Introduction
Le Collège militaire royal du Canada (CMR) a été créé en 1876 dans le but d’offrir une instruction complète dans toutes les branches de la tactique militaire, des fortifications et du génie et de dispenser les connaissances scientifiques générales dans les disciplines qui sont directement reliées et nécessaires à la connaissance approfondie de la profession militaire. Il offrait à une jeune nation une façon nouvelle et indépendante de former ses officiers plus particulièrement les officiers du service technique pour l’Armée canadienne.
Le Collège militaire royal de Saint-Jean (CMR Saint-Jean) a ouvert ses portes en 1952 pour aider à accroître la présence des francophones dans le Corps des officiers des Forces armées canadiennesNote de bas de page 1. Le Royal Roads Military College (RRMC) a été créé en 1968 (après avoir vu le jour en 1942 sous le nom de Navire canadien de Sa Majesté (NCSM) Royal Roads, puis être devenu le Collège royal de la Marine du Canada).
En 1995, le gouvernement du Canada a fermé le CMR Saint-Jean et le RRMC. Bien qu’il ait cédé le site du RRMC à Victoria, en Colombie-Britannique (maintenant l’Université Royal Roads), il a conservé l’emplacement du CMR Saint-Jean et a forgé un partenariat avec la société communautaire Fort St-Jean pour l’entretien du site. Le CMR Saint-Jean a été rouvert en 2007 afin d’offrir une année préparatoire aux aspirants officiers et aspirantes officières qui s’enrôlent dans les Forces armées canadiennes (FAC) en provenance du système scolaire québécois. Le CMR Saint-Jean est revenu au statut d’université en 2021.
Par conséquent, le Canada compte deux collèges militaires : soit le Collège militaire royal du Canada à Kingston, en Ontario, et le Collège militaire royal de Saint-Jean à Saint-Jean-sur-Richelieu, au Québec. Collectivement, ces collèges sont connus sous le nom de collèges militaires canadiens (CMC). Ils partagent la responsabilité d’« assurer aux élèves-officiers et à des officiers brevetés l’instruction et la formation qui leur permettront de faire carrière dans les Forces canadiennes » et sont investis des pouvoirs d’accorder des diplômes universitaires à l’appui de ce rôle. À l’heure actuelle, les CMC accordent environ 280 diplômes aux aspirants et aspirantes de marine et aux élèves-officiers et élèves-officières (aspm/élof) chaque année et fournissent l’un des principaux volets d’attribution de commission d‘officier au sein des FAC.
La majoritéNote de bas de page 2 des aspm/élof suivent le Programme de formation des officiers – Force régulière des CMC (PFOR CMC), d’une durée de quatre ou cinq ans, qui s’articule autour de quatre « piliers » distincts : les études, la condition physique, l’instruction militaire et le bilinguisme. S’ils réussissent le PFOR CMC, les aspm/élof obtiennent un diplôme universitaire de premier cycle et leur commission d’officier pour les FACNote de bas de page 3.
Dans son examen externe indépendant et complet (EEICNote de bas de page 4) de 2022, l’honorable Louise Arbour a soulevé des inquiétudes quant à l’existence d’une culture problématique dans les CMC, ce qui inclut le harcèlement et l’inconduite sexuelle, en particulier en ce qui concerne ses répercussions sur les aspirantes de marine et élèves-officières. Elle a recommandé qu’une commission d’examen soit mise sur pied pour évaluer les avantages, les désavantages et les coûts - tant pour les Forces armées canadiennes que pour le Canada - de continuer à former les aspm/élof dans les collèges militaires. Elle a également recommandé que l’examen porte sur la qualité comparative de l’éducation, de la socialisation et de l’instruction militaire obtenues dans cet environnement, et qu’il évalue les différents modèles existants pour fournir une formation universitaire et en leadership militaire aux aspm/élof. Elle a également insisté sur la nécessité de déterminer si la structure de leadership par les pairs sur laquelle les CMC fondent leur instruction militaire (connue sous le nom de chaîne de responsabilité des élèves-officiers et élèves-officières [C de R Élof]) devait être modifiée ou abandonnée, et si les CMC devaient demeurer des établissements pouvant décerner des diplômes universitaires de premier cycle.
Conformément à ces recommandations, la Commission d’examen des collèges militaires canadiens (« la Commission d’examen », « la Commission », « cette Commission » ou « la CECMC ») a été créée le 6 décembre 2023 et s’est réunie le 15 janvier 2024 pour commencer son mandat de 12 mois (voir l’annexe 1 – Mandat et l’annexe 2 – Composition de la Commission).
Dans ses réflexions sur la valeur des CMC pour les FAC et pour le Canada, en particulier en ce qui a trait aux préjudices qu’ils pourraient causer, Mme Arbour a affirmé que « la raison d’être des collèges militaires doit s’appuyer sur la conviction qu’il s’agit du meilleur moyen de former les leaders militaires de demain ». C’est la validité de cette hypothèse qui est au cœur du mandat confié à la Commission d’examen des collèges militaires canadiens, et c’est cette question que la Commission a cherché à aborder.
La Commission a commencé ce processus en répondant à la question préliminaire de savoir si les CMC sont tellement entachés par les questions d’inconduite qu’ils sont irrécupérables (ce qui justifierait leur démantèlement ou leur fermeture), ou si, malgré les lacunes observées dans la structure, les programmes, le fonctionnement ou la culture actuels de ces établissements, ils peuvent être améliorés et méritent d’être préservés.
