victimes pour veiller à répondre entièrement aux besoins de tout militaire qui est victime de comportements sexuels inappropriés »Note de fin d'ouvrage 732. Le MDN a répondu que le VCEMD « dirigera[it] l’élaboration et la mise en œuvre d’un plan national intégré de soutien aux victimes d’inconduite sexuelle » et que le CIIS « jouera[it] également un rôle de premier plan dans cet effort, afin de veiller à ce que le plan soit fondé sur l’expérience du [CIIS] en gestion de cas et son analyse des besoins des victimes »Note de fin d'ouvrage 733.

Le BVG a de plus recommandé que les FAC priorisent le soutien aux victimes grâce aux mesures suivantes :

  • offrir des services complets et intégrés de gestion de dossiers, dès le moment où la victime signale un incident jusqu’à la fermeture du dossier;
  • s’assurer que les militaires, les intervenants et les responsables comprennent bien le processus de traitement d’une plainte, son déroulement et les dénouements possibles tant pour la victime que pour l’auteur présumé d’un incidentNote de fin d'ouvrage 734.

Le MDN a donné son accord et a souligné que le CIIS participera activement à « l’élaboration d’un plan de campagne exhaustif de l’Opération HONOUR, qui désignera[it] le soutien aux victimes et la mise en œuvre d’un système de gestion de cas national intégré comme efforts principaux »Note de fin d'ouvrage 735.

De plus, en réponse à une recommandation du BVG voulant que les FAC examinent « d’autres types de séances de sensibilisation et de formation axées sur l’aide aux victimes afin d’avoir l’assurance que tous les membres suivent une formation appropriée qui appuie les objectifs de l’Opération HONOUR », le MDN a répondu que « [l]a charte du [CIIS] sera[it] examinée et modifiée pour inclure le mandat explicite de surveiller les programmes de formation et de sensibilisation dans les Forces. La charte reconnaîtra[it] également la voix officielle du [CIIS] en ce qui a trait au contenu des formations »Note de fin d'ouvrage 736.

Le BVG a finalement constaté que le CIIS « n’avait pas été chargé de recevoir les plaintes ni de recueillir de l’information. C’est donc dire que les Forces ne disposaient pas d’une source d’information indépendante et objective sur l’efficacité de l’Opération HONOUR »Note de fin d'ouvrage 737. Le BVG a donc fait la recommandation suivante : « Les Forces armées canadiennes devraient élaborer un cadre d’évaluation du rendement pour mesurer et suivre les résultats de l’Opération HONOUR, et pour présenter des rapports à ce sujet »Note de fin d'ouvrage 738. Le MDN a répondu qu’il élaborerait un tel cadre et qu’il serait soutenu par le CIIS qui fournirait « des analyses et des conseils indépendants »Note de fin d'ouvrage 739.

Le BVG a aussi formulé la recommandation suivante : « Les Forces armées canadiennes devraient avoir davantage recours à des experts externes en la matière, en plus d’utiliser les sources d’information et éléments probants internes, afin de disposer d’une plus grande diversité d’information sur le rendement et d’avoir l’assurance de recevoir une évaluation objective des mesures prises pour mettre fin aux comportements sexuels inappropriés »Note de fin d'ouvrage 740. Le MDN a répondu que la charte du CIIS serait « modifiée pour reconnaître le [CIIS] comme organisme externe responsable de veiller à ce que l’Opération HONOUR soit continuellement surveillée par des experts externes en la matière », que le « [CCE] fournira[it] à la directrice générale du [CIIS], de manière indépendante, de l’information et des conseils en vue de contribuer à la réalisation de ce mandat » et que la « directrice générale aura désormais un mandat plus vaste de conseiller les hauts dirigeants du [MDN] et des [FAC], et de fournir des analyses et des conseils indépendants sur les plans et le rendement de l’Opération HONOUR et les activités connexes »Note de fin d'ouvrage 741.

Comme annoncé par le MDN dans sa réponse à la recommandation du VG, un nouveau mandat a été rédigée pour le CIIS.

5. Recommandations du CCE – mars 2019

Le CCE a examiné le projet de mandat du CIIS, qui leur a été fourni le 4 mars 2019. Le CCE était d’avis que certaines questions fondamentales sérieuses devaient encore être abordéesNote de fin d'ouvrage 742. Il a recommandé ce qui suit :

  • En priorité, clarifier les pouvoirs, les obligations et les responsabilités respectives du CIIS et de l’EISF-IS et développer leurs chartes/mandats respectifs en conséquence, avec la contribution et l’orientation des experts en matière de politiques et de droit, ainsi que des personnes ayant un pouvoir décisionnelNote de fin d'ouvrage 743. [traduit par nos soins]

6. Comité sénatorial permanent – mai 2019

Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense a pour sa part formulé deux recommandations concernant le mandat du CIIS :

  • Recommandation 2. Que le mandat et les ressources du Centre d’intervention sur l’inconduite sexuelle (CIIS) soient revus afin qu’il réponde mieux aux besoins des individus qui y demandent du soutien et qu’un mécanisme externe soit mis en place pour mesurer l’efficacité du Centre.
  • Recommandation 3. Que le Centre d’intervention sur l’inconduite sexuelle fournisse le plus d’information possible à sa clientèle sur les différents mécanismes de plainte ainsi que sur les avantages et les désavantages du système de justice militaire et du système de justice civile. On devrait offrir aux personnes qui portent plainte, que ce soit dans le système de justice militaire ou dans le système de justice civile, un soutien juridique et thérapeutique par l’entremise de fournisseurs de services civils qualifiés du CIIS – ou un financement suffisant des FAC pour que les plaignantes et plaignants retiennent leurs propres services juridiques et thérapeutiques pendant au moins un an, avec l’option de présenter une demande de prolongation. Dans tous les cas, les FAC devraient fournir assez de financement pour éponger les frais de déplacement ou autres que les victimes et leurs témoins doivent assumer en ce qui a trait à la résolution de leur plainteNote de fin d'ouvrage 744.

7. Mandats et accord de mise en œuvre révisés – juillet 2019

Un accord de mise en œuvre a été conclu entre le CIIS et la DCMP-OpH concernant « [l’a]ccord de mise en œuvre concernant l’offre de conseils spécialisés et de services de soutien dans le cadre de l’intervention des FAC en matière d’inconduite sexuelle », entrant en vigueur le 30 juillet 2019. L’accord de mise en œuvre a formalisé la relation de travail entre le CIIS et le DCMP-OpH, et a délimité la répartition des responsabilités entre les deux. Il reste en vigueur à ce jour, malgré l’expansion récente du mandat du CIIS.

Un nouveau mandat a également été établi à la suite des recommandations du VG et du CCE, résumé comme suit :

  • fournir du soutien aux membres des FAC qui ont été affectés par l’inconduite sexuelle;
  • fournir une orientation et des conseils d’experts aux FAC sur tous les aspects de l’inconduite sexuelle; 
  • surveiller les progrès réalisés par les FAC dans la lutte contre l’inconduite sexuelleNote de fin d'ouvrage 745.
Récentes recommandations concernant le mandat du CIIS

Le mandat et la structure du CIIS font l’objet de critiques persistantes, malgré les efforts déployés par le MDN et les FAC décrits ci-dessus.

1. Rapport Fish – juin 2021

Le rapport Fish contenait quatre principales recommandations relatives au mandat du CIIS et à sa gouvernance :

  • Recommandation #71. La relation entre le [CIIS], d’un côté, et les [FAC] et le [MDN], de l’autre, devrait être examinée pour veiller à ce que le [CIIS] ait un niveau adéquat d’indépendance à l’égard des deux autres. Cet examen devrait être mené par une autorité indépendante.
  • Recommandation #72. Le [CIIS] devrait être chargé de mettre en œuvre un programme offrant des conseils juridiques gratuits et indépendants aux victimes d’inconduite sexuelle, y compris des conseils quant au choix de signaler et, le cas échéant, quant à la façon de le faire et au lieu où le faire, ainsi qu’une orientation tout au long du processus judiciaire. […]
  • Recommandation #73. Le [CIIS] devrait recevoir le mandat de faire le suivi de l’adhérence des [FAC] aux politiques en matière d’inconduite sexuelle et d’enquêter sur les enjeux systémiques ayant un effet négatif sur les victimes d’inconduite sexuelle, y compris la responsabilisation des [FAC]. […]
  • Recommandation #74. La [JAG] et le [CIIS] devraient collaborer afin de soumettre au ministre de la Défense nationale une proposition commune de modifications à la Loi sur la défense nationale dans le but de permettre la prise de mesures de justice réparatrice dans le système de justice militaire. Ils devraient également collaborer pour développer un modèle formel de justice réparatrice adapté aux besoins des victimes et des contrevenants et à la réalité des [FAC] et de leur système de justiceNote de fin d'ouvrage 746.

2. Examen par le SMA(SE) du rapport Deschamps – novembre 2021

Lors d’un examen récent de la mise en œuvre du rapport Deschamps et du rapport du BVG de 2018, la SMA(SE) a identifié des éléments qui doivent toujours être adressés en ce qui concerne le CIIS, notamment le fait qu’il y avait une possibilité de renforcer le suivi et la collecte des données qui fait partie de la recommandation par le biais de l’autorité centralisée du CIIS Note de fin d'ouvrage 747.

3. FEWO – juin 2021

Le FEWO a formulé des recommandations à l’égard du CIIS, notamment que le gouvernement du Canada « mette en application toutes les recommandations du rapport de la juge Deschamps paru en 2015 »Note de fin d'ouvrage 748 et qu’il offre « aux survivantes d’inconduite sexuelle des services et des programmes de soutien »Note de fin d'ouvrage 749.

Activités et initiatives actuelles du CIIS

Actuellement, le mandat du CIIS est de (i) fournir un soutien aux membres des FAC qui sont affectés par l’inconduite sexuelle, (ii) fournir une orientation et des conseils d’experts sur tous les aspects de l’inconduite sexuelle, et (iii) surveiller les progrès des FAC dans la lutte contre l’inconduite sexuelleNote de fin d'ouvrage 750.

Le lecteur trouvera ci-dessous un résumé des services fournis par le CIIS à l’heure actuelle, ainsi que des initiatives qu’il pilote. Il ne s’agit pas d’une liste exhaustive.

