Chapitre quatre : La conclusion de R c Stillman

La décision de la CSC dans R c Stillman reconnaît que l’alinéa 130(1)a) de la LDN est constitutionnel et en accord avec l’article 11(f) de la CharteNote de bas de page 40. L'arrêt Stillman a confirmé la décision de la CACM dans R c DéryNote de bas de page 41 et a renversé la décision de la CACM dans R c Beaudry.

Contexte

Le 19 Septembre 2018, dans l’affaire Beaudry, la CACM a déclaré que l’alinéa 130(1)a) de la LDN enfreignait l’article 11(f) de la CharteNote de bas de page 42. Plus précisément, la CACM a jugé que « l’alinéa 130(1)a) de la LDN est déclaré inopérant dans son application à toute infraction civile dont la peine maximale est de cinq ans ou plus »Note de bas de page 43.

Dans Beaudry, la CACM n’a pas suspendu la déclaration d’invalidité. Ceci a eu un impact significatif sur les poursuites puisqu’au moment de la décision Beaudry, le système de justice militaire était saisi de 40 dossiers dont les accusés avaient été inculpés pour une infraction civile aux termes de l’alinéa 130(1)a) de la LDN. Ces dossiers comprenaient 21 cas d’infractions de nature sexuelle, notamment l’agression sexuelle, l’exploitation sexuelle et le voyeurisme. Étant dans l’incapacité de donner suite à ces dossiers par l’entremise du système de justice militaire, 48 heures après la décision de la CACM dans Beaudry, le DPM, au nom du MDN, a interjeté appel de la décision devant la CSC et a déposé une requête dans laquelle il demandait à celle- ci d’ordonner la suspension de l’exécution de la décision de la CACM, par laquelle cette dernière déclarait l’inconstitutionnalité de l’alinéa 130(1)a), jusqu’à ce que la CSC rende une décision concernant l’appel.

Le 13 novembre 2018, le Juge en chef de la CSC a ordonné que les affaires Beaudry et Stillman soient entendues ensembles lors d’une seule audience fixée au 26 mars 2019. Par ailleurs, le 14 janvier 2019, la CSC a rejeté la demande de sursis d’exécution de la décision de la CACM dans l’affaire Beaudry soumise par le DPM. Cela voulait dire que la déclaration d’inconstitutionnalité visant l’alinéa 130(1)a) demeurait en vigueur et que toute personne accusée aux termes de cet alinéa ne pourrait pas être jugée par l’entremise du système de justice militaire pour les infractions commises au Canada dont la peine maximale était de cinq ans d’emprisonnement ou plus.

En conséquence, le DPM a enjoint à son équipe de déterminer si ces affaires pouvaient être jugées sous une des autres infractions énoncées dans la LDN ou si elles devaient être traitées par le système de justice civile. Le DPM a expressément enjoint à ses procureurs de veiller à ce que le bien-fondé de toute accusation soit examiné de manière à ne pas priver indument l’accusé de son droit d’être jugé par un jury dans le système de justice civil. À la fin de la période de rapport précédente, dix affaires ont été renvoyées à des procureurs civils. Une dénonciation a été déposée dans huit de ces affaires et les procureurs civils ont refusé de donner suite à deux affaires.

La décision rendue par la CACM dans Beaudry n’était pas la première qui portait sur cette même question. En juin 2016, dans l’affaire R c Royes, la CACM a statué à l’unanimité que l’alinéa 130(1)a) ne contrevenait pas à l’article 11(f) de la CharteNote de bas de page 44. Plus tard, en mai 2017, une majorité de cette même cour dans l’affaire R c Déry n’était pas d’accord avec les décisions rendues dans l’affaire Royes, mais a conclu qu’elle était néanmoins liée par ces décisions et a statué que l’alinéa 130(1)a) ne contrevenait pas à l’article 11(f) de la CharteNote de bas de page 45. En effet, dans Beaudry, la CACM a renversé deux de ses décisions antérieures au sujet de l’alinéa 130(1)a).

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La décision de la CSC dans Stillman

Le 26 juillet 2019, dans Stillman, la CSC statua que l’alinéa 130(1)a) était en accord avec l’article 11(f) de la CharteNote de bas de page 46.

