Archivée – Guide de la détermination de l'admissibilité Chapitre 8 - Section 5
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8.5.0 Perte d'un emploi et impossibilité de reprendre un emploi
Aux fins de l'application des dispositions de la Loi concernant les conflits collectifs, on a déjà évoqué l'absolue nécessité de réunir quatre éléments bien définis Note de bas de page 1 . Aux trois premiers qui servent à établir l'existence d'un conflit collectif au lieu de travail du prestataire et le fait que l'arrêt de travail en découle s'ajoute un dernier élément : il faut déterminer si le prestataire a perdu un emploi ou ne peut reprendre un emploi du fait de cet arrêt de travail.
En dépit de son apparente complexité, il n'est pas difficile d'aborder cette question qui repose sur trois notions distinctes :
- la perte d'un emploi ou l'impossibilité de reprendre un emploi;
- le lien qui existe entre ce fait et l'arrêt de travail;
- la situation du prestataire dans ce contexte.
8.5.1 Perte d'un emploi
Du point de vue de l'admissibilité aux prestations, une perte d'emploi s'entend principalement d'un arrêt de la rémunération provenant d'un emploi Note de bas de page 2 , ce qui ne veut pas dire qu'un arrêt de moins de sept jours consécutifs ne constitue pas une perte d'emploi. Les termes utilisés ou les raisons invoquées ne font guère de différence, qu'il soit question de grève, d'abandon d'un poste de travail ou d'omission de s'y présenter, de refus de franchir la ligne de piquetage, de lock-out ou de suspension.
On ne peut certes nier dans les circonstances le fait que la relation employeur-employé puisse être touchée par l'existence d'un conflit, surtout si celui-ci dégénère en arrêt de travail prolongé. Il n'y a généralement pas rupture complète des liens entre les parties qui, en principe, ont chacune intérêt à rechercher un terrain d'entente en vue d'une solution éventuelle au conflit; la plupart des codes provinciaux ainsi que le Code canadien du travail renferment des dispositions précises garantissant au travailleur, de préférence à toute autre personne, le maintien de son emploi à la reprise des activités.
Il n'existe par ailleurs que peu d'arrêts de travail qui ne soient à l'origine d'une rupture définitive de la relation entre les parties, qui prend la forme d'une démission, d'un renvoi ou même d'une mise à pied qui peut survenir avant ou après le début de l'arrêt de travail ou une fois que l'arrêt de travail a pris fin Note de bas de page 3 .
Une perte d'emploi peut aussi être causée par l'exercice du droit de supplantation en fonction des années d'ancienneté ou être le fait du report d'heures de travail à une date ultérieure et ce, même si le nombre total d'heures prévu au contrat de travail est finalement respecté Note de bas de page 4 . L'obtention immédiate d'un autre emploi n'empêche pas de conclure qu'il y a effectivement eu perte d'emploi.
Tel que libellées, les dispositions relatives aux conflits collectifs Note de bas de page 5 permettent de tenir compte de tout emploi qu'un prestataire a perdu, sans égard au fait qu'il en exerçait plus d'un au moment où il l'a perdu ou qu'il ait continué à exercer ses autres emplois par après. Elles visent notamment l'emploi qu'une personne devait commencer à exercer chez un nouvel employeur à une date déterminée, mais qui n'a pu se concrétiser à cette date à cause d'un arrêt de travail dû à un conflit collectif. Ces dispositions s'appliquent également à tout emploi antérieur qu'un prestataire ne peut reprendre pour le même motif Note de bas de page 6 .
L'emploi dont il est question doit par ailleurs être conforme à la définition qui figure dans la Loi Note de bas de page 7 , ce qui élimine le travail indépendant puisqu'il n'existe alors pas de relation employeur-employé. Dans la mesure où l'emploi en cause est conforme à cette définition, il peut tout aussi bien s'agir d'un emploi exercé au Canada ou à l'étranger ou encore d'un emploi qui ne remplit pas les conditions minimales d'assurabilité.
8.5.2 Impossibilité de reprendre un emploi
L'expression « le prestataire . . . qui ne peut reprendre un emploi en raison d'un arrêt de travail dû à un conflit collectif » figure dans la Loi Note de bas de page 8 . Ce prestataire est donc assujetti aux dispositions relatives aux conflits collectifs.
Par conséquent, lorsqu'un prestataire, qui était absent du travail au moment où l'arrêt de travail s'est produit n'a pu, après des vacances, un congé de maladie ou de maternité ou une période de rétablissement après une blessure, reprendre son emploi parce que l'arrêt de travail n'était pas terminé, on pourrait présumer que la perte de son emploi est due à l'arrêt de travail. S'il convient de le déclarer inadmissible, cette mesure prend effet le jour où il devait revenir au travail Note de bas de page 9 .
Le rapprochement s'est révélé plus difficile à faire dans le cas d'un prestataire qui n'avait pu reprendre son emploi après un congé pour fonctions syndicales Note de bas de page 10 . Des difficultés semblables se sont posées relativement à des travailleurs occasionnels qui devaient être rappelés au travail et à des travailleurs saisonniers qui, selon un jugement notoire Note de bas de page 11 , n'avaient pas perdu leur emploi au début de la saison d'activité, mais tout au plus la possibilité d'un emploi.
Il a donc été jugé à propos d'ajouter à la Loi Note de bas de page 12 une mention précise concernant le « prestataire qui ne peut reprendre un emploi », afin qu'il soit clair que les dispositions relatives aux conflits collectifs s'appliquent aussi à son cas. Cette mention établit une équité de traitement autant pour le prestataire qui a perdu un emploi que pour celui qui ne peut reprendre un emploi, tous deux, pour les mêmes raisons.
Tout cela ne signifie pas que l'on doive dorénavant, dans tous les cas, déterminer si le prestataire a perdu un emploi ou s'il ne peut reprendre un emploi. De fait, ces deux situations sont prévues par les mêmes dispositions, et la décision en ce qui a trait à l'admissibilité doit s'appuyer sur les mêmes principes dans les deux cas.