1. Services de soutien

Ligne d’intervention et de soutien 24h/24 et 7j/7. Au cœur des services de soutien du CIIS se trouve la Ligne d’intervention et de soutien 24/7. « Tous les membres des FAC affectés par l’inconduite sexuelle peuvent joindre un conseiller du CIIS sans frais, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, et recevoir du soutien, des renseignements et des recommandations bilingues et confidentiels de la part de conseillers et conseillères de la fonction publique expérimentés dans le soutien aux personnes affectées par l’inconduite sexuelle »Note de fin d'ouvrage 751

Programme de coordination de l’intervention et du soutien. En août 2019, le CIIS a officiellement lancé son programme de coordination de l’intervention et du soutien. Ce programme est offert aux membres actuels des FAC. « Un membre du personnel de coordination de l’intervention et du soutien sera assigné aux membres des FAC [...] pour assurer la continuité du contact et fournir un soutien continu, un accompagnement, une défense des droits ainsi que des services de gestion de cas personnalisés pour aider les personnes affectées à naviguer au sein des systèmes et des processus, selon les besoins »Note de fin d'ouvrage 752. Le personnel de coordination de l’intervention et du soutien accompagne les membres à « divers rendez-vous (p. ex. Service national des enquêtes des Forces canadiennes (SNEFC), services médicaux, police militaire, services juridiques), ainsi qu’aux comparutions devant les tribunaux (militaires et civils) afin de leur fournir un soutien émotionnel dans les cas où cela est considéré être un besoin »Note de fin d'ouvrage 753.

Équipe de liaison militaire. Un autre service offert par le CIIS est l’équipe de liaison militaire, qui est composée d’officiers de liaison militaire et d’un officier de liaison de la PM du SNEFC. L’équipe de liaison militaire « [fournit] des conseils stratégiques et [assure] une liaison militaire directe entre le CIIS et les FAC ». Elle fournit aussi aux militaires affectés des renseignements sur les politiques, les processus et les procédures des FAC, ainsi que sur le signalement, l’enquête et les processus de justice militaire et civile associésNote de fin d'ouvrage 754.

Programme de démarches réparatrices. Le CIIS, en partenariat avec la GICP, a également développé le programme de démarches réparatrices requis par les recours collectifs Heyder et BeattieNote de fin d'ouvrage 755.

Programme de contributions. En 2019, le CIIS a lancé le programme de paiements de transfert (également appelé « Programme de contributions » ou « Contributions à l’appui des centres d’aide aux survivants et survivantes d’agression sexuelle au Canada »), pour financer les projets des centres civils d’aide aux survivantes d’agression sexuelle situés près de neuf des plus grandes bases des FAC. Selon, le CIIS, « [l]e Programme vise à combler les lacunes en matière de soutien à la communauté des FAC en améliorant l’accès aux services de soutien aux survivants et survivantes »Note de fin d'ouvrage 756 et à « accroître la collaboration entre les fournisseurs de services communautaires et ceux des FAC »Note de fin d'ouvrage 757. En date d’avril 2021, neuf accords de contribution ont été signés avec différents centres au CanadaNote de fin d'ouvrage 758. Le CIIS compte élargir ce programme afin d’étendre sa portée organisationnelle et géographique et de mieux répondre aux besoins des communautés mal desservies. L’intention est que le financement soit fourni en avril 2022Note de fin d'ouvrage 759.

2. Formation et éducation

En 2019–2020, le CIIS a créé une nouvelle « équipe de formation et d’éducation » en raison de l’élargissement de son mandat. « Cette équipe fournit des conseils sur l’éducation et la formation en matière d’inconduite sexuelle dans les FAC et élabore des contenus ciblant des questions ou des publics spécifiques. Elle est également responsable de la prestation, de la maintenance et de la supervision de l’atelier et de l’application mobile [RFAC] »Note de fin d'ouvrage 760.

Le CIIS a également collaboré avec le CMR de Kingston pour mener un programme de prévention complet à l’intention des cadets : « Construire notre avenir »Note de fin d'ouvrage 6761.

3. Conseils en matière de politiques et recherche

En tant que centre d’expertise sur l’inconduite sexuelle, le CIIS fournit des conseils spécialisés aux FAC en matière de politiques. Plus précisément, le CIIS a conseillé le CJAG sur la rédaction des règlements et des politiques et sur les exigences de formation liées à la mise en œuvre de la DDV. Le CIIS a également mené les consultations sur le soutien aux survivants et survivantes et a élaboré la stratégie de prévention du CIIS qui guidera les recherches futures et la création de produitsNote de fin d'ouvrage 762.

4. Expansion du CIIS

Le Budget 2021 prévoyait des investissements importants de 59,7 millions de dollars sur cinq ans pour étendre les services de soutien du CIIS, en mettant l’accent sur ce qui suit :

  • Élargir l’accès aux services du CIIS aux fonctionnaires du MDN à partir d’août 2021, et aux anciens militaires à partir de novembre 2021.
  • L’expansion des bureaux du CIIS au Québec et dans le Pacifique d’ici mars 2022. Trois régions seront ajoutées pour un total de cinq en 2022–23.
  • Établissement d’un programme conjoint de soutien par les pairs par les Ancien Combattants Canada et le MDN pour les membres des FAC, actuels et anciens, dont le lancement est prévu en juin 2022.
  • Développement de la capacité de recherche sur la prévention de l’inconduite sexuelle.
  • Mise en œuvre d’un programme visant à fournir des conseils juridiques indépendants d’ici avril 2022Note de fin d'ouvrage 763.

Pour la suite – nom et mandat du CIIS

Une fois de plus, l’avenir du CIIS doit être examiné. Pour ce faire, nous devons nous pencher sur ce qu’il est devenu, plutôt que ce qu’il était censé devenir. Nous devons également prendre en considération la façon dont le CIIS s’insère dans la structure organisationnelle de l’Équipe de la Défense – et plus particulièrement, par rapport au groupe du CCPC.

À mon avis, le nom et la fonction du CIIS devraient être reconsidérés. Le nom actuel de Centre d’intervention sur l’inconduite sexuelle est trompeur. Il a contribué à la perception répandue qu’il s’agit d’un centre de signalement des cas d’inconduite sexuelle.

La terminologie est importante. Il y a en effet une différence entre « signaler » et « divulguer ». Le signalement d’un crime ou d’une infraction disciplinaire entraîne des conséquences. Le signalement fait référence à l’intention ou au désir d’initié un processus officiel ou une intervention précise. Par exemple, lorsqu’une personne signale une agression sexuelle à la police, elle s’attend à ce que l’agression fasse l’objet d’une enquête officielle. Si une victime d’inconduite sexuelle choisit de signaler l’inconduite, ce signalement doit être effectué auprès d’autorités compétentes qui sont en mesure d’intervenir.

La divulgation, quant à elle, fait référence à la communication d’informations sur un incident, sans l’attente liée au signalement. La divulgation peut se faire auprès d’un ami, d’un collègue, d’un professionnel de la santé ou d’un prestataire de services comme le CIIS, sans qu’il y ait nécessairement une intention d’initier une procédure judiciaire ou disciplinaire.

Actuellement, le CIIS n’est pas un centre de signalement. L’accord de mise en œuvre entre le CIIS et le DCMP-OpH fait spécifiquement référence à la divulgation, par opposition au signalement :

  • 4.1. CIIC – Recevoir des divulgations d'inconduite sexuelle directement des personnes affectées, indépendamment de la chaîne de commandement, et faciliter les signalements avec le consentement de la personne affectée..Note de fin d'ouvrage 764

En outre, la divulgation d’une inconduite au CIIS ne satisferait pas les exigences du devoir de signaler prévu par la DOAD 9005-1, Intervention sur l’inconduite sexuelle. Ce devoir est de signaler à la chaîne de commandement, ce que le CIIS n’est justement pas. J’ai traité ailleurs des problèmes liés au devoir de signaler. Toutefois, même si les victimes étaient exemptées de ce devoir, il n’en reste pas moins que le CIIS n’est pas, ne peut pas et ne devrait pas devenir un centre de « signalement ». Le CIIS est avant tout un organe de prestation de services et un centre de ressources, ce rôle devant être renforcé.

Sa fonction première devrait être de fournir un large éventail de mesures de soutien aux victimes d’inconduite sexuelle. Cela peut inclure le fait d’être la première instance de divulgation. Il doit se faire connaître comme un centre fiable et compétent offrant des conseils, du soutien, des ressources, une orientation et un suivi pour les victimes qui cherchent une aide juridique, médicale, sociale et administrative. Je crois que le CIIS devrait, avant tout, habiliter pleinement les victimes en leur offrant des options afin qu’elles puissent choisir le plan d’action le plus adapté à leurs besoins.

Nom du CIIS

Le nom du CIIS a été source de confusion depuis sa création. Au sujet de son nom en anglais (SMRC), le CIIS a déclaré :

  • Le BVG a noté dans son rapport de 2018 qu’il y avait confusion au sein des FAC entre le CIIS et l’ancienne EISF-IS (respectivement SMRC et CSRT-SM en anglais) (aujourd’hui le DCMP-OpH). Bien que cette confusion concernant le nom ait été résolue, elle persiste quant à la fonction et à la gouvernance du CIIS et de la DCMP-OpH, la croyance persistante étant que le CIIS est une entité des FAC. Il existe actuellement une croyance selon laquelle le CIIS fait ou fera partie du groupe du CCPC. […] Le nom actuel ne décrit pas ce que le [CIIS] fait réellement et accrédite l’idée qu’il « répond » à l’inconduite sexuelle dans les FAC – au lieu de fournir un soutien ou une expertise en matière de prévention. Voilà qui perpétue la croyance erronée selon laquelle il s’agit d’une entité des FAC chargée d’intervenir en cas d’inconduite sexuelle, ce qui occulte la nécessité pour les FAC d’intervenir elles-mêmesNote de fin d'ouvrage 765. [traduit par nos soins]

Il en va de même pour le nom en français, « Centre d’intervention sur l’inconduite sexuelle », qui implique également une action positive pour « intervenir » à une situation d’inconduite sexuelle.

Le nom doit énoncer et évoquer clairement son objectif. Le nom de Centre de ressources pour l’inconduite sexuelle – par opposition à Centre d’intervention – permettrait d’atteindre cet objectif.

Recommandation nº 12

Le nom du CIIS devrait être changé pour Centre de ressources sur l’inconduite sexuelle.

Bénéficiaires du CIIS

Le CIIS ne devrait fournir des ressources et des services de soutien qu’aux victimes d’inconduite sexuelle.

