Vers la légalisation, la réglementation et la restriction de l'accès à la marijuana : document de discussion – 2. Contexte

2. Contexte

Un bref aperçu de la marijuana

On retrouve le cannabis partout dans le monde, mais c'est une plante originaire d'Asie. Il est utilisé depuis des millénaires pour ses effets psychoactifs—euphorie (l'état « high »), relaxation, sentiment de bien-être et intensification des expériences sensorielles habituelles (vue, ouïe, goût, odorat). Cependant, il est aussi utilisé à des fins médicales et sociales depuis longtemps.

Une variété de produits peuvent être fabriqués à partir de la fleur de la plante de cannabis ou en sont dérivés, notamment :

  • l'herbe séchée (c.-à-d., la « marijuana »);
  • l'huile (p. ex., l'« huile de haschich »);
  • le haschich (c.-à-d. la résine comprimée);
  • les concentrés (p. ex. le « shatter »);
  • les aliments et boissons contenant des extraits de cannabis.

La plupart du temps, le cannabis est fumé (sous forme d'herbe séchée , soit seul, soit comme un concentré mélangé avec du tabac), mais il peut aussi être vaporisé ou mangé.

Le cannabis contient des centaines de substances chimiques, dont plus de 100 « cannabinoïdes ». Les cannabinoïdes sont une catégorie de produits chimiques qui agissent sur les récepteurs des cellules du cerveau et du corps. Le cannabinoïde le plus étudié est le THC (tétrahydrocannabinol), principal composé psychoactif du cannabis (le produit chimique qui cause l'état « high »). On s'intéresse aussi à un autre cannabinoïde clé, le CBD (cannabidiol). Contrairement au THC, le CBD n'est pas un agent psychoactif et peut, en fait, contrecarrer certains des effets psychoactifs du THC. Il y a de plus en plus de recherches scientifiques qui se penchent sur les effets thérapeutiques potentiels du CBD.

Dans le présent document de discussion, le terme « marijuana » est utilisé, à moins que l'on fasse référence à un produit dérivé de la marijuana.

Prévalence de la consommation

La marijuana est la substance psychoactive illégale la plus consommée au monde. Selon les estimations de l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC), environ 200 millions de personnes dans le monde ont indiqué avoir consommé de la marijuana à au moins une occasion en 2012. Un rapport de l'UNICEF publié en 2013 classe le Canada parmi les pays où les jeunes consomment le plus de marijuana dans le monde.

La marijuana est prohibée au Canada depuis les années 1920 et fait partie des substances contrôlées figurant à l'annexe II de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances (LRCDAS). Par conséquent, la possession, la production et le trafic de marijuana contreviennent à la loi. Le Règlement sur la marihuana à des fins médicales (RMFM) établit un cadre qui permet un accès légal à la marijuana à des fins médicales.

Malgré ces interdictions, la marijuana demeure la substance illégale la plus consommée au Canada. C'est la deuxième drogue à usage récréatif la plus consommée au Canada, après l'alcool, surtout chez les jeunes. Environ 22 millions de Canadiens âgés de 15 ans ou plus, près de 75 % de la population, ont bu de l'alcool en 2013. En comparaison, 11 % des Canadiens âgés de 15 ans ou plus ont indiqué avoir consommé de la marijuana à au moins une occasion en 2013. Lorsqu'on examine plus en profondeur les données, on apprend qu'en 2013, 8 % des adultes âgés de plus de 25 ans et 25 % des jeunes âgés de 15 à 24 ans ont indiqué avoir consommé de la marijuana au cours de la dernière année.

Le système de justice pénale

La marijuana est la drogue qui fait l'objet du plus important trafic dans le monde. Au Canada, on estime que le commerce illégal de la marijuana rapporte annuellement 7 milliards de dollars au crime organisé. De plus, le fardeau administratif et les dommages sociaux associés à l'application des lois concernant la marijuana, particulièrement dans les cas de possession simple, sont élevés et doivent être équilibrés avec d'autres priorités en matière de sécurité. Certains Canadiens sont d'avis que ces lois sont disproportionnées par rapport à la gravité de la consommation de la marijuana en tant qu'infraction criminelle.

L'approche actuelle pose aussi des défis pour le système de justice pénale et les Canadiens. Des ressources importantes sont consacrées à l'engagement de poursuites dans les cas d'infractions de possession simple. En 2014, les infractions liées à la possession de marijuana comptaient pour 57 314 des infractions liées à la drogue rapportées par la police en vertu de la LRCDAS, ce qui représente plus de la moitié du nombre total pour ce type d'infraction. De ce nombre, 22 223 infractions ont mené à des accusations de possession cette année-là.