La Commission a conclu que, même si des problèmes persistent dans les CMC, ils ne justifient pas la fermeture de ces établissements. Les conclusions de l’examen externe indépendant et complet ont donné lieu à une introspection approfondie et à des changements concrets de la part des FAC et des CMC, et des efforts importants sont déjà en cours pour cerner et corriger les lacunes qui existent toujours dans les collèges militaires. Les CMC d’il y a trente, quinze ou même cinq ans ne sont pas les CMC d’aujourd’hui, et s’ils évoluent encore, ils ont le potentiel d’offrir une grande valeur aux FAC et des avantages durables pour le Canada.
Les collèges militaires canadiens sont des symboles du pouvoir national et devraient être des symboles de fierté et de prestige nationaux. Ils sont essentiels au recrutement, à l’instruction et à l’éducation du nombre d’officiers et d’officières requis chaque année par les FAC et remplissent des fonctions particulières dont les militaires ont besoin pour fonctionner. Ce sont des établissements de mobilité sociale qui ont la capacité de transformer des vies et qui contribuent à la réussite économique du pays. Ils peuvent être les catalyseurs d’une importante évolution culturelle au sein des FAC et au sein de la société canadienne, et ils reflètent l’image et le professionnalisme du Canada auprès de ses citoyens et citoyennes, de ses partenaires et de ses alliés. Par conséquent, la Commission estime que les CMC devraient demeurer des établissements qui décernent des diplômes universitaires et qui ont le mandat d’éduquer et de former les aspm/élof pour qu’ils deviennent des membres de la profession des armes.
Parallèlement, la Commission reconnaît que les CMC ont également été la source et le lieu d’expériences profondément préjudiciables, traumatisantes et négatives pour certains aspm/élof au fil des décennies. La Commission accorde aux témoignages recueillis dans le cadre de son travail toute la compassion et l’attention qu’ils méritent. Les comportements préjudiciables, comme le racisme, la discrimination, la violence sexuelle et la misogynie, peuvent ne pas être répandus dans les CMC, mais ils sont néanmoins présents. Il faut en faire davantage pour créer une culture saine et une expérience inclusive pour tous. Le défi que doivent relever les CMC est de savoir comment honorer le passé et tirer sa force de la tradition tout en reconnaissant les héritages historiques négatifs, en corrigeant leur incidence profonde et en favorisant un changement positif.
Des réformes multiples et substantielles seront nécessaires pour réaliser la valeur des collèges militaires canadiens en tant qu’établissements d’excellence de calibre mondial qui demeurent pertinents pour la sécurité et la défense du Canada, pour atténuer les préjudices futurs et y réagir, et pour assurer la survie et la prospérité de ces établissements. Cela exigera le plein engagement des collèges militaires eux-mêmes, ainsi que l’attention soutenue des hauts dirigeants du ministère de la Défense nationale et des Forces armées canadiennes, en plus d’un investissement accru de la part du gouvernement.
Les deux CMC ne partent pas du même endroit dans ce parcours. Le CMR a une histoire différente et beaucoup plus longue que le CMR Saint-Jean. Le CMR Saint-Jean a échappé à bon nombre des pièges dans lesquels le CMR est tombé au cours des dernières décennies, mais il a ses propres défis. Chaque collège a ses forces et ses faiblesses respectives. La Commission reconnaît que certaines des analyses et observations formulées dans le présent rapport ne s’appliquent pas de la même façon aux deux établissements et que, dans certains cas, elles peuvent sembler non pertinentes ou injustifiées. La Commission a néanmoins fait le choix délibéré d’examiner les deux collèges sous le même angle dans l’intention de les soumettre tous les deux aux mêmes normes élevées.
Outre l’EECI, des rapports et des recommandations antérieursNote de bas de page 5 ont abordé des questions semblables à celles qui ont été cernées et examinées par la Commission. La Commission estime que, si le ministère de la Défense nationale (MDN) et les FAC avaient entrepris rapidement la mise en œuvre des orientations contenues dans ces documents, bon nombre de ces questions auraient pu être résolues. Toutefois, ces institutions ont démontré une tendance à ignorer, à reporter, à sous-financer ou à retarder autrement les mesures nécessaires, ce qui a entraîné des défis continus et, par conséquent, un examen plus approfondi des CMC.
Cette situation a été épuisante et démoralisante pour toutes les personnes concernées. Aucune personne ou organisation n’est à blâmer; il s’agit de problèmes complexes et systémiques, et bon nombre des personnes clés responsables du changement n’ont pas le pouvoir ou les outils nécessaires pour le mettre en œuvre. En effet, dans bien des cas, les réussites continues des CMC peuvent être attribuées à la ténacité et à l’engagement de nombreux membres de la direction, du corps professoral et du personnel, dont le professionnalisme, le dévouement envers les aspm/élof et le travail acharné ont été les facteurs décisifs entre l’échec probable et des progrès précaires.
À l’avenir, la santé, le succès et la crédibilité des CMC exigeront une mise en œuvre efficace des recommandations de la CECMC, dans un délai clair, guidée par un cadre de responsabilisation et supervisée par une organisation dotée des pouvoirs appropriés pour s’assurer que des progrès sont réalisés. Afin de faciliter et de simplifier cette tâche, la Commission a examiné toutes les recommandations en suspens découlant des rapports précédents. Celles qui demeuraient valides ont été intégrées au présent rapport. Ainsi, le présent rapport de la CECMC devrait servir d’analyse opérationnelle de l’état actuel des CMC et constituer la seule source de recommandations propres aux CMC à mettre en œuvre.