Introduction

Lancés le 15 novembre 2017, les Principes de Vancouver sur le maintien de la paix et la prévention du recrutement et de l’utilisation d’enfants soldats (appelés les Principes de Vancouver) sont un ensemble d’engagements politiques visant à prévenir et à traiter le recrutement et l’utilisation d’enfants par les forces armées et les groupes armés pendant les opérations de maintien de la paix de l’Organisation des Nations Unies (ONU). En souscrivant aux Principes de Vancouver, les États membres reconnaissent les défis uniques et considérables que posent les enfants soldats. Ils s’engagent à accorder la priorité à la prévention du recrutement et de l’utilisation d’enfants soldats dans le cadre des opérations de maintien de la paix de l’ONU, et à veiller à ce que tous les soldats de la paix, militaires, policiers et civils, reçoivent la préparation et les directives nécessaires pour agir de manière appropriéeNote de bas de page 1. Les Principes de Vancouver sont motivés par la conviction que la prévention du recrutement et de l’utilisation d’enfants soldats n’est pas une question secondaire au maintien de la paix de l’ONU, mais plutôt essentielle à la réussite globale de la mission et à l’établissement des conditions pour une paix et une sécurité durables.

Les Principes de Vancouver comportent 17 engagements distincts qui, combinés, visent à habiliter les États membres à entreprendre des mesures rapides, efficaces et coordonnées en vue de prévenir le recrutement et l’utilisation d’enfants soldats. Le Principe 17 préconise l’élaboration d’une orientation opérationnelle additionnelle à l’appui de la transformation de ces engagements politiques de haut niveau en mesures concrètes de la part des États membres. Le présent document est une contribution à la réalisation de ce principe. Ces lignes directrices ne sont pas contraignantes, mais doivent servir de ressource pratique pour guider les États membres au moment où ils élaborent leurs propres plans nationaux de mise en œuvre.

Comprendre le défi

Adoptée par le Conseil de sécurité de l’ONU en 1999, la résolution 1261 du Conseil de sécurité de l’ONU (RCSNU) a été la première résolution sur les enfants et les conflits armés (ECA). La résolution a solidement ancré la question des enfants touchés par la guerre dans le programme du Conseil et a fermement condamné le ciblage des enfants dans les situations de conflit armé. Elle plaide en faveur d’un accès complet et sans entrave du personnel humanitaire et de l’acheminement de l’aide humanitaire à tous les enfants touchés par les conflits armés. Par la suite, dans un rapport de 2005 présenté au Conseil de sécurité de l’ONU, le Secrétaire général de l’ONU de l’époque a officiellement défini les « six violations graves » envers les enfants en temps de conflit arméNote de bas de page 2. Ces violations comprennent notamment :

  1. Meurtres ou mutilations d’enfants;
  2. Recrutement ou emploi d’enfants soldats;
  3. Attaques dirigées contre des écoles ou des hôpitaux;
  4. Violences sexuelles commises contre des enfants;
  5. Enlèvements d’enfants;
  6. Déni d’accès humanitaire aux enfants.

Ces violations peuvent s’apparenter à des crimes de guerre ou à des crimes contre l’humanité. Tragiquement, non seulement de telles violations à l’égard des enfants persistent, mais elles continuent aussi d’augmenter à un rythme alarmantNote de bas de page 3.

En particulier, des forces armées, des groupes armés et plus de 50 acteurs non étatiques et sept forces de sécurité gouvernementales de par le monde continuent de recruter et d’utiliser des enfantsNote de bas de page 4. En fait, des dizaines de milliers d’enfants, tant des garçons que des filles, sont utilisés par des forces armées et des groupes armés dans une variété de rôles, tels que combattants, cuisiniers, porteurs, messagers, espions, ou à des fins sexuellesNote de bas de page 5.

En 2016, l’ONU a estimé que jusqu’à 40 % des enfants soldats sont des fillesNote de bas de page 6. Tant des garçons que des filles sont employés dans divers rôles : dans le combat actif, dans des rôles de soutien, ainsi qu’à des fins sexuelles.

Les enfants soldats sont souvent exposés à une violence effroyable : ils sont à la fois témoins et auteurs de violence, en étant eux-mêmes maltraités, exploités, blessés ou même tués. À défaut de mourir, ces enfants peuvent subir de graves blessures physiques, psychologiques et émotionnelles. Ils peuvent être arrachés à leur famille et à leurs amis, privés de possibilités d’éducation et d’autres possibilités de perfectionnement, stigmatisés ou rejetés par leur collectivité et leurs pairs et se voir privés de leurs besoins de base et de leurs droits fondamentaux de la personneNote de bas de page 7. Qui plus est, la dynamique complexe du recrutement d’enfants est souvent liée au genre et au contexte.