Rien ne s'oppose donc à ce que l'on continue à traiter le cas de la personne qui ne peut reprendre un emploi au terme d'une période de vacances, d'un congé de maladie ou de maternité ou d'une période de rétablissement après une blessure de la même façon que celui de la personne qui a perdu un emploi dans les mêmes circonstances Note de bas de page 13 . Cette approche n'a pas été rejetée par la jurisprudence. Il n'y a donc pas lieu de la modifier. On peut procéder de la même manière pour l'emploi qu'une personne ne peut reprendre après une période de mise en quarantaine ou un congé pour soins à donner à un nouveau-né ou à un enfant placé en vue de son adoption.
Dans les situations de congés de plus longue durée, comme un congé pour affaires syndicales ou l'exercice d'un autre emploi, il convient mieux de se demander si le prestataire peut ou non reprendre un emploi. Cette méthode doit également être appliquée lorsque le prestataire ne peut reprendre un emploi à l'occasion d'un retour ou d'un rappel au travail après une période de mise à pied ou à la fin d'un contrat de travail. Il en va de même pour le travailleur occasionnel ou saisonnier qui ne peut revenir au travail à cause d'un arrêt de travail attribuable à un conflit collectif Note de bas de page 14 .
Cela ne veut pas dire pour autant que toute personne qui a une possibilité d'être rappelée par son employeur pendant un arrêt de travail est automatiquement un « prestataire qui ne peut reprendre un emploi ». On doit pouvoir raisonnablement conclure au préalable que, n'eût été l'arrêt de travail, l'employeur aurait repris cette personne à son service à une date ou à un moment déterminé et que par conséquent celle-ci aurait été en poste s'il n'y avait pas eu d'arrêt de travail. Cependant, la vague possibilité ou la garantie morale de travailler pendant cet arrêt, ou la seule existence d'un droit de rappel, ne sont pas des éléments suffisants pour en arriver à une telle conclusion.
L'emploi dont on parle ici doit obligatoirement être un emploi que le prestataire a occupé auparavant, que ce soit récemment ou il y a plus longtemps. Il ne désigne pas uniquement l'emploi que le prestataire a exercé immédiatement avant son dernier emploi ou avant de présenter une demande de prestations. Il pourrait même s'agir d'un emploi que le prestataire a cessé d'exercer pour une raison ou pour une autre pendant une période de prestations et qu'il ne peut éventuellement reprendre pendant cette même période à cause d'un arrêt de travail dû à un conflit collectif.
Cet emploi doit toutefois être chez l'employeur pour lequel le prestataire a déjà occupé un emploi, sans qu'il soit nécessairement appelé à y exercer la même profession ou à travailler exactement au même endroit. Le fait qu'une personne ne puisse, à cause d'un arrêt de travail, entrer en fonction à la date prévue chez un employeur où elle n'a jamais travaillé n'entre pas dans cette catégorie. Le cas échéant, il convient plutôt de déterminer si la perte d'emploi est visée par les dispositions de la Loi relatives aux conflits collectifs.
Il faut préciser finalement qu'un « prestataire qui ne peut reprendre un emploi » est une expression qui désigne autant la personne qui ne peut reprendre son emploi à cause d'un arrêt de travail que celle qui, volontairement ou de sa propre initiative, décide de ne pas le reprendre.
8.5.3 Perte d'un emploi ou incapacité de reprendre un emploi à cause d'un arrêt de travail
De multiples événements de la vie courante sont liés parce qu'ils subissent ce qu'il est convenu d'appeler l'« effet domino » ou une réaction en chaîne qui fait en sorte qu'un premier événement en entraîne un deuxième qui est lui-même à l'origine d'un troisième. Les dispositions concernant les conflits collectifs produisent un effet semblable sur trois événements, soit le conflit collectif, l'arrêt de travail et le fait de perdre un emploi ou de ne pas pouvoir reprendre un emploi Note de bas de page 15 .
On a déjà mentionné que ces trois événements doivent survenir au lieu de travail du prestataire. En outre, il faut qu'il existe une relation de cause à effet entre le conflit collectif et l'arrêt de travail. Il reste alors à s'assurer que le fait de perdre un emploi ou de ne pouvoir reprendre un emploi est bien attribuable à un arrêt de travail causé par un conflit collectif.
Le fait de perdre un emploi ou de ne pas pouvoir reprendre un emploi à cause d'un arrêt de travail déclenché ailleurs n'est pas visé par les dispositions concernant les conflits collectifs. L'exception est celle où il existe un conflit à plusieurs endroits à la fois qui sont dus à un arrêt de travail résultant d'un conflit local même s'il a été provoqué par une grève qui a lieu en un autre endroit Note de bas de page 16 .
Par ailleurs, le fait de perdre un emploi ou de ne pouvoir reprendre un emploi et l'arrêt de travail ne sont pas des événements qui se produisent nécessairement en même temps. Si l'on suit la ligne de pensée propre aux dispositions de la Loi relatives aux conflits collectifs, le fait de perdre un emploi ou de ne pouvoir reprendre un emploi visé par ces dispositions devrait survenir après le début de l'arrêt de travail, ou à la limite, coïncider avec celui-ci. Il s'agit alors de se demander si ce fait est consécutif à un événement lié au conflit et à l'arrêt de travail Note de bas de page 17 ou s'il ne se serait pas produit à ce moment précis, sans l'arrêt de travail Note de bas de page 18 . Si la réponse est positive, il est fort à propos d'en déduire l'existence d'une relation de cause à effet entre ces événements. Il importe peu dans ces circonstances que ce lien soit direct ou indirect.
La situation est beaucoup moins claire lorsque la perte d'un emploi ou l'incapacité de reprendre un emploi précède le moment où survient l'arrêt de travail. Deux jugements ont été prononcés à l'encontre d'un courant d'opinions bien établi, selon lequel il a toujours été considéré que le fait de perdre un emploi à un tel moment ne rendait pas inopérantes les dispositions de la Loi concernant les conflits collectifs, à la condition qu'il soit possible de prouver qu'il existe un lien entre ce fait et l'imminence de l'arrêt de travail Note de bas de page 19 .
Partant du principe que l'effet ne peut logiquement devancer sa cause, l'approche établie par ces deux jugements n'est pas dénuée d'intérêt, d'autant plus que le texte de loi ne renvoie pas à la perte d'emploi ou à l'incapacité de reprendre un emploi à cause d'un arrêt de travail imminent, mais plutôt à cause d'un arrêt de travail. Par conséquent, les dispositions relatives aux conflits collectifs ne s'appliqueront plus au prestataire qui perd son emploi ou est incapable de reprendre un emploi avant l'arrêt de travail. Il importe peu que cette perte d'emploi ou cette incapacité de reprendre un emploi soit attribuable à l'imminence d'un arrêt de travail.