1. Chaîne de commandement et contrevenants présumés

À l’heure actuelle, le CIIS fournit des services à la chaîne de commandement et aux personnes accusées d’inconduite sexuelle. Pour l’année fiscale 2020–2021, 155 des 654 nouveaux cas ouverts suite au recours à la ligne téléphonique 24/7, soit 23,7 %, provenaient de la chaîne de commandement. Une proportion beaucoup plus faible de nouveaux cas, 12 au total (soit 1,8 %), provenaient des contrevenants présumés pour cette même annéeNote de fin d'ouvrage 766.

Des membres de la chaîne de commandement m’ont dit qu’ils trouvaient utile d’avoir accès aux conseils du CIIS sur comment intervenir et offrir du soutien aux victimes, de façon efficace. En effet, grâce à son expertise, le CIIS est bien placé pour aider les commandants sur la manière d’intervenir suite à une divulgation ou un signalement d’inconduite sexuelle. De plus, la DOAD 9005-1 encourage la chaîne de commandement à « envisager de communiquer avec le CIIS pour obtenir des conseils sur la manière d’intervenir et de soutenir les victimes »Note de fin d'ouvrage 767.

Cependant, j’ai également entendu dire que ce rôle-conseil du CIIS auprès de la chaîne de commandement avait pour effet d’accroître la perception des victimes selon laquelle le CIIS sert les intérêts des FAC, et non ceux des victimes.

À ce propos, le CIIS a déclaré ce qui suit :

  • […] en tant que centre d’expertise sur l’inconduite sexuelle, nous avons défendu la nécessité d’offrir des services d’intervention, de soutien et de remédiation pour les personnes qui ont commis une inconduite sexuelle, car il s’agit d’un élément essentiel pour traiter efficacement du problème au sein des FAC. Certaines parties prenantes, en particulier celles qui ont une expérience vécue, considèrent qu’il s’agit là d’un conflit d’intérêts ou que les ressources destinées aux survivantes sont détournées au profit des parties mises en cause ou contrevenantes. Ces personnes estiment que le CIIS devrait se concentrer uniquement sur les survivantes et que la chaîne de commandement et les personnes accusées d’inconduite sexuelle devraient avoir une source différente de conseils ou de soutien. Le CIIS dispose de l’expertise nécessaire pour aider les trois groupes, sans véritable conflit d’intérêts, ce qui est conforme à notre mandat comme centre d’expertise et permet une intervention globale, bien que cela reste une préoccupation méritant d’être soulevée iciNote de fin d'ouvrage 768. [traduit par nos soins]

À mon avis, le fait que le CIIS fournisse des services à la chaîne de commandement est problématique, de la même manière qu’il est problématique que la GICP soutienne à la fois les plaignantes, les parties mises en cause et les FAC. Le conflit d’intérêts pourrait se matérialiser si la chaîne de commandement sollicitait des conseils à l’égard d’un cas pour lequel la victime a consulté le CIIS. Pour éviter une telle situation, la fonction actuelle du CIIS consistant à conseiller la chaîne de commandement sur le traitement des plaintes pour inconduite sexuelle devrait être supprimée.

De tels conseils devraient demeurer à l’intérieur des FAC, qui devraient être entièrement responsables de la performance de la chaîne de commandement à cet égard. Les commandants devraient être dirigés soit vers le groupe du CCPC, soit vers le CJAG qui devrait accroître, si nécessaire, ses compétences en droit administratif. Pour faciliter l’échange de connaissances, le CIIS devrait faire bénéficier le groupe du CCPC et le CJAG de l’expertise qu’il a acquise sur ces questions, afin qu’ils puissent prendre en charge cette fonction.

En ce qui concerne la prestation de services aux contrevenants présumés, je crois qu’il y a apparence de conflit d’intérêts. En outre, les besoins des contrevenants présumés sont différents de ceux des victimes et des survivantes, tout comme l’expertise professionnelle requise pour adresser leurs besoins. Par conséquent, le soutien aux contrevenants présumés ne devrait pas être fourni par le CIIS, mais plutôt par une entité des FAC, soit à travers le groupe du CCPC et/ou le CJAG, qui offre déjà des conseils et une représentation juridiques aux contrevenants.

2. Employés du MDN et anciens membres des FAC

J’ai souligné ci-dessus que le CIIS avait récemment étendu ses services aux employés du MDN ainsi qu’aux anciens membres des FAC. Ces groupes d’individus devraient avoir accès aux même services que ceux offerts aux membres des FAC par le CIIS, le cas échéant.

3. Accent sur l’inconduite sexuelle

En ce qui concerne l’élargissement du mandat du CIIS à d’autres formes de préjudice, le CIIS a fait valoir « qu’il existe un besoin de services de soutien pour les personnes qui subissent d’autres types de préjudices. En outre, la distinction que l’on fait quant à la réponse aux différentes formes d’inconduite masque la réalité de l’intersectionnalité de nombreuses formes d’inconduite, et la nécessité de prendre en compte ces intersections dans la réponse et le soutien »Note de fin d'ouvrage 769. [traduit par nos soins]

Avec le temps, le mandat du CIIS pourrait être élargi pour inclure les victimes d’autres formes de préjudice, mais pour l’instant, je crois qu’il est préférable de se concentrer sur cette question afin de ne pas diluer sa visibilité et son expertise. Cependant, le CIIS devrait être équipé pour traiter les questions découlant de l’intersectionnalité afin de pouvoir, le cas échéant, aider les victimes et les survivantes en conséquence.

Recommandation nº 13

Le CIIS devrait être renforcé principalement en tant que centre de ressources uniquement pour les plaignantes, les victimes et les survivantes d’inconduite sexuelle, et il devrait avoir une expertise adéquate et une capacité suffisante.

Fonction du CIIS

Lors de mes consultations avec les membres de l’Équipe de la Défense, anciens et actuels, il est devenu évident que les survivantes d’inconduite sexuelle ont besoin d’un soutien au-delà de celui actuellement fourni par le CIIS. L’incertitude quant à l’aide disponible et à l’endroit où la trouver, ainsi que la complexité entourant les recours possibles et lequel choisir, peut en effet avoir un effet dissuasif sur les victimes.

Dans cette optique, le CIIS devrait devenir la « porte d’entrée » pour tout soutien aux victimes. En plus des conseils et du soutien à l’intervention déjà fournis, le CIIS devrait être adéquatemment équippé afin de garantir que les victimes reçoivent des conseils, du soutien et des services sur le plan juridique, médical et professionnel. Le CIIS n’agirait pas nécessairement à titre de prestataire direct de services, mais en tant qu’intermédiaire pour s’assurer que les victimes et les survivantes aient accès aux services répondant à leurs besoins.

Ceci est conforme à la recommandation 3 du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense.

Conseils juridiques

Le CIIS consulte déjà le ministère de la Justice afin d'établir un mécanisme permettant de fournir des conseils juridiques indépendants aux victimes d’inconduite sexuelle. Je comprends que le CIIS a évalué différentes options concernant la portée d’un tel programme, y compris l’évaluation « des domaines de droit pour lesquels les victimes pourront recevoir des conseils juridiques, le type de soutien juridique qui serait fourni, les critères d’admissibilité au programme »Note de fin d'ouvrage 770. De plus, le CIIS envisage différentes options sur comment trouver des ressources juridiques et en assurer le paiement. Je comprends que ces options comprenaient, en date du 1er octobre 2021 :

  • Conclure des ententes directement avec des avocats non-militaires et des cabinets d’avocats, assurant ainsi une indépendance de la chaîne de commandement, et assurant au CIIS le contrôle total de l’administration du programme et des possibilités d’expansion;
  • Utiliser les conseillers juridiques de la F rés;
  • Créer une unité indépendante au sein du CJAG, de façon similaire au DSAD ou au US Department of Defence Special Victims Counsel;
  • Créer un programme de transfert de paiement aux programmes de conseils juridiques indépendants provinciaux/territoriaux existants, financés par le ministère de la Justice;
  • Créer un mécanisme de réclamation qui permet aux victimes de retenir les services d’un avocat de leur choix et d’être remboursé pour leurs coûts; et
  • Conclure une entente avec une organisation nationale pour administrer le programme.

Selon le groupe du CCPC, le programme de conseils juridiques indépendants pour les victimes d’inconduite sexuelle devait être complété d’ici avril 2022Note de fin d'ouvrage 771. Je n’ai pas reçu plus d’information quant au statut de ce programme.

Il est essentiel que les victimes d’inconduite sexuelle s’adressent dès que possible à un avocat quant à leur intention de porter plainte, qu’elles aient déjà pris une décision ou qu’elles soient incertaines, car elles doivent savoir à quoi s’attendre, peu importe leur décision. Elles devraient également être informées des autres options à leur portée, comme les poursuites civiles en dommages et intérêts, et être habilitées pleinement à faire des choix éclairés. Ultimement, le fait de fournir ces conseils juridiques civils aidera la victime à déterminer la meilleure façon de procéder dans les circonstances – un choix fondamentalement individuel – et la meilleure façon de traverser les différents processus qui pourraient être déclenchés en raison d’une divulgation.

L’accès à des conseils juridiques gratuits devrait être proposé aux victimes immédiatement lors de leur premier contact avec le CIIS. L’existence de ce service devrait être largement diffusée au sein de l’Équipe de la Défense.

Bien que certaines victimes d’inconduite sexuelle pourraient avoir accès à des conseils juridiques indépendants fournis par des autorités provinciales, le CIIS devrait s’assurer qu’il peut offrir l’accès à conseils juridiques de manière large et indépendante, à travers le pays et sur toute question liée à l’inconduite sexuelle, comprenant non seulement les infractions au Code criminel, mais aussi le harcèlement sexuel et la discrimination fondée sur le sexe. De tels conseils juridiques ne devraient pas être logés au CJAG. Le CIIS devrait plutôt dresser une liste d’avocats non-militaires à travers le pays capables de fournir de tels services et s’assurer qu’ils sont correctement formés, en ce qui concerne l’environnement militaire en particulier, pour les offrir. Le CIIS devrait aussi préparer un barème des honoraires pour ces services, et prévoir le paiement direct aux avocats afin que les victimes n’aient pas à débourser des frais de leurs poches dès le début des consultations. Bien qu’il ne puisse pas y avoir d’attente à l’effet que les poursuites civiles soient entièrement financées par ce système, une représentation juridique adéquate des victimes dans le système de justice pénale devrait être couverte.