Au-delà des conséquences durables, tragiques et même fatales pour les enfants, le recrutement et l’utilisation d’enfants soldats entraînent également de lourdes conséquences sur la nature du conflit comme tel, ainsi que sur les soldats de la paix en déploiement dans le cadre des opérations de maintien de la paix de l’ONU. En fait, en présence d’enfants soldats, les conflits sont généralement plus difficiles à résoudreNote de bas de page 8. Pour les soldats de la paix, la présence d’enfants dans les forces armées et les groupes armés présente des défis tactiques et opérationnels immédiats et complexes. Les effets psychologiques liés à la rencontre d’enfants soldats peuvent être graves, multidimensionnels et prolongés, affectant les soldats de la paix longtemps après qu’ils soient revenus de leur déploiement.

Droit et orientations politiques existants

Au cours des dernières décennies, le droit international humanitaire (DIH) et le droit international en matière des droits de la personne (DIDP) ont évolué de façon à mieux protéger les enfants contre le recrutement et l’utilisation par les forces armées et les groupes armés. Ces instruments juridiques comprennent, sans toutefois s’y limiter, les Conventions de Genève (1949), les Protocoles additionnels I et II de la Convention de Genève (1977), la Convention relative aux droits de l’enfant (1989), la Convention sur les pires formes de travail des enfants (1999) et le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés (2000). Au-delà de ces instruments internationaux, les instruments régionaux relatifs aux droits de la personne ont aussi évolué, notamment la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant (1990) et le Covenant des droits de l’enfant en Islam (2005).

Les lois et instruments susmentionnés ont été renforcés par une série de résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU qui soulignent la protection de l’enfance en tant que priorité pour la paix et la sécurité internationales. La protection de l’enfance est également incluse dans les mandats de plusieurs opérations de maintien de la paix depuis 2001Note de bas de page 9.

Les résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU concernant la protection de l’enfance touchés par les conflits armés comprennent les suivantes :

  • RCSNU 1261, Le sort des enfants en temps de conflit armé, S/RES/1261 (le 30 août 1999);
  • RCSNU 1314, Le sort des enfants en temps de conflit armé, S/RES/1314 (le 11 août 2000);
  • RCSNU 1379, Le sort des enfants en temps de conflit armé, S/RES/1379 (le 20 novembre 2001);
  • RCSNU 1460, Le sort des enfants en temps de conflit armé, S/RES/1460 (le 30 janvier 2003);
  • RCSNU 1539, Le sort des enfants en temps de conflit armé, S/RES/1539 (le 22 avril 2004);
  • RCSNU 1612, Le sort des enfants en temps de conflit armé, S/RES/1612 (le 26 juillet 2005);
  • RCSNU 1882, Le sort des enfants en temps de conflit armé, S/RES/1882 (le 4 août 2009);
  • RCSNU 1998, Le sort des enfants en temps de conflit armé, S/RES/1998 (le 12 juillet 2011);
  • RCSNU 2068, Le sort des enfants en temps de conflit armé, S/RES/2068 (le 19 septembre 2012);
  • RSCNU 2143, Le sort des enfants en temps de conflit armé, S/RES/2143 (le 7 mars 2014);
  • RSCNU 2151, Le maintien de la paix et de la sécurité internationales : réforme du secteur de la sécurité : défis et possibilités, S/RES/2151 (le 28 avril 2014);
  • RCSNU 2225, Le sort des enfants en temps de conflit armé, S/RES/2225 (le 18 juin 2015);
  • RCSNU 2427, Le sort des enfants en temps de conflit armé, S/RES/2427 (le 9 juillet 2018).

Au cours des dernières années, une série d’initiatives politiques ont attiré une attention accrue sur la persistance de la maltraitance d’enfants dans des situations de conflit armé, dans le but d’encourager des efforts collectifs renforcés afin de protéger les enfants. En particulier, les Engagements de Paris et les Principes de Paris connexes (2007), basés sur les Principes du Cap (1997)Note de bas de page 10, énoncent des lignes directrices détaillées pour protéger les enfants contre le recrutement et l’utilisation par des forces armées et des groupes armés, et pour fournir de l’aide aux personnes qui sont déjà impliquées dans des forces armées et des groupes armésNote de bas de page 11. La Déclaration sur la sécurité dans les écoles (2015) invite les États à protéger les écoles et les universités contre l’utilisation militaire pendant les conflits armésNote de bas de page 12.

Les Principes de Kigali (2015) établissent un ensemble d’engagements relatifs à la protection des civils pendant les opérations de maintien de la paixNote de bas de page 13. En outre, les objectifs de développement durable de l’ONU reconnaissent la dignité des enfants et leur droit à une vie sans violence ni peur sont reconnus comme une priorité distincte dans le programme de développement internationalNote de bas de page 14.