Il est fréquent que des employés soient en congé au moment d'un arrêt de travail; les liens avec l'employeur ne sont pas rompus de façon définitive dans les circonstances, peu importe le motif du congé ou le fait que le congé soit rémunéré ou non. Une personne qui ne peut revenir au travail une fois son congé terminé a perdu son emploi ou est incapable de le reprendre à cause d'un arrêt de travail, si celui-ci est toujours en cours, bien entendu Note de bas de page 20 .
Il peut parfois être difficile de déterminer quelle était la situation d'un employé au moment de l'arrêt de travail. Le cas de l'employé qui travaille à temps plein ou à temps partiel, sur une base temporaire, permanente ou à l'essai, ne pose généralement pas de véritables problèmes. Il est facile de relier la perte d'emploi ou l'incapacité de reprendre un emploi à l'arrêt de travail à partir du moment où cet employé aurait été en poste, s'il n'y avait pas eu d'arrêt de travail.
La situation de l'employé occasionnel est beaucoup plus délicate. Il faut alors trancher la question en fonction des antécédents de travail de l'employé et des probabilités selon lesquelles celui-ci aurait poursuivi son emploi, n'eût été l'arrêt de travail Note de bas de page 21 .
Dans le cas d'un employé réintégré dans ses fonctions à la suite d'un grief, le fait que sa situation au moment de l'arrêt de travail n'ait été connue que plusieurs mois après cet arrêt n'a aucune importance. Il faudra donc réexaminer la décision relative à la perte d'un emploi en fonction de la nouvelle situation, même si le prestataire n'a été mis au courant de ce fait qu'après l'arrêt de travail Note de bas de page 22 .
Le salarié dont l'emploi devait, pour une raison étrangère au conflit, prendre fin après le début de l'arrêt de travail se trouve dans la même situation que celui qui a reçu un avis de licenciement définitif prenant effet à une date ultérieure à celle du début de l'arrêt de travail. La relation entre la perte d'emploi initiale et l'arrêt de travail demeure inchangée Note de bas de page 23 jusqu'au moment où le lien employeur-employé est réputé être rompu de façon définitive Note de bas de page 24 .
La relation de cause à effet qui existe entre la perte d'emploi ou l'incapacité de reprendre un emploi et l'arrêt de travail peut aussi s'étendre à deux groupes d'employés travaillant au même endroit. Cet état de choses a été confirmé dans le cas d'un employeur qui avait mis à pied les employés de bureau à la suite de la grève des employés d'usine. La possibilité ou le fait que cette action de l'employeur ait été illégale ou injustifiée n'y change rien, pas plus que si la mise à pied avait été causée par une pénurie de travail.
8.5.4 Plus d'un arrêt de travail ou d'un conflit
Plusieurs éléments peuvent ajouter à la complexité d'un conflit collectif, notamment le nombre de parties en cause. Il est ainsi fréquent qu'un conflit oppose un employeur ou une association d'employeurs à plusieurs sections locales d'un même syndicat ou même à plusieurs syndicats. La première réflexion à faire consiste à déterminer s'il y a un ou plusieurs conflits au lieu où le prestataire exerce un emploi.
On compte généralement autant de conflits collectifs qu'il y a de conventions collectives faisant l'objet de négociations. On peut parler d'un seul conflit lorsque les principaux points en litige se rapportent à une convention collective de base, que les négociations concernent l'ensemble de l'industrie ou que les divers groupes de travailleurs forment un front commun, en constituant par exemple un comité conjoint ou même en faisant de la signature de chaque convention collective une condition essentielle au règlement de tous les conflits Note de bas de page 25 . Lorsqu'il existe plus d'un conflit au lieu de travail du prestataire, il convient de déterminer l'incidence de chaque arrêt de travail sur la perte d'emploi ou l'incapacité de reprendre un emploi.
Lorsque plusieurs syndicats font l'objet d'un lock-out de la part d'un employeur, l'arrêt de travail qui en résulte peut être dû à l'ensemble des conflits, et non seulement à un seul Note de bas de page 26 . Il importe peu qu'un seul syndicat soit responsable de l'événement à l'origine du lock-out ou que cet événement soit survenu dans un autre lieu de travail.
Il n'y a qu'à parcourir les grands titres des divers quotidiens du pays pour y voir relatée l'existence de conflits collectifs d'envergure tels ceux qui opposent le gouvernement d'une province à ses employés du secteur public, une administration municipale à ses cols bleus, les entrepreneurs de l'industrie de la construction aux divers corps de métiers qui la composent, etc.
Il est possible d'illustrer la situation, à petite échelle, à l'aide d'un scénario où les cols bleus et les cols blancs sont en pourparlers avec un même employeur concernant le renouvellement de leur convention collective respective. Afin de faire valoir leurs revendications, les cols bleus déclenchent la grève, ce qui entraîne la mise à pied de quelques cols blancs. Il est essentiel à cette étape de décider s'il n'y a qu'un seul conflit collectif complexe, dans lequel sont impliqués à la fois les cols bleus et les cols blancs, ou s'il s'agit de conflits collectifs distincts. La question est importante, surtout parce que les conditions de non-application ne visent que le conflit qui a provoqué l'arrêt de travail par suite duquel quelques cols blancs ont perdu leur emploi.
Supposons donc l'existence de deux conflits collectifs et d'un lock-out décrété par l'employeur à l'égard de ses cols blancs quelques semaines après que les cols bleus ont eux-mêmes déclenché leur grève. Dans ce cas, la mise à pied, dans l'intervalle, de quelques cols blancs causée par la grève des cols bleus est visée, à n'en pas douter, par les dispositions relatives aux conflits collectifs Note de bas de page 27 . Ces cols blancs ont perdu leur emploi en raison d'un arrêt de travail dû au conflit collectif des cols bleus, et on peut même dire en ce qui les concerne qu'ils ne peuvent reprendre leur emploi pour cette raison à chaque jour que se poursuit cet arrêt de travail. Dans la mesure où il s'agit là d'un conflit collectif auquel ils sont étrangers, il est vraisemblable que ces quelques cols blancs n'auront pas de difficulté à satisfaire aux conditions de non-application Note de bas de page 28 .