Recommandation nº 14

Le CIIS devrait s’assurer qu’il peut faciliter un accès immédiat à de l’assistance juridique aux victimes d’inconduite sexuelle. Cette assistance juridique doit être disponible à travers le pays et sur toute question liée à l’inconduite sexuelle dans les FAC, y compris à l’égard des différents processus qui peuvent être déclenchés en raison d’une divulgation. Pour ce faire, le CIIS devrait dresser une liste d’avocats non-militaires capables de fournir de tels services et s’assurer qu’ils sont correctement formés pour les offrir. Le CIIS devrait aussi préparer un barème des honoraires pour ces services, et prévoir le paiement direct aux avocats.

Soutien médical

Pour exécuter son mandat, le CIIS a développé un réseau important au sein des FAC afin de référer les membres vers les services qui leur sont disponibles. Le CIIS possède les connaissances nécessaires pour aider les militaires à accéder aux bons services et à comprendre les répercussions qui peuvent découler de l’utilisation de ces services sur la progression de leur carrière, leur capacité à se déployer et l’universalité du service. Voilà qui est essentiel. Autant le CIIS doit être indépendant des FAC et de sa chaîne de commandement, autant il est important qu’il connaisse les procédures des FAC pour guider adéquatement les membres des FAC. L’expertise et les relations existent déjà, et il serait pratiquement impossible de les reproduire dans une organisation complètement extérieure à l’Équipe de la Défense.

Soutien à la carrière

La nature unique des FAC en tant qu’« institution totale » signifie que l’inconduite sexuelle, en particulier lorsqu’elle est commise par un militaire envers un autre, peut avoir un impact considérable sur la carrière de la victime, y compris sur son affectation.

Un membre des FAC qui a récemment été victime d’inconduite sexuelle, ou qui est en processus de signalement d’un incident, peut avoir des besoins précis liés à sa carrière et/ou à son affectation. Or, les membres sont souvent laissées à elles-mêmes pour naviguer dans le système et déterminer qui peut les aider à résoudre ces problèmes. Voilà qui impose un fardeau supplémentaire aux victimes et aux survivantes, qui consacrent souvent déjà beaucoup d’énergie à des besoins plus urgents comme le soutien médical et juridique.

J’ai entendu de nombreux militaires qui ont été aux prises avec ces questions et qui, dans certains cas, en ont subi des conséquences bien réelles.

À titre d’exemple, une partie prenante a déclaré qu’elle avait été agressée sexuellement alors qu’elle était élève-officière. Elle a signalé l’agression, et l’affaire a fini par être jugée – pendant ses examens. Elle n’a reçu aucun soutien pour atténuer les conséquences de l’agression et du processus de poursuites sur ses études et sa carrière. En conséquence, elle a échoué son trimestre.

Je comprends que le CIIS fournit du soutien et des services de représentation pour aider les victimes et les survivantes à naviguer à travers les politiques et les procédures internes, et à mitiger toute conséquence négative supplémentaire à laquelle elle pourraient être exposées (par son programme de coordination de l’intervention et du soutien). J’encourage le CIIS de continuer à fournir et à étendre ce soutien et ces services aux victimes.

Associations civiles

Afin d’accroître et de diversifier les services offerts aux victimes et aux survivantes, le CIIS devrait investir dans le développement d’un solide réseau d’associations civiles, y compris des centres de crise pour victimes de viol et d’autres centres civils de soutien aux victimes de violence sexuelle et de violence conjugale. Le CIIS a déjà pris des mesures en ce sens en finançant les projets des centres civils d’aide aux victimes d’agression sexuelle situés à proximité des grandes bases des FAC, par le biais du programme de contribution mentionné ci-dessus, lequel je comprends doit être étendu.

Cela dit, j’ai entendu certaines critiques de la part d’une défenseure du soutien des victimes au sujet du programme de contributions et de l’utilité des services externes civils de soutien. Elle a affirmé que les centres subventionnés ont peu de connaissances des besoins précis des personnes portant l’uniforme, ont peu d’intérêt à les représenter et sont souvent unilingues. En outre, sur la base d’un sondage informel mené auprès des membres d’un groupe de soutien aux victimes, elle a fait valoir que la plupart des victimes ne se tourneraient pas vers des groupes de soutien externes, notamment en raison du manque de compréhension et de connaissance de la culture et de l’environnement militaires.

J’ai également entendu dire que certaines victimes ne se sentent pas en sécurité ou à l’aise de divulguer un incident d’inconduite sexuelle au CIIS parce qu’elles ont l’impression qu’il n’est pas suffisamment indépendant de la chaîne de commandement et que la divulgation ne serait pas reçu en toute confidentialité. Le renforcement de la capacité du CIIS de référer les victimes et les survivantes vers des services de soutien utiles et adaptés, à l’extérieur de l’Équipe de la Défense, conduira au fil du temps à une confiance accrue envers le centre.

À mon avis, l’établissement de relations avec des associations civiles permettra au CIIS de mettre en commun son expertise et son expérience à l’égard du caractère unique de la culture et de l’environnement militaires. Par conséquent, les victimes et les survivantes qui cherchent du soutien auprès des associations civiles seront mieux servies. En outre, les victimes et les survivantes qui ne sont pas à l’aise de divulguer un incident au CIIS ou qui préféreraient un service adapté à leurs besoins propres pourraient avoir accès à plus d’options que celles actuellement offertes par le CIIS et les FAC.

Le développement d’un solide réseau d’associations civiles se révélera essentiel si les infractions criminelles de nature sexuelle passent au système pénal civil, conformément à ma recommandation. En effet, dans ce cas, il sera essentiel que le CIIS et les centres civils coopèrent étroitement et mettent en commun leur expertise et leur expérience respectives afin que le CIIS puisse également en apprendre sur le processus civil. La collaboration entre le CIIS et les centres civils permettra de s’assurer que les deux sont mieux équipés pour soutenir les militaires.

De plus, ce type de collaboration peut également améliorer la capacité du CIIS à soutenir les membres des communautés en quête d’équité, comme la communauté LGBTQ2+, les autochtones et les minorités visibles. Ce type de collaboration pourrait aussi aider le CIIS à fournir des références et de l’aide aux victimes de violence conjugale. À cet égard, j’encourage le CIIS à collaborer aussi avec les services aux familles des militaires, en lien avec le soutien offert par cette organisation aux partenaires militaires victimes de violence conjugale.

Un réseau élargi permettra également d’accroître la portée géographique des services recommandés par le CIIS, afin que les victimes et les survivantes puissent avoir accès à des services en personne près de chez elles.

Enfin, et de façon générale, ceci amènera le CIIS à se tourner vers l’extérieur de l’Équipe de la Défense, ce qui devrait également contribuer à améliorer la perception du CIIS en tant qu’entité indépendante des FAC.

Centre d’expertise

Le mandat du CIIS (2019) identifie l’organisation comme « un centre d’expertise reconnu »Note de fin d'ouvrage 772 :

  • Le CIIS offre des conseils et des recommandations aux FAC, surtout par l’intermédiaire de la Direction Conduite militaire professionnelle – Opération HONOUR, dans la perspective de façonner l’élaboration et la mise en œuvre de politiques et de programmes visant à éliminer l’inconduite sexuelle dans les FACNote de fin d'ouvrage 773.

Conformément à l’accord de mise en œuvre conclu entre le CIIS et le DCMP-OpH, les responsabilités du CIIS sont les suivantes :

  • 4.3 CIIS – Fournir des avis d’experts, des conseils, des recherches et des recommandations liés à l’opération HONOUR et à l’orientation stratégique de l’intervention des FAC en matière d’inconduite sexuelle.
  • 4.4. CIIS – Promouvoir l’élaboration de politiques et de programmes ministériels cohérents en matière d’inconduite sexuelle, en collaboration avec d’autres intervenants. Cela comprend l’élaboration d’approches de prévention fondées sur des données probantes et la conception de programmes d’intervention et de soutien qui se renforcent mutuellementNote de fin d'ouvrage 774.

Depuis sa création en 2015, le CIIS a rassemblé une expertise précieuse sur l’inconduite sexuelle au sein des FAC. Il a également tissé des liens avec les parties prenantes au sein des FAC, ce qui lui permet de bien comprendre les politiques et les programmes relatifs à l’inconduite sexuelle.

Dans ses observations, le CIIS a souligné les avantages d’être le centre d’expertise en matière d’inconduite sexuelle :

  • Le centre d’expertise joue un rôle essentiel pour relayer aux FAC ce que les fournisseurs de services de soutien entendent des membres, pour qu’elles puissent prendre des mesures. Il permet également aux FAC d’entendre les conseils d’une voix de confiance à l’interne et de bénéficier de l’expertise de personnes qui en savent plus long qu’elles sur un enjeu d’importance. Le centre d’expertise a été en mesure d’améliorer considérablement la sensibilisation des FAC de plusieurs manières importantes: mentionnons la nécessité de dialoguer avec les survivantes dès le début des initiatives plutôt que de les consulter de manière superficielle après coup; l’attention portée au vocabulaire tenant compte des traumatismes dans toutes les communications; ainsi que les droits et les besoins des personnes mises en cause. [traduit par nos soins]

Le CIIS s’est toutefois demandé s’il devait jouer ce rôle, ou si le CCPC devait l’assumerNote de fin d'ouvrage 775. Je suis d’avis que le CIIS devrait continuer d’être le centre d’expertise en matière d’inconduite sexuelle. Toutefois, compte tenu de l’existence du CCPC, la portée du mandat du CIIS à cet égard devrait être revue.