Les casiers judiciaires qui ont résulté de ces accusations ont des répercussions graves pour les personnes concernées. Les personnes qui ont un casier judiciaire peuvent avoir de la difficulté à se trouver un emploi et un logement et il peut leur être interdit de quitter le Canada. À une plus vaste échelle, le système de justice pénale a besoin de ressources pour examiner la participation du crime organisé au trafic illégal de marijuana. En 2015, le Service canadien du renseignement de sécurité a indiqué qu'il existait 657 groupes associés au crime organisé au Canada. On suspecte la moitié d'entre eux d'être impliquée dans le trafic illégal de marijuana.

Le lien entre le crime organisé et le trafic illégal de marijuana est bien établi. Plusieurs groupes et réseaux importants basés au Canada et associés au crime organisé sont impliqués dans la production et la distribution de marijuana en raison de la popularité de cette dernière auprès de la population, des profits réalisés et du fait que cette drogue soit plutôt facile à produire et à cultiver. On estime que la majorité de la marijuana illégale qu'on retrouve sur le marché canadien est produite au pays. En 2013, Santé Canada a rapporté que les organismes d'application de la loi ont procédé à la destruction de 39 tonnes métriques de marijuana séchée et de plus de 800 000 plants de marijuana. De plus, des installations de culture illégale de marijuana sont présentes dans toutes les régions du Canada et tous les types de collectivités. La marijuana traverse aussi les frontières et selon l'Agence des services frontaliers du Canada, entre 2007 et 2012, la marijuana était l'une des trois drogues les plus saisies aux frontières.

La police et les tribunaux sont aussi aux prises avec des individus qui conduisent sous l'influence de la marijuana. En 2013, 97 % des cas de conduite avec facultés affaiblies rapportés par la police concernaient l'alcool et 3 % concernaient la drogue (y compris la marijuana), ce qui constitue une hausse de 1 % par rapport à 2011.

Le Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies estimait que, selon des données de 2002, les coûts publics associés à l'administration de la justice dans les cas de consommation illicite de drogue (incluant les coûts associés aux services de police, aux procureurs, aux tribunaux et aux services correctionnels) étaient évalués annuellement à 2,3 milliards de dollars.

Effets sur la santé

La marijuana présente à la fois des risques et des avantages thérapeutiques potentiels pour la santé. La plupart de travaux de recherche sur la marijuana effectués au cours des cinquante dernières années ont porté davantage sur ses méfaits pour la santé que sur ses bienfaits thérapeutiques potentiels. Le fait que la marijuana soit illégale empêche de brosser un tableau complet de ses méfaits et de les comparer à ceux associés à la consommation d'alcool, de tabac ou d'autres substances psychoactives. Le résumé qui suit est fondé sur les preuves disponibles actuellement.

Risques pour la santé

En général, les risques pour la santé associés à la consommation de marijuana peuvent être aigus (c.-à-d, immédiats et de courte durée) ou chroniques (c.-à-d., retardés et de longue durée). Toutefois, les risques peuvent s'accroître de manière importante si l'on tient compte d'un certain nombre de facteurs, notamment :

  • l'âge auquel la personne a commencé à consommer;
  • la fréquence de la consommation;
  • la durée de la consommation;
  • la quantité consommée et la puissance du produit;
  • les gestes posés par la personne intoxiquée, notamment la conduite d'un véhicule ou la consommation d'autres substances ou médicaments; et
  • l'état de santé de la personne et ses antécédents médicaux, personnels et familiaux.

Plus précisément :