Les objectifs de développement durable de l’ONU encouragent les États à :

  • 8.7 « Prendre des mesures immédiates et efficaces pour supprimer le travail forcé, mettre fin à l’esclavage moderne et à la traite d’êtres humains, interdire et éliminer les pires formes de travail des enfants, y compris le recrutement et l’utilisation d’enfants soldats et, d’ici à 2025, mettre fin au travail des enfants sous toutes ses formes. »Note de bas de page 15

  • 16.2 « Mettre un terme à la maltraitance, à l’exploitation et à la traite, et à toutes les formes de violence et de torture dont sont victimes les enfants. »Note de bas de page 16

Les Principes de Vancouver de 2017 s’appuient sur cette solide assise que constituent le droit et les orientations politiques existants, tout en apportant une contribution unique et complémentaire au cadre international. Les Principes de Vancouver sont destinés aux États membres et se concentrent sur les défis posés par les enfants soldats dans le contexte des opérations de maintien de la paix de l’ONU et du rôle particulier des soldats de la paix de l’ONU. De plus, ils suivent une approche globale en matière de lutte contre le recrutement et l’utilisation d’enfants en soulignant l’importance des mesures préventives et exhaustives, de la conception du mandat initial par le Conseil de sécurité de l’ONU à la planification de la mission en vue des opérations de maintien de la paix, en passant par la négociation des processus de paix. La prévention du recrutement et de l’utilisation d’enfants soldats est un aspect déterminant des Principes de Vancouver.

Portée et objectif des lignes directrices de mise en œuvre

Les lignes directrices de mise en œuvre se veulent un document de niveau stratégique. Elles servent à aider les États membres à traduire les Principes de Vancouver en orientations, plans et capacités nécessaires à l’échelle nationale pour prendre des mesures significatives afin de prévenir le recrutement et l’utilisation d’enfants soldats dans le contexte des opérations de maintien de la paix de l’ONU. À cet égard, les lignes directrices doivent servir de ressource pratique pour les organisations militaires, policières et civiles nationales pertinentes qui participent aux préparatifs nationaux en vue des opérations de maintien de la paix de l’ONU. Elles visent à aider les États membres à désigner les autorités nationales compétentes et les ressources suffisantes pour mettre en œuvre les Principes de VancouverNote de bas de page 17.

Les présentes lignes directrices de mise en œuvre traitent de chaque Principe de Vancouver individuellement, d’abord en définissant l’importance du principe et ensuite en présentant des suggestions pratiques quant aux façons possibles de mettre en œuvre ce principe. Dans la mesure du possible, des exemples concrets sont fournis, ainsi que des références utiles aux ressources disponibles et faisant autorité. Chaque chapitre se termine par une courte liste de vérification afin d’en faciliter la consultation. Bien que chaque principe fasse l’objet d’un chapitre distinct, les principes sont liés de manière indissociable et se renforcent mutuellement; il faut les comprendre comme un tout.

Ce document a été élaboré afin de tenir dûment compte de la mise en œuvre des Principes de Vancouver selon une perspective sexopécifique et d’appuyer l’inclusion de recommandations sexospécifiques.

La terminologie employée dans le présent document est conforme à l’usage dans les Principes de Vancouver. Reconnaissant les complexités inhérentes à l’emploi du terme « enfant soldat », en particulier, la définition à la page suivante devrait donner des éclaircissements aux fins des présentes lignes directrices. Les définitions de « soldats de la paix » et d’« opérations de maintien de la paix » sont également données à la page suivante; d’autres termes sont définis dans le glossaire.

Enfant soldat : Ce terme est utilisé de manière générale et s’interprète au sens large, conformément à la définition se trouvant dans les Principes de Paris. Un enfant soldat (ou un enfant associé à une force armée ou à un groupe armé) s’entend de toute personne, fille ou garçon, de moins de 18 ans qui est ou a été recrutée ou utilisée par une force armée ou un groupe armé, à un titre quelconque, que ce soit, entre autres, comme combattant, cuisinier, porteur, messager, espion ou à des fins sexuelles. Le terme ne désigne pas seulement un enfant qui participe ou a participé directement à des hostilitésNote de bas de page 18. »

Soldats de la paix : Ce terme englobe tout le personnel engagé dans les opérations de maintien de la paix de l’ONU, qu’il s’agisse de militaires, de policiers ou de civils.

Opérations de maintien de la paix : Ce terme est employé conformément à la définition fournie dans la Doctrine fondamentale de l’ONU : « Le maintien de la paix est une technique destinée à préserver la paix, aussi fragile soit-elle, là où les combats se sont arrêtés, et à aider à mettre en œuvre ou à surveiller les accords conclus par les soldats de la paix. Au fil des ans, le maintien de la paix a évolué à partir d’un modèle essentiellement militaire d’observation des cessez-le-feu et de la séparation des forces après les guerres entre États, afin d’intégrer un modèle complexe de nombreux éléments – militaires, policiers et civils – travaillant ensemble pour aider à jeter les fondations pour une paix durableNote de bas de page 19. »

Les présentes lignes directrices de mise en œuvre se veulent un point de départ pour des conversations continues et actives sur la façon d’opérationnaliser les Principes de Vancouver et d’accorder la priorité à la prévention du recrutement et de l’utilisation d’enfants soldats dans les opérations de maintien de la paix de l’ONU. Elles se veulent un document évolutif.

Le présent document demeurera gratuit et accessible au public, pour les États membres souscrivant aux Principes, pour les États membres envisageant d’y souscrire et pour tout autre acteur souhaitant obtenir d’autres lignes directrices sur cette question.

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