Formation

Le mandat du CIIS et l’accord de mise en œuvre prévoyaient le transfert de la responsabilité de la formation en prévention au CIIS en 2019. Cela faisait suite à une recommandation formulée dans le rapport de 2018 du BVG. Concernant cette responsabilité, le CIIS a déclaré :

  • Bien que nous ayons travaillé en étroite collaboration avec les FAC pour clarifier nos rôles respectifs en matière de formation en prévention, il s’agit d’un défi permanent. On a l’impression que les FAC se sont déchargées de leur responsabilité en matière de prévention de l’inconduite sexuelle par la prestation de programmes. De plus, il est devenu évident que nous sommes en conflit d’intérêts en étant responsables de l’élaboration, de la prestation et de la surveillance du programme. Nous croyons que les FAC devraient être responsables de l’élaboration, de la prestation et l’évaluation du programme, et que le CIIS devrait plutôt être responsable de fournir des conseils d’experts sur le contenu, la prestation et l’évaluation du programme, tout en surveillant l’intégrité de la mise en œuvre de celui-ci par le biais d’un mécanisme déjà en place. Nous avons soulevé cette question dès le départ, lors de la mise en place du groupe du CCPC, et ils étaient d’accord avec cette proposition, mais la haute direction ne veut pas modifier le mandat du CIIS avant que les recommandations de l’examen externe indépendant soient émisesNote de fin d'ouvrage 776. [traduit par nos soins]

Je suis d’accord avec le CIIS pour dire qu’il ne peut pas être responsable à la fois de l’élaboration, de la prestation et de la surveillance des programmes de prévention. Il y a un conflit évident entre la prestation du service et la surveillance du rendement et de l’efficacité de la prestation. Je suis également d’accord sur le fait que les FAC et le groupe du CCPC devraient assumer la responsabilité de la prévention de l’inconduite sexuelle puisque le groupe du CCPC été créé pour être le « centre d’expertise et [l’]autorité fonctionnelle unique pour l’harmonisation de la culture de la Défense afin de s’assurer que la conduite professionnelle satisfait aux normes devant être respectées au sein de la profession des armes et de l’Équipe de la Défense »Note de fin d'ouvrage 777.

Cependant, compte tenu de son expertise, le CIIS devrait être consulté sur l’élaboration du contenu, la prestation et les méthodes d’évaluation des programmes, mais il ne devrait pas participer à la mise en œuvre comme telle des programmes ni à leur surveillance.

Recommandation nº 15

La responsabilité de la formation et de la prévention de l’inconduite sexuelle devrait être transférée au groupe du CCPC. Le groupe du CCPC devrait continuer à consulter le CIIS sur l’élaboration du contenu, la prestation et les méthodes d’évaluation des programmes en lien avec l’inconduite sexuelle, mais le CIIS ne devrait pas participer à la mise en œuvre comme telle des programmes ni à leur surveillance.

Surveillance

À la suite de la conclusion du VG selon laquelle les FAC « n’avaient pas surveillé adéquatement l’efficacité de l’Opération HONOUR »Note de fin d'ouvrage 778 le MDN a répondu que la charte du CIIS serait modifiée afin de « reconnaître le Centre comme organisme externe responsable de veiller à ce que l’Opération HONOUR soit continuellement surveillée par des experts externes en la matière »Note de fin d'ouvrage 779.

La charte du CIIS a par la suite été remplacée par un nouveau mandat et par l’accord de mise en œuvre. L’accord de mise en œuvre décrit cette responsabilité comme suit :

  • 4.7 CIIS – Présenter des comptes rendus sur le rendement du CIIS et les services qu’il offre.
  • 4.8. CIIS – Présenter des comptes rendus sur la conformité des FAC relativement aux politiques, à l’instruction et à l’éducation en matière d’inconduite sexuelle, la mise en œuvre des conseils fournis ainsi que les problèmes et les tendances systémiquesNote de fin d'ouvrage 780.

La juge Deschamps a recommandé que la surveillance soit l’une des fonctions du centre de responsabilisation qu’elle a envisagé. Plus récemment, le juge Fish a réitéré sa recommandation :

  • Le [CIIS] devrait recevoir le mandat de faire le suivi de l’adhérence des [FAC] aux politiques en matière d’inconduite sexuelle et d’enquêter sur les enjeux systémiques ayant un effet négatif sur les victimes d’inconduite sexuelle, y compris la responsabilisation des [FAC]Note de fin d'ouvrage 781.

Cependant, d’autres ont souligné les défis ou les contradictions liées au fait de confier au CIIS la responsabilité de surveiller les FAC. Par exemple, le rapport 2020 de MINDS a recommandé de clarifier la manière dont le CIIS peut tenir les FAC responsables :

  • La responsabilité du CIIS concernant la surveillance des FAC n'est pas claire pour un observateur externe, et les obstacles sont nombreux. Le danger moral du mandat croissant du CIIS en ce qui concerne la responsabilité pourrait poser problème... Les FAC pourraient susciter l'instauration d'une culture du déni quant à ce problème au lieu de s'engager à participer à l'opération HONOUR à long terme. Quand on commande la tenue de recherches ou d'études, il faut veiller à examiner les mécanismes de gouvernance, de prise de décision et de responsabilité du CIIS, ainsi que l'architecture élargie de l'opération HONOURNote de fin d'ouvrage 782.

Il est important de noter que le CIIS a fait valoir qu’il existe une contradiction entre la fonction de prestation de services de soutien et celle de surveillance, même si le CIIS est le centre d’expertise en matière d’inconduite sexuelleNote de fin d'ouvrage 783.

La directrice exécutive du CIIS a expliqué que le CIIS a fait face à plusieurs défis à l’égard de la surveillance des progrès des FAC en matière d’inconduite sexuelle. Le CIIS n’a pas d’accès direct ou indépendant aux données des FAC, et ne peut enquêter discrètement sur les problèmes qu’il détecte dans le cadre de son travail avec les victimes. S’il reçoit un appel de quelqu’un signalant qu’il y a des problèmes dans une unité ou un commandement précis, le CIIS n’a aucun moyen d’enquêter sans dévoiler son jeuNote de fin d'ouvrage 784.

En outre, sans la possibilité pour le CIIS d’exiger des changements et de faire des communications publiques indépendantes, les FAC peuvent facilement ignorer la surveillance. De plus, le fait de tenir les FAC responsables FAC, ou de leur ordonner de changer, pourrait susciter de la méfiance ou de la résistance. Cette approche risquerait de compromettre la capacité du CIIS à collaborer avec les FACNote de fin d'ouvrage 785.

Je suis d’accord avec les observations du CIIS qu’il existe une contradiction entre la fonction de prestation de services de soutien et celle de surveillance, même si le CIIS est le centre d’expertise en matière d’inconduite sexuelle. Conformément à ma recommandation de faire du soutien aux victimes l’objectif principal du CIIS, je recommande que le mandat du CIIS exclue la fonction de surveillance de l’efficacité des FAC en matière d’intervention à l’égard de l’inconduite sexuelle.

De plus, en ce qui concerne la capacité d’enquête administrative du SMA(SE), je recommande qu’une coopération étroite institutionnalisée soit mise en place entre le SMA(SE) et le CIIS, de sorte que le CIIS puisse alerter le SMA(SE) concernant les problèmes systémiques ou les cas précis pour lesquels le SMA(SE) est bien équipé pour enquêter. Je recommande également que la directrice exécutive du CIIS soit en mesure d’ordonner de manière indépendante au SMA(SE) de mener une enquête administrative sur des questions relevant du mandat du CIIS.

De plus, en ce qui concerne la capacité d’enquête administrative du SMA(SE), je recommande qu’une coopération étroite institutionnalisée soit mise en place entre le SMA(SE) et le CIIS, de sorte que le CIIS puisse alerter le SMA(SE) concernant les problèmes systémiques ou les cas précis pour lesquels le SMA(SE) est bien équipé pour enquêter. Je recommande également que la directrice exécutive du CIIS soit en mesure d’ordonner de manière indépendante au SMA(SE) de mener une enquête administrative sur des questions relevant du mandat du CIIS.

Recommandation nº 16

La surveillance de l’efficacité des FAC en matière d’intervention à l’égard de l’inconduite sexuelle devrait être retirée du mandat du CIIS. Le CIIS devrait plutôt être tenu de soulever ses préoccupations à cet égard au SMA(SE). Le CIIS devrait avoir le pouvoir d’ordonner au SMA(SE) de mener une enquête administrative sur les questions relevant de son mandat.

Gouvernance et indépendance du CIIS

Comme expliqué précédemment, le CIIS a été établi sous l’autorité du SM en tant qu’organisation indépendante de la chaîne de commandement.

Malgré cette structure de gouvernance, certains craignent toujours qu’il ne soit pas suffisamment indépendant; des préoccupations concernant l’indépendance du CIIS ont en effet été soulevées périodiquement par les parlementaires, les parties prenantes et les médiasNote de fin d'ouvrage 786. Selon la directrice exécutive du CIIS, l’indépendance du CIIS constitue la plus grande source de confusion au sein de l’organisation. Certains ont l’impression que le CIIS est le système de soutien des FAC, ce qui contribue au fait que les victimes ne l’appellent pasNote de fin d'ouvrage 787.

La directrice exécutive du CIIS a déclaré, devant le NDDN:

  • Notre groupe a été mis sur pied de façon structurelle, en ce qui concerne mes rapports hiérarchiques, conformément à ce que Mme Deschamps a recommandé, mais on ne nous a pas confié la totalité du mandat que Mme Deschamps voulait nous confier. Par conséquent, cela a miné notre capacité de nous acquitter de certains aspects de notre mandat de façon aussi indépendante qu’elle l’avait imaginé.
  • Il est tout à fait possible de passer notre cadre de gouvernance en revue, que nous continuions de faire rapport au ministère ou à l’extérieur de celui‑ci. Il est essentiel d’examiner le mandat lorsqu’on se penche sur la structure particulière ou la forme qu’il prendra. Il se peut que certaines des fonctions que le CIIS exerce actuellement devraient raisonnablement être maintenues au sein du ministère en raison de la nécessité de travailler en étroite collaboration avec les gens. Cependant, il se peut fort bien que d’autres aspects de notre mandat, surtout s’ils sont améliorés de la façon envisagée par Mme Deschamps, soient mieux exécutés par une entité plus indépendanteNote de fin d'ouvrage 788.

La question de l’indépendance ne peut être résolue sans préciser d’abord ce que l’on entend par indépendance – c’est-à-dire être indépendant de qui, et dans quel but. L’indépendance ne peut être définie dans l’absolu; elle doit tenir compte du mandat du CIIS, des services qu’il rend et de qui sont ses clientsNote de fin d'ouvrage 789.

Je suis d’accord que le CIIS doit être entièrement indépendant, et à l’extérieur, de la chaîne de commandement. Cela permettra aux membres des FAC d’avoir accès à des services de manière confidentielle, et anonyme s’ils le souhaitent, auprès de civils qui ne sont pas soumis au devoir de signaler et qui ne relèvent de personne au sein des FAC. Cela augmentera également les chances que les membres des FAC se sentent à l’aise de demander du soutien au CIIS, sans craindre l’ingérence de la chaîne de commandement. Toutefois, ceci doit être concilié avec le fait que les militaires sont les principaux clients du CIIS.

Options de gouvernance disponibles

À la lumière de ce qui précède et de ma recommandation concernant le mandat du CIIS, j’ai envisagé les options suivantes afin de déterminer quelle serait la meilleure structure de gouvernance pour le CIIS.