  • La fréquence de la consommation : Une consommation quotidienne ou quasi quotidienne de marijuana peut avoir de graves effets à long terme pour la santé du consommateur, notamment des risques de dépendance, une apparition plus précoce ou l'aggravation de certaines maladies mentales chez les personnes vulnérables, la difficulté à réfléchir, à apprendre, à se souvenir et à prendre des décisions. De tels effets peuvent prendre des jours, des semaines, des mois ou des années à disparaître après l'arrêt de la consommation de marijuana, selon la durée de la période de consommation et l'âge auquel la personne a commencé à consommer. Le fait de fumer régulièrement peut aussi endommager les poumons.
  • L'âge auquel la personne a commencé à consommer : Les risques pour la santé associés à la consommation de marijuana pendant l'adolescence et au début de l'âge adulte, lorsque le cerveau est encore en développement, peuvent avoir des effets dommageables à long terme plus importants qu'une consommation à l'âge adulte. Ces effets peuvent comprendre la possibilité de dépendance, des méfaits durables sur le développement cognitif et intellectuel, la possibilité de troubles de santé mentale, de mauvais résultats scolaires, une diminution de la satisfaction par rapport à la vie et du sentiment de réussite. Il existe des preuves qu'une consommation régulière de marijuana dès le début de l'adolescence peut avoir des répercussions négatives sur la réussite scolaire et accroître le risque de décrochage scolaire.
  • L'état de santé des personnes : Mis à part les jeunes, les personnes qui ont des antécédents de toxicomanie, qui ont été victimes d'agression dans leur jeunesse, de traumatismes ou de négligence, celles qui sont atteintes de certaines maladies mentales ou de certains troubles de l'humeur et les enfants dont la mère a consommé de la marijuana durant la grossesse sont plus vulnérables aux risques posés par la marijuana et à ses effets négatifs. Une consommation précoce et régulière de marijuana est associée à une augmentation du risque de psychose et de schizophrénie, surtout chez les individus qui ont des antécédents personnels ou familiaux de telles maladies mentales. Chez les personnes ayant des antécédents de maladies psychiatriques, la consommation de marijuana peut aggraver leur maladie et en compliquer le traitement.

Perception du risque

Malgré les risques accrus pour les adolescents qui consomment de la marijuana, le Sondage sur la consommation de drogues et la santé des élèves de l'Ontario réalisé en 2015 indiquait que chez les adolescents, le risque perçu des dommages associés à la consommation de marijuana est en baisse. Il a aussi été observé qu'il existait un lien inverse entre la perception du risque et la consommation réelle (c.-à-d., la consommation de marijuana augmente alors que plus de personnes perçoivent le risque comme étant faible).

Comparaison avec d'autres substances psychoactives

Le fait que la marijuana soit illégale empêche de brosser un tableau complet de ses méfaits et de les comparer à ceux associés à la consommation d'alcool, de tabac ou d'autres substances psychoactives. L'effet nocif à long terme le plus connu de la consommation régulière de marijuana est la dépendance. Néanmoins, selon ce que l'on sait actuellement, le risque de dépendance à la marijuana est plus faible que celui de la dépendance à l'alcool, au tabac ou aux opiacés. Et contrairement à l'alcool et aux opiacés, les surdoses de marijuana ne sont pas mortelles.

La théorie de la « drogue d'initiation »

La marijuana a souvent été considérée comme une « drogue d'initiation », une étape vers la consommation des drogues plus dangereuses et vers une dépendance plus importante à la drogue.

La prétendue « hypothèse de drogue d'initiation » était populaire dans les années 1970 et 1980 et décrivait une séquence précise, progressive et hiérarchique des étapes de la consommation de drogue qui commençait par la consommation d'une « drogue douce » (p. ex. la marijuana) et menait à la consommation de « drogues dures » (p. ex., la cocaïne).

Cependant, au fil des années, l'« hypothèse de la drogue d'initiation » a montré ses limites. La validité et la pertinence de cette hypothèse ont donc été remises en question. Il existe maintenant des preuves qui suggèrent que des interactions complexes entre divers facteurs individuels, prédisposants et environnementaux (p. ex., la pression des pairs, l'influence de la famille, la disponibilité de la drogue et les occasions d'en consommer) sont à la base des conduites toxicophiles, de la consommation de drogue, de la toxicomanie et de la dépendance à la drogue. Ces interactions ne sont pas nécessairement liées à la consommation de marijuana à elle seule.

Avantages thérapeutiques

Pour ce qui est des allégations de bienfaits thérapeutiques de la marijuana, mises à part les études cliniques concernant les produits dérivés de la marijuana qui ont reçu l'autorisation d'être commercialisés au Canada (c.-à-d., dronabinol/MarinolMD, nabilone/CesametMD et nabiximols/SativexMD), il existe peu de données cliniques crédibles.

Certaines études cliniques suggèrent que des souches contenant principalement du THC présentent des avantages thérapeutiques potentiels pour traiter certains troubles médicaux, notamment :

  • les nausées et les vomissements graves associés à la chimiothérapie;
  • le manque d'appétit et la perte importante de poids causés par une maladie chronique grave ou incurable (p. ex., le cancer et le VIH/sida);
  • certains types de douleurs chroniques intenses (p. ex., les douleurs neuropathiques);
  • les symptômes associés aux maladies inflammatoires intestinales;
  • l'insomnie, l'anxiété et la dépression associées aux maladies chroniques graves;
  • les spasmes musculaires associés à la sclérose en plaques;
  • les symptômes constatés en contexte de soins palliatifs.