La situation devient différente toutefois à partir du moment où l'employeur, également en conflit avec ses cols blancs, décrète un lock-out envers ceux-ci. On peut alors dire, pour ce qui est des quelques cols blancs mis à pied auparavant, qu'ils ne peuvent reprendre leur emploi en raison d'un arrêt de travail dû aux deux conflits collectifs en cours. Il devient beaucoup plus difficile dans ce contexte pour ces quelques cols blancs, devenus partie au conflit collectif, de prouver qu'ils remplissent encore les conditions de non-application.
8.5.5 Mise à pied avant l'arrêt de travail
Le fait qu'au moment de la mise à pied d'un ou de plusieurs employés, un conflit soit en cours et un arrêt de travail imminent, peut n'être dû qu'au simple effet du hasard et n'avoir aucun lien avec la décision de l'employeur de licencier une partie de son personnel. La même situation peut se produire lorsqu'un employeur annule le rappel prévu d'un certain nombre de ses employés. Il va de soi que ces cas ne sont aucunement visés par les dispositions relatives aux conflits collectifs.
Il en va tout autrement lorsque la décision de mise à pied ou d'annulation du rappel est liée à l'existence d'un conflit collectif et à certains indices révélant l'imminence d'un arrêt de travail. Cette relation peut être la conséquence d'éléments externes tels que la rupture d'un contrat ou le report de commandes par une clientèle qui, étant donné les circonstances, craint que celles-ci ne puissent être remplies dans les délais requis ou qui appuie une campagne de boycottage orchestrée par le syndicat. Elle peut également être le fait de considérations internes en réaction par exemple à certaines initiatives des travailleurs, telles qu'un ralentissement de travail, ou en prévision de difficultés de fonctionnement suite à des bris provoqués d'équipement. Il n'est d'ailleurs pas rare dans ce contexte que des employés soient suspendus ou congédiés du fait de leur implication dans ces incidents, même avant que ne survienne un arrêt de travail Note de bas de page 29 .
Bien que le libellé des dispositions relatives aux conflits collectifs Note de bas de page 30 ne porte expressément que sur la perte d'un emploi ou l'incapacité de reprendre un emploi à cause d'un arrêt de travail, la jurisprudence n'en a pas moins toujours privilégié l'interprétation selon laquelle ces dispositions peuvent aussi s'appliquer en prévision d'un arrêt de travail; il suffit que soit démontrée une relation de cause à effet entre ces événements et l'arrêt de travail, même si cet arrêt est seulement imminent.
Sont souvent des indices révélateurs en ce sens le nombre de jours écoulés entre la mise à pied ou l'annulation du rappel et l'arrêt de travail ainsi que le fait qu'un mandat de grève ait été donné au comité exécutif syndical. L'éventualité d'un tel arrêt de travail à brève échéance peut fort bien inciter un employeur à effectuer des mises à pied ou à annuler un rappel ou un retour au travail qui était fixé; de fait, plus l'intervalle entre la mise à pied ou l'annulation du rappel et l'arrêt de travail est court, plus il est vraisemblable que ces événements soient liés à l'arrêt de travail. Il est d'autre part impératif que l'arrêt de travail soit finalement déclenché pour qu'on puisse déclarer un prestataire inadmissible au bénéfice des prestations, cette décision ne prenant effet qu'à partir du premier jour de l'arrêt de travail. Lorsque deux causes sont à l'origine de la mise à pied ou de l'annulation du rappel, il s'agit de décider si l'imminence de l'arrêt de travail en est la principale.
Aussi paradoxale que cette approche puisse paraître si l'on s'en tient au libellé exact de la Loi, elle n'en constitue pas moins l'approche à retenir des jugements rendus sur cette question Note de bas de page 31 . On semble vouloir préserver de cette façon une certaine forme de rigueur dans l'application des dispositions visant les conflits collectifs pour éviter d'avoir deux poids et deux mesures, selon qu'un travailleur a perdu un emploi ou ne peut reprendre un emploi juste avant l'arrêt de travail, alors que pour un autre, c'est tout juste après.
Un jugement notoire, même s'il est unique, n'en a pas moins jeté un regard différent sur la question en s'appuyant sur la chronologie des événements et en insistant sur le fait qu'un arrêt de travail est essentiel et doit précéder la perte d'emploi prévue dans la Loi Note de bas de page 32 . Bien que cet énoncé s'éloigne de l'approche à retenir, on estime qu'il peut se révéler important lorsqu'une mise à pied a lieu pour un motif ayant trait à la situation particulière d'un ou de quelques employés pris isolément. Dans ce contexte bien défini, le prestataire mis à pied de façon définitive, sans espoir de rappel, et sur une base individuelle, avant que survienne l'arrêt de travail, ne doit pas être considéré comme ayant perdu son emploi en raison de cet arrêt de travail. Le fait que la perte d'emploi ait été causée par l'imminence de l'arrêt de travail n'a, pour ainsi dire, aucun effet sur l'admissibilité aux prestations dans ces circonstances. Le même principe peut s'appliquer lorsqu'un prestataire dont le retour au travail chez un employeur était fixé pour telle date et a été annulé définitivement en raison de l'imminence de l'arrêt de travail.
À part ces cas d'espèce, on privilégiera de façon générale l'interprétation retenue dans la plupart des jugements rendus sur la question, surtout lorsqu'il y a un licenciement collectif ou une annulation du rappel de bon nombre d'employés en raison de l'imminence d'un arrêt de travail. Ces employés demeurent la plupart du temps intéressés ou partie au conflit collectif. Ce serait aller à l'encontre du principe de neutralité dont il a été fait mention antérieurement que de rejeter l'application des dispositions concernant les conflits collectifs au seul motif que le fait de perdre un emploi ou de ne pouvoir reprendre un emploi est survenu avant l'arrêt de travail.
Quant à l'employé suspendu avant l'arrêt de travail pour des activités reliées au conflit ou pour d'autres motifs, on ne peut certes considérer la perte d'emploi comme étant définitive. Les dispositions visant les conflits collectifs sont donc applicables, mais seulement une fois que la période de suspension a pris fin, tout simplement parce que c'est à ce moment-là que la perte d'un emploi ou l'incapacité de reprendre un emploi sera considérée comme étant attribuable à l'arrêt de travail causé par un conflit, si cela est le cas bien entendu.