Fusion avec le CCPC et/ou intégration au sein du groupe du CCPC

Le groupe du CCPC a été créé pour adresser toutes les formes d’inconduite au sein de l’Équipe de la Défense, y compris l’inconduite sexuelle. La fusion du CIIS avec le groupe du CCPC centraliserait l’intervention concernant toutes les formes d’inconduite sous une seule entité et « éliminerait les inégalités en matière d’intervention et de soutien entre ceux qui ont subi une inconduite sexuelle et ceux qui ont subi d’autres formes de préjudice »Note de fin d'ouvrage 790. [traduit par nos soins] En outre, cette option « permettrait au groupe du CCPC de tirer parti de l’expertise et de l’expérience considérables du CIIS pour accomplir l’ensemble de son mandat »Note de fin d'ouvrage 791. [traduit par nos soins]

Une variante de cette option consisterait à intégrer le CIIS au programme de la GICP, qui est actuellement sous l’égide du CCPC et qui, comme le CIIS, est principalement un fournisseur de services. Concernant cette option, le CIIS déclaré ce qui suit :

  • Ces deux organisations se chevauchent considérablement et travaillent déjà en étroite collaboration, en partageant souvent leur personnel. Toutes deux sont composées de civils afin de pouvoir fournir des services confidentiels et anonymes, sans devoir de signaler, ce qui favorise la confiance. Ce serait également un pas de plus vers la recommandation de la juge Deschamps selon laquelle le CIIS (ou le centre qu’elle a envisagé) devrait s’occuper des agressions et du harcèlement sexuels et être également un centre de signalement. Enfin, si l’on considère les responsabilités dévolues au groupe du CCPC, le volet gestion des conflits et des plaintes est clairement aberrant par rapport aux trois autres, car il s’agit d’une organisation de prestation de services, tout comme le CIISNote de fin d'ouvrage 792. [traduit par nos soins]

Toutefois, de l’avis du CIIS, l’équipe du CCPC « ne devrait pas être une organisation de prestation de services; elle devrait être l’autorité fonctionnelle chargée d’établir, de surveiller et de faire respecter les politiques, les programmes et les normes nationaux relatifs à la conduite et à la culture. »Note de fin d'ouvrage 793. [traduit par nos soins]

Je n’exprime aucune opinion sur la question de savoir si le groupe du CCPC devrait avoir une fonction de prestation de services. Cependant, il est tout à fait clair que le CIIS ne peut être intégré aux FAC, sous quelque forme que ce soit, sans perdre toute crédibilité et efficacité. Par conséquent, cette option doit être rejetée.

Déplacer le CIIS, en tout ou en partie, vers une agence externe

De nombreuses parties prenantes ont préconisé que le CIIS soit à l’extérieur des FAC et du MDN. Selon elles, il s’agit de la seule façon que le CIIS peut être réellement indépendant de la chaîne de commandement.

En ce qui concerne cette option, le CIIS a fait valoir que l’existence d’une agence externe « véritablement » indépendante conférerait de nombreux avantages :

  • Si le CIIS devenait un organisme externe, faisant rapport au Parlement par exemple, les survivantes et les personnes ayant une expérience vécue se sentiraient peut-être plus à l’aise de la signaler, en particulier si des hauts dirigeants sont en cause. Plus de franchise serait possible dans les rapports sur la manière dont le ministère et les FAC traitent les cas d’inconduite en général, et d’inconduite sexuelle en particulier. De plus, les survivantes et les personnes ayant une expérience vécue verraient probablement le CIIS davantage comme un défenseur que comme un outil du ministère. Ce changement affecterait tous les aspects de ses communications, y compris sur les médias sociaux, dans les médias et auprès du Parlement. Comme mentionné ci-dessus, l’incapacité du CIIS à critiquer publiquement les FAC dans des situations où une approche ministérielle cohérente est requise – comme lors des comparutions parlementaires ou dans les médias, en réaction à des nouvelles importantes – se révèle parfois problématique. Pour que le CIIS soit véritablement un défenseur des survivantes et des personnes ayant une expérience vécue, il doit être en mesure de remplir cette fonction essentielle publiquement et d’orienter le débat public. Un CIIS véritablement indépendant serait moins susceptible de subir de l’ingérence politique dans ses opérations et ses servicesNote de fin d'ouvrage 794. [traduit par nos soins]

Cependant, de l’avis de la directrice exécutive du CIIS, que je partage, l’établissement du CIIS comme agence externe le rendrait probablement moins efficace, plutôt que plus efficaceNote de fin d'ouvrage 795.

Même si cela pouvait régler la question de la « véritable » indépendance, le CIIS serait confronté à d’autres défis. Notamment, il lui serait plus difficile d’accéder aux informations, y compris aux données, de l’Équipe de la Défense. De plus, sans lien hiérarchique direct, il serait probablement plus difficile d’attirer l’attention des dirigeants de la Défense sur des questions cruciales. Actuellement, la directrice exécutive du CIIS peut s’adresser directement au SM si certaines questions doivent être traitées. Or, une agence externe n’aurait pas si facilement accès aux dirigeants. Au fil du temps, une telle agence perdrait la connaissance intime de la gestion administrative complexe des ressources humaines au sein des FAC et de sa culture évolutive.

Enfin, une telle agence doit être rattachée à et relever d’une structure existante.. Je ne crois pas qu’il soit souhaitable de séparer le CIIS du MDN et de le faire relever directement du Parlement. Les questions dont le CIIS traite sont hautement personnelles et confidentielles et ne bénéficieraient pas nécessairement d’un examen dans un environnement partisan.

De plus, il serait difficile de justifier l’octroi d’un contrôle parlementaire direct sur l’inconduite sexuelle à une seule entité, aux FAC, ou même à toute l’Équipe de la Défense, sans faire la même chose pour la GRC, par exemple, ou pour l’ensemble de la fonction publique fédérale.

Maintien du CIIS au sein du MDN

J’ai examiné les différentes options disponibles et, à mon avis, la structure et la gouvernance actuelles du CIIS constituent la meilleure option possible et, moyennant quelques changements, elles offrent la meilleure combinaison d’indépendance et d’expertise nécessaire pour remplir le mandat du CIIS. Il n’existe pas d’autre solution viable pour maintenir l’efficacité du CIIS.

La meilleure façon pour le CIIS d’être efficace en tant que prestataire de services est de maintenir un lien assez étroit avec les FAC sans être d’aucune façon soumis à leur direction ou à leur contrôle.

Cette relation est importante pour garantir que le CIIS conserve son expertise en matière de pratiques et de culture militaires. Cependant, je crois que la réputation et la perception de l’indépendance du CIIS pourraient s’améliorer si le personnel était exclusivement composé de civils. Cependant, il pourrait y avoir des situations où des membres libérés des FAC souhaitent travailler pour le CIIS, apportant avec eux des connaissances et une expérience précieuses. Les candidatures d’Anciens membres des FAC, qu’ils soient de la F rég ou de la P rés, devraient faire l’objet d’un examen rigoureux pour vérifier leur capacité à travailler pour le CIIS. À la lumière de mes autres recommandations, je ne pense pas que le CIIS ait besoin de la présence de conseillers du domaine de la justice militaire ou de la PM dans ses rangs.

Lorsqu’il offre des conseils et une orientation aux victimes et aux survivantes, le CIIS les dirige souvent vers les services fournis par les FAC susceptibles de leur convenir, notamment les services de santé physique et mentale, et ceux offerts par les centres de ressources pour les familles des militaires. Le CIIS doit être en mesure d’évaluer la qualité et la disponibilité de ces services pour s’acquitter correctement de ses fonctions. La meilleure façon d’y parvenir est d’entretenir une relation étroite avec les FAC. Tant qu’il est convaincu que cela ne compromettra pas la perception de son indépendance, le CIIS, en tant qu’entité de l’Équipe de la Défense, dispose de moyens d’action qu’un acteur totalement externe n’aurait pas.

Par conséquent, je recommande que le CIIS demeure au sein du MDN et que des mesures soient prises pour accroître son indépendance, tant réelle que perçue, notamment en augmentant ses liens avec l’extérieur.

Recommandation nº 17

Le CIIS devrait demeurer au sein du MDN et continuer à relever du SM.

Indépendance du CIIS

Comme indiqué plus haut, de nombreuses personnes ont émis des commentaires au sujet de la structure de gouvernance du CIIS et sur son indépendance. Cependant, très peu ont formulé des suggestions sur la manière d’accroître l’indépendance du CIIS, tant sur le plan structurel que sur la perception qu’on peut en avoir.

Dans son rapport, le juge Fish recommandait ceci : « [L]a relation entre le [CIIS], d’un côté, et les [FAC] et le [MDN], de l’autre, devrait être examinée pour veiller à ce que le [CIIS] ait un niveau adéquat d’indépendance à l’égard des deux autres. Cet examen devrait être mené par une autorité indépendante »Note de fin d'ouvrage 796. Pour appuyer cette recommandation, il a souligné que le fait que le VCEMD puisse exercer une influence sur les ressources du CIIS signifie que le CIIS n’est pas complètement indépendant de la chaîne de commandement. Le processus de financement et d’approbation du budget du CIIS devrait être revu pour s’assurer que les FAC n’ont pas leur mot à dire à cet égard.

La directrice exécutive du CIIS m’a fait part de questions semblables, notamment celle de savoir si le CIIS devrait être élevé au rang d’organisation de N1 et être dirigé par un sous-ministre adjoint (SMA). Sans entrer dans les détails de ce que cela implique, y compris les considérations financières et de personnel, je souscris à la recommandation du juge Fish, ci-dessus, et suggère que la structure administrative du CIIS soit revue de manière indépendante en vue d’accroître son indépendance, son efficacité et la place qu’il doit occuper au sein de l’Équipe de la Défense.

Je crois que le mandat proposé pour le CIIS, tel que décrit ci-dessus, contribuera à accroître son indépendance par rapport aux FAC. À l’avenir, le mandat du CIIS devra être respecté, et on ne devrait pas lui confier de nouvelles responsabilités qui pourraient le compromettre.

En particulier, les FAC, y compris par le biais du groupe du CCPC nouvellement créé, doivent demeurer responsables du bien-être de leurs membres. L’existence du CIIS ne les décharge pas de cette responsabilité. L’indépendance du CIIS ne doit pas non plus être compromise par une confusion des fonctions.