La CSC a saisi l’occasion pour résumer et affirmer sa jurisprudence quant au système de justice militaire. D’abord, la CSC nous rappelle sa décision dans Mackay c La Reine où elle a reconnu que le Parlement a le pouvoir constitutionnel, sous l’article 91(7) de la Loi constitutionnelle, 1867 de légiférer l’alinéa 130(1)a)Note de bas de page 47. La CSC nous rappelle aussi sa décision dans R c Généreux, qui a reconnu que le système de justice militaire constituait un mécanisme distinct et essentiel afin d’accomplir son rôle de nature publique, mais aussi pour assurer le maintien de la discipline et de l’intégrité au sein des Forces armées canadiennesNote de bas de page 48. Enfin, la CSC a confirmé sa décision dans R c Moriarity, et a refusé de réévaluer la nécessité d’établir un lien de connexité avec le service militaire autre que le « statut de l’accusé »Note de bas de page 49.

La question principale pour la CSC dans Stillman était l’application de l’exception 11(f) de la Charte à l’alinéa 130(1)a) de la LDN. Pour répondre à cette question, la CSC effectua une comparaison détaillée entre le jury civil et le comité militaire afin de d’être en mesure de déterminer l’objectif de l’exception 11(f) dans la Charte. Par la suite, la CSC a évalué si les infractions sous l’alinéa 130(1)a) pouvaient être qualifiées « d’infractions militaires ».

Dans sa décision, la CSC distingue clairement entre le comité militaire et le jury civil. L’analyse de la CSC est basée sur le fait que « le système distinct de justice militaire n’a jamais prévu de procès avec jury »Note de bas de page 50. Quoique la CSC ait reconnu certaines ressemblances entre un jury civil et un comité militaire, elle a précisé que le comité militaire n’est pas un juryNote de bas de page 51. Néanmoins, la CSC a expliqué que le comité militaire – malgré qu’il n’équivaille pas à un jury – rencontre les normes de protection établies par la CharteNote de bas de page 52. Aussi, la CSC a expliqué que les membres du comité militaire offrent expérience militaire et intégrité au processus judiciaire. De plus, « ils représentent la communauté militaire responsable de la discipline et [de] l’efficacité militaire »Note de bas de page 53. Somme toute, la CSC a déterminé que le comité militaire est conçu pour répondre aux besoins uniques du système de justice militaire tout en accordant suffisamment de protection pour un accusé.

En ce qui a trait l’alinéa 130(1)a), la CSC a déclaré qu’il n’y a aucune distinction entre les infractions codifiées aux articles 73-129 de la LDN et les infractions intégrées à la LDN sous l’alinéa 130(1)a)Note de bas de page 54. Selon la CSC, affirmer le contraire reviendrait à faire passer la forme avant le fond, puisqu’une infraction incorporée par renvoi n’est pas moins une infraction en raison de sa formeNote de bas de page 55. La Cour nous rappelle que le Parlement a le pouvoir de décider ce qui constitue une infraction militaire, en vertu de l’article 91(7) de la Loi constitutionnelle, 1867Note de bas de page 56. Également, la CSC nous explique que le système de justice militaire ne serait pas en mesure de rencontrer les objectifs de détermination de la peine sous le paragraphe 203.1(2) de la LDN si les FAC étaient dépourvues de l’autorité de poursuivre les infractions sous l’alinéa 130(1)a).

Pour conclure, la CSC s’adresse à la méthode dont les poursuivants décident si une affaire procèdera dans les tribunaux militaires ou civils. La Cour explique qu’il vaut mieux laisser aux procureurs militaires le soin de décider s’ils doivent exercer leur compétence dans une affaire donnée et quels facteurs guideront leur décisionNote de bas de page 57. Sur cet aspect, la CSC souligne avec approbation la directive du DPM à cet effet qui vise à guider les décisions des procureurs militairesNote de bas de page 58. Enfin, la Cour note « la coopération et le respect mutuel » qui existent entre les procureurs civils et militaires quant aux décisions relatives à l’exercice de juridictionNote de bas de page 59.

Suite à la décision Stillman, la déclaration de culpabilité du Cpl Beaudry fut rétablie. Quant aux affaires qui ont été renvoyées dans le système de justice civil suite à la décision de la CACM dans Beaudry, celles-ci procèdent toujours. Dans certaines de ces affaires, les procureurs militaires ont assisté les procureurs civils à répondre à des requêtes en délai déraisonnable sous l’article 11(b) de la Charte déposées par la défense. Dans au moins deux affaires où des requêtes en délai avaient été déposées, des juges des provinces du Québec et de l’Ontario ont déclaré que le délai causé par le renvoi des affaires dans le système de justice civil suite à la décision de la CACM dans Beaudry constituait une « circonstance exceptionnelle », tel que décrit dans l’arrêt R c Jordan de la CSCNote de bas de page 60.

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