À partir de ce qui précède, on s'entend généralement pour dire que l'application des dispositions relatives aux conflits collectives n'est pas pertinente lorsqu'un congédiement définitif a lieu avant l'arrêt de travail. Les choses sont différentes lorsque, suite au règlement d'un grief, un employé est réintégré dans ses fonctions et que tous ses droits sont reconnus rétroactivement. Les dispositions visant les conflits collectifs sont alors applicables à cet employé à partir du début de l'arrêt de travail, au même titre que tous les employés, et ce, même si la situation de cet employé n'a réellement été définie que plusieurs mois après Note de bas de page 33 .
8.5.6 Départ volontaire avant l'arrêt de travail
Le départ volontaire diffère à proprement parler de la mise à pied, du simple fait que c'est le prestataire qui prend l'initiative de rompre les liens avec son employeur. Cette rupture n'est pas dictée ou imposée par l'employeur. Il en va de même lorsqu'un prestataire décide lui-même de ne pas reprendre le travail à une date déterminée.
La décision volontaire du prestataire de quitter son emploi ou de ne pas reprendre un emploi lorsqu'un conflit collectif est en cours et qu'un arrêt de travail semble imminent peut être motivée justement par cette situation ou tout simplement par des raisons qui y sont étrangères, auquel cas il s'agira de rendre une décision en fonction de ces raisons, sans égard aux dispositions relatives au conflit collectif.
L'imminence d'un arrêt de travail qui pourrait être long peut amener un prestataire à prendre certaines décisions relatives à son avenir, en fonction de son évaluation de la situation, de critères personnels et de sa situation dans l'entreprise. À titre d'exemple, le prestataire peut décider volontairement, avant que survienne l'arrêt de travail, de remettre sa démission ou de ne pas reprendre un emploi parce qu'il estime que la grève peut être de longue durée, qu'il n'endosse pas les revendications de son syndicat ou que le temps est venu de retourner aux études.
Qu'une telle décision soudaine ou réfléchie ait été prise en prévision d'un arrêt de travail ou pour d'autres motifs, un fait demeure irréfutable : suite à sa démission définitive, le prestataire n'est plus un employé de l'entreprise. Comment pourrait-il ultérieurement perdre son emploi ou ne pas pouvoir reprendre un emploi à cause d'un arrêt de travail attribuable à un conflit collectif? La perte d'emploi ou l'incapacité de reprendre un emploi est délibérée, parce le prestataire craignait un arrêt de travail et ses conséquences Note de bas de page 34 .
Cette approche semble à première vue inconciliable avec un long courant de jurisprudence, lequel, tout au contraire, soutient que la perte d'emploi est attribuable à l'arrêt de travail lorsque le prestataire a quitté son emploi en prévision d'un tel arrêt. Qu'en est-il vraiment?
Il serait simple de dire que la Cour d'appel fédérale a fait table rase de la manière de voir traditionnelle lorsqu'elle a jugé que cette dernière façon de penser contredisait non seulement le libellé de la Loi, mais aussi l'esprit même de ses dispositions Note de bas de page 35 . En réalité, ce n'est pas tout à fait cela. Ce jugement y a plutôt apporté des nuances en faisant une nette distinction entre la perte d'emploi résultant d'une démission authentique et celle qui est liée à un départ simulé.
Dans le premier cas, il s'agit d'une démission réelle, véritable et individuelle, consacrant une rupture complète et définitive de la relation employeur-employé. Il n'y a alors aucune raison de craindre que des avantages présumés de l'issue du conflit influencent son comportement par rapport au conflit. En modifiant ainsi complètement son état, une telle personne ne devient jamais gréviste. Elle peut ainsi éviter les dispositions relatives aux conflits collectifs, mais pas celles touchant son départ volontaire ou son refus de reprendre le travail comme il était prévu Note de bas de page 36 .
Dans le second cas, la démission n'est pas irrévocable, parce que la relation employeur-employé n'est pas totalement rompue. L'employé n'a pas pris toutes les mesures nécessaires à cette fin, ou la rupture n'est que superficielle, parce que l'employé participe au piquetage ou à d'autres activités syndicales. Il en va de même des démissions collectives, qui ne constituent la plupart du temps qu'un moyen supplémentaire de pression sur l'employeur dans un ensemble de stratégies visant à obtenir de celui-ci qu'il fasse droit aux revendications des employés.
L'intérêt de ces travailleurs demeure lié au sort de l'entreprise. L'assurance-emploi ne doit en aucun cas servir à financer des employés en grève ou qui ont un intérêt dans un conflit, autrement le jeu réciproque des forces économiques devant présider à la solution des conflits ouvriers pourrait en être complètement faussé. C'est dans ce contexte que la pensée traditionnelle a toujours sa raison d'être, pourvu que ce soit bien à cause de l'imminence de l'arrêt de travail que le prestataire a quitté son emploi, sans pour autant rompre tous les liens qui l'unissent à son employeur. Il en va de même du prestataire qui, volontairement et pour ces mêmes raisons, ne reprend pas un emploi, sans pour autant rompre les liens avec son employeur de façon définitive. L'inadmissibilité au bénéfice des prestations prendra effet à partir du premier jour de l'arrêt de travail, à la condition évidente que cet arrêt se concrétise.
Comment alors doit-on considérer la perte d'un emploi lorsqu'elle arrive entre la démission simulée du prestataire, reliée au conflit de travail, et le déclenchement de l'arrêt de travail, qui pourrait de fait ne jamais survenir ou encore ne pas perturber de façon sensible les activités de l'entreprise? La question pourrait être considérée sous l'angle de l'exclusion Note de bas de page 37 ; cela pourrait toutefois créer certaines difficultés d'application dans le contexte. Qu'en est-il vraiment du travailleur, qui volontairement, jour après jour, n'entre pas au travail du fait d'un conflit collectif et d'un arrêt de travail imminent? Peut-on dire qu'il est incapable à chacun de ces jours d'obtenir un emploi convenable? Certes pas, puisqu'un tel emploi existe chez son employeur et que ce travailleur choisit de ne pas l'occuper. Cette situation peut à n'en pas douter justifier une inadmissibilité Note de bas de page 38 tant que le travailleur maintiendra sa position face à son emploi et ce, jusqu'à ce que l'arrêt de travail se produise Note de bas de page 39 . Ce principe s'applique également au prestataire qui, volontairement et pour ces mêmes raisons, ne reprend pas un emploi et dont les liens avec l'employeur ne sont pas rompus de façon définitive.