À titre d’exemple, le CIIS a déclaré :

  • Lorsque le CIIS, par le biais de l’accord de mise en œuvre avec les FAC, a assumé la responsabilité du soutien aux survivantes, les FAC lui ont également transféré la responsabilité de l’initiative 19 telle qu’énoncée dans Protection, Sécurité, Engagement : La politique de défense du Canada (FR). Cela n’a pas été fait par le biais d’un processus officiel et ne figurait pas dans l’accord de mise en œuvre; il s’agissait plutôt d’un accord informel où les répercussions de la situation n’ont pas été explorées. L’initiative 19 consiste à « [f]ournir une gamme complète de services de soutien aux victimes et aux survivants pour les membres des Forces armées canadiennes. » Cependant, le CIIS ne fournit pas une « gamme complète » de services de soutien aux survivantes; les FAC fournit la majorité des services aux survivantes d’inconduite sexuelle des FAC, notamment les services de santé, de santé mentale et d’aumônerie, ou d’autres services offerts par les centres de ressources pour les familles des militaires. Le CIIS ne fournit pas non plus de soutien pour d’autres formes de préjudice. Il est donc illogique que cette initiative ne relève pas de la responsabilité des FAC. En outre, l’initiative 19 a été transférée d’abord de l’organisation du Commandement du personnel militaire à celle du Vice-chef d’état-major de la Défense (VCEMD) lorsque le DGCMP est passé du premier au second. Afin d’accroître la responsabilisation au sein de l’Équipe de la Défense pour la mise en œuvre des diverses initiatives de Protection, Sécurité, Engagement, l’Équipe de la Défense a créé des groupes d’exécution de l’autorité fonctionnelle (GEAF) dont les sous-ministres adjoints ou leurs homologues militaires sont les responsables. Malheureusement, l’initiative 19 reste encore une responsabilité du VCEMD en tant que GEAF. Voilà qui créé une situation où le CIIS est responsable devant le VCEMD/les FAC de la mise en œuvre de l’initiative 19. À travers cette seule initiative, l’indépendance du CIIS est remise en cause. De même, si les FAC sont perçues comme n’en faisant pas assez pour les survivantes d’inconduite sexuelle, alors c’est le CIIS qui est potentiellement « fautif ». Étant donné le nombre d’organisations des FAC qui fournissent des services aux survivantes et qui appartiennent à la structure du commandement du personnel militaire, cette initiative devrait revenir au GEAF du chef du personnel militaireNote de fin d'ouvrage 797. [traduit par nos soins]

Avec la création du groupe du CCPC, je pense qu’il sera moins probable que ce type d’initiatives soit confié par défaut au CIIS.

Recommandation nº 18

La structure administrative du CIIS devrait être revue afin d’accroître son indépendance, son efficacité et sa juste place dans l’Équipe de la Défense.

Conseil consultatif externe

Le CCE a été créé en 2018. Son rôle est de « fournir des conseils et des recommandations éclairées sur le plan empirique, clinique et expérientiel à la [directrice exécutive du CIIS] sur les activités de l’Opération HONOUR, y compris la mise en œuvre des recommandations de la [juge Deschamps] »Note de fin d'ouvrage 798. [traduit par nos soins] Le CCE est composé de huit experts externes en la matière qui sont recommandés par la directrice exécutive du CIIS et nommés par le SM pour une période de deux ans, avec possibilité de prolongation.Note de fin d'ouvrage 799.

Conformément à son mandat :

  • Les membres du conseil n’ont qu’un rôle consultatif. Le Conseil n’a aucune autorité de plein droit sur les opérations du MDN ou des FAC. Il sera demandé aux membres du conseil de fournir un avis indépendant, impartial et tiers, collectivement ou individuellement, sur des questions relatives aux activités de l’Opération HONOURNote de fin d'ouvrage 800. [traduit par nos soins]

Depuis sa création, le CCE a fourni des conseils et des informations sur des sujets comme : La voie vers la dignité; la DOAD 9005-1; le Cadre de mesure du rendement de l’opération HONOUR; la Stratégie de soutien aux survivants et survivantes; la mise en œuvre du projet de loi C-77; et les efforts des services aux familles des militaires pour lutter contre la violence familiale, pour n’en citer que quelques-uns.

Le CCE joue un rôle important en fournissant des conseils d’experts externes et des informations sur l’inconduite sexuelle. Son mandat doit être actualisé et devrait être axé principalement sur le soutien des activités du CIIS.

Afin d’accroître l’indépendance, réelle et perçue du CIIS, le CCE devrait être tenu de publier un rapport annuel, parallèlement à celui du CIIS, ce qui lui permettrait de transmettre une perspective externe sur l’évolution du rôle et le rendement du CIIS. Bien qu’il ne s’agisse pas officiellement d’un organe de surveillance, il peut jouer un rôle en tant que voix externe et indépendante sur des questions pour lesquelles le CIIS pourrait se sentir plus limité.

Je recommande donc que le rôle du CCE soit revu. Il devrait être composé d’experts externes et de défenseurs des victimes et des survivantes. On devrait y trouver une représentation adéquate des groupes en quête d’équité et des groupes minoritaires qui sont touchés de manière disproportionnée par l’inconduite sexuelleNote de fin d'ouvrage 801.

Recommandation nº 19

Le rôle, la composition et la gouvernance du CCE devraient être revus. Il devrait être composé d’experts externes et de défenseurs des victimes et des survivantes, et comprendre une représentation adéquate des groupes en quête d’équité et des groupes minoritaires qui sont touchés de manière disproportionnée par l’inconduite sexuelle. Il devrait publier un rapport annuel afin de fournir une perspective externe sur l’évolution du rôle et le rendement du CIIS.

Initiatives locales

Plusieurs ont critiqué l’approche descendante utilisée par les FAC en réaction aux inconduites sexuelles, y compris dans la mise en œuvre de l’opération HONOUR. La principale critique que j’ai entendue concerne le fossé qui existe entre le QGDN et les bases/escadres. Par exemple, la politique émanant d’Ottawa voulait que les séances d’information de l’opération HONOUR soient donnés par les commandants. Or, dans plusieurs cas, les commandants traitaient les séances d’information comme un enjeu propre aux femmes et déléguaient donc cette tâche à une femme au sein de leur unité. De plus, bien des mesures requises dans le cadre de l’opération HONOUR ont été réduites à un exercice visant à « cocher une case ». Malheureusement, cela a donné le ton au niveau de sérieux accordé à l’opération.

Comme me l’a dit une partie prenante :

  • Les FAC peuvent adopter toutes les politiques du monde, elles ne changeront pas la culture. Je veux entendre ce que les N2, N3, N4 ont à dire – ils doivent se sentir valorisés par la chaîne de commandement dans leur unité. Si personne ne lit la politique, elle ne vaut rien. [traduit par nos soins]

En revanche, lors de mes consultations, j’ai entendu de nombreux membres de l’Équipe de la Défense qui étaient déterminés à participer à un changement de culture. Ils souhaitaient également partager les initiatives qu’ils avaient élaborées ou mises en œuvre au sein de leurs communautés respectives. Quelques exemples témoignent de ce dynamisme :

  • À la suite d’un incident survenu à l’ELRFC, l’équipe de commandement s’est livré à une évaluation et à une analyse pour cerner les problèmes et les principales vulnérabilités, de même que les principales lacunes au niveau de leurs connaissances, les outils disponibles et les écueils potentiels en ce qui concerne la conduite professionnelle et la culture à l’ELRFC. L’équipe de commandement a tenu des causeries informelles avec tous les membres de l’unité, le personnel et les recrues, afin de favoriser un dialogue ouvert sur la cultureNote de fin d'ouvrage 802.
  • En juin 2021, l’École du génie militaire des Forces canadiennes a établi un groupe de travail nommé « CFSME Professional Conduct and Culture OPI Committee » (comité sur la conduite et la culture professionnelles de l’EGMFC), ayant comme objectif principal d’élaborer et de mettre en œuvre un programme de prévention de l’inconduite sexuelle et la conduite haineuse au sein de l’École. J’ai compris que ce comité avait reçu l’appui d’environ 20 bénévoles de tous les grades et sexes. Le comité a consulté des comités locaux d’équité en matière d’emploi et avec diverses organisations externes comme la White Ribbon Foundation (Ruban blanc) et Violence sexuelle Nouveau-Brunswick afin de concevoir un plan de développement professionnel pour le personnel de l’ÉcoleNote de fin d'ouvrage 803.
  • La 2e Division du Canada a mis sur pied sa propre équipe unique de spécialistes des ressources humaines. Contrairement à d’autres unités, celle-ci est surtout composée de civils se rapportant au commandant de la 2e Division. Cette équipe a créé, parallèlement au SSAOPH, son propre logiciel pour répertorier les incidents d’inconduite sexuelle, un logiciel qui, nous a-t-on dit, est plus facile à utiliser et plus utile que celui du SSAOPH. À titre d’exemple, le logiciel permet de mieux suivre les contrevenants récidivistes. L’équipe agit aussi comme ressource clé en offrant du soutien aux unités et commandements au sein de la division.
  • De plus, plusieurs dirigeants supérieurs ont entrepris des conversations avec leurs unités ou leurs commandements, ou avec des groupes de soutien aux victimes, avant et hors du processus officiel de démarches réparatrices développé à la suite du règlement du recours collectif.
  • Enfin, plusieurs membres des FAC et des groupes de soutien aux victimes ont élaboré et proposé des solutions et outils pour susciter un changement de culture au sein des FAC.

Je fais aussi référence à d’importantes initiatives locales telles qu’Athena, Agora et le nouveau Centre de succès dans la section portant sur les collèges militaires.

Le CEMD, à ce moment par intérim, a lui-même souligné l’importance des initiatives locales ou « fondamentales » dans une déclaration sur le changement de culture, datée du 12 juillet 2021 :

  • Comme il fallait s’y attendre, beaucoup d’entre vous n’ont pas attendu de directives. Saisissant l’importance et le contexte de nos défis, vous avez mis en œuvre des solutions locales. Celles-ci sont peut-être les plus importantes et les plus durables, car elles viennent de la base et sont alimentées par le besoin de changement qui s’y manifeste. Parmi les exemples, citons le renforcement ou la création de groupes de conseillers et de conseillers locaux; la création d’agents culturels sur un certain nombre de nos navires de la Marine royale canadienne; la mise à l’essai et l’introduction par l’Armée canadienne de l’atelier de formation sur l’inconduite sexuelle, élaboré et dispensé par un membre des FAC et un ou une survivant(e); ainsi que la création récente d’une nouvelle branche locale de l’Organisation consultative des femmes de la Défense au Centre d’instruction de la 4e Division canadienne de Meaford; un effort ciblé de l’ARC pour tirer parti de son programme trimestriel Vérification des vectors; et des comités d’escadre établis par les grades inférieurs pour solliciter des propositions de la base sur des initiatives locales de changement de culture. De plus, de nombreuses unités et formations ont fait appel à l’expertise locale, notamment par l’entremise de la communauté des colonels honoraires, pour alimenter les initiatives. La liste est plus longue et le CCPC saisira les initiatives qui rencontrent du succès en tant que meilleures pratiques, les partagera avec l’Équipe de la Défense et fournira une couverture politique institutionnelle si nécessaireNote de fin d'ouvrage 804.