De nouvelles preuves suggèrent aussi que les souches de marijuana contenant principalement du CBD pourraient être utilisées dans le traitement de l'épilepsie résistante au traitement chez les enfants et les adultes.

Contexte mondial et obligations internationales

Le Canada est partie aux trois principales conventions des Nations Unies sur les stupéfiantsNote de bas de page 1. Conformément à cette convention, le Canada est dans l'obligation de criminaliser les activités telles la production, la vente et la possession de cannabis à des fins non médicales ou non scientifiques. La légalisation de la marijuana n'est pas conforme aux fins visées par les conventions sur les stupéfiants.

Bien que la marijuana soit illégale dans la plupart des pays, l'approche à son égard évolue à certains endroits. Vingt-deux pays ont adopté une certaine forme de décriminalisation (par décriminalisation on entend que la marijuana est toujours illégale, mais que les sanctions pénales ont été abandonnées en faveur d'amendes ou d'autres formes de pénalités . Il s'agit d'un concept différent de celui de la légalisation ). Ces pays ont soit modifié des lois, politiques et lignes directrices ou les organismes d'application de la loi font usage de leurs pouvoirs discrétionnaires. Du point de vue de la plupart des observateurs, la décriminalisation de la marijuana est conforme aux exigences des conventions sur les stupéfiants, surtout lorsqu'il s'agit de la consommation personnelle de petites quantités de « drogues douces ».

Malgré l'évolution des approches en matière de contrôle et de minimisation des méfaits de la consommation de marijuana à l'échelle mondiale, l'Uruguay demeure le seul pays à avoir totalement légalisé la marijuana.

À l'échelle fédérale, le gouvernement des États-Unis continue d'exprimer son opposition à la légalisation de la marijuana et il reste illégal dans les lois fédérales. Toutefois, la question de la légalisation de la consommation de la marijuana est de plus en plus souvent examinée par les législateurs des états, malgré le fait qu'elle demeure illégale en vertu des lois fédérales. Actuellement, quatre états et le District de Columbia ont légalisé l'accès à la marijuana et plusieurs autres états se prononceront sur des propositions similaires en 2016 et 2017. Les leçons tirées des expériences récentes dans les états du Colorado et de Washington, ainsi qu'en Uruguay, peuvent être utiles alors que le Canada s'apprête à examiner la mise en place d'un nouveau système.

Voici certaines des leçons clés tirées des expériences dans les États du Colorado et de Washington :

  • établir des objectifs clairs et mesurables;
  • élaborer un système réglementaire détaillé qui permet de contrôler les formats des produits, qui empêche la commercialisation par l'entremise de mesures de contrôle de la publicité et qui prévient la consommation chez les jeunes;
  • assurer une mise en œuvre efficace en :
    • prenant le temps nécessaire pour garantir un lancement réussi;
    • élaborant un plan de communication publique clair et détaillé;
    • établissant une stratégie fondée sur des données probantes ainsi qu'une stratégie de collecte de données afin de procéder à une surveillance à long terme et à des ajustements pour atteindre les objectifs en matière de politiques; et
    • mettant en place, avant la légalisation, un système de sensibilisation du public quant aux effets sur la santé.

Lorsqu'ils envisagent de modifier le statut illégal de la marijuana, les pays membres doivent aussi tenir compte de la primauté du droit et de leurs obligations en vertu des conventions applicables de l'ONU. Cet environnement international dynamique requiert que le Canada, puisqu'il envisage la légalisation de la marijuana, tienne des consultations auprès de la communauté internationale , y compris avec l'Organe international de contrôle des stupéfiants (OICS) et les États-Unis. Même si la proposition du Canada de légaliser la marijuana peut différer de la politique de contrôle des drogues d'autres pays, il partage les mêmes objectifs tels que protéger les citoyens, en particulier les jeunes; mettre en œuvre une politique fondée sur des données probantes et mettre la santé et le bien-être au centre d'une approche équilibrée pour l'application des traités. Le Canada est engagé à respecter ses partenaires internationaux et à trouver un terrain d'entente dans la poursuite de ces objectifs.

Notes de bas de page

Note de bas de page 1

La Convention unique sur les stupéfiants de 1961; la Convention de 1971 sur les substances psychotropes; la Convention des Nations Unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes, 1988.

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