Tout cela revient à dire en fin de compte que les dispositions visant les conflits collectifs ne doivent pas s'appliquer au prestataire qui démontre que sa décision est irrévocable et consacre une rupture complète et définitive entre lui et son employeur avant le début de l'arrêt de travail. Dans le cas d'une décision simulée ou incomplète, le prestataire doit être déclaré inadmissible parce qu'il ne prouve pas qu'il est incapable d'obtenir un emploi convenable pendant la période suivant sa décision et ce, jusqu'au début de l'arrêt de travail.
8.5.7 En congé au moment de l'arrêt de travail
Le fait qu'un employé soit en congé au moment où survient un arrêt de travail lui permet généralement d'échapper à l'application des dispositions visant les conflits collectifs jusqu'au jour où il aurait normalement repris le travail n'eût été cet arrêt des activités. Ce n'est qu'à ce moment que peut être établi un lien de causalité entre la perte d'emploi ou l'incapacité de reprendre un emploi et l'arrêt de travail, à moins bien entendu que l'employé n'ait déjà été mis à pied au cours de son congé pour une raison étrangère au conflit. L'inadmissibilité, s'il y a lieu, prend effet le jour où le prestataire devait revenir au travail.
Bien qu'il soit généralement possible de lier l'incapacité de reprendre un emploi après un congé à la notion du « prestataire qui ne peut reprendre un emploi », on continuera à étudier cette question selon la notion du « prestataire qui a perdu un emploi », dans certains cas de congé où la jurisprudence a constamment confirmé cette approche. C'est le cas notamment en ce qui a trait aux périodes pour vacances et aux congés de maladie, de rétablissement après une blessure et de maternité Note de bas de page 40 ; on pourrait aussi ajouter les cas des employés mis en quarantaine ou qui prennent un congé pour prendre soin d'un nouveau-né ou d'un enfant placé en vue de son adoption.
D'autres genres de congés de longue durée n'ont pas reçu le même accueil de la part de la jurisprudence. Ainsi, dans le cas d'un congé consacré aux affaires syndicales Note de bas de page 41 , le tribunal a jugé que le fait de ne pas revenir au travail à la fin de l'activité pour laquelle ce congé avait été accordé n'équivalait pas à une perte d'emploi due à l'arrêt de travail. Ces genres particuliers de congés sont visés par les dispositions concernant les conflits collectifs, depuis que l'expression « le prestataire . . . qui ne peut reprendre un emploi » y a été insérée Note de bas de page 42 . C'est sous cet angle que l'on considérera désormais ce genre de cas.
Un congé prolongé, consacré à l'exercice d'un autre emploi, pourrait aussi entrer dans cette catégorie.
Il n'est pas rare par ailleurs qu'un prestataire continue de recevoir, pendant son congé, une rémunération provenant de son employeur et visant à l'indemniser en tout ou en partie de sa perte de revenu pendant cette période. Telle est la situation, particulièrement en ce qui concerne les vacances et les congés de maladie où, selon les congés qu'il a accumulés, le prestataire peut recevoir son plein salaire pendant une période de temps plus ou moins longue. Cela pourrait aussi prendre la forme d'une rémunération d'appoint pour compléter des allocations de formation reçues d'autres sources.
Lorsqu'un arrêt de travail est attribuable à un conflit collectif, un employeur pourrait décider, du fait de la tournure des événements, de cesser le versement de toute somme normalement attribuée à ses employés en congé. Cette interruption du versement représente une perte d'emploi ayant pour cause l'arrêt de travail dû au conflit collectif. Dans un tel contexte, l'application des dispositions visant les conflits collectifs doit être envisagée dès que survient l'interruption du versement de la rémunération, et ce, même si la période prévue pour le congé n'est pas totalement écoulée Note de bas de page 43 .
8.5.8 Rappel au travail
Qu'ils aient au préalable exercé un emploi sur une base régulière, saisonnière ou occasionnelle, des milliers de gens temporairement sans travail n'en caressent pas moins l'idée d'être éventuellement rappelés par leur employeur. Pour certains, le moment ou la date de retour au travail est à peu près fixé chaque année, alors que pour d'autres, le rappel est fonction des nécessités du moment.
Dans de telles circonstances, comment doit-on envisager la question de leur admissibilité aux prestations lorsque, à la date prévue ou fixée de rappel de ces prestataires, un arrêt de travail dû à un conflit collectif paralyse les activités de l'entreprise et empêche ainsi leur réintégration? Peut-on en conclure que ces gens ne peuvent reprendre leur emploi et que, le cas échéant, les dispositions visant les conflits collectifs leur sont applicables?
Il faut se souvenir qu'avant que l'expression « le prestataire . . . qui ne peut reprendre un emploi » Note de bas de page 44 soit ajoutée aux dispositions de la Loi relatives aux conflits de travail, ces gens étaient traités comme s'ils avaient subi une perte d'emploi. Le règlement de ces cas était une question délicate. Qu'on se rappelle seulement la situation du travailleur saisonnier Note de bas de page 45 dont l'emploi, par définition, prend fin chaque année au terme de la saison d'activité, de celle du travailleur occasionnel dont les modalités d'emploi peuvent quasiment varier à l'infini ou encore de celle de la personne en chômage qui a une possibilité plus ou moins grande d'être rappelée Note de bas de page 46 .
Les modifications apportées ont clarifié la situation et permettent maintenant de considérer la question de l'admissibilité aux prestations en fonction de la notion du « prestataire . . . qui ne peut reprendre un emploi », ce qui correspond infiniment plus à la réalité de la situation de ces gens.
Il ne suffit toutefois pas dans ce contexte que le travailleur en chômage au moment de l'arrêt de travail ait uniquement une vague possibilité de travailler pendant cet arrêt ou une garantie morale à cet égard; un simple droit de rappel peut dans certains cas suffire et dans d'autres, il n'est pas suffisant Note de bas de page 47 . De fait, pour que l'on puisse considérer qu'un prestataire ne peut reprendre un emploi en raison d'un arrêt de travail, on doit pouvoir raisonnablement conclure que, n'eût été cet arrêt, le travailleur aurait été rappelé et que, par conséquent, celui-ci aurait eu un emploi.