Ces initiatives sont de bons exemples de l’engagement des membres de l’Équipe de la Défense à traiter de la question de la culture à l’échelle locale. De telles initiatives devraient être encouragées. Les initiatives provenant de la base ont une valeur indéniable, puisqu’elles abordent des préoccupations ou des enjeux particuliers à une unité ou à une sous-culture. Ces initiatives habilitent aussi les membres à participer au changement, en plus de mobiliser des personnes qui autrement ne porteraient peut-être pas attention à « des initiatives d’Ottawa », ou ne s’y identifieraient pas.

Cependant, ces initiatives sont typiquement lancées sans que les autorités centrales, experts ou parties prenantes n’en soient avisés. Cela crée un potentiel pour des initiatives inefficaces ou même nuisibles – même si elles interpellent certains.

  • [De telles initiatives] pourraient s’avérer coûteuses pour l’organisation en termes de temps et d’argent, tout en n’ayant qu’un effet limité ou nul. Par exemple, un programme de formation élaboré ou implanté localement peut être populaire, mais les participants ne sauront pas quels facteurs clés manquent pour promouvoir à la fois l’apprentissage et, plus important encore, un changement de comportement. Elles ont aussi le potentiel d’être nuisibles si elles ne sont pas bien exécutées (p. ex., une initiative locale où des victimes livrent des témoignages dans un environnement de groupe sans prendre en considération les risques ou le besoin de soutien). De plus, si elles ne sont pas cohérentes à l’échelle de l’organisation, [les initiatives] risquent de s’annuler mutuellement dans les données agrégées – une initiative efficace pourrait donc voir ses effets dilués par des initiatives inefficacesNote de fin d'ouvrage 805. [traduit par nos soins]

Il y a également un risque que l’effet cumulatif des initiatives locales et à l’échelle des FAC auront un effet contre-productif en créant une fatigue en lien avec les discussions et la formation entourant la culture.

Il devrait donc y avoir une certaine surveillance de ces initiatives. Toutefois, il faut trouver un équilibre entre cette surveillance et la nécessité pour les membres de l’Équipe de la Défense de pouvoir agir en ce qui concerne ces initiatives, et d’être encouragés et soutenus lorsqu’ils innovent.

Le CIIS a recommandé ce qui suit :

  • Le CCPC devrait être l’autorité centralisée ou le responsable de la politique et établir des mécanismes pour s’assurer qu’il est à l’affût de toutes les initiatives locales, à tout le moins, pour garantir une compréhension organisationnelle et une reddition de comptes. Plus important encore, le CCPC doit élaborer des normes à l’égard du contenu, des composantes, de la prestation et de l’évaluation de toutes les initiatives locales pour assurer la cohérence dans les messages, le langage, les objectifs de la formation, et pour pouvoir en mesurer les effets. Le CCPC doit évaluer et avaliser toutes les initiatives de changement de culture, et ensuite être disposé à en faire le suivi, à les mesurer et à en faire étatNote de fin d'ouvrage 806. [traduit par nos soins]

Selon la mise à jour du plan d’action Voies du progrès fournie par le CCPC, « le CCPC effectue le suivi d’un certain nombre de programmes et d’initiatives locales clés en lien avec le changement de culture qui se déroulent actuellement à l’échelle de l’Équipe de la Défense. Cela engendrera une meilleure compréhension des activités en cours, créera des avenues pour partager les meilleures pratiques à l’échelle de l’organisation, et soutiendra la reconnaissance des lacunes au niveau de la programmationNote de fin d'ouvrage 807. » [traduit par nos soins]

Je suis d’avis que le CCPC devrait donner une orientation générale et être à l’affût des initiatives locales. Toutefois, j’encourage également le CCPC à faire de la place et à offrir des ressources aux initiatives qui sont efficaces et d’en tirer le maximum partout dans l’organisation, lorsqu’il convient de le faire.

Bien que le CCPC devrait être l’autorité centralisée en ce qui concerne ces initiatives, il devrait consulter le CIIS et collaborer avec celui-ci pour toute initiative en lien avec les inconduites sexuelles – en reconnaissant que le CIIS est le centre d’expertise sur le sujet.

Groupes consultatifs de la Défense

En 1994, le SM et le CEMD ont approuvé la création des GCD pour fournir un éclairage au leadership militaire sur les barrières systémiques et les enjeux qui pourraient avoir une incidence sur les groupes désignés aux fins de l’équité en matière d’emploi, et pour offrir des conseils sur l’élaboration et la mise en œuvre de programmes et politiques exempts d’effets négatifs potentiels sur les groupes respectifsNote de fin d'ouvrage 808. En plus des GCD, on retrouve aussi des groupes informels représentant des sous-ensembles distincts de l’Équipe de la Défense et connus sous le nom de « Réseaux »Note de fin d'ouvrage 809.

Le plan d’équité en matière d’emploi 2021-2026 des FAC décrit les GCDs comme suit :

  • La structure des GCD est l’approche de l’Équipe de la Défense à l’égard des exigences en matière de consultation qui sont énoncées au paragraphe 15(1) de la [Loi sur l’équité en matière d’emploi], il s’agit d’une composante essentielle de la gouvernance de l’[équité en matière d’emploi]. Par l’entremise d’un réseau de groupes consultatifs locaux établis un peu partout au Canada, de leurs coprésidents nationaux – GCD respectifs, les GCD sont dirigés par des bénévoles qui sont actuellement à l’emploi de l’Équipe de la Défense.
  • Les GCD fournissent des conseils et de l’information aux cadres du MDN et des FAC à propos de questions pertinentes pour leurs commettants, et favorisent la visibilité de l’EE et des réseaux associés dans l’ensemble de l’organisation. Les GCD apportent de précieuses contributions à tous les échelons décisionnels des équipes militaires et civiles, et ce, aux échelles nationale et locale. Les GCD font également la promotion de l’intégration des membres de groupes désignés.
  • Ils mènent des activités de sensibilisation aux obstacles systémiques liés à l’EE au sein du MDN et des FAC et mobilisent deux autorités fonctionnelles (CPM et SMA[RH Civ]) pour trouver des façons de les éliminer. Ils offrent aussi des conseils et des recommandations à l’égard de l’élaboration de politiques, de procédures et de mécanismes associés aux ressources humaines et soutenus par des activités fondées sur des données probantes qui sont propres aux communautés sous représentées dans les domaines du recrutement, du maintien en poste, de l’instruction et du perfectionnement. Au cours des dernières années, on a observé une augmentation marquée des appels à la mobilisation et à la consultation des GCD. On a donc mis à jour le mandat des GCD et mené un examen approfondi de la structure des GCD afin de garantir que tous les membres des FAC et du MDN sont représentés de manière complète et efficace.Note de fin d'ouvrage 810

On retrouve six GCD Note de fin d'ouvrage 811 :

  • Groupe consultatif des Autochtones de la Défense;
  • Groupe consultatif des minorités visibles de la Défense;
  • Organisation consultative des femmes de la Défense;
  • Groupe consultatif de la Défense pour les personnes handicapées;
  • Organisation consultative de la fierté de l’Équipe de la DéfenseNote de fin d'ouvrage 812, et
  • Réseau des employés noirs de l’Équipe de la Défense.

Dans son rapport final, le groupe consultatif de la ministre a fait une déclaration importante au sujet des GCD :

  • Les GCD et les réseaux avaient un point en commun : les recommandations concernant un milieu de travail plus inclusif sont fondées et réalisables, et leur mise en œuvre est attendue depuis longtemps de la part des chefs de l’Équipe de la Défense. Le Groupe consultatif a conclu qu’il serait injuste de s’approprier ces idées louables puisque cela a fait partie du problème dans le passé. Le Groupe consultatif a un mandat d’une durée d’un an. Les GCD et les réseaux collaboreront jusqu’à la fin. Ils doivent être entendus.
  • [...]
  • Les idées des membres des GCD peuvent ouvrir la voie à une nouvelle culture où tous les membres de l’Équipe de la Défense peuvent s’épanouir. Mais pour que tout changement significatif puisse être apporté à la culture de l’Équipe de la Défense, les GCD et les réseaux doivent être renforcés. Ils sont les meilleurs innovateurs et catalyseurs du changement. Nous devons les écouter, leur donner les ressources dont ils ont besoin pour prospérer et leur donner les moyens d’être des guides vers une culture diversifiée et inclusive. Ce sont des voix expertes et expérimentées qui ont une mine de renseignements, d’idées, de recommandations, de plans d’action et de suggestions pour cerner les facteurs sous-jacents de l’inégalité et les obstacles systémiques au sein du MDN et des FAC, et s’y attaquer. Ils possèdent les expériences vécues qui doivent orienter les efforts visant à éliminer le racisme et la discrimination et à réaliser la vision d’une culture inclusive. En tant que membres de l’Équipe de la Défense, les GCD sont des multiplicateurs de forceNote de fin d'ouvrage 813.

Je suis entièrement d’accord avec les opinions exprimées par le groupe consultatif de la ministre. Je crois que les GCD sont des agents de changement essentiels; leur présence sur le terrain et leur engagement régulier auprès des communautés locales leur offrent une perspective unique sur les enjeux qui touchent les membres des FAC et les employés du MDN.

Les GCD devraient disposer du temps et des ressources nécessaires pour accomplir leur travail. Ils devraient aussi être récompensés et reconnus pour leurs contributions à l’Équipe de la Défense. Cela pourrait être aussi simple que des réunions organisées par le leadership avec les GCD au moment de visiter les bases pour entendre leurs préoccupations et suggestions, comme ce fut le cas lors des consultations du CCPC, envoyant ainsi un message fort aux autres membres à l’effet que ces groupes sont importants et estimés.

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