On peut notamment accepter comme preuve un avis de rappel de l'employeur ou la publication d'un horaire de travail requérant les services de l'employé à une date précise, le fait que la cessation d'emploi précédente n'ait été que temporaire ou pour une période déterminée et que l'employé devait revenir au travail à une date précise Note de bas de page 48 ou, finalement, le fait qu'on puisse raisonnablement conclure, d'après l'importance et la régularité de l'emploi du prestataire, que celui-ci aurait travaillé s'il n'y avait pas eu d'arrêt de travail Note de bas de page 49 . Lorsque le prestataire ne peut donner ou ne donne pas suite à une telle offre d'emploi, il est indiscutable qu'il ne peut reprendre un emploi Note de bas de page 50 . De telles situations sont incontestablement visées par les dispositions relatives aux conflits collectifs.
Le même raisonnement s'applique lorsque le prestataire, mis à pied par son employeur, s'est quand même entendu avec lui sur sa réintégration ou son retour éventuel à une date ou à un moment déterminé et n'a pas pu offrir les services prévus à cause d'un arrêt de travail dû à un conflit collectif Note de bas de page 51 .
Dans le même ordre d'idées, on ne peut qualifier le travailleur saisonnier de « prestataire qui ne peut reprendre un emploi », avant de pouvoir raisonnablement conclure que l'employeur aurait rouvert les portes de son entreprise au début de la saison d'activité, si l'arrêt de travail n'avait pas eu lieu Note de bas de page 52 .
Le lien de causalité entre l'incapacité de reprendre un emploi et l'arrêt de travail existe à partir du moment où l'employeur aurait rappelé le travailleur, s'il n'y avait pas eu d'arrêt de travail, dans la mesure où cet arrêt est toujours en cours. L'inadmissibilité, aux termes des dispositions visant les conflits collectifs, ne peut prendre effet qu'à partir de cette date.
On ne peut toutefois suivre la même ligne de pensée dans le cas d'une personne rappelée au travail par son employeur, du seul fait que celui-ci a besoin de ses services à cause de l'arrêt de travail, et qui n'aurait autrement pas été rappelée. Ce cas s'apparente plutôt à ceux dont il est question à la section « Employés embauchés ou rappelés à cause de l'arrêt de travail » Note de bas de page 53 .
8.5.9 Employés à l'essai
La période d'essai n'est somme toute qu'une étape préliminaire, avant l'obtention d'un emploi permanent. Elle sert à évaluer les qualités d'un employé en fonction des besoins immédiats et futurs d'une entreprise. L'exercice d'un emploi à titre d'essai ne donne pas à cet emploi un caractère distinctif. Cet emploi est de fait comparable à tout autre emploi ordinaire Note de bas de page 54 . Le fait que la période d'essai soit interrompue par un arrêt de travail constitue à n'en pas douter une perte d'emploi qui lui est imputable Note de bas de page 55 .
8.5.10 Travailleurs à temps partiel
Les dispositions de la Loi relatives aux conflits collectifs ne font aucune distinction quant au mode ou au genre d'emploi assujetti à leurs prescriptions Note de bas de page 56 . Dans la mesure où il s'agit d'un emploi qu'un prestataire a perdu ou ne peut reprendre en raison d'un arrêt de travail dû à un conflit collectif, il importe peu que cet emploi soit à temps plein ou à temps partiel ou encore régulier ou temporaire.
Il est infiniment plus important d'établir si l'emploi à temps partiel a été exercé de façon continue ou selon un mode préétabli ou s'il ne l'a été que de façon irrégulière. Même si la perte d'un emploi continu à temps partiel constitue une perte d'emploi Note de bas de page 57 , il peut en aller autrement si l'emploi à temps partiel était exercé de façon très irrégulière, auquel cas il faut vérifier si le travailleur était sûr d'être rappelé et aurait été en poste, sans l'arrêt de travail Note de bas de page 58 .
L'inadmissibilité, le cas échéant, ne sera imposée qu'à compter du premier jour où le prestataire aurait travaillé, n'eût été l'arrêt de travail, pour autant que cet arrêt se poursuive toujours à cette date. Il convient de souligner qu'à partir de cette date, le nombre de jours d'inadmissibilité dans une semaine est calculé en proportion de l'emploi à temps partiel que le prestataire a perdu ou ne peut reprendre en raison de l'arrêt de travail attribuable à un conflit collectif Note de bas de page 59 .
8.5.11 Travailleurs temporaires
La cessation d'un emploi exercé sur une base permanente ou temporaire constitue tout autant une perte d'emploi visée par dispositions relatives aux conflits collectifs, dans la mesure où elle est attribuable à un arrêt de travail causé par un conflit collectif au lieu de travail du travailleur Note de bas de page 60 . Le même principe s'applique lorsqu'un prestataire ne peut reprendre un emploi permanent ou temporaire pour ces mêmes motifs Note de bas de page 61 .
Quand vient le temps de décider si la perte d'emploi est due à l'arrêt de travail, il importe peu que l'emploi vienne de débuter, qu'il soit de courte durée ou sur le point de prendre fin, que le prestataire ait été embauché pour remplacer des travailleurs en vacances, qu'il ait été congédié par l'employeur au moment de l'arrêt de travail, qu'il ait accepté cet emploi au cours de la morte-saison dans sa profession habituelle, ou obtenu l'emploi au moyen d'un permis syndical de déplacement, qu'il soit un employé permanent au service d'une autre entreprise ou encore un étudiant dont l'emploi ne devait durer que jusqu'à son retour aux études.
De même, le fait qu'un travailleur ait été employé pour une période déjà plus longue que celle qui était prévue n'a aucune importance, si cet emploi a cessé à cause de l'arrêt de travail. Ainsi, un employé muté à une usine où un arrêt de travail a été déclenché deux jours plus tard n'en a pas moins perdu son emploi à cause de l'arrêt de travail; le fait qu'il se soit trouvé à cet endroit au moment de l'arrêt de travail est ce qui importait, et non pas combien de temps il devait y rester ou s'il devait être ailleurs.
On comprendra facilement l'importance d'aller au fond des choses et de bien faire ressortir le motif de toute perte d'emploi survenant pendant un arrêt de travail, particulièrement en ce qui concerne celle du travailleur embauché de façon temporaire; il peut arriver, que même si cette perte d'emploi se produit pendant un arrêt de travail, cela ne soit que pure coïncidence et que, arrêt de travail ou pas, ce travailleur temporaire aurait de toute façon été mis à pied pour une raison n'ayant rien à voir avec l'arrêt de travail, par exemple parce que la durée déterminée de sa période d'emploi était terminée, auquel cas, les dispositions visant les conflits collectifs ne sont pas applicables.
Le fait que certains de ses compagnons de travail aient déjà perdu ou perdront éventuellement leur emploi à cause de l'arrêt de travail ne signifie alors plus rien dans les circonstances Note de bas de page 62 .
Il se peut par ailleurs qu'une personne ait été embauchée ou rappelée précisément à cause de l'arrêt de travail, auquel cas les dispositions visant les conflits collectifs ne s'appliqueront pas si elle perd un emploi ou ne peut reprendre un emploi en raison de l'arrêt de travail dû au conflit collectif Note de bas de page 63 .
8.5.12 Travailleurs occasionnels
Une façon simple de voir les choses serait de qualifier de travailleur occasionnel la personne qui ne travaille qu'à l'occasion, sur demande, en services d'appoint pour répondre aux besoins d'un employeur aux prises avec les aléas des opérations de son entreprise ou celle qui n'a pas de calendrier de travail préétabli.
Quoi qu'il en soit, le travailleur occasionnel doit composer avec trois situations principales dans le cadre d'un arrêt de travail. La première est celle de l'employé qui était en fonction au moment de l'arrêt de travail et dont on peut dire que sa situation se compare à celle du travailleur temporaire Note de bas de page 64 . La perte d'un emploi occasionnel ou intermittent est une perte d'emploi Note de bas de page 65 . Ce raisonnement a été appliqué aux débardeurs, aux postiers, aux professeurs suppléants et à d'autres travailleurs qui étaient en fonction au moment de l'arrêt de travail.
Par ailleurs, le travailleur occasionnel peut avoir été en chômage au moment de l'arrêt de travail. On distinguera alors deux situations : celle de la personne qui, sans l'arrêt de travail, aurait sans doute travaillé à un moment donné au cours de l'arrêt de travail, et celle de l'autre qui n'aurait eu en fait qu'une vague possibilité d'être rappelée pendant cette même période Note de bas de page 66 . Seule la première sera touchée par les dispositions visant les conflits collectifs.
8.5.13 Employés embauchés ou rappelés à cause de l'arrêt de travail
L'imminence d'un conflit de travail n'empêche pas nécessairement un employeur d'embaucher du personnel dans l'intervalle. Bien au contraire, en plus de nouveaux employés embauchés pour suppléer au taux de roulement régulier de son personnel, l'employeur augmente parfois son effectif pour accélérer la cadence de la production, hausser le niveau d'inventaire ou devancer l'exécution de certains contrats importants. Il peut aussi être tenté de rappeler au travail certains employés qui, en d'autres circonstances, ne l'auraient pas été, afin d'atténuer les effets anticipés ou réels d'un arrêt de travail éventuel.
Si l'arrêt de travail se concrétise, le fait qu'un prestataire ait perdu un emploi ou ne puisse reprendre un emploi touchera autant le travailleur embauché ou rappelé à cause de l'arrêt de travail que celui dont l'embauchage ou le rappel a été fait pour répondre aux besoins courants de l'entreprise, à la différence que, règle générale, seul ce dernier sera visé par les dispositions concernant les conflits collectifs Note de bas de page 67 .
Il n'est souvent pas facile, dans la réalité, de faire la part des choses et de distinguer entre l'un et l'autre travailleur, tous deux embauchés ou rappelés pour une période temporaire peu de temps avant l'arrêt de travail. Il faut alors se demander pour quelle raison chacun d'eux a été embauché ou rappelé. S'agit-il en fait d'un emploi créé de toute pièce du fait de l'imminence de l'arrêt de travail?
La réponse à cette question suppose une bonne connaissance des activités de l'entreprise, des mouvements de personnel et des raisons à la base de ces mouvements. Alors que certains employeurs admettront spontanément que l'embauchage ou le rappel d'un ou de plusieurs travailleurs était directement relié à la perspective d'un arrêt de travail, d'autres par ailleurs ne verront aucun intérêt à divulguer une partie de leur stratégie en temps de conflit et iront même jusqu'à dire que l'employé avait été embauché ou rappelé sur une base permanente. Dans ce dernier cas, comment expliquer alors que cet employé a été mis à pied dès son retour au travail après le règlement du conflit ou que le niveau des stocks a augmenté, malgré un ralentissement dans l'industrie?
Le passage du temps peut contribuer à montrer si l'employé a été embauché ou rappelé pour remplir des tâches régulières en remplacement par exemple d'une personne en congé de maladie ou de maternité ou accomplir des travaux que les employés permanents refusaient de faire en période de conflit. L'employé pourra avoir obtenu un emploi, et non pas perdu un emploi, à cause de l'arrêt de travail imminent.
Dans la plupart des provinces, la législation du travail n'interdit pas le recours aux services de « briseurs de grève » pour remplacer les employés impliqués dans un arrêt de travail. L'embauchage ou le rappel de travailleurs à titre de « briseurs de grève » au cours d'un arrêt de travail y est de toute évidence relié; le fait que ces travailleurs perdent par la suite un emploi ou soient incapables de reprendre un emploi, selon le cas, à cause de l'arrêt de travail, ne les rend pas assujettis aux dispositions visant les conflits collectifs.
Bien qu'il soit parfois de notoriété publique qu'un arrêt de travail se prépare, cela ne veut pas dire nécessairement que tout embauchage dans les circonstances y est relié. Il ne faut pas sauter aux conclusions. En fait, même si le prestataire aurait pu initialement démontrer qu'il avait un motif valable de refuser un emploi proposé dans une telle situation, cela ne le met pas à l'abri des dispositions visant les conflits collectifs si jamais il finit par accepter un emploi authentique qui n'est pas lié à l'imminence d'un arrêt de travail et qu'il le perd subséquemment ou ne peut le reprendre à cause de cet arrêt de travail.
Il faut rappeler qu'un emploi n'est pas jugé convenable s'il est offert du fait d'un arrêt de travail dû un conflit collectif Note de bas de page 68 .
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